Michele Giorgio, il manifesto, 3/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Syrie - La communauté druze est prise en étau entre les violences sectaires internes et les manœuvres géopolitiques externes. Netanyahou, qui se proclame « protecteur » des Druzes, bombarde à quelques encablures du palais présidentiel syrien.
Michele Giorgio est un journaliste italien, correspondant au Machrek du quotidien il manifesto et directeur de la revue en ligne Pagine Esteri. Auteurs de 3 livres. X
Maître dans l’art d’adapter les événements à une version politique commode, Benjamin Netanyahou s’est à nouveau déguisé en « protecteur des Druzes » après avoir ordonné à l’armée de l’air israélienne de frapper à une courte distance du palais du président syrien autoproclamé et chef du groupe alqaïdiste HTA, Ahmad Charaa. « C’est un message clair au régime syrien. Nous ne permettrons pas aux troupes syriennes de se déplacer au sud de Damas ou de constituer une menace pour la communauté druze », a déclaré le premier ministre israélien. Il se référait aux violences qui, au début de la semaine et jusqu’à jeudi, ont vu des miliciens sunnites liés au gouvernement prendre d’assaut Jaramana, Sahnaya et d’autres centres à majorité druze, après la diffusion d’un clip audio offensif contre le prophète Mohamed dans le sud de la Syrie.
La réaction de Damas au bombardement israélien a été lente. « Il s’agit d’une escalade dangereuse », a déclaré le nouveau régime syrien qui a remplacé celui de Bachar el-Assad. L’UE est intervenue et a exigé qu’Israël respecte la souveraineté syrienne et les termes de l’accord de désengagement de 1974 sur le Golan syrien. Bruxelles n’a pas compris, ou feint de ne pas comprendre, que Netanyahou n’a pas l’intention de renoncer à une occasion en or de prendre le contrôle de facto du sud de la Syrie.
Les Druzes israéliens (150 000), dont beaucoup servent dans les forces armées, l’aident à masquer des intérêts stratégiques par un prétendu engagement humanitaire. Ces derniers jours, des centaines de Druzes - réservistes de l’armée, activistes et simples citoyens - ont bloqué des routes dans le nord d’Israël, exigeant une intervention en faveur de leurs « frères menacés en Syrie ». Netanyahou a donc ordonné le bombardement à quelques mètres du palais de Charaa. Il a ensuite téléphoné au cheikh Muwafaq Tarif, chef spirituel des Druzes israéliens, qui, selon son bureau, « apprécierait l’action dissuasive contre Damas ».
Le principal allié de Netanyahou est l’instabilité syrienne, marquée par les vagues de « purification » menées par les milices djihadistes du HTS et de ses alliés contre les prétendus restes du régime Assad et contre les « apostats » : en mars les Alaouites, aujourd’hui les Druzes. « Nous sommes massacrés et le silence de la communauté internationale nous condamne deux fois », a protesté le cheikh Hikmat al-Hijri, autorité spirituelle de la communauté druze syrienne, en référence aux attaques subies ces derniers jours de la part des forces djihadistes près de Damas. Pour convaincre l’Occident de lever les sanctions contre son pays - décrétées après 2011 pour viser Bachar el-Assad - Ahmad Charaa a adopté un profil modéré et s’est à plusieurs reprises porté garant d’une Syrie « inclusive et respectueuse des minorités ». Mais si déradicalisation il y a eu, elle ne s’est produite qu’au sommet. Car à la base du nouveau régime, une pléthore de formations salafistes - qui incluent des combattants étrangers - ne partagent pas la ligne modérée et font pression pour que les musulmans « apostats » et les sectes hétérodoxes comprennent qui tient désormais le manche en Syrie.
Après les Alaouites de la côte, les plus extrémistes voudraient mettre en œuvre une « normalisation armée » également dans les régions du sud, qui sont restées en marge du nouveau pouvoir. Soueïda, la principale ville druze, a maintenu une autonomie de fait après 2011, résistant à la fois au pouvoir d’Assad et à la pénétration salafiste. Aujourd’hui, cette fragile indépendance est assiégée. Elle doit également se prémunir contre les manœuvres israéliennes. Al-Hijri continue de rejeter toute ingérence extérieure, réaffirmant « l’appartenance des Druzes à la patrie syrienne unie » et dénonçant les tentatives d’instrumentalisation par des acteurs étrangers. Lors d’une réunion entre les dirigeants druzes, les anciens et les groupes armés à Soueïda, la communauté a accepté d’être « une partie inséparable de la patrie syrienne unifiée ». « Nous rejetons la division, la séparation ou le désengagement », a ajouté un porte-parole. Certaines ONG syriennes, comme le Réseau syrien pour les droits humains, avertissent que « l’ingérence israélienne contribue à la polarisation sectaire et entrave toute tentative de médiation » entre Damas, les Druzes et d’autres minorités.
« La communauté druze se trouve prise au piège entre la violence sectaire interne et les manœuvres géopolitiques externes », explique au manifesto Giovanna Cavallo, militante des droits des Druzes syriens qui s’est récemment rendue à Soueïda avec une délégation italienne. « La question qui se pose aujourd’hui est inquiétante : le gouvernement syrien est-il tout simplement incapable de faire face à la vague de violence ou s’agit-il plutôt d’une ambiguïté délibérée, d’un calcul politique qui évite la confrontation avec les franges les plus radicales, aujourd’hui de plus en plus présentes dans les appareils du pouvoir ? » Dans ce contexte, ajoute-t-elle, « une action extérieure comme celle d’Israël apparaît encore plus dangereuse », car elle accentue « les divisions au sein même de la communauté druze, entre la majorité qui appelle à un accord avec le gouvernement central et une minorité qui voudrait choisir le moindre mal (Israël, ndlr) ». « Nous ne voulons ni de Damas ni de Tel-Aviv« , déclare pour sa part une femme d’al-Qurayya, « nous voulons vivre libres, sans que d’autres décident de notre sort par les armes ».
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