14/01/2023

MORAN SHARIR
Le journaliste Israel Frey : « Si j’étais palestinien, j’aurais été arrêté et on m’aurait fait disparaître »

Moran Sharir, Haaretz, 13/1 /2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il a été arrêté pour ne pas s’être présenté à un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté. La droite israélienne l’a catalogué comme un ennemi de l’État, pour d’autres, il est le héros du jour. Qui est le journaliste ultra-orthodoxe juif Israel Frey ? Qu’est-ce qui le motive et pourquoi ne regrette-t-il pas ses actes malgré le prix élevé qu’il paie ?

 

Israel Frey. « Comment ces franges ésotériques sont-elles devenues celles qui gèrent tous nos systèmes de vie ? Par une seule chose : la haine des Arabes, le racisme, le fascisme - dont les fondations sont posées dans les territoires ». Photo Ilya Melnikov

Israel Frey attend devant une shul [synagogue] au nord de Tel Aviv. La rue tranquille exhale un parfum de laïcité israélienne : vieilles maisons dans le quartier de Ramat Hahayal, villas dans le quartier huppé de Tzahala, bureaux de haute technologie et de communication dans le complexe de Kiryat Atidim ; tours d’habitation dans le quartier autrefois pauvre, aujourd’hui embourgeoisé, de Neve Sharett.

Au milieu de tout cela se niche une petite île ultra-orthodoxe, ou haredi. Des maisons basses d’une teinte rosée, des synagogues, des affiches mettant en garde contre les dangers d’Internet. Dans les rues voisines, les gens promènent leurs chiens ; ici, ils marchent avec des sacs à phylactères en velours. La tradition a préservé le caractère de ce micro-quartier comme dans du formol.

Israel Frey a grandi ici avec trois frères et sœurs dans une famille affiliée à la secte hassidique Gur. Non loin de la shul, il y a une petite allée qui porte le nom de son grand-père, le rabbin Yehuda Meir Abramovicz, qui a été maire adjoint de Tel Aviv et membre de la Knesset pour le parti Agudat Israel. Frey vit aujourd’hui à la frontière entre Ramat Gan et Bnei Brak, une ville majoritairement haredi, mais il vient prier dans cette shul qu’il connaît depuis son enfance.

En ce jour particulier de mi-décembre, il était toujours recherché pour un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté deux mois plus tôt. Frey avait fait l’éloge de Mohammed Minawi, originaire de Naplouse, qui avait éveillé les soupçons de la police et avait été arrêté par celle-ci à Jaffa alors qu’il allait commettre un attentat à Tel Aviv. Selon les rapports de l’époque, Minawi - porteur d’un engin explosif et d’une arme improvisée - avait pour objectif de tuer des soldats israéliens mais pas de blesser des civils.Haut du formulaire

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« Regardez quel héros il est », a gazouillé Frey dans son désormais célèbre message. « Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille ».

Ce tweet a finalement conduit Frey à être licencié de son poste de journaliste sur la chaîne internet DemocraTV (le prétexte exact de son licenciement est contesté ; nous y reviendrons plus tard). En outre, il a fait de lui une personne recherchée par la police, et à la fois la cible d’une aversion généralisée dans le pays et un symbole de courage et de liberté d’expression aux yeux des autres.

Le fait que Frey ait été convoqué pour être interrogé au sujet d’un tweet politique moins d’un mois après les élections du 1er  novembre a conduit à la conclusion logique qu’il s’agissait simplement de l’ouverture de la persécution des journalistes et de la réduction au silence des opinions de gauche. Il est vrai que le tweet de Frey était très inhabituel, puisqu’il apportait essentiellement un soutien implicite au meurtre de soldats en plein cœur de Tel Aviv. Fin décembre, il a été placé en garde à vue par la police pour avoir refusé de se présenter à un interrogatoire, après avoir été accusé d’incitation présumée au terrorisme et à la violence.

L’histoire de Frey est inquiétante et suscite de réelles craintes quant à la politique de répression du nouveau gouvernement de droite dure. Immédiatement après l’arrestation de Frey, Rogel Alpher, chroniqueur au Haaretz et critique de télévision, a établi un parallèle entre cette arrestation et celle des opposants au régime en Russie ; Anat Kamm a averti dans sa chronique que « demain, cela pourrait être chacun d’entre nous ».

Frey, qui aura 36 ans le mois prochain, a attiré beaucoup d’attention. Il est impossible de l’ignorer, mais il est facile de le considérer comme une sorte d’anomalie. Avec ses opinions de gauche que le courant dominant en Israël ne peut tolérer, Frey, barbu et portant la kippa, est perçu par beaucoup comme "farfelu", "hors norme", "bizarre", "extraterrestre" et autres termes péjoratifs. Certains affirment, à tort, qu’il appartient à la secte hassidique antisioniste Satmar ou au groupe Neturei Karta, qui ne reconnaît pas l’État d’Israël. D’autres le considèrent comme faisant partie d’un nouveau courant de jeunes haredim de gauche. La vérité est que Frey est un homme-orchestre, totalement individualiste au sein d’une communauté hassidique homogène qui ne sait pas quoi faire de lui.

Ses papillotes sont repliées derrière ses oreilles et il porte des lunettes à monture moderne. C’est une personne calme et affable qui ne semble pas s’énerver ; il est poli et parle avec raison. Il aime s’exprimer, mais il est manifestement stressé par l’exposition qu’il reçoit dans ce journal et ailleurs.

Le tweet qui a fait que Frey a été convoqué pour un interrogatoire : « Regardez quel héros il est. Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille ».

« Je suis très vigilant à propos de ma vie privée », dit Frey, tout en conduisant et en fumant une cigarette électronique, une jambe rebondissant nerveusement.

« Pour tous ceux qui me voient de l’extérieur, il semble que j’aime vraiment être l’histoire », note-t-il. « Je me distingue parce que je suis un Haredi et que je me retrouve de temps en temps dans des tempêtes comme celle-ci. J’essaie vraiment de ne pas être l’histoire. Je veux faire passer mes idées. C’est terriblement intéressant de faire de moi une curiosité. Pas dans le sens négatif, mais pour être le journaliste courageux, courageux, courageux, courageux, courageux et toute cette merde ».

Frey se gare au cœur du quartier aisé de Tzahala, qui était autrefois principalement habité par d’anciens officiers des Forces de défense israéliennes et qui est aujourd’hui caractérisé par des hôtels particuliers. Le café est bondé à l’heure du midi. Le menu n’est pas casher, la clientèle est très clairement laïque. Frey hésite, il n’est pas sûr de se sentir à l’aise ici. Il propose de s’asseoir pour l’instant et commande un grand cappuccino. Quand il arrive, il n’oublie pas de réciter la bénédiction appropriée.

Pourquoi refuses-tu de te présenter pour un interrogatoire ?

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« Parce qu’ils n’ont aucune raison de me convoquer. J’ai écrit un tweet, j’ai exprimé une idée très simple, très légitime, très importante. Dans le nouveau climat, qui devient de plus en plus fasciste, les gens pensent qu’il est normal de convoquer [d’autres personnes] pour les interroger parce qu’elles ont exprimé une opinion qui, en fin de compte, est une simple perception de la réalité ici. Quiconque n’accepte pas qu’il y ait une différence entre attaquer des innocents et attaquer des soldats ne veut pas parler du fait qu’il y a un conflit ici. Sans parler de la base des faits : que nous vivons dans un endroit où un côté est plus haut et un autre côté est plus bas. Que veulent-ils de ma vie ? C’est vous tous qui êtes le problème - je ne suis pas le problème ».

Est-ce qu’ils continuent à te convoquer ?

« Hier matin, le policier m’a encore appelé et m’a dit... » - au milieu de la phrase, le smartphone de Frey sonne. C’est un numéro non identifié. Frey : « C’est peut-être eux. Bonjour. Oui. Salutations ».

Il y a une lutte de personnes sous oppression active contre un oppresseur. Cela doit faire partie de notre définition, c’est ce que je veux exprimer. Il y a une différence entre blesser des innocents et blesser des soldats en uniforme.

Israel Frey

La voix à l’autre bout de la ligne : « Je t’ ai convoqué pour un interrogatoire le 19 à 9 heures à la station Lev de Tel Aviv ».

« Ok ».

Il est difficile d’entendre la voix de l’officier à l’autre bout, mais la réponse de Frey est suffisamment claire : « Viens et sois du bon côté. Tu ne veux pas vraiment travailler dans un endroit où, dans un autre moment, ton patron [le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir] sera quelqu’un dont le héros était un massacreur de masse, Baruch Goldstein. Tu ne veux pas travailler dans un tel endroit « .

Frey ne fait pas de discours ou ne prêche pas à son interlocuteur, il l’implore, calmement, patiemment. Comme une mère qui essaie d’endormir son enfant par téléphone. « Sois honnête avec toi-même, fais ce qu’il faut. Tu ne veux pas être dans un endroit qui convoque les gens pour un interrogatoire et tu ne veux certainement pas porter un uniforme sous les ordres d’un patron comme celui-là. Fais ce qui est juste ».  Silence. « Allez, rejoins-nous ». Silence. « Bien, passe une bonne journée. ».Un clic se fait entendre sur la ligne.

A-t-il adhéré ?

« Je continue à essayer de le persuader ».

Des généraux parmi les libéraux

Frey finit son café et suggère que nous partions. Il préfère se promener dans les rues de Tzahala. C’est une chaude journée d’hiver, et à part le gazouillis des oiseaux et le bruit occasionnel des sécateurs électriques dans les cours, le silence règne. Nous passons devant la guérite des gardes devant la maison de la présidente de la Cour suprême Esther Hayut et devant la résidence privée du président Isaac “Bougie” Herzog. Sur les armoires électriques métalliques entre les maisons qui ont appartenu à Moshe Dayan et Yitzhak Rabin, on peut voir les portraits d’autres généraux des FDI qui ont vécu dans ce quartier chic : Mordechai Maklef, Zvi Tzur, Motti Hod. Frey les regarde avec un sourire amer. « Dans le bastion des libéraux, des photos de généraux ».

Comment est ta vie à Bnei Brak ?

« Tu as remarqué que nous nous rencontrons à Tel Aviv. Pourquoi tu crois que je viens ici ? Je ne fais pas partie de la population locale ».

 

Une rue de Bnei Brak. « Je n’ai pas été battu à mort. Je suis en vie, je respire. Et oui, il y a des cris, du harcèlement, des crachats. Je ne veux pas me plaindre, ce n’est pas le but ».  Photo : Eyal Toueg

Tu te sens plus à l’aise ici ?

« Ici, les gens ne me tapent pas dessus ».

Les gens t’ont frappé ?

« Ce n’est pas la question. Je n’ai pas été battu à mort. Je suis en vie, je respire. Et oui, il y a des cris, du harcèlement, des crachats. Je ne veux pas pleurnicher, ce n’est pas le sujet ».

Le sujet, c’est le prix payé par une personne en Israël qui exprime des opinions comme les tiennes.

« Eh bien, ça commence par la perte de personnes, d’amitiés, et ça va jusqu’au niveau de la sécurité personnelle ».

C’est un sentiment ?

« Non, c’est la réalité, c’est être menacé ».

Que ce soit en termes de messages en ligne ou aussi physiquement ?

« Les deux. Je comprends que tu veuilles des trucs à sensation sur le courageux Haredi. Je ne suis pas là. Quiconque veut suivre la voie de la prise de parole publique pour une cause - c’est recommandé. Même si je dois en payer le prix ».

Être haredi, c’est aussi faire partie d’une communauté.

« Ecoute, je ne vais )pas te mentir. Le sens de ma vie, c’est la solitude. Ce n’est pas que je reste dans cet environnement parce qu’il est crucial pour moi de rester à portée de cette communauté, ou parce que sans cela je perdrais quelque chose. Parce que je suis déjà en train de perdre. Je suis un Haredi parce que je suis né ainsi et que c’est ma croyance, c’est un mode de vie. Je n’essaie pas de m’y accrocher et je ne m’y accroche pas. Quel qu’en soit le prix. C’est moi et ce n’est l’affaire de personne d’autre ».

Y a-t-il quelque chose dans ton éducation qui a influencé ta vie actuelle ?

« Je veux te dire quelque chose que j’ai fui pendant de nombreuses années ». Frey se tait, marque une pause, puis se dit : « Je vais me détester, je vais me détester ».

 

Israel Frey. « Je ne changerais rien ». Photo : Ilya Melnikov

Néanmoins, il poursuit en expliquant que la communauté dans laquelle il a grandi est la continuation de la secte hassidique du rabbin Menachem Mendel de Kotzk (1787-1859). « Il y a quelque chose de très clair dans ses enseignements - que c’est vous contre le monde entier. Que vous devez distiller les conneries et ce qui est accepté, et ne pas céder. La base de cela était que ce que le monde considère comme beau, vous ne vous en souciez pas du tout. Il y a une expression dans la Gemara, ‘Gira b’einei desitna’, qui fait référence au fait de défier Satan. Vous faites ce que vous faites et allez à l’encontre de ce qui est conventionnel, même si cela signifie que vous défiez Satan, qui est si puissant. C’est peut-être de là que je tiens tout cela. Pas dans le sens du contenu - évidemment, personne là-bas n’est fier de moi pour mes opinions de gauche. Ils n’apprécient pas cela ».

Changerais-tu quelque chose dans ce tweet ?

« Je ne changerais rien. Absolument pas ».

Penses-tu que quelqu’un qui a participé à une mission meurtrière mérite une médaille ?

« La procédure utilisée n’a aucune importance pour moi. Ce qui est important de mon point de vue, c’est que nous concentrions notre regard sur la réalité qui existe autour de nous - c’est une perception de ce lieu sous une forme très simple : Quinze millions de personnes vivent entre la mer et le Jourdain. La moitié sont des Juifs, l’autre moitié des Palestiniens ; la moitié sont de première classe, l’autre moitié de seconde classe. Et il y a ici une lutte de personnes qui sont sous l’oppression active et quotidienne d’un oppresseur. Cela doit faire partie de notre définition, c’est ce que je veux exprimer. Pour cela, il faut effectivement expliquer qu’il y a une différence entre faire du mal à des innocents et faire du mal à des soldats en uniforme ».

Tu as insisté sur le fait qu’il était un héros et méritait une médaille.

« Les personnes qui s’empêtrent dans la sémantique trouveront toujours une raison de dire que votre remarque n’était pas exactement optimale. Les gens qui disent ‘Je suis d’accord avec vous, mais...’ ne sont pas vraiment d’accord avec moi. Ce sont des gens qui ont du mal à se faire rappeler qu’il y a une inégalité inhérente ici, et parler du fait qu’il est légitime pour les personnes opprimées de frapper leurs oppresseurs fait trembler leur zone de confort ».

Il n’y a pas de distinction entre un soldat qui sert dans les territoires et un autre qui est en uniforme pendant une permission à Jaffa ?

« Pose-moi cette question lorsque l’unité du porte-parole des FDI et les médias cesseront de qualifier d’attaque terroriste chaque acte de tir raté - pardon - sur une casemate située je ne sais où. Ce n’est en aucun cas une attaque terroriste ! Lorsque les gens ici se mettront d’accord sur un discours un peu plus normal qui reflète la vérité et la réalité dans laquelle nous vivons, alors tu pourras aire des nuances avec moi pour savoir si un soldat ici est différent d’un soldat là-bas et si je regrette d’avoir dit “héros”. Je ne suis pas le problème. Le problème est que les gens ne veulent pas entendre parler de la situation existante ».

Penses-tu que ce que tu as écrit a suscité une discussion ou un examen de conscience de la part des gens ?

« Beaucoup de gens vont se taper la tête avec l’index et dire que je suis naïf ou stupide. Mais à ma modeste place, je pense vraiment que j’ai la capacité d’exprimer des idées. Quatre-vingt pour cent des gens seront irrités [par ce texte]. Parmi les autres, cela suscitera des réflexions, et une toute petite partie dira “Il a raison”. En fin de compte, ce que je dis est centriste. Dans n’importe quel autre endroit, si nous n’étions pas un camp dans un conflit, nous le considérerions comme centriste ! C’est l’égalité pour chaque personne. Je ne suis pas le farfelu ici. C’est évident. Mais même quand on dit qu’on veut la paix, on ne peut pas vraiment faire grand-chose parce qu’on est tous investis dans ce projet d’inégalité ».

Toi aussi ?

« Clairement. Je fais partie du peuple oppresseur ».


Un tweet d’Israel Frey : « Je veux dédier cette journée aux doux enfants que j’ai rencontrés à Masafer Yatta. L’école de leurs amis a été détruite par l’armée. L’État travaille à plein temps pour les expulser. Je ne suis pas l’histoire. Nos frères palestiniens sont la cible. En cours de route, ma liberté journalistique sera révoquée et vous pourriez tous être piétinés. Seule une égalité totale apportera un remède. Nous avons l’amour en nous et il l’emportera ».

Et quelle est la solution ?

« Je ne sais pas si tu le sais, mais je suis un journaliste qui ne gagne pas beaucoup, et maintenant tu me parles alors que je suis au chômage. Si un jour, j’ai un salaire de 40 000 shekels [environ 11 400 dollars/euros par mois] et aussi un chauffeur, deux assistants et un bureau - alors je devrai te donner la solution. C’est vraiment étonnant - chaque fois que vous soulevez quelque chose [de problématique], on vous demande quelle est votre solution. Mon rôle n’est pas d’offrir une solution. Je ne suis pas un élu. Lorsque le problème est la cherté de la vie, on ne s’attend pas à ce que les citoyens se présentent avec des dossiers et proposent une solution économique. Que font les journalistes et les citoyens ? Faire remonter la douleur à la surface, la colère, faire remonter les faits à la surface et exiger une solution de leurs dirigeants ».

D’où vient ta prise de conscience de l’occupation ? Y a-t-il un moment particulier où cela t’ a frappé ?

« C’est comme les questions qu’on pose aux personnes nouvellement religieuses. Je n’ai pas eu de beau moment hollywoodien. Jusqu’à un âge très avancé, j’ai grandi comme n’importe quel Haredi moyen. Sans conscience [politique]. Nous n’apprenons pas la démocratie, il n’y a pas de cours d’instruction civique. J’ai grandi en lisant le journal [haredi] Hamodia |L’Informateur]. Petit à petit, je me suis libéré des chaînes de Hamodia."

Comment cela est-il arrivé ?

« J’ai simplement commencé à lire, à écouter, à parler, à fréquenter ».

lire quoi ?

« Des journaux, des livres. Et parler aux gens ».

A quel âge ?

« Vieux. Plus de vingt ans. C’est un processus très lent. Excuse ma prétention, mais il y a quelque chose à la base de mon caractère qui est une sorte de quête de la vérité. Je veux toujours essayer de trouver un point de vue objectif, pas de défendre quelque chose parce que c’est le mien. Je n’ai pas le sentiment qu’il faille être loyal à quelque chose parce que c’est ce qui est accepté. Je n’ai jamais ressenti de lien avec les centres de pouvoir. Être dans les domaines du contrôle et du pouvoir haredi ne me convenait pas ».

Frey, après avoir été interrogé par la police. "Que font les journalistes et les citoyens ? Faire remonter à la surface la douleur, la colère, les faits et exiger une solution de leurs dirigeants ». Photo : Tomer Appelbaum

Le prix que tu paies est clair. Quelle récompense obtiens-tu ?

« Bonne question ». Frey réfléchit et finit par répondre : « Je n’ai pas de réponse à part quelque chose qui a l’air kitsch ».

Qu’est-ce qui est kitsch ?

« ’C’est émouvant pour moi de me tenir aux côtés de personnes faibles ’. C’est vraiment kitsch. Si je le lis dans le journal, je vais me détester ».

Y a-t-il de la satisfaction à donner des coups de pied et à se faire donner des coups de pied ?

« Écoute, comme tout journaliste, j’aime que ma voix soit entendue. Est-ce que j’éprouve de la satisfaction à être détesté ? Non, pas du tout. C’est quelque chose de tordu en moi, mais je ne suis pas prêt à renoncer à quelque chose [en quoi je crois] pour préserver ma zone de confort. Quand on me dit : ‘Supprime ce tweet ou tu seras viré’, je n’ai aucun scrupule à ce moment-là, même si je sais que cela aura des conséquences ».

Les conséquences ne concernent pas que toi - tu as deux enfants.

« Oui ».

Et que leur nombre se multiplie.

« J’ai un fils et une fille, il se pourrait donc qu’en termes de cette mitzvah [prescription, commandement], je sois en règle. Il y a une discussion dans la halakha [loi juive traditionnelle] pour savoir si l’on a accompli la mitzvah lorsqu’il y a un fils et une fille. »

Frey refuse catégoriquement de parler de sa famille, mais d’une manière ou d’une autre, il est clair que ses actions ont des conséquences sur les autres.

Les rabbins sont des “ordures”

Une semaine après notre entretien, un tribunal s’est prononcé contre lui dans le cadre d’un procès en diffamation intenté par des colons de Homesh, un avant-poste situé sur des terres palestiniennes privées, après qu’il eut tweeté en janvier 2022 qu’ils étaient responsables de la profanation de tombes arabes. Le juge a ordonné à Frey, qui ne s’est pas présenté à l’audience, de verser 100 000 shekels aux colons. Frey affirme qu’il ne savait pas qu’une audience était prévue ce matin-là et dit attendre l’occasion de prouver son innocence au tribunal. (L’affaire est toujours en cours).

En tout cas, il est actuellement un journaliste au chômage, et ce n’est pas la première fois. « C’est un truc en série pour moi, être licencié. En fait, c’est arrivé deux fois, tout compte fait, mais pour un Haredi, c’est beaucoup. Aussi bien lorsqu’il s’agit d’être employé que d’être licencié ».

Sa profession est un élément central de son identité, et Frey est manifestement fier de son parcours de journaliste indépendant, dans une communauté qui n’excelle pas toujours en matière d’éthique ou de liberté des médias.

Frey a commencé sa carrière à Radio Kol Hai, une station haredi, puis a travaillé pour la chaîne de journaux religieux Kav Itonut Datit, d’abord comme reporter municipal, puis comme correspondant politique et rédacteur. Il a été licencié après avoir publié un tweet condamnant les rabbins qui défendaient les colons indisciplinés. L’un des termes qu’il a utilisés à propos de ces rabbins était “racaille”. Son message a déclenché un scandale majeur et Frey a été licencié sous la pression des militants haredi et de droite, dont Ben-Gvir.

 Itamar Ben-Gvir. Il a fait pression sur une chaîne de médias religieux pour qu’elle licencie Frey en raison d’un tweet condamnant les rabbins qui défendent les colons indisciplinés.

Il y a deux ans, il a commencé à émettre sur DemocraTV, une chaîne indépendante qui aspire à refléter les voix de "la majorité modérée et libérale" en Israël. Là aussi, il a continué à agacer les Haredim, notamment en critiquant le comportement de cette communauté pendant l’épidémie de coronavirus et au sein du dernier gouvernement Netanyahou. Puis vint le tweet à la suite duquel Frey s’est retrouvé viré de DemocraTV. Selon l’entrepreneur en haute technologie Izhar Shai - membre du parti Kahol Lavan qui a été ministre des Sciences et de la technologie dans le gouvernement Netanyahu-Gantz et qui dirige aujourd’hui le mouvement Darkenu (Notre Voie) qui gère DemocraTV - Frey n’a pas été licencié à cause de son tweet sur Minawi (qui a été inculpé pour diverses charges liées au terrorisme).

« Israel a été licencié en raison d’un comportement inacceptable sur un lieu de travail », dit-il. « Avec tous ses efforts pour devenir un martyr de la liberté d’expression après avoir été licencié à cause d’un tweet - ce n’est pas la question. Le problème est simple : Nous étions un employeur, il était un employé. Il a dévié des normes de travail de la manière la plus grossière qui soit ».

[Frey] a été licencié en raison d’un comportement inacceptable. Malgré tous ses efforts pour devenir un martyr de la liberté d’expression après avoir été licencié à cause d’un tweet - ce n’est pas le problème. Il a dévié des normes de travail de la manière la plus grossière.

Izhar Shai

Peux-tu développer ?

Shai : « Il est entré dans le studio et le producteur exécutif de DemocraTV l’a informé qu’il ne passerait pas à l’antenne tant que la question du tweet n’aurait pas été clarifiée avec lui. À partir de ce moment, il a eu un comportement extrêmement inconvenant, au point de troubler le sentiment de sécurité des employés. Je ne peux pas entrer dans les détails exacts, mais Israel a empêché la diffusion de commencer à l’heure, et à partir de là, un incident violent a commencé, avec des insultes, des cris, des calomnies et des bousculades. Le résultat a été qu’un employé des studios Ynet [où DemocraTV loue des locaux] a dû recevoir un traitement médical et a également déposé une plainte auprès de la police. Il y a eu une lettre officielle déclarant que M. Israel Frey était désormais interdit de façon permanente d’entrer dans le bâtiment ».

Pourquoi son lieu de travail l’a-t-il convoqué pour obtenir une clarification de ce qu’il a écrit sur son compte Twitter privé ?

« Ce tweet a provoqué un grand émoi parmi les téléspectateurs, en fait, et les personnes qui financent la chaîne. Certains en étaient très heureux, d’autres étaient outrés. Ils ont annoncé que "nous ne financerons pas cette chose" ».

Selon Shai, Frey a refusé de discuter du tweet et a déclaré qu’il ne reconnaissait pas l’autorité du directeur de la chaîne, Nadav Tamir, pour lui dire quoi faire. À la suite de ce comportement, il a été décidé de le suspendre en attendant la procédure de licenciement.

Shai : « A partir de ce moment, les choses commencent à rouler. Israel Frey annonce qu’aucune autorité ne peut s’adresser à lui en matière disciplinaire et qu’il transforme le sujet en une bataille sur la liberté d’expression dans l’État d’Israël. C’est bien joli, mais le sujet est beaucoup plus simple et beaucoup plus ennuyeux : les relations entre employés et employeurs ».

 Quelques semaines plus tard, Frey a été convoqué à l’audience préalable au licenciement requise, au cours de laquelle, ajoute Shai, le tweet très médiatisé n’était pas vraiment le sujet.

Le tweet en lui-même est-il un motif suffisant de licenciement ?

« Tu me demandes mon avis personnel ? J’ai besoin de réfléchir. Je pense que, d’une part, je le reprendrais, car le cœur et l’âme de la démocratie sont le droit de chacun d’exprimer son opinion. Et d’un autre côté, je ne le reprendrais pas, parce que je n’ai pas à employer une telle personne. Je suis prêt à me coucher sur la route et à me battre pour son droit de dire ce qu’il pense - mais je n’ai pas à le payer pour cela. C’est un dilemme intéressant, un débat super important, mais ne vous y trompez pas : ce n’était pas la discussion. Si je suis contrarié par quelque chose, c’est qu’Israël ne nous a pas laissé mener cette discussion jusqu'au bout.

Frey, cependant, insiste sur le fait qu’il a été licencié à cause du tweet. « C’est déprimant de voir des gens qui, du moins je le pensais, étaient proches de moi, agir comme le dernier des voyous, le dernier des gangsters. On m’a dit dès le début de l’incident du tweet de la manière la plus claire : Soit tu le supprimes, soit tu es viré. En ces termes ».

Qui a dit ça ?

« Le directeur de la chaîne. C’était totalement transparent, sur la table. Tout le sujet était le tweet et leur tentative de s’approprier mes opinions, d’essayer de faire taire ma liberté d’expression. Dès qu’ils ont compris qu’ils étaient en crise, ils sont entrés dans une gestion de crise des plus voyoutes et avilissantes. En fin de compte, ils ont plus de capacités que moi ... Je ne comprends toujours pas d’où vient tout cela ».

Ils disent que tu es devenu fou, que tu as été violent et que quelqu’un a été blessé.

« Un non-sens, un mensonge, une chicanerie, une diffamation absolue ».

Dis-moi ce qui s’est passé.

« Je ne sais pas si je veux répondre. Peut-être que je devrais, mais je n’en ai pas envie ».

Des sources de DemocraTV affirment que même avant le tweet, Frey a été convoqué pour des entretiens sur les relations avec ses collègues et des problèmes professionnels. Frey lui-même raconte qu’après la conversation qui lui a demandé de supprimer le tweet, il est arrivé au studio pour travailler et a été surpris de découvrir qu’il avait été écarté de l’équipe. Il admet qu’il était furieux et qu’il a déversé sa fureur - mais nie avec véhémence avoir été violent.

Tu’dis qu’ils mentent, que tu as été licencié à cause du tweet et non du débordement. Tu ne nies pas qu’il n’y a pas eu de débordement de ta part [sic].

« Est-ce que j’ai l’air d’une personne violente pour toi ? »

Je ne te connais pas.

« Je n’ai pas levé une main ni même un doigt. Je suis un héros formidable quand il s’agit de mots et je suis aussi prêt à absorber des mensonges, mais je n’ai pas la capacité d’avoir le desuus sur qui que ce soit de manière physique » .

Il a été signalé qu’un employé de Ynet a été blessé lors de l’événement.

"Ils peuvent dire [ça] jusqu’à plus soif ».

Il ne s’est rien passé ?

« Je veux réfléchir pour savoir si je veux répondre à cette question. Il me semble injuste que je doive me défendre contre des mensonges. Peut-être que la chose juste et intelligente est en fait de répondre en détail, mais l’ego ou le sens de la justice ne sont pas prêts à répondre. Je ne suis pas prêt à ce que les gens racontent des mensonges sur moi et que ce soit ma parole contre la leur. Ce n’est pas juste ».

Izhar Shai. « Je m coucherai sur la route et je me battrai pour son droit à dire ce qu’il pense, mais je n’ai pas à le payer pour cela »

Darkenu et DemocraTV ont déclaré en réponse : « Frey sait bien qu’il n’a pas été soi-disant suspendu pour cette raison [c’est-à-dire le tweet], mais à la suite d’un comportement violent qu’aucun média n’accepterait (y compris Haaretz), qui comprenait des jurons, des menaces, des insultes à l’encontre des membres de la rédaction et le fait de vouloir faire la loi sur son lieu de travail. En outre, il a physiquement empêché le début d’une émission en direct à l’heure prévue. Il y avait des témoins de ce comportement et l’incident a été filmé. Les faits et le déroulement des événements contredisent la présentation tendancieuse, partielle et déformée de Frey. Après l’audience, Frey a choisi de rejeter un arrangement qui lui aurait permis de revenir à DemocraTV comme avant, sans aucune restriction à la liberté d’expression, mais en tant qu’employé qui respecte son lieu de travail, ses collègues et ses supérieurs ».

Réparer le monde

Une semaine après notre conversation dans les rues de Tzahala, Frey se retrouve en garde à vue. Il a reçu un appel téléphonique d’une personne qui disait avoir des informations susceptibles d’intéresser Frey en tant que journaliste, et même si Frey avait des soupçons, il a rencontré son interlocuteur devant le musée Etzel, dans le parc Charles Clore, près de la promenade de Tel Aviv. « J’ai vraiment eu l’impression qu’ils avaient envoyé quelqu’un pour me séduire. Ils ont joué sur mes instincts. Il m’écrivait de plus en plus de choses et me faisait des promesses. Mon instinct me disait qu’il y avait peut-être une histoire là ».

Quand Frey est arrivé, il a réalisé que c’était lui l’histoire. Il a été menotté et informé qu’il était en état d’arrestation ; ses jambes ont été entravées dans la voiture de police. Il dit que pendant son bref interrogatoire, il a invoqué le droit de garder le silence.

Qu’est-ce qu’on te demande dans un interrogatoire comme celui-là ? Si le tweet était le tien ?

« Ils ont demandé si j’avais un compte Twitter, combien de followers j’avais. Je n’ai pas répondu, j’ai seulement demandé à voir le mandat du juge et l’autorisation de m’interroger. J’ai vu qu’il était signé par le procureur adjoint de l’État, Alon Altman ».

Un porte-parole de la police israélienne a fourni ce commentaire : « En septembre et octobre derniers, trois plaintes ont été reçues de citoyens pour suspicion d’incitation au terrorisme, concernant deux tweets postés par un journaliste sur Twitter. Après plusieurs tentatives de convoquer le journaliste pour l’interroger, au cours desquelles il a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de faire répondre à la convocation, le tribunal a émis un mandat d’arrêt à son encontre. Il a ensuite été arrêté, soupçonné d’avoir commis des délits d’incitation au terrorisme et d’incitation à la violence ».

Le soir après son interpellation et sa libération par la police, Frey se trouvait dans un bar du sud de Tel Aviv avec un ami palestinien - un avocat spécialisé dans les droits humains - et un journaliste d’un site Internet de gauche venu voir le héros de l’heure et lui exprimer son estime. Frey a bu de la bière et fumé une cigarette roulée à la main. C’était une nuit froide, un sweat-shirt était drapé sur le dessus de sa tête. Il était fatigué et parlait lentement et calmement, épuisé par l’interrogatoire, par les médias, par le fait de raconter son histoire à ses amis, par la bière.

Si on te demande poliment de venir pour un interrogatoire et que tu n’y vas pas, il est logique qu’on t’arrête.

« Moran, tu aimes vraiment les procédures. Mais tu sais que ce n’est pas l’histoire. Je n’aurais pas dû participer à cet interrogatoire. Je n’aurais pas dû être convoqué et je n’aurais pas dû être là ».

Frey. Photo : Moti Milrod

Je suis d’accord. Mais si on considère qu’il y a eu une situation comme celle-là...

« Ecoute, ça ne m’intéresse pas. Tous les gens qui s’accrochent à la procédure, ou qui expriment leur soutien mais se ‘dissocient de ses opinions’ - ça ne m’intéresse pas. L’histoire, c’est que j’ai été arrêté parce qu’ils sont montés d’un cran pour atteindre l’objectif important ici, à savoir briser tout un peuple qui vit à côté de nous, et je ne suis qu’une simple pierre d’achoppement. Pour la première fois, à ma connaissance, un journaliste juif est enlevé - il va sans dire que de telles pratiques sont mises en œuvre dans les territoires, et si j’étais palestinien, cela serait arrivé depuis longtemps et on n’aurait pas entendu parler de moi - dans le but de se débarrasser de tout ce qui interfère avec le grand projet de briser un peuple. Ce n’est pas une conspiration, c’est ce que nous mettons déjà en œuvre. Nous pouvons ne parler que des transports publics le Shabbat ou que de la gay pride ou de l’éducation, mais cela ne servira à rien ».

La disparité entre toi et la communauté dont tu es issu n’est pas uniquement liée aux problèmes des territoires et des Palestiniens.

« Oh, nous en sommes aux choses juteuses ».

Le sens de ma vie est la solitude. Ce n’est pas que je reste dans cet environnement [c’est-à-dire dans la communauté] parce que sans cela, je perdrais quelque chose. Parce que je suis déjà en train de perdre. Je suis un Haredi parce que je suis né comme ça, c’est ma conviction.

Israel Frey

Ok. C’est un ensemble de valeurs illibérales. On leur a donné un nom de code : féminisme, LGBTQ.

« Quelle est la question ? »

Dans ces domaines, y a-t-il une disparité entre toi et la communauté dans laquelle tu as grandi ?

« Le moteur de l’assaut contre la communauté gay, ce ne sont pas les Haredim. Il est vrai que les Haredim ne soutiennent pas l’égalité des sexes. Mais la persécution [des personnes LGBTQ] provient des domaines fascistes du mouvement sioniste religieux. Il n’y a pas vraiment de majorité dans la nation qui soit en faveur de l’exclusion des femmes. Ce gouvernement n’a pas été élu parce qu’il n’y a pas de femmes ou à cause d’Avi Maoz [leader du parti homophobe Noam].. Non. Il a été élu malgré ces choses et en minimisant tout cela. Comment ces franges ésotériques sont-elles devenues celles qui gèrent tous nos systèmes de vie ? Par une seule chose : la haine des Arabes, le racisme, le fascisme - dont les fondations sont posées dans les territoires.

Avi Maoz. Photo : Noam Moskowitz / Bureau de presse de la Knesset

« Il n’y a pas d’autre possibilité de traiter la situation si on ne cesse pas de me regarder comme une sorte de curiosité, ou comme un nudnik [casse-couilles]. Regarder cet endroit dans le blanc des yeux et dire : seulement l’égalité totale entre la mer et le Jourdain. Seulement avec la fin de l’occupation. Nous n’avons aucun moyen d’échapper à cela. Aucun. Le seul moyen est de s’occuper intensivement de l’éradication du racisme et de mettre fin aux torts que nous commettons là-bas chaque jour. Et jusqu’à ce que le dernier des membres de Yesh Atid ne réagisse pas et ne dise pas qu’il va parler de chaque avant-poste de colons qui surgit au sommet d’une colline, la démocratie telle que vous l’imaginez n’existera pas. C’est tout ».

Lorsque tu commets un acte qui te met en danger et qui met en danger tes moyens de subsistance, tu mets tes enfants en danger.

« Tu prétends que je suis un abuseur d’enfants ? »

Non, mais peut-être que c’est une question d’égoïsme.

« Ce que je fais est de l’égoïsme ?

Je te le demande. Tu as des enfants à nourrir.

« Je ne répondrai pas à cette question. J’invoque le droit de garder le silence ».

Sont-ils au courant de la situation ?

Silence.

Encore le droit de garder le silence ?

« J’ai eu beaucoup de pratique à ce sujet hier [pendant l’interrogatoire de police] ».

Tu limites tes possibilités d’emploi.

« Je ne regrette rien, Moran. Je ne regrette rien. Je n’ai pas choisi ça. Je n’ai pas le choix de me taire. Excuse le côté kitsch. Ecoute, j’ai touché la gloire pendant un moment, je sais à quoi ça ressemble ». Il s’arrête un instant et cherche une serveuse pour commander un autre whisky.

« Je sais ce qu’est la célébrité. J’étais ‘le Haredi qui s’est opposé aux politiciens Haredi’, ‘le Haredi qui s’est opposé à Bibi’ et tout ça. La situation a changé depuis lors ; je ne suis plus la coqueluche de la communauté laïque. J’ai cette attente naïve que vous m’écoutiez tous à l’époque, en pensant que je suis formidable, que j’ai un franc-parler. Vous avez compris ce que signifie "courageux" : une personne qui, malgré son appartenance, est capable d’exprimer des critiques. Une critique constructive. Une tentative de dépasser le lieu d’appartenance pour chercher la réparation [tikknu]. Il était clair pour vous que c’est du courage, que c’est ce qu’il faut faire. Alors s’il vous plaît, même lorsqu’une déclaration remet en question le lieu auquel nous appartenons tous en tant qu’Israéliens - s’il vous plaît, écoutez ».

Frey continue, implorant : « Je ne suis pas le nudnik ici. C’est le genre de situation que l’on applaudit souvent - c’est-à-dire quand quelqu’un, issu d’une société différente, critique sa propre société. Pourquoi ne pouvons-nous pas écouter quand il s’agit de nous ? »

Il a un peu trop bu et demande qu’on le ramène chez lui. En chemin, il repousse l’appui-tête et semble heureux de vivre. Libéré. Il joue "Vayechulu" du chanteur hassidique usaméricain Yeedle Werdiger à plein volume et chante en chœur. Ensuite, il joue "There Must Be Another Way" de Mira Awad et Achinoam Nini, la chanson qui a représenté Israël au concours de l’Eurovision 2009.

« Dans une certaine mesure, nous sommes privilégiés », dit-il, alors que nous arrivons à destination. « Nous [les Israéliens] vivons dans un endroit où nous pouvons réaliser le tikkun olam, notre réparation du monde. Un lieu dans lequel nous pouvons agir pour libérer les gens de l’oppression. Ce n’est pas amusant. Ce n’est pas amusant d’écrire sur Twitter à propos de l’occupation. Ce n’est pas rémunérateur. Mais c’est l’[acte] le plus valable, le plus complet, le plus important. Faisons-le. C’est à nous de le faire. Nous avons le droit de faire quelque chose de bien. Soyons là. C’est quoi que nous ne voyons pas ? »

 

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