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08/10/2023

HILO GLAZER
Après une décennie passée dans les cercles les plus radicaux de l’extrême droite israélienne, Idan Yaron est prêt à tout déballer

Hilo Glazer, Haaretz, 6/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT

L’auteur de cet article, tout comme 99,99% des journalistes israéliens et occidentaux utilise systématiquement le qualificatif de “terroriste” pour désigner les militants et combattants palestiniens et jamais pour désigner les auteurs de crimes sionistes. N’étant pas d’accord avec cette désignation, je la remplace donc par des termes plus objectifs.

L’universitaire Idan Yaron a pénétré la droite radicale israélienne, gagnant la confiance de ses dirigeants, assistant à leurs réunions et même à un pogrom. Il publie aujourd’hui un livre sur l’héritage kahaniste qu’ils perpétuent.

Idan Yaron : « J’ai pris le café avec des gens qui avaient du sang sur les mains, des gens qui avaient commis des crimes graves, parce qu’à mon avis, il est hors de question qu’il y ait un tabou dans le monde universitaire quand il s’agit de certains domaines de la connaissance ». Photo : Sraya Diamant

Le signal du pogrom a été donné quelques heures seulement après une opération de guérilla menée le 21 juin dans une station-service près de la colonie d’Eli, en Cisjordanie, au cours de laquelle quatre Israéliens ont été tués et quatre autres blessés. La cible de ceux qui voulaient prendre des mesures de représailles était le village palestinien voisin de Luban Al Sharqiya. Un grand nombre de jeunes hommes sont arrivés, non seulement du noyau dur de la “jeunesse des collines” de la colonie de Yitzhar, mais aussi des étudiants des yeshivas et des kollels (yeshivas pour hommes mariés) de la région.

Parmi les dizaines de manifestants qui se dirigeaient vers le village et incendiaient les champs en chemin, il était difficile de rater Idan Yaron, un sociologue et anthropologue social qui, à 69 ans, était beaucoup plus âgé que ceux qui l’entouraient.  Yaron, qui mène des recherches approfondies sur l’extrême droite en Israël, en particulier sur le mouvement créé par le rabbin ultranationaliste d’origine usaméricaine Meir Kahane, s’est retrouvé mêlé à la foule en colère.

« J’ai assisté à l’incident avec eux de la manière la plus directe, tout en filmant tout, au grand dam de certains jeunes », raconte aujourd’hui Yaron. « Bien entendu, je n’ai pris part à aucune activité violente ».

Quelqu’un a-t-il tenté d’empêcher les actes de violence ?

« Il y avait des forces [de sécurité], même si elles n’étaient pas nombreuses, dont des soldats, des agents de la police aux frontières et d’autres policiers. Mais elles ne sont pas intervenues de manière particulièrement énergique, si ce n’est en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant en l’air lorsque de jeunes Palestiniens du village se sont approchés. Des dizaines d’yeux ont vu ce qui se passait là-bas ».

Avez-vous envisagé d’intervenir vous-même ?

« J’ai décidé de dépasser la question immédiate de la prévention d’une injustice - et brûler des champs ou l’atelier de menuiserie d’un Palestinien innocent est une injustice absolue à mes yeux - et je me suis demandé si j’étais prêt à dépasser ma limite : infliger une violence réelle ou un dommage physique à une autre personne. Dans l’affirmative, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’empêcher. Mais dans cette situation particulière, j’ai pensé que ma vocation m’obligeait à surmonter le sentiment d’injustice qui prenait forme sous mes yeux, afin d’être présent dans les événements et de les faire connaître en temps voulu. Tendre un miroir, générer un discours et à travers lui, peut-être plus tard, façonner une réalité différente et cohérente avec mes valeurs ».

Lorsque les flammes se sont éteintes, les résultats du carnage sont apparus clairement : cinq des habitants de Luban al-Sharqiya avaient été blessés par des tirs à balles réelles. Une dizaine de maisons avaient été dégradées, des vitrines de commerces avaient été brisées, de vastes terres agricoles avaient été incendiées et une trentaine de véhicules brûlés. L’un d’entre eux, d’ailleurs, était la voiture de Yaron, qu’il avait garée à l’orée du village. En découvrant cela, le chercheur s’est demandé s’il n’était pas allé trop loin en s’accrochant à l’idée d’être un observateur participatif. « La voiture était foutue », dit-il. « Les vitres, les rétroviseurs, les phares, l’extérieur était sérieusement endommagé, tout était cassé. Mais comme le moteur n’était pas endommagé, j’ai réussi à rentrer chez moi ».

Idan Yaron n’était pas présent ce jour-là par hasard. Au cours des dix dernières années, il a tissé des liens, dont certains sont devenus de véritables amitiés, avec des activistes de premier plan parmi les jeunes des collines, dont certains sont des disciples de Meir Kahane. En effet, Yaron est devenu un visage familier dans les cercles d’extrême droite et a acquis un accès quasi total au groupe le plus dur des disciples du défunt rabbin. Par exemple, Yaron a assisté l’année dernière à une cérémonie commémorative en l’honneur d’Eden Natan-Zada, soldat déserteur et auteur d’une fusillade en 2005 qui a tué quatre personnes et en a blessé beaucoup d’autres dans la ville arabe israélienne de Shfaram. Natan-Zada a ensuite été battu à mort. Yaron s’est également joint aux dirigeants du mouvement lorsqu’ils se sont rendus sur les lieux ensanglantés d’attaques palestiniennes, et il était présent lors des événements commémorant le massacre, en 1994, de 29 fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches à Hébron, qui se sont déroulés sur la tombe du “juste et héroïque” Baruch Goldstein, l’auteur de ce massacre.

Cérémonie commémorative en 2020 pour Baruch Goldstein, qui a tué 29 fidèles musulmans à Hébron en 1994. Idan Yaron a assisté à l’événement annuel cette année.  Photo fournier par  Idan Yaron

01/04/2023

HAARETZ
Le Ku Klux Klan israélien doit être mis hors la loi

Éditorial, Haaretz, 31/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Nous les entendions crier et nous étions sûrs qu'ils allaient nous tuer d'une minute à l'autre. Nous avons attendu tranquillement dans l'obscurité totale sans bouger d'un pouce. Nous nous sommes ensuite débarrassés de tout ce qui avait trait à la manifestation : pancartes, mégaphone et sacs, et nous nous sommes préparés à fuir. Au bout d'une demi-heure, nous avons ouvert la porte. ... Nous n'avions aucune idée de ce qui se passait à l'extérieur, seulement que quelques instants plus tôt, il y avait eu une marche, qu'ils avaient des couteaux et des gourdins et qu'ils voulaient nous tuer ».

C'est ainsi que Yuval, un adolescent qui a manifesté contre le projet de réforme juridique du gouvernement, a décrit les moments terrifiants que lui et ses amis ont endurés dimanche à Jérusalem, lorsqu'ils ont dû se cacher dans un ascenseur par crainte des voyous de droite (Haaretz, 28 mars).

Un manifestant pro-gouvernemental à Tel Aviv jeudi. Photo : Ilia Yefimovich/dpa

Les descriptions et les témoignages recueillis par les reporters de Haaretz cette semaine sont terrifiants : messages menaçants de militants de droite sur les médias sociaux, appels à s'armer de couteaux, de haches, de gourdins et d'armes à feu, appels à asperger les manifestants de gaz poivré pour leur « donner une leçon sur les trois derniers mois », et descriptions répétées de manifestants contraints de fuir des voyous d'extrême-droite. Comme d'habitude, l'essentiel des violences a eu lieu à Jérusalem, où les voyous ont également agressé des Palestiniens avec une violence choquante, simplement parce qu'ils étaient Palestiniens, et n'ont même pas hésité à tabasser des journalistes. Mais dans le nord également, les partisans de la droite ont barricadé les routes et décidé des personnes à laisser passer en fonction de leur identité politique. Des personnes ont également été battues dans le centre du pays.

Le fil rouge de toutes ces descriptions et témoignages est le niveau de violence utilisé par la racaille d'extrême droite, la peur qu'elle a suscitée parmi les manifestants et l'inaction de la police. Certains des agresseurs n'appartenaient à aucune organisation, mais une organisation était manifestement à l'origine de la grande majorité des agressions. Il s'agit parfois de La Familia [supporters ultras de l’équipe de foot Beutar Jérusalem], parfois de Lehava*. Si ces deux abominables organisations s'étaient comportées de la même manière en Europe, elles auraient été qualifiées d'organisations néo-nazies et mises hors la loi [oui, enfin, pas dans toute l'Europe, pas en Ukraine, par exemple, NdT]. Et c'est ce qu'Israël doit faire aussi. Après des années d'agressions criminelles, il est grand temps de prendre enfin cette mesure contre La Familia et Lehava, les versions israéliennes du Ku Klux Klan.