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08/10/2023

HILO GLAZER
Après une décennie passée dans les cercles les plus radicaux de l’extrême droite israélienne, Idan Yaron est prêt à tout déballer

Hilo Glazer, Haaretz, 6/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT

L’auteur de cet article, tout comme 99,99% des journalistes israéliens et occidentaux utilise systématiquement le qualificatif de “terroriste” pour désigner les militants et combattants palestiniens et jamais pour désigner les auteurs de crimes sionistes. N’étant pas d’accord avec cette désignation, je la remplace donc par des termes plus objectifs.

L’universitaire Idan Yaron a pénétré la droite radicale israélienne, gagnant la confiance de ses dirigeants, assistant à leurs réunions et même à un pogrom. Il publie aujourd’hui un livre sur l’héritage kahaniste qu’ils perpétuent.

Idan Yaron : « J’ai pris le café avec des gens qui avaient du sang sur les mains, des gens qui avaient commis des crimes graves, parce qu’à mon avis, il est hors de question qu’il y ait un tabou dans le monde universitaire quand il s’agit de certains domaines de la connaissance ». Photo : Sraya Diamant

Le signal du pogrom a été donné quelques heures seulement après une opération de guérilla menée le 21 juin dans une station-service près de la colonie d’Eli, en Cisjordanie, au cours de laquelle quatre Israéliens ont été tués et quatre autres blessés. La cible de ceux qui voulaient prendre des mesures de représailles était le village palestinien voisin de Luban Al Sharqiya. Un grand nombre de jeunes hommes sont arrivés, non seulement du noyau dur de la “jeunesse des collines” de la colonie de Yitzhar, mais aussi des étudiants des yeshivas et des kollels (yeshivas pour hommes mariés) de la région.

Parmi les dizaines de manifestants qui se dirigeaient vers le village et incendiaient les champs en chemin, il était difficile de rater Idan Yaron, un sociologue et anthropologue social qui, à 69 ans, était beaucoup plus âgé que ceux qui l’entouraient.  Yaron, qui mène des recherches approfondies sur l’extrême droite en Israël, en particulier sur le mouvement créé par le rabbin ultranationaliste d’origine usaméricaine Meir Kahane, s’est retrouvé mêlé à la foule en colère.

« J’ai assisté à l’incident avec eux de la manière la plus directe, tout en filmant tout, au grand dam de certains jeunes », raconte aujourd’hui Yaron. « Bien entendu, je n’ai pris part à aucune activité violente ».

Quelqu’un a-t-il tenté d’empêcher les actes de violence ?

« Il y avait des forces [de sécurité], même si elles n’étaient pas nombreuses, dont des soldats, des agents de la police aux frontières et d’autres policiers. Mais elles ne sont pas intervenues de manière particulièrement énergique, si ce n’est en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant en l’air lorsque de jeunes Palestiniens du village se sont approchés. Des dizaines d’yeux ont vu ce qui se passait là-bas ».

Avez-vous envisagé d’intervenir vous-même ?

« J’ai décidé de dépasser la question immédiate de la prévention d’une injustice - et brûler des champs ou l’atelier de menuiserie d’un Palestinien innocent est une injustice absolue à mes yeux - et je me suis demandé si j’étais prêt à dépasser ma limite : infliger une violence réelle ou un dommage physique à une autre personne. Dans l’affirmative, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’empêcher. Mais dans cette situation particulière, j’ai pensé que ma vocation m’obligeait à surmonter le sentiment d’injustice qui prenait forme sous mes yeux, afin d’être présent dans les événements et de les faire connaître en temps voulu. Tendre un miroir, générer un discours et à travers lui, peut-être plus tard, façonner une réalité différente et cohérente avec mes valeurs ».

Lorsque les flammes se sont éteintes, les résultats du carnage sont apparus clairement : cinq des habitants de Luban al-Sharqiya avaient été blessés par des tirs à balles réelles. Une dizaine de maisons avaient été dégradées, des vitrines de commerces avaient été brisées, de vastes terres agricoles avaient été incendiées et une trentaine de véhicules brûlés. L’un d’entre eux, d’ailleurs, était la voiture de Yaron, qu’il avait garée à l’orée du village. En découvrant cela, le chercheur s’est demandé s’il n’était pas allé trop loin en s’accrochant à l’idée d’être un observateur participatif. « La voiture était foutue », dit-il. « Les vitres, les rétroviseurs, les phares, l’extérieur était sérieusement endommagé, tout était cassé. Mais comme le moteur n’était pas endommagé, j’ai réussi à rentrer chez moi ».

Idan Yaron n’était pas présent ce jour-là par hasard. Au cours des dix dernières années, il a tissé des liens, dont certains sont devenus de véritables amitiés, avec des activistes de premier plan parmi les jeunes des collines, dont certains sont des disciples de Meir Kahane. En effet, Yaron est devenu un visage familier dans les cercles d’extrême droite et a acquis un accès quasi total au groupe le plus dur des disciples du défunt rabbin. Par exemple, Yaron a assisté l’année dernière à une cérémonie commémorative en l’honneur d’Eden Natan-Zada, soldat déserteur et auteur d’une fusillade en 2005 qui a tué quatre personnes et en a blessé beaucoup d’autres dans la ville arabe israélienne de Shfaram. Natan-Zada a ensuite été battu à mort. Yaron s’est également joint aux dirigeants du mouvement lorsqu’ils se sont rendus sur les lieux ensanglantés d’attaques palestiniennes, et il était présent lors des événements commémorant le massacre, en 1994, de 29 fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches à Hébron, qui se sont déroulés sur la tombe du “juste et héroïque” Baruch Goldstein, l’auteur de ce massacre.

Cérémonie commémorative en 2020 pour Baruch Goldstein, qui a tué 29 fidèles musulmans à Hébron en 1994. Idan Yaron a assisté à l’événement annuel cette année.  Photo fournier par  Idan Yaron

Yaron s’est consacré au travail de terrain et, au cours de la dernière décennie, n’a pas publié ses résultats “afin de ne pas contaminer les relations complexes et sensibles que j’ai forgées au prix de nombreux efforts”, explique-t-il. Mais récemment, il a décidé de “sortir du placard”, comme il le dit lui-même. Le premier signe en est son article paru le mois dernier dans De’ot, le journal du mouvement religieux-sioniste Ne’emanei Torah Va’Avodah (NTA) [Les loyalistes de la Torah et du travail], dans lequel il analyse le schisme au sommet du mouvement kahaniste et décrit les mesures prises par deux de ses dirigeants notoirement radicaux, Michael Ben-Ari et Baruch Marzel, pour créer une nouvelle entité politique.

Dans les mois à venir, Yaron prévoit de publier un livre sur l’histoire du mouvement, depuis la montée en puissance de la Ligue de défense juive, fondée par le rabbin Kahane aux USA en 1968, jusqu’à l’actuel parti Otzma Yehudit, dirigé par Itamar Ben-Gvir, en Israël. Son travail porte également sur l’organisation suprémaciste juive/anti-arabe Lehava et comprend des entretiens avec son dirigeant, Bentzi Gopstein, et avec des membres du groupe qui a mis le feu, il y a neuf ans, à une école bilingue (hébreu-arabe) à Jérusalem. Yaron fonde ses recherches sur des entretiens avec des kahanistes de premier plan, sur une étude approfondie des écrits de Kahane et sur un suivi attentif des événements au fur et à mesure qu’ils se déroulent.

« Vous rentrez chez vous après des réunions ou des activités de ce genre et vous vous demandez : “Hé, un moment, où est-ce que j’étais à l’instant, qu’est-ce que j’ai fait, est-ce que je suis fou ?” Le fait est que je suis le seul cinglé à avoir survécu une décennie dans une réalité aussi complexe, aux côtés de personnes dont certaines ont des opinions politiques abominables. J’ai choisi d’attendre pour publier, car j’ai compris que mon rôle était plus essentiel que d’être une voix de plus dans notre cacophonie politique. Ainsi, aujourd’hui, je serai en mesure de dire ces choses à partir d’une position d’autorité qui n’a pas son pareil dans le public israélien ».

Idan Yaron, qui est marié et a aujourd’hui sept petits-enfants, a enseigné à l’Université hébraïque de Jérusalem et était jusqu’à récemment maître de conférences au Campus d’enseignement académique d’Ashkelon. Il est major de réserve des forces de défense israéliennes et a été consultant en organisation à Caliber 3, l’’école de lutte contre le terrorisme de l’armée. Il a publié un livre sur le tir de rpécision et un autre sur les aspects juridiques de l’éthique de combat et militaire. Ces dernières années, les phénomènes marginaux ont été pris en compte dans bon nombre de ses projets de recherche, notamment dans le livre qu’il a écrit sur les salles de bains en tant que domaine symbolique.

Retraité, Yaron a consacré la majeure partie de son temps à l’étude de l’extrême droite israélienne. En 2017, il a écrit “La saga Shkolnic” (en hébreu), qui décrit en détail le meurtre d’un combattant palestinien ligoté et frappé d’incapacité par un colon nommé Yaron Shkolnic, en mars 1993. Au centre de cet ouvrage se trouvent des comptes rendus de conversations que l’auteur a eues avec Shkolnic, qui a parlé des raisons qui l’ont poussé à commettre ce meurtre.

Le projet kahaniste qu’il a entrepris est peut-être le plus ambitieux par son caractère et sa portée, mais il a reçu des réactions nettement froides de la part de ses collègues. « Certains ont essayé de me dissuader de continuer et m’ont expliqué qu’il était dommage d’investir des ressources et de s’efforcer de créer des relations de confiance avec des individus, des mouvements et des organisations dont le caractère est douteux, pour ne pas dire plus ».

Quels types de commentaires avez-vous entendus ?

« “Pourquoi t’occupes-tu d’eux ? Comment peux-tu t’asseoir avec ces meurtriers ?”  D’éminents universitaires, dont des professeurs de l’Université hébraïque, ont soutenu que mes recherches légitimaient ces groupes. Je ne l’accepte pas. J’ai pris un café avec des gens qui ont du sang sur les mains, des gens qui ont commis des crimes graves, parce qu’à mon avis, il est hors de question qu’un tabou existe dans le monde universitaire lorsqu’il s’agit de certains domaines de la connaissance ».

Pourquoi pensez-vous que vos collègues ont des réserves sur ce que vous faites ?

« Il y a également un élément émotionnel en jeu. Ce n’est un secret pour personne que la plupart des universitaires, y compris les anthropologues, sont typiquement de gauche. Ils éprouvent une répulsion naturelle à l’égard de groupes comme ceux-là. Je pense que la bonne approche consiste à mettre les choses sur la table et à les aborder ouvertement. Nous ne serons pas en mesure de poser des contre-positions idéologiques, philosophiques ou morales si nous n’affrontons pas les choses de front. Si nous ne comprenons pas le mouvement kahaniste dans son essence même, nous ne serons pas en mesure d’en saisir les implications et de proposer une approche alternative et éthique ».

Pour cela, il faut publier, ce qui vous a pris beaucoup de temps.

« C’est vrai. Les universitaires vivent de leurs articles, mais je ne voulais pas jouer ce jeu. En ce sens, je n’ai jamais été orienté vers une carrière ; la preuve en est qu’à ce jour, je ne suis pas professeur. Je n’étais pas intéressé par l’accumulation de publications académiques qui seront lues par quelques collègues, au détriment de la position forte que j’ai établie dans le domaine. Mon objectif est de publier des ouvrages semi-populaires pour le grand public, afin de donner à chacun les outils nécessaires pour lire la réalité de manière intelligente et l’inciter à agir. C’est ce qui m’anime ».

« Disons que j’ai découvert une certaine action des jeunes des collines avant qu’elle ne se produise » poursuit Yaron. « Certains percevraient ce type de connaissance comme un élément d’information crucial, mais je l’ai considérée comme secondaire par rapport à la possibilité d’accumuler tout un inventaire d’expériences, de connaissances et de relations avec les gens. Aujourd’hui, personne ne peut prétendre que je ne sais pas de quoi je parle ».

Le bureau de Yaron, dans sa maison de Tzur Hadassah, au sud-ouest de Jérusalem, est rempli de documents, de brochures et de dossiers d’enquête secrets concernant des personnes et des groupes qui, au fil des ans, ont été identifiés au terrorisme juif. Pour un observateur extérieur, cette collection peut sembler chaotique et illogique, mais Yaron est capable de retrouver chaque document ou photographie en un instant.

Le point fort de ces archives est constitué par des albums documentant l’enfance et l’adolescence de Yigal Amir, l’assassin du Premier ministre Yitzhak Rabin, que Yaron a reçus de la famille, ainsi que par un paquet de lettres envoyées à Amir par son actuelle épouse Larissa Trembovler, à l’époque où elle lui faisait la cour. « Au cours des trois dernières années, j’ai été en contact étroit avec des membres de la famille Amir », dit Yaron, qui ajoute qu’il écrit actuellement un livre sur Amir qui se concentrera sur les théories complotistes qui ont vu le jour depuis l’assassinat de 1995. Ces théories suggèrent qu’Amir pourrait avoir été piégé par certaines autorités. Yaron entend « s’attaquer directement et systématiquement à ceux qui ont lancé et répandu ces théories, et démonter leurs arguments un par un ».

Une photo de Yigal Amir dans le Sinaï, en 1995, tirée d’un album des archives de Yaron. Le chercheur dit être en contact avec la famille de l’assassin de Rabin. Photo fournie par Idan Yaron

Un autre trésor est un épais classeur contenant des documents sur l’activité du mouvement Kahane Lives, offert par feu Binyamin Ze’ev Kahane, fils du rabbin Kahane. Le rabbin avait lancé le mouvement politique orthodoxe-nationaliste Kach en 1971 en Israël, mais après son assassinat en 1990, à l’âge de 58 ans, le parti s’est scindé : L’organisation Kahane Lives s’en est détachée et a été interdite par la suite.

Une autre boîte dans le bureau de Yaron est remplie de brochures proposant des réflexions, des leçons de morale et des nouvelles dans l’esprit de “l’idée juive” (qui était aussi le nom de la yeshiva de Kahane à Jérusalem) - en d’autres termes, des écrits caractérisés par un racisme débridé et une incitation au meurtre. L’un de ces tracts, par exemple, compare le coût pour l’État de l’emprisonnement d’un délinquant sécuritaire au coût (bien moindre) d’une balle.

La visite des archives est ponctuée d’un intermède comique : un jeu de type Monopoly conçu par les activistes du Kach. Les joueurs sont censés parcourir virtuellement les collines de Samarie, c’est-à-dire le nord de la Cisjordanie, et collecter autant de cartes “Grande Terre d’Israël” que possible (par exemple, “Vous avez gardé le silence lors d’un interrogatoire de police, vous obtenez 201 jeunes des collines”). Les joueurs rencontrent des obstacles lorsqu’ils ramassent des cartes portant des versets tels que “Tes destructeurs et ceux qui t’ont dévasté sortiront de toi” (signification opérationnelle : “Vous êtes soupçonné d’avoir des pensées interdites - vous êtes placé en détention administrative”).

Lorsque Yaron a commencé à rassembler les documents et les souvenirs, ils étaient encore identifiés à un petit groupe farfelu qui semblait avoir été relégué dans un exil éternel. En effet, en 2013, le mouvement kahaniste était considéré comme tellement marginal que même l’extrême droite le rejetait. Or, c’est précisément à ce moment-là que Yaron a décidé de le mettre en lumière.

Il l’a fait, explique-t-il, « en se basant sur l’idée qu’en comprenant les marges, il serait possible de déduire de manière distincte et productive les phénomènes qui se produisent au centre. C’est le long des “frontières” que se produisent les phénomènes les plus intéressants ». Yaron n’aurait cependant pas pu imaginer un scénario dans lequel les dirigeants d’un tel mouvement de marginaux seraient rapidement propulsés au centre de la scène du pays et se retrouveraient à des postes gouvernementaux clés.

« Je pense qu’ils ne croyaient pas non plus qu’une telle chose pourrait arriver », ajoute-t-il. « Il s’agit d’un processus accéléré qui s’est produit par surprise et qui est le produit direct de la légitimation du mouvement kahaniste et de ses dirigeants par un premier ministre d’Israël ».

Le jeu de Monopoly de Kach.

  * * *

 À Pourim, Yaron a assisté à une cérémonie annuelle organisée sur la tombe de Baruch Goldstein à Kiryat Arba, une colonie urbaine jouxtant la ville d’Hébron : « Baruch Marzel, Noam Federman et d’autres militants du groupe central le plus extrémiste étaient présents. Ils ont lu la Megillah [le livre d’Esther] et fustigé les fils d’Haman, en établissant des comparaisons avec [l’ancien président de la Cour suprême] Aharon Barak et ses successeurs à la Cour. Les choses les plus vitrioliques que l’on puisse imaginer. C’était une expérience très dure. À la fin de ce rassemblement, ils m’ont invité à un repas dans la ferme de l’ancien dirigeant du Kach, Noam Federman. Ils mangent du houmous, font l’éloge de Goldstein et exposent les théories complotistes les plus dingues, notamment celle selon laquelle Apollo 11 était une invention et que personne n’a réellement atterri sur la lune ».

Quel genre de personnes y a-t-il ?

« Des jeunes, principalement de la nouvelle génération du mouvement kahaniste, qui s’identifie aujourd’hui à la branche dirigée par Marzel et Ben-Ari, et aussi quelques partisans dévoués de Lehava ».

Le lendemain, selon la tradition, poursuit Yaron, « ils se retrouvent tous à la Yeshiva de l’Idée juive à Jérusalem. Chaque année, la direction du mouvement assiste à cet événement, mais cette année a été exceptionnelle car deux ministres se sont présentés [le ministre de la Sécurité nationale, Ben-Gvir, et le ministre du Développement du Néguev et de la Galilée, Yitzhak Wasserlauf, tous deux membres de la faction Otzma Yehudit du parti du sionisme religieux]. Ben-Gvir prend la parole. À première vue, rien ne pourrait être plus facile pour lui que de jouer à domicile. Mais il est conscient des sentiments inavoués de son public et des critiques à l’intérieur du camp. Il commence donc par une sorte d’excuse : “C’est vrai, nous n’avons pas encore obtenu ceci ou cela, mais vous devez nous laisser du temps, nous travaillons à exercer une influence de l’intérieur” - et ainsi de suite. Puis il a dit quelque chose de très intéressant : “Les années précédentes, lorsque nous avons organisé ce rassemblement, les autorités chargées de l’application de la loi sont entrées, ont semé le désordre, ont perturbé le déroulement des opérations. Aujourd’hui, je me tiens devant vous et les gardes du Shin Bet [service de sécurité] se tiennent à l’extérieur et nous protègent. C’est ça le grand changement” ».

Le travail de Yaron l’a également amené dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, dont des éléments juifs radicaux s’efforcent de se débarrasser des résidents palestiniens depuis des années. Au début de l’année dernière, par exemple, Ben-Gvir y a installé un bureau dans la rue - une provocation qui a porté à ébullition les confrontations avec les Palestiniens. Un militant d’extrême droite identifié à l’extrême droite vit dans le quartier et, selon Yaron, « sa maison sert en quelque sorte de centre pour les jeunes des collines et les activistes de droite. C’est un endroit où ils peuvent s’organiser et former un type de milice qui se déploie pour des opérations impliquant la violence et le terrorisme ». Ce groupe, ajoute Yaron, est « une sorte d’unité de garde kahaniste locale. Certains d’entre eux sont armés, d’autres ont une formation en arts martiaux. Leur esprit de combat ne fait aucun doute ; ils s’entraînent et sont préparés à la confrontation ».

En juillet 2021, Yaron a assisté à une cérémonie à la mémoire d’Eden Natan-Zada, organisée à Givat Tal, à l’extérieur de la colonie de Kfar Tapuah, dans le centre de la Cisjordanie. « Je connaissais bien l’activiste qui a organisé la commémoration », raconte Yaron. « Je lui avais rendu visite en prison, où il purgeait une peine pour une série de délits commis dans le cadre de ses activités au sein du mouvement kahaniste. Outre les kahanistes, l’événement a été suivi par le noyau dur des jeunes des collines de Yitzhar. La plupart d’entre eux étaient des enfants au moment de l’attaque terroriste [de Natan-Zada]. Après les prières à la synagogue et les conversations sur l’actualité, tout le monde s’est rassemblé et la nourriture a été servie - des assiettes de salades, du houmous avec des haricots et des pignons, des pita chaudes.

« Au début de la cérémonie commémorative, l’organisateur a déclaré : “Nous sommes venus rendre hommage à Eden. Il a été assassiné par des Arabes... Il est sorti et a donné sa vie pour cela. Nous devons nous demander pourquoi lui, oui, et nous, non”. Un autre participant a ajouté : “Eden était un homme doux et déterminé. Une personne réfléchie et curieuse, et il a accompli un acte d’abnégation” ».

Il a fallu à Yaron des années pour cultiver des relations et frapper à des portes fermées avant d’être invité à participer à des événements de ce type. « La patience fait partie de la méthode et je dois être très méticuleux. Je ne pose pas de questions difficiles, je n’aborde pas de sujets intimes, je n’empiète pas sur des espaces où je ne devrais pas être. Si je n’ai pas posé une question importante aujourd’hui, ce n’est pas grave, je le ferai peut-être dans un an. Ce n’est pas urgent ».

Les efforts déployés pour se frayer un chemin vers Meir Ettinger, petit-fils du rabbin Kahane et idéologue de premier plan de la jeunesse des collines, ont exigé une patience particulière. Yaron a courtisé Ettinger - l’un des fondateurs de la Révolte, un groupe subversif qui était l’une des principales cibles de la division juive du Shin Bet - pendant trois mois avant qu’Ettinger n’accepte de le rencontrer, il y a quelques années.

Ettinger était méfiant et de mauvaise humeur, se souvient Yaron. « Meir m’a dit qu’il ne savait pas comment engager la conversation. Je lui ai demandé ce qu’il savait faire et il m’a répondu : “apprendre”. Je lui ai répondu qu’il en serait ainsi. Pendant trois années consécutives, nous avons maintenu une hevruta [groupe d’étude talmudique] et nous nous sommes efforcés de ne pas manquer une seule leçon hebdomadaire. Nous lisions des textes et parlions pendant deux ou trois heures ».

Yaron a appris plus tard qu’Ettinger avait accepté de le rencontrer après avoir consulté son rabbin, Yitzhak Ginsburgh, considéré comme le chef spirituel le plus important de la jeunesse des collines. Le rabbin avait dit à Ettinger qu’il était important de connaître de près les “intellectuels de gauche”.

Leurs rencontres ayant été “casherisées” par le rabbin, Yaron et Ettinger ont noué des relations étroites au domicile de ce dernier à Moshav Naham, près de Beit Shemesh, puis à Lod, et ensuite lorsque Ettinger s’est installé à Yitzhar.

Yaron admet qu’avec le temps, il s’est pris d’affection pour Ettinger, qui a aujourd’hui 32 ans, le décrivant comme “une personne de grande envergure” et comme “l’une des personnes les plus intelligentes, les plus sensibles, les plus douces et même les plus respectueuses des principes, selon leur croyance”, qu’il ait rencontrées au cours de ses recherches. Il a été invité à se joindre à Ettinger et à ses collègues lors de leur pèlerinage annuel de Rosh Hashanah à Ouman, en Ukraine, lieu de sépulture de Rabbi Nachman de Bratslav, un voyage qu’il décrit comme “une expérience rare et instructive”.

Meir Ettinger. Yaron décrit le petit-fils de Meir Kahane comme “l’une des personnes les plus intelligentes, les plus sensibles, les plus douces et même les plus respectueuses des principes” qu’il ait rencontrées. Photo : Gil Eliyahu

 Qu’avez-vous retiré de ce voyage ?

 « La possibilité d’assister à un public captif, mais très large, qui a traité Ettinger avec une glorification qui frisait l’adoration absolue. Il représente beaucoup de choses qui sont proches du cœur de ce public. Par exemple, l’affinité avec le rabbin Kahane, au sujet duquel il est lui-même ambivalent aujourd’hui, et aussi son attitude de défi [d’Ettinger] à l’égard de l’État et de ses institutions. Les gens se délectaient de chaque mot qu’il prononçait. Je pense que j’ai compris là-bas que Meir n’est pas seulement une personne mais un phénomène, d’où découle une idéologie religieuse et idéologique intégrée, même si elle n’est pas politique ».

 Pourquoi pas politique ?

 « Ettinger estime que les jeunes des collines ne devraient pas être impliqués dans les développements internes d’Israël. Il s’agit d’une organisation d’opposition à l’État, contrairement à d’autres mouvements d’extrême droite, y compris le kahanisme classique, qui ont toujours cherché à influencer les choses de l’intérieur. Du point de vue d’Ettinger, même si vous réussissez à exercer une influence de l’intérieur, si vous opérez dans un système dont vous n’acceptez pas les principes - c’est-à-dire l’État laïque d’Israël avec tout ce qu’il représente - vous devenez une partie du problème ».

 Ettinger propose une alternative différente, poursuit Yaron : « Un État de la halakha ou, comme il l’appelle, un “État de la Torah”. Contrairement à Otzma Yehudit, qui rejette fondamentalement les valeurs démocratiques et libérales, mais joue le jeu politique afin de promouvoir des objectifs antidémocratiques et illibéraux, des gens comme Ettinger ne se joignent pas au jeu dès le départ ».

 Mais lorsqu’il s’agit de “l’ennemi arabe”, ces groupes sont parfaitement d’accord.

 « C’est exact. Pendant les années où le rabbin Kahane a siégé à la Knesset et poursuivi “sa vérité”, il a présenté une succession de projets de loi fondés sur une approche juive isolationniste : interdiction de la baignade commune [entre Arabes et juifs] sur les plages et ségrégation dans le système éducatif. Une législation raciste que les députés de droite ont comparée aux lois de Nuremberg. Et aujourd’hui, lorsque je m’assois avec Meir Ettinger, il dit lui-même que le système de lois qu’il envisage ressemble assez étroitement aux lois du Troisième Reich ».

 Comme ça ?

 « Il est l’auteur d’une petite brochure sur le judaïsme et le racisme, dans laquelle il écrit : “Nous sommes racistes. Un point c’est tout” ».

 De telles remarques ne vous donnent-elles pas envie de quitter la pièce en courant ?

 « Certainement - chaque fois que je respire dans cet environnement, c’est difficile pour moi. Mais au fil des ans, j’ai développé des mécanismes qui me permettent de survivre et de continuer à être authentique. Je me dis : “Tes problèmes n’ont pas besoin d’être exprimés ici; règle-les une fois rentré chez toi”. Et je continue à m’en occuper aujourd’hui. La frustration est permanente ; il y a eu d’innombrables occasions où j’ai pensé à m’arrêter et à tout laisser tomber. J’ai dû faire une pause et me rappeler la valeur de ce que j’essaie de faire ».

 Qui consiste à dire les choses telles qu’elles sont ?

 « Vous devez certainement connaître cette expérience dans le cadre de votre travail de journaliste, lorsque les gens disent : “Ne déformez pas mes propos”. C’est bien sûr un engagement que j’ai pleinement assumé, mais dès le départ, il n’y avait aucune raison de manipuler. Les déclarations elles-mêmes sont parfois si folles et si extrêmes que les présenter telles quelles est suffisant. Elles [les personnes interrogées] souhaitent également que je reflète ce qu’elles disent de la manière la plus exacte possible, de sorte qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts entre nous ».

 Argumenter pourrait être une tactique possible.

 « Je ne discute pas avec eux. S’asseoir dans un environnement où vous n’êtes pas d’accord avec un seul mot, avec un seul type de comportement, avec un seul sentiment des personnes qui vous entourent, et ne pas projeter de désaccord - c’est l’une des compétences les plus difficiles qu’il m’a fallu adopter. Je me suis entraîné à absorber les choses, à essayer autant que possible de ne pas extérioriser mes opinions, mes conceptions et mes émotions, même au niveau du langage corporel. Apprivoiser même les gestes incontrôlés, les systèmes complètement autonomes. L’idée est d’essayer de comprendre de l’intérieur d’où vient tout cela et ce que ces gens veulent atteindre - tout en gardant un visage impassible ».

 Vous êtes-vous senti menacé à certains moments ?

 « Jamais. L’image d’organisations extrêmes et débridées change complètement lorsque vous gagnez [leur] confiance et que vous apprenez à connaître les gens de l’intérieur. Parfois, j’ai dû fournir des explications sur ma présence, mais j’ai trouvé des moyens de la leur faire accepter».

 Qu’est-ce qui les a poussés à vous laisser entrer ?

 « Amos Oz, dans son livre “Comment guérir un fanatique” traite des motivations qui poussent les gens à agir de la sorte. Selon Oz, l’un des attributs les plus évidents du fanatique est son ambition brûlante de vous changer, afin que vous deveniez comme lui. Il veut vous persuader que vous devez convertir votre monde et passer à la vie dans son monde. Il s’efforce inlassablement de vous “améliorer”, de vous ouvrir les yeux. Moi-même, je n’ai pas vu la lumière, mais je pense avoir développé une profonde compréhension de ceux qui aspirent de toutes leurs forces à la voir ».

 Vous ont-ils persuadé d’une manière ou d’une autre ?

 « Ce qui est étonnant, c’est que même si je suis venu en étant ouvert, que j’ai écouté très attentivement et que j’ai vraiment laissé les choses s’installer en moi, rien n’a changé en moi. Je leur ai consacré dix ans et malgré cela, mon point de vue n’a absolument pas changé ».

* * *

Grâce à la perspective du temps, Yaron a pu citer certains événements qui ont présagé la consolidation du mouvement kahaniste et son évolution vers le courant dominant, en termes de membres occupant des postes clés au sein du gouvernement. L’un de ces événements a été l’opération Bordure protectrice, lancée contre les Palestiniens de la bande de Gaza en 2014, et plus particulièrement les ondes de choc qu’elle a générées dans la rue israélienne.

Yaron : « L’opération Bordure protectrice est une étape importante car l’environnement dans la région est alors devenu très violent et une atmosphère publique a été créée qui a servi d’excellente plateforme pour le développement d’une organisation comme Lehava, qui n’en était alors qu’à ses débuts. Cette année-là, nous avons vu les gens de Lehava descendre dans la rue. D’abord à Jérusalem. Le noyau dur autour de Gopstein menait activement des recherches de jeunes Arabes [à harceler] et créait des situations de provocation. À la suite de ces incidents, le mouvement a pris de l’ampleur et son activité s’est étendue à l’extérieur de Jérusalem. »

Et elle n’était pas seulement dirigée contre les Arabes. La manifestation sur la place Habima à Tel-Aviv pendant l’opération "Bordure protectrice", au cours de laquelle des militants de droite ont battu des manifestants de gauche, était sans précédent à l’époque.

« Oui, un groupe de Lehava est venu à Tel Aviv et a fomenté des frictions qui se sont transformées en une violente bagarre. C’était un événement flagrant, à la fois parce que le mouvement s’affichait et en termes de relations entre la droite et la gauche en Israël ».

Des manifestants de droite sur la place Habima à Tel-Aviv, pendant la guerre de Gaza de 2014. Selon Idan, cette guerre a marqué un tournant dans les relations hostiles entre la droite et la gauche en Israël. Photo : Tomer Appelbaum

 Le mouvement kahaniste a-t-il réussi à tirer parti de la popularité de Lehava ?

 « Le mouvement kahaniste n’a jamais été en mesure de mettre sur pied une organisation et d’activer efficacement les mécanismes de base. Il n’a pas investi de ressources dans ces domaines - à l’exception de Gopstein, qui a créé une organisation distincte autour de sa personne. Lorsque le mouvement kahaniste a tenté d’entrer à la Knesset par le biais de toutes sortes d’alliances politiques, il n’a pas été en mesure de “monter le volume” du kahanisme pur jusqu’au bout ».

 Vous faites référence au fait que les partisans de Kahane ont obtenu des places sur les listes de Moledet, Tekuma et dans d’autres blocs.

 « C’est vrai. Au sein d’autres partis, ou en tant que fragments d’une faction de la Knesset, le kahanisme a eu du mal à rassembler les masses autour d’une seule étiquette, comme nous le voyons aujourd’hui. Son influence était insignifiante, et il en allait de même au niveau de la base. Pendant des années, il s’agissait d’un mouvement d’“électeurs potentiels”, comme me l’a décrit l’un de ses dirigeants ».

 Peut-être Otzma Yehudit est-il donc un phénomène passager ? Se pourrait-il qu’il ait obtenu six sièges à la Knesset grâce à une situation fortuite et ponctuelle ?

 « Je ne l’attribue pas à un événement en particulier, mais à un processus clair et persistant dans lequel la société israélienne est devenue de plus en plus extrêmement droitière. L’opération “Gardien des murs” [mai 2021] n’est qu’un symptôme de cette tendance. La “révélation” du danger que représentent les Arabes d’Israël a ostensiblement confirmé la rhétorique kahaniste. Ainsi, ces éléments ont pu soutenir avec plus de force que tous les Arabes se valent et qu’ils n’ont qu’un seul but : anéantir l’État d’Israël ».

Les penseurs de droite soutiennent que la montée d’Otzma Yehudit ne représente pas un virage à droite de la nation ou la propagation du kahanisme en soi, mais le fait que cette faction a été capable de canaliser vers elle un électorat qui existe depuis des générations à une échelle similaire.

« Cet argument est trompeur et dangereux, car il suppose que des processus légitimes et naturels se sont déroulés ici, à la suite desquels un mouvement, totalement aléatoire, est apparu ici, ce que l’on appelle le mouvement kahaniste. En fait, ce mouvement est la racine du mal en ce qui concerne les changements de la carte politique. Il ne s’agissait pas d’une canalisation circonstancielle, après laquelle l’eau coule ailleurs. Cette fange putride s’est inscrite dans le tissu de notre vie, et elle ne semble pas près de s’assécher. Elle se situe au cœur même du régime. La réalité change déjà de manière méconnaissable sous nos yeux ».

Où voyez-vous cela ?

« Nous assistons actuellement à la concrétisation d’une politique de droite dure et flagrante. Dès lors que cet agenda se diffuse, il légitime ce qui s’est produit en tout état de cause en Judée et en Samarie au cours des décennies, dans le cadre de l’occupation, de l’implication centrale des FDI et de la validation du système judiciaire. En ce sens, les phénomènes que nous observons sur le terrain ne sont certainement pas nouveaux, mais ils s’expriment aujourd’hui aux limites extrêmes des extrêmes. Des processus souterrains sont apparus au grand jour ».

Uniquement en raison de la légitimité qu’ils ont reçue ?

« Cela va bien au-delà de la légitimité. Dans le passé, les jeunes des collines devaient se conduire à la lumière d’une certaine complexité, manœuvrer entre la bannière de la colonisation, d’une part, et la bannière de la guerre contre les Arabes, d’autre part. Ils avaient peur du coût que les actions “étiquette de prix” [actes de vandalisme en représailles pour des actions contre des colonies, NdT] auraient entraîné : un coup porté au projet de colonisation. Aujourd’hui, il n’y a plus de conflit. Ils peuvent brandir fièrement les deux bannières : étendre les colonies et, en même temps, mener des actions agressives, parfois en tirant à balles réelles, contre les Palestiniens. Et ce, sans payer le moindre prix. Au contraire, dès que des événements comme celui-ci suscitent une réaction de la part des Palestiniens, un nouveau quartier est immédiatement déclaré, ou des mobile homes sont installés au sommet d’une colline. L’extrême droite peut aujourd’hui agir sur tous les fronts. C’est sans précédent ».

Mais la jeunesse des collines est un mouvement aux traits anarchiques. Ne sommes-nous pas en train de surestimer le poids du gouvernement ?

« Lorsque Ben-Gvir déclare, après un attentat terroriste, qu’il faut “courir vers les sommets”, il donne le feu vert non seulement à la colonisation, mais aussi au déchaînement contre les Arabes. Les résultats sont évidents sur le terrain à deux niveaux : le fait que les actions dites d’étiquetage des prix deviennent plus fréquentes et le fait que leurs auteurs sont glorifiés. Les jeunes des collines qui se promènent avec leurs armes et le torse bombé sont un phénomène que nous n’avions jamais vu auparavant. Et il s’intensifie. Après l’éclatement de tels démons, il est très difficile de les remettre dans la bouteille ».

De gauche à droite, Itamar Ben-Gvir, Bentzi Gopstein et Baruch Marzel, en 2015. « Ben-Gvir est le rabbin Kahane dans son intégralité. Il n’y a pas de fissure, pas d’espace en lui qui ne soit pas Kahane ». Photo Ilan Assayag

* * *

Pour prendre le dessus sur ces démons, observe Yaron, il faut remonter à leur émergence dans le New York des années 1960. Un regard superficiel ne révélera pas facilement des associations concrètes entre la Ligue de défense juive - l’organisation que le rabbin Kahane a créée pour aider les Juifs à émigrer de l’Union soviétique - et le kahanisme d’aujourd’hui. Mais pour sa part, Yaron estime que les racines du kahanisme sont profondément ancrées dans la LDJ.

« Le rabbin Kahane a vécu dans l’ombre de l’Holocauste, qui a influencé son parcours et sa pensée d’une manière presque absolue. Sa devise était “Plus jamais ça”. Non pas dans le sens où il n’y aurait pas de second Holocauste, mais dans l’idée que nous n’irons pas comme des moutons à l’abattoir. Nous résisterons activement. En tant que tel, il attribuait une valeur, parfois sacrée, aux actes de violence ».

Puis il s’est installé en Israël.

« Ici, le rabbin Kahane découvre que son électorat supposé “naturel” - les Ashkénazes, les colons - lui tourne le dos et lui répond avec suspicion et hostilité. Il était considéré comme un drôle d’oiseau. Il était en détention administrative [incarcéré sans procès], dans un environnement carcéral qu’il décrivait comme étant majoritairement mizrahi. Et il tombe amoureux des Mizrahim [Juifs d’origine nord-africaine ou du Moyen-Orient], ou du moins il tombe amoureux d’eux à des fins politiques. Il comprend que c’est à ce public qu’il doit s’adresser ».

Ben-Gvir, en revanche, est la chair de la chair du mouvement religieux-sioniste.

« Exactement. Ben-Gvir a grandi sur nos collines. Il est un représentant bien plus authentique des colonies, avec une affinité pour ce qui deviendra au fil des ans la jeunesse des collines et avec une longue histoire de provocation, ce qui l’a aidé à obtenir une exposition médiatique constante. En cela, d’ailleurs, il ressemble beaucoup au rabbin Kahane, qui savait exactement comment faire la une du New York Times ou du Washington Post. Ben-Gvir a bien appris de lui ».

Quelles sont les autres leçons qu’il a tirées de son expérience ou qu’il a améliorées ?

« Le rabbin Kahane a eu la sagesse d’essayer de faire appel à différents segments de la société israélienne - laïques et religieux, par exemple. Mais Ben-Gvir réussit à créer des coalitions encore plus larges ».

Le député Almog Cohen d’Otzma Yehudit en tant que représentant de la périphérie, Amihai Ben-Eliyahu, du même parti, en tant que représentant de l’aile faucon de la communauté haredi mizrahi. Il y a même une femme et un général de brigade de réserve de Tsahal. Ben-Gvir construit Otzma Yehudit comme un parti transisraélien.

« Une fois que les idées kahanistes sont passées de la périphérie au centre, il devient possible d’en parler ouvertement et de consolider autour d’elles des groupes couvrant différentes communautés. Je n’attribuerais pas à Ben-Gvir toute la responsabilité de cette évolution. Ce sont les profondes mutations politiques et démographiques de la société israélienne qui l’ont rendue possible. Ben-Gvir, qui a du charisme et jouit d’une grande popularité dans certains cercles, s’est emparé de la situation et l’a mise à profit. Il a rassemblé tous les œufs négligés et les a mis dans un seul panier ».

Cette diversité peut-elle affecter l’idéologie du mouvement ?

« À première vue, il s’agit d’une nouvelle entité, mais au niveau interne, Ben-Gvir est le Rabbin Kahane dans son intégralité. Il n’y a pas de fissure, pas d’espace en lui qui ne soit pas Rabbi Kahane. Il n’y en a tout simplement pas. Tout ce que nous voyons d’autre n’est qu’une interface avec l’extérieur ».

Ainsi, lorsque Ben-Gvir enlève une photo de Baruch Goldstein [du mur de sa maison] ou fait taire un manifestant qui crie “Mort aux Arabes”, ce sont des gestes vides de sens ?

« Il joue le jeu politique. Les trois autres leaders du mouvement [Ben-Ari, Marzel et Gopstein] ont également fait tous les efforts possibles [pour y parvenir], au point d’être pathétiques. Pour entrer à la Knesset, ils étaient prêts à faire des compromis dans le cadre de leur infatigable désir d’être élus. Baruch Marzel, en particulier, a tout fait pour que sa candidature soit approuvée, y compris une comparution devant le comité central des élections pour dire des choses comme “j’ai changé de voie”. Il s’agit donc toujours d’un double jeu : une volonté de sacrifier quelque chose, ostensiblement, au niveau du discours et avec un clin d’œil, alors qu’il est clair pour tout le monde qu’ils ne le pensent pas vraiment ».

Ben-Gvir défie néanmoins les limites du pragmatisme. En tant que ministre de la Sécurité nationale, il a promis de superviser le défilé de la Gay Pride à Jérusalem et de veiller à ce que “pas un cheveu de la tête des marcheurs ne soit touché”.

« C’était vraiment une remarque inhabituelle, parce qu’elle est inacceptable d’un point de vue halakhique, certainement pour une personne religieuse qui épouse le kahanisme. Du point de vue des membres du mouvement, c’est quelque chose qu’il était interdit de dire ».

Ben-Gvir est en fait assez cohérent dans ces contextes, comme lorsqu’il a déclaré une nouvelle fois que “les gays sont mes frères”.

« Cette notion de “nous sommes frères” est inscrite dans les écrits du rabbin Kahane et constitue l’une des falsifications les plus flagrantes de sa doctrine conceptuelle. Ce concept est dénué de sens. Le rabbin Kahane éprouvait une profonde aversion pour toute personne qui, à ses yeux, n’était pas un “vrai Juif”. Sa haine des Juifs qui quittaient la religion et adoptaient les valeurs libérales occidentales était plus féroce que sa haine des Arabes. Et pourtant, il signait ses lettres “Avec l’amour d’Israël”. Les siens lui dirent : “Mais, honorable rabbin, le corps de chaque personne émet des excrétions - pourquoi écrivez-vous "avec l’amour d’Israël" à propos d’excrétions qui ne font pas partie du corps ?” Il leur répondit qu’ils avaient raison, mais continua à signer de cette façon parce que cela servait ses intérêts. De la même manière, Ben-Gvir fait un usage cynique, laid et complètement faux de ‘nous sommes frères’ et ‘nous sommes tous juifs’ ».

Le rabbin Meir Kahane parle à Jérusalem. Tombé amoureux  des Mizrahim à des fins politiques. Photo : Nati Harnik / GPO

Pourtant, les démonstrations de pragmatisme n’ont-elles aucun effet sur la réalité ?

 « Dans le cadre de ces compromis, les dirigeants du mouvement kahaniste ont dû se mordre la langue, et Ben-Gvir y est parvenu mieux que d’autres. Il est très doué pour parler, pour parler de manière à être toujours à la frontière. La Cour a noté qu’il était très proche de franchir le seuil de disqualification lorsqu’il s’est présenté aux dernières élections de la Knesset.

 Ben-Gvir doit donc sa percée à la Haute Cour de justice ?

 « Tout à fait. Pendant de nombreuses années, à l’époque qui a suivi le rabbin Kahane, il y a eu une direction collective. Après tout, il n’y avait qu’un seul Kahane, alors tout le monde s’alignait. Ils se faisaient confiance les uns les autres et, de leur point de vue, cela ne faisait pas beaucoup de différence de savoir lequel d’entre eux serait leur représentant à la Knesset. Puis une situation s’est présentée : Ben-Ari a été disqualifié [en tant que candidat à la Knesset], puis Marzel et Gopstein, de sorte qu’il ne restait plus que Ben-Gvir. Du point de vue des autres, ce n’était pas si terrible - tant qu’il y a quelqu’un qui peut porter le flambeau. Ils ont supposé que Ben-Gvir était l’un des leurs et qu’il suivrait leur voie jusqu’au bout ».

 Et que s’est-il passé alors ?

 « Il s’est libéré, il s’est affranchi. Du point de vue de Marzel et de Ben-Ari, ses chevilles ont enflé et il s’est éloigné de l’héritage du rabbin Kahane. Cela a commencé avant même les [dernières] élections. Il a dit que cela ne le dérangeait pas de s’asseoir avec des Arabes [Ben-Gvir n’a pas exclu la mise en place d’un gouvernement reposant sur le soutien, de l’extérieur, de la Liste arabe unie], et a choisi des personnes comme Almog Cohen pour la liste du parti, dont les liens avec la clique kahaniste sont presque inexistants. Il a donné une interview à une chaîne arabophone afin de préciser qu’il n’avait aucun intérêt à expulser les Arabes d’Israël et a promis d’améliorer la situation des Arabes d’Israël s’il obtenait un poste clé au sein du gouvernement - une interview que Marzel et Ben-Ari ont décrite comme une démonstration “d’hypocrisie et de flagornerie”. Puis il entre au gouvernement et ‘joue le rôle de ministre’, comme l’a dit Marzel ».

 Pourtant, on suppose généralement que la scission qui s’est développée au sein du mouvement kahaniste fait partie d’une manœuvre visant à faire passer Ben-Gvir pour l’adulte responsable.

 « Pas du tout. Le fossé est réel. Lorsqu’ils se rencontrent, ils se serrent à peine la main. Dans leur grande frustration, Marzel et Ben-Ari ont dit au rabbin Dov Lior, le patron du parti, qu’ils avaient l’intention de rompre avec le parti. Le rabbin a immédiatement répondu qu’il continuerait à soutenir Ben-Gvir. Les deux hommes sont restés sans autorité rabbinique et sans leurs troupes, à l’exception de quelques jeunes et marginaux. Il y a peu, des membres de leur faction opposée à Ben-Gvir ont organisé une manifestation à Jérusalem et ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour la promouvoir dans les médias sociaux. Il n’y avait même pas assez de monde pour un minian [quorum de 10 hommes adultes pour toute cérémonie religieuse, NdT] . Marzel avait apporté de grandes pancartes, mais il n’y avait personne pour les brandir ».

 Pourtant, il y a quelques mois, Marzel et Ben-Ari ont déclaré la création d’un nouveau mouvement. Pourquoi ?

 « Dans les groupes WhatsApp et Facebook de cette organisation, un message résonne : La solution, c’est le transfert, le transfert maintenant ! [en référence à l’expulsion de la population arabe d’Israël]. De leur point de vue, c’est la vérité distillée par le rabbin Kahane et elle doit être déclarée et inculquée au gouvernement. Ce groupe ne pardonne pas à Ben-Gvir qui, selon eux, a retiré le sujet de l’ordre du jour ».

 En effet, il s’est dissocié de la doctrine du Kach et a déclaré : “Je ne suis pas Kahane”.

 « Ils ont explosé. Dès que Ben-Gvir a dit à haute voix qu’il y avait une différence entre l’idéologie et la politique, c’était fini. C’était une chose inconcevable à dire. S’il y a un mot qui est l’essence de toute l’affaire kahaniste, c’est ‘vérité’. Le rabbin Kahane a dit, et ses disciples le citent jour et nuit, qu’il n’existe pas de vérité à 99 %. Soit vous dites la vérité, soit vous mentez. Par conséquent, de leur point de vue, Ben-Gvir est un traître ».


Idan Yaron.Photo : Sraya Diamant

Mais pas aux yeux de Gopstein, qui continue de s’en tenir à Ben-Gvir.

« Gopstein est un personnage très intéressant. D’un côté, c’est un idéologue pur et dur, de l’autre, c’est l’une des personnes les plus pragmatiques du groupe. Il a choisi d’aller dans le sens de Ben-Gvir et il en récolte les fruits. Le projet de loi sur le “viol nationaliste” [qui prévoit des sanctions plus sévères pour les actes de violence sexuelle à motivation nationaliste] est taillé sur mesure pour lui. Il coordonne également toute la question des élections municipales au nom d’Otzma Yehudit. Son influence est énorme ».

En ce qui concerne les lois sur mesure, l’accord de coalition entre Otzma Yehudit et le Likoud stipule que la clause de la loi qui empêche les incitateurs au racisme de se présenter à la Knesset sera révoquée. Mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour, du point de vue de Ben-Gvir.

« Correct - il comprend que la façon dont les choses sont alignées politiquement ne le permet pas pour le moment... Mais cela n’intéresse pas vraiment Ben-Gvir. Il a réuni autour de lui un groupe qui obéit à son autorité et fait ce qu’il dit. Il n’a aucun intérêt à ramener Marzel et Ben-Ari à la Knesset à ce stade. Mais aujourd’hui, si le noyau dur d’Otzma Yehudit disposait d’un peu plus de marge de manœuvre politique, il reprendrait les lois de ségrégation raciale et ethnique promues par le rabbin Kahane et les mettrait en œuvre mot pour mot. Une séparation raciale absolue, avec l’espoir d’un effacement [des Palestiniens] pur et simple ».

Ils iraient aussi loin ?

« Et de la manière la plus explicite. Quiconque n’est pas derrière le “mur de fer” sera broyé et liquidé par la main de fer. Ils seront éradiqués, au sens le plus littéral du terme. L’expression ‘éradiquer le mal’ traverse comme un fil rouge toute l’histoire du kahanisme ».

Ce ne sont pas les expressions que nous entendons de la part de Ben-Gvir et de ses gens.

« Je parle avec les activistes. De leur point de vue, le mal est associé à tout mouvement qui n’est pas religieux, et certainement à un mouvement qui est anti-religieux. Ces gens me disent qu’ils comprennent les Arabes, parce qu’ils sont des ennemis et qu’ils se battent comme des ennemis. Mais le châtiment que méritent les gauchistes, par exemple, est bien plus grave. Sans parler des personnes LGBTQ et des juifs réformés. Tous ceux qui ne suivent pas une approche nationale-religieuse. Tous ceux qui ne sont pas de “vrais juifs”, comme l’a défini le rabbin Kahane, doivent être anéantis - et pas de façon métaphorique ».

Y a-t-il eu un moment où ce phénomène aurait pu être arrêté ?

« La tragédie éternelle a été la décision même d’autoriser la liste Kach à se présenter à la Knesset en 1984. Nous avons permis à ces forces d’opérer pendant trop longtemps avec trop peu de limites, et comme l’a dit Dorit Beinisch [qui, en tant que procureure adjointe, a représenté l’État dans la procédure de disqualification de Kahane], la première limite aurait dû être la disqualification permanente du mouvement Kach. Depuis lors, ce groupe dirigeant - qui est absolument attaché au rabbin et à sa voie - a tout fait pour perpétuer sa doctrine et pour influencer la société et l’État en conséquence. Comme l’a dit un jour Ben-Gvir en réponse à un internaute, “l’interdiction d’activité concerne le mouvement, pas les idées”. Il faut s’en souvenir ».

 

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