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09/01/2024

MAYA LECKER
Mike Pence n'aurait pas dû signer son nom sur une bombe israélienne


Maya Lecker, Haaretz, 7/1/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Maya Lecker est rédactrice en chef adjointe du quotidien Haaretz

Ce que l'on peut pardonner aux gens ordinaires qui n'ont que peu de contrôle sur leur vie, ne devrait pas l’être pour les puissants chefs d'État et décideurs .

Les gens ordinaires ont si peu de contrôle sur leur vie de nos jours. Cela a probablement toujours été vrai (selon votre vision théologique et philosophique du monde, et parfois selon le type de régime qui vous gouverne), mais en ce moment, dans l'Israël de l'après-7 octobre, il est difficile de ne pas avoir l'impression de perdre la main.

À la suite du 7 octobre et des affrontements militaires aux frontières sud et nord, des centaines de milliers de personnes ont été évacuées de leurs maisons et n'ont aucune idée de la date à laquelle elles seront autorisées à y retourner - si tant est qu'elles y retournent - et de ce qui les y attendra. Cela fait des mois qu'elles n'ont pas pu préparer un repas dans leur cuisine, arroser leurs plantes, conduire leurs enfants à l'école ou se rendre chez l'épicier de leur quartier.

Des centaines de milliers de personnes ont également été appelées au service de réserve, laissant derrière elles des familles, des emplois et des entreprises qui s'effondrent, sans aucune certitude de recevoir un jour une compensation de l'État. Les gens ont perdu des membres de leur famille et des amis, sont en proie au chagrin et au traumatisme, et se rendent compte que les autorités sur lesquelles ils comptaient pour assurer leur sécurité et leur protection sont inutiles au moment où ils en ont le plus besoin.

Certaines de ces personnes, en particulier celles qui ont perdu des proches le 7 octobre et au cours de la guerre, se sont prises en photo en train de s'adonner à l'art morbide et vengeur de signer un missile des FDI ou un obus de mortier sur le point d'être lancé vers Gaza ou le Liban. Certains ont ajouté une dédicace à leur proche ou à leur pays, ou encore un poème.

Pour certains d'entre nous qui regardent, surtout de loin, cela semble contre-intuitif, voire grotesque : pourquoi quelqu'un qui vient de perdre un ami ou un membre de sa famille dans un terrible attentat terroriste voudrait-il participer à la souffrance d'une autre personne ? Pourquoi poursuivre le cercle de la violence ? Pour d'autres, tout cela est parfaitement logique : les gens trouvent du réconfort dans l'acte symbolique qui leur donne l'impression de participer à la riposte. Et de toute façon, les missiles avec quelques gribouillis faits au marqueur noir sont-ils plus mortels que les autres ? Le problème ne réside-t-il pas dans les missiles eux-mêmes ?

Mais ce que l'on peut pardonner à des gens ordinaires qui n'ont que peu de contrôle sur les aspects de leur vie, on ne peut le pardonner à des chefs d'État et à des décideurs puissants. Lorsque le président israélien Isaac Herzog a signé un obus de mortier lors d'une séance de photos avec des soldats des FDI à la frontière le mois dernier, il disait - comme l'a souligné la journaliste du Haaretz Netta Ahituv - que la “vengeance” est un objectif officiel de la guerre.

Et lorsque l'ancien vice-président usaméricain Mike Pence - représentant d'un pays qui a le pouvoir d'utiliser le soutien militaire et financier à Israël pour changer le cours de la guerre - a signé un mortier lors d'une visite à la frontière libanaise la semaine dernière, il a envoyé un message de tuerie joyeuse et de pensée non critique. Bien entendu, Herzog a remercié Pence pour son “engagement inébranlable envers Israël”.

Laissez tomber les marqueurs, s'il vous plaît.

 

Mike Pence, ancien vice-président de Trump, se dit “évangélique catholique”. Apparemment, il ignore le Sixième Commandement (“Tu ne tueras point ”)

“For Israel-Mike Pence”
 

20/11/2023

MAYA LECKER
Le 7 octobre, le sexisme dans l’armée israélienne a été mortel

 Maya Lecker, Haaretz, 20/11/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT
La lecture de cet article hallucinant  a achevé de me convaincre que ce qu’on appelle Israël est le plus grand asile psychiatrique du monde connu. J’aimerais bien savoir ce qu’en pensent les féministes du reste du monde.

Il n’est pas nécessaire d’inventer une conspiration pour expliquer les échecs catastrophiques du 7 octobre. Les doses criminelles de chauvinisme et d’arrogance restent toujours impunies.

Des guetteuses de l’armée israélienne au travail à Nahal Oz. Photo de l'armée

Quinze femmes soldats non armées ont été tuées à la base de surveillance de Nahal Oz des FDI le 7 octobre, lors de ce que l’on appelle généralement l’attaque “surprise” du Hamas contre les communautés [israéliennes juives] frontalières de Gaza. Sept autres ont été prises en otage et l’une d’entre elles a été tuée par ses ravisseurs à Gaza.

Maya et Yael, deux guetteuses (ou observatrices de terrain) survivantes, ont vécu l’enfer. Leurs amies ont été exécutées sous leurs yeux et elles ont dû faire semblant d’être mortes pendant des heures, entourées de cadavres, avant d’être secourues sous les tirs. Comme elles l’ont dit depuis au journaliste d’investigation israélien Roni Singer sur la chaîne publique Kan, elles ne font pas seulement face à la perte de leurs amies, au traumatisme de cette journée et aux blessures physiques, mais à quelque chose de bien plus grave.

Pour Maya et Yael, ainsi que pour des dizaines d’autres femmes de Tsahal positionnées à la frontière de Gaza et chargées de surveiller la bande de Gaza en permanence, de recueillir des renseignements et des informations sur les activités terroristes, l’attaque du 7 octobre n’a pas été une surprise. Elles avaient une très bonne idée de son déroulement dès la seconde où elle a commencé. En effet, pendant des mois, elles ont vu des militants du Hamas s’entraîner pour ce scénario : ils s’entraînaient à conduire les véhicules à travers la frontière, à assassiner des civils israéliens dans les kibboutzim, à s’emparer des bases de l’armée, à démonter les caméras de la clôture frontalière et même à retourner dans  Gaza avec des otages.

Les jeunes soldates ne prennent pas cette découverte à la légère. À plusieurs reprises, elles ont raconté à leurs commandants ce dont elles avaient été témoins. Des officiers de tous grades leur ont dit que leurs rapports n’avaient aucun sens. Certains ont dit aux observatrices qu’elles ne comprenaient pas ce qu’elles voyaient, même lorsqu’il s’agissait de très hauts responsables du Hamas qui donnaient des instructions à des hommes armés à quelques mètres de la clôture. Un officier israélien de haut rang qui a visité la base de Nahal Oz cette année a été explicite : « Je ne veux plus entendre parler de ces absurdités », a-t-il déclaré. "Si vous m’enquiquinez encore avec ça, vous passerez en justice ».

Talia (nom fictif), une observatrice interrogée par Yaniv Kubovich de Haaretz, a déclaré que cette attitude avait toujours prévalu vis-à-vis des femmes soldats de sa base. « Personne ne fait vraiment attention à nous », lui a-t-elle dit. Pour eux, c’est « restez devant votre écran » et c’est tout. Ils disaient : « Vous êtes nos yeux, pas la tête qui doit prendre des décisions sur les informations ».

Les histoires sur la façon dont ces soldates ont été ignorées de façon méprisante et constante par des hommes plus âgés et plus expérimentés sont si stupéfiantes qu’elles sont déjà à la base de certaines théories conspirationnistes entourant les événements du 7 octobre. Car pourquoi une armée de pointe, une superpuissance du renseignement, construirait-elle des systèmes de défense sophistiqués, y consacrerait-elle des milliards, puis formerait-elle des centaines ou des milliers de jeunes femmes à leur utilisation - pour ensuite ne rien faire des informations qu’elles ont recueillies ? C’est à n’y rien comprendre.

Sauf, bien sûr, si vous avez déjà été une femme dans l’armée, sur un lieu de travail ou dans le monde. Vous savez alors qu’il n’est pas nécessaire d’inventer une conspiration pour expliquer les échecs catastrophiques du 7 octobre. Les doses criminelles de chauvinisme et d’arrogance restent toujours impunies.

 

 

04/10/2023

MAYA LECKER
Pourquoi les prédateurs sexuels présumés d’Hollywood et d’ailleurs aiment se carapater en Israël

Maya Lecker, Haaretz, 3/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a fort à parier qu’être un refuge pour les prédateurs sexuels juifs n’était pas l’intention lorsque la Déclaration d’indépendance d’Israël a proclamé que le pays ouvrirait ses portes à “l’immigration juive et au rassemblement des exilés”


Andrés Roemer Slomianski, petit-fils du compositeur et chef d'orchestre viennois Ernst Römer, réfugié au Mexique après l'annexion de l'Autriche par le Reich, avec sa dernière épouse en date (2018), Pamela Cortés, influenceuse, mannequin et amuseuse de télé. Un couple “très ouvert”

Le diplomate mexicain Andrés Roemer est arrivé en Israël avec un faux passeport en 2021, apparemment pour éviter d’être inculpé dans son pays d’origine, où plus de 60 femmes l’ont accusé de viol et de harcèlement sexuel.

Roemer, qui est juif, avait déjà séjourné en Israël après avoir pris une position pro-israélienne qui lui avait coûté son poste d’ambassadeur du Mexique auprès de l’UNESCO. Le maire de Ramat Gan (et ancien ambassadeur à l’UNESCO), Carmel Shama-Hacohen, a été tellement impressionné par Roemer qu’il a décidé de donner son nom à une rue, en disant qu’il “aime Israël, s’est battu pour Israël et a payé le prix pour cela”.

Carmel avec son ami Emmanuel en 2018

Shama-Hacohen a été moins impressionné par la décision du procureur général mexicain d’inculper Roemer et d’émettre un mandat d’arrêt international à son encontre. Le maire israélien a déclaré que, puisque Roemer nie les allégations, il ne retirera pas son nom de la rue.

Maintenant que Roemer est enfin sur le point d’être extradé vers le Mexique (les autorités mexicaines affirment qu’Israël a ignoré leurs demandes pendant longtemps), Israël reçoit un nouvel accusé de viol - le cinéaste hollywoodien Brett Ratner, qui a décidé de faire son aliyah dans l’État juif.

En 2017, six femmes ont accusé Ratner, qui a réalisé les films “Rush Hour” et “X-Men : The Last Stand”, d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel.

Toutes les femmes ont fait part de leurs allégations dans un article du Los Angeles Times. L’une d’entre elles, l’actrice Natasha Henstridge, affirme que Ratner l’a forcée à lui faire une fellation lorsqu’elle avait 19 ans. L’actrice Olivia Munn a décrit dans l’article comment Ratner s’est masturbé devant elle sans son consentement.

Les studios hollywoodiens ont immédiatement coupé leurs liens avec sa société de production. L’État d’Israël, lui, ne l’a pas fait. Selon un rapport publié mardi par Tal Shalev sur le site d’information israélien Walla, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a personnellement invité Ratner à assister à son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies le mois dernier. Ratner a même téléchargé une photo sur Instagram avec Netanyahou et sa femme Sara en marge de l’Assemblée générale.

James Packer sur son yacht à 200 millions

Les graves allégations liées au nom de Ratner n’ont pas dissuadé Netanyahou de dérouler le tapis rouge pour le nouvel immigrant. Pas plus que le fait que Ratner soit un ami proche et un ancien partenaire commercial du milliardaire australien James Packer, l’homme au centre d’une affaire pénale contre le premier ministre israélien. Netanyahou a été accusé de fraude et d’abus de confiance pour avoir accepté des cadeaux d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de shekels de la part de Packer - et il fréquente maintenant Ratner en public alors que son procès est toujours en cours.


James et Sara Netanyahou

Personne n’attend grand-chose de Netanyahou, un homme qui n’a jamais manqué une occasion de se lier d’amitié avec un riche juif, même si la relation est inappropriée ou contraire à l’éthique. Malheureusement, le premier ministre n’est pas la seule raison pour laquelle Ratner sait qu’il sera le bienvenu en Israël.

Le pays est devenu un point chaud pour les prédateurs sexuels juifs étrangers. Selon Jewish Community Watch, une organisation qui traque les personnes accusées de pédocriminalité, plus de 60 citoyens usaméricains entrant dans cette catégorie ont fui les USA pour Israël au cours des dernières années.

Ratner n’est même pas le premier réalisateur des X-Men accusé de crimes sexuels à avoir trouvé un nouveau foyer en Israël. Bryan Singer, qui a réalisé plusieurs films de la franchise X-Men, a été accusé de viol et d’agression sexuelle sur plusieurs mineurs. Il vit en Israël depuis quelques années et n’a eu aucun mal à trouver des collaborateurs israéliens pour ses futurs projets.

Lorsque la Déclaration d’indépendance d’Israël a proclamé qu’Israël ouvrirait ses portes à “l’immigration juive et au rassemblement des exilés”, il y a fort à parier qu’offrir un refuge aux prédateurs sexuels juifs fuyant la justice n’était pas l’intention.


Photos ingimage / Matan Mittelman, photoshopées par Anastasia Shub pour Haaretz

 

 

23/08/2023

MAYA LECKER
Le nouveau métro léger de Tel-Aviv symbolise (presque) tout ce qui ne tourne pas rond en Israël

Maya Lecker, Haaretz, 16/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 1er avril 1973, la Première ministre Golda Meir ne savait pas encore à quel point ses ministres et ses hauts fonctionnaires se révéleraient peu fiables, ni que 12 mois plus tard, elle démissionnerait, laissant derrière elle un pays traumatisé par une guerre à laquelle il n’était pas préparé.

Elle a donc demandé au ministre des Transports, Shimon Peres, et au ministre des finances, Pinchas Sapir, de commencer à travailler sur un plan de transport public à grande échelle qui relierait Tel-Aviv - le centre financier d’Israël - à ses banlieues.

Il est impossible de compter le nombre de fonctionnaires israéliens qui ont échoué à faire avancer ce projet à ce jour, mais 19 milliards de shekels [=4,650 milliards €], 50 ans et 4 mois après la naissance du projet, la première ligne du métro léger de Tel-Aviv est sur le point de commencer à fonctionner vendredi (18 août).

Miri Regev, ministre des Transports et de la Sécurité routière, lors d’un test du nouveau métro léger à Jaffa-Tel Aviv le 16 août 2023. Photo Avshalom Sassoni/Flash90

L’ouverture de la ligne rouge, qui ira de Petah Tikva (une ville située à l’est de Tel Aviv, tellement banale que les Israéliens plaisantent sur le fait de la céder volontairement aux Palestiniens, et qui a fait l’objet d’une chanson punk avec le vers “Je ne peux pas croire que je vis à Petah Tikva) à Bat Yam (une ville voisine de Tel Aviv au sud, connue pour abriter “l’immeuble le plus laid du monde”, la Tour Nahum), n’a rien d’excitant. 

 C’est quelque chose que beaucoup d’Israéliens attendent (depuis des décennies !) et qui pourrait changer la vie de centaines de milliers, voire de millions de personnes, en leur permettant de se déplacer plus facilement dans le centre d’Israël, en leur ouvrant des perspectives de carrière et en leur évitant de passer des heures derrière le volant.

Comment quelque chose d’aussi positif a-t-il pu devenir le symbole de tout ce qui ne va pas en Israël, une étape de plus dans le déclin du pays vers la théocratie ?

La réponse est le Shabbat, bien sûr. Les transports publics israéliens ne fonctionnent pas le jour de repos juif, sauf dans certaines régions où la majorité de la population n’est pas juive. Au cours des deux dernières décennies, un débat public animé a eu lieu sur le sujet, mais avec le gouvernement le plus religieux de l’histoire d’Israël actuellement au pouvoir, la situation ne devrait pas changer de sitôt.

L’ouverture d’un mégaprojet tel que le métro léger souligne l’absurdité absolue d’un pays dont le système de transport public est fermé pendant 30 heures tous les week-ends, privant ainsi les personnes qui ne possèdent pas de voiture de se rendre quelque part pendant le seul moment de la semaine où elles ont du temps libre.


Préparez-vous à l’arrivée du Messie”-Amos Biderman, Haaretz

Elle intervient également après une semaine d’escalade notable dans les rapports sur la coercition religieuse dans les transports publics, principalement sous la forme de passagers masculins et de chauffeurs de bus essayant de forcer les femmes à s’asseoir à l’arrière du bus et à s’habiller "modestement".

Il y a un an, la population laïque d’Israël aurait pu laisser son gouvernement s’en tirer à bon compte, mais la situation a changé. La coalition de Netanyahou, composée d’extrémistes de droite et de partis ultra-orthodoxes, a montré son empressement à imposer ses méthodes à tous les citoyens israéliens, dans tous les domaines de la vie.

Les Israéliens libéraux disposent désormais d’un mouvement de protestation puissant et organisé qui lutte depuis des mois contre les mesures antidémocratiques du gouvernement. Il serait normal qu’il utilise son poids pour s’opposer aux politiques ridicules qui ont entraîné la fermeture des transports publics pour des millions de personnes pendant le week-end - et certains signes indiquent déjà que la ligne rouge deviendra le prochain terrain d’affrontement entre les manifestants et le gouvernement.

Le maire de Tel Aviv, Ron Huldai, partisan de longue date des transports publics le jour du shabbat, a déclaré mercredi qu’il boycotterait la cérémonie d’ouverture prévue par la ministre des Transports Miri Regev. Les principaux groupes de protestation, ainsi que les militants de la liberté religieuse, prévoient de perturber le service du métro le premier jour, et appellent les gens à monter dans le dernier métro avant le shabbat et à y rester. D’autres appellent à un boycott complet du métro léger, espérant que le fait de laisser vide le nouveau métro rutilant aura un impact.

 Et un petit spot de propagande en bonus gratuit