Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La circulation est chaotique comme tous les jours. Les usines, les ateliers d’artisans et les magasins sont ouverts. Comme tous les matins, les étudiants de l’université Al Najah se rendent au campus à un rythme rapide et, dans l’après-midi, se pressent dans les cafés autour de l’université, remplissant l’air de sons, de mots, de rires. Naplouse semble vivre un quotidien tranquille. Ce n’est qu’une apparence. La deuxième ville palestinienne de Cisjordanie vit dans un climat de guerre depuis l’été dernier, une guerre qui se déroule principalement la nuit et qui n’épargne personne. Le principal champ de bataille est la casbah, la vieille ville. Les hommes des unités spéciales de l’armée israélienne, les mista'arvim [“arabisés”] en civil qui se font passer pour des Palestiniens, ouvrent la nuit, par des actions éclair, la voie aux raids des unités de l’armée à la chasse aux militants de la Tanière des lions, le groupe qui rassemble des combattants de toutes les orientations politiques et qui est devenu l’icône de la lutte armée palestinienne. Des raids qui s’accompagnent d’intenses échanges de tirs et se terminent par des meurtres de Palestiniens, presque toujours perpétrés par des tireurs d’élite.
« Nous vivons comme si nous étions en guerre, avec les occupants (israéliens) qui entrent dans la ville presque chaque nuit pour tuer ou capturer quelqu’un, et les civils en paient souvent le prix », nous dit Majdi H., un éducateur qui a accepté de nous accompagner. « La casbah est la principale cible d’Israël, ajoute-t-il, car elle représente le refuge de la résistance. Mais les raids ont lieu partout et se transforment en batailles au Tombeau de Joseph ». Majdi fait référence aux “visites” nocturnes périodiques de colons israéliens sur le site religieux situé dans la zone A, sous contrôle palestinien total. Leur arrivée, avec une escorte de dizaines de soldats et de véhicules militaires, déclenche de violents échanges de tirs avec la Tanière des lions. « Nous voulons vivre notre vie, sans plus voir de colons et de soldats, mais on ne nous le permet pas », poursuit Majdi, qui mène depuis plusieurs années des activités de soutien psychologique aux mineurs avec d’autres collègues. « Ils sont les plus touchés par ce climat, explique-t-il, les enfants et les jeunes sont les plus exposés aux dommages causés par cette guerre de faible intensité mais toujours violente ». La situation actuelle rappelle à beaucoup l’opération “Mur de défense” lancée par Israël en 2002, lorsque l’armée a réoccupé des villes autonomes palestiniennes au plus fort de la deuxième Intifada. On a estimé le nombre de morts palestiniens à environ 300 à Naplouse, qui a été traversée et dévastée pendant des mois par les chars et les véhicules blindés. Aujourd’hui comme alors, le commandement militaire et le gouvernement israéliens justifient leur main de fer par la “lutte contre le terrorisme” et les organisations armées palestiniennes responsables d’attaques qui, dans certains cas, ont tué ou blessé des soldats et des colons.
La beauté de la casbah de Naplouse n’est comparable qu’à celle de la vieille ville de Jérusalem. Les travaux de rénovation entrepris ces dernières années par les autorités locales, grâce également à des projets internationaux, ont redonné une nouvelle splendeur aux bâtiments anciens et aux coins cachés. Les hammams qui ont contribué à rendre la ville célèbre ont été rénovés, tout comme les fabriques de carrelages et de savon à l’huile d’olive et les ateliers familiaux qui produisent les gelées enrobées de sucre glace. « Mais la reine des sucreries à Naplouse était et reste la kunafa [knafeh] », souligne Majdi, en référence à l’un des délices de la cuisine palestinienne. L’atmosphère est agréable. Après la mosquée al Khader, on rencontre de petits restaurants avec des pots de fleurs et des lumières colorées se reflétant sur la pierre blanche des maisons. Les commerçants exposent des marchandises de toutes sortes et les marchands ambulants vantent les mérites des fruits et légumes qu’ils ont apportés en ville.
En entrant dans le quartier Al Yasmin, Majdi devient plus sérieux et tendu. Nous sommes dans la zone rouge, c’est le fief de la Tanière des lions et d’autres groupes armés. « Ici, il y a des fusillades presque toutes les nuits entre nos jeunes et les soldats israéliens. Tu ne peux pas prendre de photos et si tu croises des combattants, ne les suis pas des yeux trop longtemps. La peur des espions et des collabos est forte », nous dit-il à voix basse. Au-dessus de nos têtes, dans les ruelles, de longs draps noirs ont été étendus pour cacher les mouvements des tireurs aux drones israéliens. Les murs sont couverts d’affiches avec les visages des martyrs, anciens et nouveaux, ceux tués pendant la première Intifada il y a trente ans et ceux abattus ces dernières semaines. Une sorte de mausolée installé sur une petite place commémore les plus célèbres d’entre eux, dont Ibrahim Nabulsi, qui en août dernier, encerclé par les soldats israéliens, a préféré mourir et ne pas se rendre. Avant d’être abattu, Nabulsi a envoyé un message audio à sa mère qui est devenu viral pendant des mois. Pour les Palestiniens, c’est un héros. Pour Israël, en revanche, le premier chef de la Tanière des lions était un “dangereux terroriste” et faisait partie des responsables de graves attaques armées contre des soldats et des colons. Les mista'arvim israéliens ont déjà décapité la direction de la Tanière des lions à plusieurs reprises, mais le groupe voit ses rangs grossir chaque jour. Entre 100 et 150 habitants de Naplouse et des villages voisins en feraient partie. Quelques-uns d’entre eux nous dépassent, nous ne pouvons pas les photographier ou les arrêter pour leur poser quelques questions, répète sèchement Majdi, qui entre-temps a été rejoint par Amer, un de ses amis qui vit dans la casbah, pour nous garant un "laissez-passer" supplémentaire. L’uniforme des hommes armés est noir, le visage est recouvert d’une cagoule, un bandeau de couleur portant le logo du groupe entoure le sommet de la tête. L’arme est presque toujours un pistolet-mitrailleur M-16.
Un « uniforme»similaire est porté par les membres du bataillon de Balata, dans le plus grand camp de réfugiés de la ville, également connu pour être un bastion de la résistance aux forces de sécurité de l’Autorité nationale palestinienne, que beaucoup à Naplouse, y compris ceux du parti Fatah du président Abou Mazen, considèrent désormais comme étant « au service » d’Israël. Les opérations (répressives) de sécurité menées à Naplouse par les forces spéciales de l’ANP sont à l’origine de violentes protestations et les rues du centre-ville se transforment en un champ de bataille entre jeunes et policiers. «Cela fait des décennies que nous demandons en vain la fin de l’occupation israélienne, le principal problème de Naplouse, de chaque ville, de chaque Palestinien », déclare Osama Mustafa, directeur du centre culturel Yafa dans le camp de Balata. « Nous avons essayé avec les accords d’Oslo, avec les négociations mais cela n’a servi à rien, nous restons sous occupation, les colonies israéliennes nous encerclent », ajoute Mustafa. « Israël prétend que sa pression sur Naplouse est due à la présence d’hommes armés dans la ville et met en œuvre des mesures punitives qui touchent l’ensemble de la population ».La frustration est palpable, l’exaspération face au désintérêt des pays occidentaux détériore la relation avec l’Europe. « Au centre Yafa, nous menons des activités culturelles et adaptées aux enfants, explique Mustafa, ce sont des projets civils, presque toujours pour les enfants. Pourtant, pour nous accorder un financement, l’UE nous demande de signer des déclarations condamnant la résistance à l’occupation. Elle le fait parce que c’est Israël qui l’impose. Mais aucun Palestinien ne peut faire ça ».
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