Annamaria Rivera, Comune-info,
18/1/2023
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
C’est bien avant l'entrée en fonction de l'actuel gouvernement fascistoïde en Italie, que la délégitimation institutionnelle, voire la criminalisation, a commencé, non seulement des ONG qui pratiquent la recherche et le sauvetage en mer, mais même de toute personne qui, ne serait-ce qu’à titre individuel, accomplit des actes de solidarité avec les réfugiés.
Je rappelle que la campagne contre les ONG a été inaugurée par Frontex, l'Agence européenne des frontières extérieures, qui, en décembre 2016 déjà, accusait les organisations humanitaires opérant en Méditerranée de collusion avec les trafiquants d'êtres humains et de constituer un facteur d'attraction pour les migrant·es qui les inciterait à émigrer.
Elle s'est poursuivie en Italie avec des campagnes de dénigrement, des plaintes, des procès : une stratégie de dénigrement légitimée, entre autres, par Luigi Di Maio, qui, comme on le sait, en 2017, dans un post Facebook, a qualifié les navires des ONG de “ taxis de la mer ”. Il ne fait aucun doute que de tels exemples ignobles venant d'en haut ne font qu'encourager et légitimer l'intolérance et le racisme “d'en bas” (pour ainsi dire).
Il fallait donc s'attendre à ce que le gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République apporte une contribution significative à la guerre contre les ONG engagées dans le sauvetage en mer. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec le décret-loi du 2 janvier 2023, « Dispositions urgentes pour la gestion des flux migratoires », dite Meloni-Piantedosi*, signée également par les ministres Nordio*, Salvini*, Tajani* et Crosetto*, ainsi que par le président de la République Mattarella : un décret ouvertement destiné à entraver de toutes les façons l'activité des navires des ONG.
Comme on le sait, le décret oblige les navires des ONG à débarquer immédiatement les personnes secourues et les empêche ainsi d'effectuer d'autres sauvetages ou d'intervenir rapidement en cas d'autres signaux de détresse.
En fait, comme le montrent les cas les plus récents, maintenant, grâce au décret, le débarquement ne doit pas se faire vers “l'endroit sûr le plus proche” qui peut être atteint dans le plus court délai possible, mais vers un lieu de débarquement qui prend plusieurs jours de navigation. En outre, le capitaine du navire est tenu de vérifier qui, parmi les naufragés secourus, a l'intention de demander une protection internationale : cela signifie que la demande doit être faite directement sur le navire, de sorte que l'obligation de l'examiner incombe à l’État sous lequel le bateau navigue.
C'est une procédure qui a été rejetée à plusieurs reprises car, selon l'Union européenne et le règlement Dublin III, « lorsque le navire se trouve dans les eaux internationales, aucune demande d'asile ne peut être présentée car elle doit être formalisée par les autorités nationales compétentes, à la frontière et sur le territoire de l'État entendu au sens strict, y compris dans ses eaux territoriales ».
Enfin, selon le décret, si l'ONG engagée dans le sauvetage en mer violait ces fameuses règles, les responsables du navire seraient soumis à une amende pouvant aller jusqu'à 50 000 euros.
En bref, une grande partie du décret Meloni-Piantedosi est en conflit ouvert avec le droit international et les conventions auxquelles l'Italie est partie, à commencer par la Convention de Genève de 1951 sur les droits des réfugiés et la Convention européenne des droits de l'homme.
Comme nous le savons tous, la Méditerranée est devenue un vaste cimetière aquatique et le canal de Sicile a atteint le sinistre record de frontière la plus meurtrière du monde.
Ce n'est pas seulement la guerre contre les ONG qui a contribué à ce bilan, mais aussi le remplacement de la mission Mare Nostrum, destinée à sauver des vies, par celle appelée Triton, visant le contrôle et la protection des frontières.
Nous sommes aujourd'hui à une époque où même le cadavre d'un enfant gisant sur une plage n'est pas en mesure d'émouvoir et de susciter la pietas collective, comme ce fut le cas en septembre 2015, lorsque l'image du petit Ālān Kurdî, mort précisément de thanatopolitique, a circulé : il était le fils de deux exilés kurdes-syriens, fuyant Daesh et la guerre civile, et donc plus que dignes d’asile.
Pour citer un cas exemplaire, je rappelle que le 11 octobre 2013, 268 réfugiés se sont noyés, dont au moins 60 enfants et un grand nombre de femmes fuyant Alep et d'autres villes syriennes. Après le naufrage de leur bateau, mitraillé par un patrouilleur libyen, les 480 réfugiés syriens ont attendu en vain pendant cinq heures, tandis que Malte et l'Italie se renvoyaient la responsabilité d'intervenir pour les secourir. Un tel crime, pourtant si grave, fut par la suite prescrit.
Actuellement, avec le gouvernement dirigé par Meloni, il y a eu un saut qualitatif qui est un signe avant-coureur de virages autoritaires, ainsi que très dangereux pour le sort et la vie des réfugiés, des personnes issues de l'immigration, mais aussi des Rroms...
En ce qui concerne la contribution des institutions italiennes au massacre des réfugiés et des migrants, il convient de noter que l'un des piliers est le Protocole d'accord entre la Libye et l'Italie, qui légitime ainsi non seulement les massacres en Méditerranée, mais aussi les horreurs perpétrées par les soi-disant garde-côtes libyens et celles qui ont lieu dans les « centres d'accueil des migrants », qui sont en réalité d'authentiques camps de concentration.
Nous pourrions qualifier de migranticide la stratégie actuelle adoptée par le gouvernement italien et encouragée et/ou approuvée par certaines institutions européennes. Il s'agit d'une stratégie qui donne la priorité à l'externalisation des frontières, au blocage des départs de Libye, et à la prétention de verrouiller même le sud de la Libye en passant des accords avec les pires milices et gangs de trafiquants.
L’hécatombe en Méditerranée est telle et la responsabilité de l'Union européenne est si flagrante que l'on pourrait peut-être se risquer à parler de génocide, ce dernier étant compris comme une forme de massacre unilatéral, en raison de l'appartenance à une certaine collectivité ou catégorie humaine ; ou du moins le considérer comme un crime contre l'humanité.
En outre, nous savons depuis longtemps que le racisme a presque toujours aussi une dimension institutionnelle (Carmichael et Hamilton, 1967). La discrimination courante et l'inégalité structurelle qui en résulte pour certains groupes et minorités ne sont pas seulement le résultat de préjugés “spontanés” et de comportements intolérants de la part du groupe majoritaire, mais aussi - et peut-être surtout - le résultat de lois, de normes, de procédures et de pratiques mises en œuvre par les institutions.
Il convient de souligner que la tendance illustrée par des mesures telles que le décret Meloni-Piantedosi n'est pas propre à l'Italie. Presque partout en Europe, une telle législation est en cours d'élaboration. Qui plus est, l'Union européenne pratique une sorte de sur-nationalisme armé pour défendre ses frontières. Non seulement c'est la cause principale d'un massacre de réfugiés aux proportions monstrueuses, mais cela contribue également à légitimer le racisme “spontané”, à encourager le nationalisme, et donc à favoriser le succès des droites, même extrêmes, comme le montre le cas italien.
Il suffit de dire que rien qu'au cours des dix premiers mois de 2022, entre les décès et les disparitions, il y a eu pas moins de 1800 victimes : un exemple flagrant de ce que j'ai appelé une stratégie migranticide.
Les chiffres que j'ai cités doivent être complétés par ceux relatifs aux décès dus à la faim, à la soif, à la déshydratation, ainsi qu'aux vols, agressions, enlèvements, viols et tortures jusqu'à la mort, infligés aux migrants et aux réfugiés dans des pays tels que la Libye. Cela se passe couramment, notamment dans les centres de détention libyens, véritables camps de concentration, dont beaucoup sont gérés par les milices, avec lesquelles on ^passe des accords : ce sont les mêmes qui gèrent le trafic de réfugiés. Sans parler des brutalités, même mortelles, commises par les bandes qui parcourent le désert entre le Niger, le Mali, le Soudan et la Libye elle-même : même avec ces pays, l'Union européenne et l'Italie signent des accords visant à externaliser leurs frontières, avec la prétention de fermer hermétiquement les cinq mille kilomètres du Sahara.
Pour conclure : surtout aujourd'hui, à l'époque du gouvernement Meloni, nous devrions considérer la centralité de la lutte contre le racisme et la stratégie migranticide qui en découle. Et dites-vous bien que pour vaincre la droite, c'est une question décisive.
*NdT
Matteo Piantedosi :
ministre de l’Intérieur
Carlo Nordio : ministre de la Justice
Matteo Salvini :
vice-Président du Conseil, ministre des Infrastructures et des Transports
Antonio Tajani : vice-Président du Conseil et ministre des Affaires
étrangères
Guido Crosetto : ministre de la Défense
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