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30/06/2022

Les migrants qui ont donné l’assaut à la clôture de Melilla le jour de la tragédie : « Nous n'avons pas de mafias, nous avons agi ensemble »

Laura J. Varo/Francisco Peregil, El País, 27/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les tribunaux marocains poursuivent 60 personnes qui ont échoué dans leur tentative d'entrer en Espagne.

Arrivée au tribunal de Nador (Maroc), lundi, de 28 migrants et possibles demandeurs d'asile, dont un mineur, détenus après avoir tenté d'entrer dans Melilla vendredi. Photo : JAVIER BAULUZ

L'indignation s'est installée ce lundi aux portes du Centre de séjour temporaire pour immigrés (CETI) de Melilla. Une demi-centaine de résidents soudanais ont organisé un acte de protestation contre ce qu'ils considèrent comme une répression sanglante par les autorités marocaines de la tentative d'entrée à Melilla vendredi, dans laquelle au moins 23 personnes ont trouvé la mort, selon le décompte officiel. Ils ont également protesté contre la réponse du gouvernement espagnol, qu'ils considèrent comme complice de la violence à la barrière. "Pourquoi [le président espagnol] Pedro Sánchez dit que nous sommes des mafias ?", s'est écrié le porte-parole des manifestants, Hussein, "nous, les Soudanais, n'avons pas de mafias, nous  avons agi ensemble ". Lundi également, 60 migrants africains, détenus lors de la tentative de traversée, ont fait des déclarations devant les tribunaux de première instance et d'appel de Nador (Maroc), selon un avocat qui a requis l'anonymat.

Hussein ne connaît pas de répit : "Nous n'avons rien payé, nous sommes venus ici gratuitement ; nous avons juste utilisé nos têtes et trouvé un bon plan [pour quitter le Maroc] parce que nous souffrons beaucoup. Le mafioso, c’est Mohamed VI, qui a pris tout l'argent [que Bruxelles donne à Rabat pour contrôler et prendre en charge les migrants irréguliers] et a disparu". Son discours est une charge contre la position de Madrid qui consiste à pointer du doigt les réseaux de trafic d'êtres humains pour ce qui s'est passé à la clôture, et non le pouvoir de Rabat.

Ce lundi, la ministre porte-parole, Isabel Rodríguez, a insisté après le Conseil des ministres : "Le problème est qu'il existe des mafias internationales qui trafiquent des êtres humains et provoquent ces situations tragiques". Vendredi, le président de l'exécutif a salué les actions des forces marocaines dans la répression de la tentative d'entrée massive. Les violences ont été enregistrées dans des images diffusées sur les réseaux sociaux, où l'on voit des dizaines de corps à terre tandis que des agents marocains continuent de les frapper à coups de matraques. Lundi après-midi, le Médiateur a annoncé qu'il enquêtait sur la gestion de la tentative, après avoir reçu une plainte signée par neuf associations.

Immigrants subsahariens lors de la manifestation de lundi à Melilla. ANTONIO RUIZ

Parmi les banderoles qu’on a pu lire dans le vent, les critiques du silence sur la violence et de la collaboration entre Madrid et Rabat ont prédominé. "L'Espagne est complice du massacre", peut-on lire ; "Vous accueillez les Ukrainiens avec des fleurs et parce que nous sommes noirs vous nous envoyez en enfer", cette phrase écrite sur un drap dominait la partie centrale. Jusqu'à 133 jeunes ont réussi à rester à Melilla sur les 1 700 qui ont tenté de le faire vendredi, la plupart étant des Soudanais. Ils sont tous mis en quarantaine dans le CETI, sans pouvoir sortir des locaux. Des compatriotes comme Hussein, qui a réussi à entrer en mars lors du plus grand saut par-dessus la clôture de l'histoire de la ville, les soutiennent et demandent une enquête internationale "urgente" sur le recours à la violence contre les migrants.

Le porte-parole soudanais a déclaré : "Comme nous avons subi plusieurs incursions à la clôture, nous savons très bien ce que font les autorités marocaines en termes d'abus et de violations des droits humains".

27/06/2022

Frontières de mort
Éditorial du quotidien El País sur le massacre de migrants à Melilla

Éditorial, El País, 27/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les accords de l'Espagne avec le Maroc stipulent le respect strict des droits humains des migrants.


Manifestation ce dimanche à Barcelone contre les actions des forces de sécurité marocaines à Melilla. Toni Albir (EFE)

La frontière de Melilla avec le Maroc a été le théâtre d'un épisode ignominieux vendredi. Selon les données officielles fournies par le Maroc, au moins 23 migrants sont morts asphyxiés, écrasés ou des suites de blessures subies lors d'une tentative de franchissement de la clôture frontalière impliquant quelque 1 700 migrants ; 133 d'entre eux ont réussi à franchir la frontière et les autres ont été pris au piège dans une souricière. Les images enregistrées et transmises par les ONG humanitaires travaillant dans la région, dont certaines font état d'un bilan plus lourd, permettent de conclure que certains jeunes hommes ont agonisé sans que personne ne leur vienne en aide ou ne leur fournisse les soins qui auraient peut-être pu leur sauver la vie.

Même si les frontières sont inviolables et que l'obligation des forces de sécurité des deux côtés est d'empêcher les pénétrations massives, nous avons assisté à une violation flagrante et cruelle des droits humains. Un principe minimum d'humanité devrait permettre d'éviter des situations aussi déchirantes que la façon dont des dizaines de personnes ont été piégées dans une avalanche mortelle et la façon dont elles ont été traitées par la suite. Ces êtres humains recroquevillés sur le sol, dans pêle-mêle d’ont ne sait combien de corps blessés ou morts, constituent une scène insoutenable.

C'est l'épisode le plus sanglant et avec le plus grand nombre de victimes parmi tous ceux qui se sont produits de tentatives d’entrer en Espagne par Ceuta ou Melilla. Au moins de ceux qui sont enregistrés. Le précédent, le plus tragique, avec 15 morts, a eu lieu en 2014 dans la zone d'El Tarajal à Ceuta, lorsque des agents de la Garde civile ont tiré des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes sur un groupe de migrants qui tentaient d’entrer dans l’enclave par la mer. Le dossier ouvert pour cette action a récemment été clos, mais la conviction que nombre de ces décès auraient pu être évités ne s'est pas éteinte. Ce qui s'est passé vendredi appelle une enquête supervisée par des organismes internationaux. Il est difficile de gérer un tel afflux massif, une telle avalanche humaine, mais l'action de la police, avec son utilisation de gaz lacrymogènes, ses coups de matraque, ses jets de pierres et la négligence des soins de santé à l'égard des migrants blessés et extrêmement affaiblis après des jours sans nourriture, pourrait avoir exacerbé les conséquences.

Le président Pedro Sánchez s'est empressé vendredi, alors que seuls cinq décès avaient été officiellement signalés, de faire l'éloge des actions des forces de police marocaines, et a eu tort samedi d'insister sur cet éloge, alors que des images avaient déjà été vues qui remettaient en question la manière dont l'opération s'était déroulée et le traitement ultérieur des détenus blessés. Il n'échappe à personne que c'était la première fois - après la crise diplomatique puis l'accord - que le pays voisin avait l'occasion de montrer qu'il respectait son engagement à garder sa frontière et à empêcher l'accès massif aux frontières espagnoles de Ceuta et Melilla. Après un bras de fer tendu avec le Maroc, le gouvernement a réussi à rétablir des relations bilatérales essentielles pour l'Espagne. Mais le gouvernement de Sánchez ne peut ignorer la manière dont l'accord est appliqué lorsque des indices de graves violations des droits humains sont constatées. Les pactes ont un prix, mais certains ne peuvent être payés.