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06/09/2024

JEFFREY SACHS
Comment les néoconservateurs de Washington ont subverti la stabilisation financière de la Russie au début des années 1990
Aux premières loges de la guerre froide qui n’a jamais pris fin

Jeffrey Sachs, Dropsite News, 4/9/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Partisan résolu – et quelque peu ingénu – d’un capitalisme à visage humain (= keynésien) et d’un « Plan Marshall » pour l’URSS en fin de vie, Jeffrey Sachs raconte ci-dessous son aventure entre Washington, Varsovie et Moscou au début des années 1990, où il eut affaire aux redoutables néocons aux dents longues et aux griffes acérées. Un pan mal connu de l’histoire de la fin du XXème Siècle, dont on vit et subit les conséquences aujourd’hui à l’échelle planétaire.-FG

À la fin des années 1980, le président Mikhaïl Gorbatchev a donné une chance à la paix mondiale en mettant unilatéralement fin à la guerre froide. J'ai été un participant et un témoin de haut niveau de ces événements, d'abord en 1989 en tant que conseiller principal en Pologne, puis à partir de 1990 en Union soviétique, en Russie, en Estonie, en Slovénie, en Ukraine et dans plusieurs autres pays. Si les USA et la Russie se livrent aujourd'hui à une guerre chaude en Ukraine, c'est en partie parce que les USA n'ont pas pu accepter un « oui » comme réponse au début des années 1990. La paix n'était pas suffisante pour les USA ; le gouvernement usaméricain a choisi d'affirmer également sa domination mondiale, ce qui nous amène aux terribles dangers d'aujourd'hui. L'incapacité des USA, et plus généralement de l'Occident, à aider l'Union soviétique puis la Russie sur le plan économique au début des années 1990 a marqué les premières étapes de la quête malavisée de domination des USA

Winston Churchill a écrit : « À la guerre, la résolution ; à la défaite, la défiance ; à la victoire, la magnanimité ; et à la paix, la bonne volonté ». Les USA n'ont fait preuve ni de magnanimité ni de bonne volonté dans les derniers jours de l'Union soviétique et de la guerre froide. Ils ont fait preuve d'insolence et de puissance, jusqu'à aujourd'hui. Dans le domaine économique, ils l'ont fait au début des années 1990 en négligeant la crise financière urgente et à court terme à laquelle étaient confrontées l'Union soviétique de Gorbatchev (jusqu'à sa disparition en décembre 1991) et la Russie d'Eltsine. Il en est résulté une instabilité et une corruption profondes en Russie au début des années 1990, qui ont engendré un profond ressentiment à l'égard de l'Occident. Cependant, même cette grave erreur de la politique occidentale n'a pas été déterminante dans le déclenchement de la guerre chaude actuelle. À partir du milieu des années 1990, les USA ont tenté sans relâche d'étendre leur domination militaire sur l'Eurasie, dans une série d'actions qui ont finalement conduit à l'explosion d'une guerre à grande échelle en Ukraine, ce qui a eu encore plus de conséquences.

Mon orientation en tant que conseiller économique

Lorsque je suis devenu conseiller économique de la Pologne, puis de la Russie, j'avais trois convictions fondamentales, fondées sur mes études et mon expérience en tant que conseiller économique.

Ma première conviction fondamentale s'appuyait sur les idées d'économie politique de John Maynard Keynes, le plus grand économiste politique du XXe Siècle. Au début des années 1980, j'ai lu son livre éblouissant Les conséquences économiques de la paix (1919), qui est la critique dévastatrice et prémonitoire de Keynes de la dure paix du traité de Versailles après la Première Guerre mondiale. Keynes s'est insurgé contre l'imposition de réparations à l'Allemagne, qu'il considèrait comme un affront à la justice économique, un fardeau pour les économies européennes et le germe d'un futur conflit en Europe. Keynes a écrit à propos du fardeau des réparations et de l'exécution des dettes de guerre :

« Si nous visons délibérément à l'appauvrissement de l'Europe centrale, la revanche, nous pouvons le prédire, ne se fera pas attendre. Rien alors ne pourra retarder, entre les forces de réaction et les convulsions désespérées de la Révolution, la lutte finale devant laquelle s'effaceront les horreurs de la dernière guerre et qui détruira , quel que soit le vainqueur, la civilisation ne devons-nous pas rechercher quelque chose de mieux, penser que la prospérité et le bonheur d'un État créent le bonheur et la prospérité des autres ,que la solidarité des hommes n'est pas une fiction et que les nations doivent toujours traiter les autres nations comme leurs semblables? »

Keynes a bien sûr eu raison. La paix carthaginoise imposée par le traité de Versailles est revenue hanter l'Europe et le monde une génération plus tard. La leçon que j'ai tirée des années 1980 était le dicton de Churchill sur la magnanimité et la bonne volonté, ou l'avertissement de Keynes de traiter les autres nations comme des « congénères ». À l'instar de Keynes, je pense que les pays riches, puissants et victorieux ont la sagesse et l'obligation d'aider les pays pauvres, faibles et vaincus. C'est la voie de la paix et de la prospérité mutuelle. C'est pourquoi j'ai longtemps défendu l'allègement de la dette des pays les plus pauvres et j'ai fait de l'annulation de la dette une caractéristique des politiques visant à mettre fin à l'hyperinflation en Bolivie au milieu des années 1980, à l'instabilité en Pologne à la fin des années 1980 et à la grave crise économique en Union soviétique et en Russie au début des années 1990.

Ma deuxième conviction fondamentale était celle d'un social-démocrate. Pendant longtemps, j'ai été qualifié à tort de néolibéral par les médias grand public paresseux et les experts non avertis en économie, parce que je croyais que la Pologne, la Russie et les autres pays postcommunistes de la région devaient permettre aux marchés de fonctionner, et qu'ils devaient le faire rapidement pour surmonter les marchés noirs face à l'effondrement de la planification centrale. Pourtant, dès le début, j'ai toujours cru en une économie mixte selon les principes sociaux-démocrates, et non en une économie de libre marché « néolibérale ». Dans une interview accordée au New Yorker en 1989, je m'exprimais ainsi :

« Je ne suis pas particulièrement fan de la version du libre marché de Milton Friedman, de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan. Aux USA, je serais considéré comme un démocrate libéral, et le pays que j'admire le plus est la Suède. Mais que l'on essaie de créer une Suède ou une Angleterre thatchérienne, en partant de la Pologne, on va exactement dans la même direction. En effet, la Suède, l'Angleterre et les USA possèdent certaines caractéristiques fondamentales qui n'ont rien à voir avec la situation actuelle de la Pologne. Il s'agit d'économies privées, où le secteur privé représente la plus grande partie de l'économie. Il existe un système financier libre : des banques, des organisations financières indépendantes, une reconnaissance stricte de la propriété privée, des sociétés anonymes, une bourse, une monnaie forte convertible à un taux unifié. Toutes ces caractéristiques sont les mêmes, qu'il s'agisse de crèches gratuites ou de crèches privées. La Pologne part de l'extrême opposé ».

En termes pratiques, les réformes de type social-démocrate signifiaient ce qui suit. Premièrement, la stabilisation financière (mettre fin à une forte inflation, stabiliser la monnaie) doit être effectuée rapidement, selon les principes expliqués dans l'article très influent de 1982 « The Ends of Four Big Inflations » du futur lauréat du prix Nobel Thomas Sargent. Deuxièmement, le gouvernement doit rester important et actif, en particulier dans les services publics (santé, éducation), les infrastructures publiques et la protection sociale. Troisièmement, la privatisation doit être prudente, circonspecte et fondée sur la loi, afin d'éviter la corruption à grande échelle. Bien que les médias grand public m'aient souvent associé à tort à l'idée d'une « privatisation de masse » rapide par le biais de cadeaux et de bons d'achat, la privatisation de masse et la corruption qui l'accompagne sont tout le contraire de ce que j'ai réellement recommandé. Dans le cas de la Russie, comme décrit ci-dessous, je n'avais aucune responsabilité consultative concernant le programme de privatisation de la Russie.

Ma troisième conviction fondamentale était l'aspect pratique. Il faut apporter une aide réelle, pas une aide théorique. J'ai préconisé une aide financière urgente pour la Pologne, l'Union soviétique, la Russie et l'Ukraine. Le gouvernement usaméricain a tenu compte de mes conseils dans le cas de la Pologne, mais les a fermement rejetés dans le cas de l'Union soviétique de Gorbatchev et de la Russie d'Eltsine. À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi. Après tout, mes conseils avaient fonctionné en Pologne. Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai mieux compris qu'alors que je discutais du « bon » type d'économie, mes interlocuteurs au sein du gouvernement usaméricain étaient les premiers néoconservateurs. Ils ne cherchaient pas à redresser l'économie russe. Ils voulaient l'hégémonie des USA.

Premières réformes en Pologne

En 1989, j’ai été conseiller du premier gouvernement post-communiste de Pologne et j’ai contribué à l’élaboration d’une stratégie de stabilisation financière et de transformation économique. Mes recommandations en 1989 préconisaient un soutien financier occidental à grande échelle à l’économie polonaise afin d’empêcher une inflation galopante, de permettre la convertibilité de la monnaie polonaise à un taux de change stable et d’ouvrir le commerce et les investissements avec les pays de la Communauté européenne (aujourd’hui l’Union européenne). Ces recommandations ont été prises en compte par le gouvernement usaméricain, le G7 et le Fonds monétaire international.

Sur la base de mes conseils, un fonds de stabilisation du zloty d’un milliard de dollars a été créé pour soutenir la nouvelle monnaie convertible de la Pologne. La Pologne s’est vu accorder un moratoire sur le service de la dette de l’ère soviétique, puis une annulation partielle de cette dette. La communauté internationale officielle a accordé à la Pologne une aide au développement significative sous forme de subventions et de prêts.

Les résultats économiques et sociaux obtenus par la suite par la Pologne parlent d’eux-mêmes. Bien que l’économie polonaise ait connu une décennie d’effondrement dans les années 1980, la Pologne a entamé une période de croissance économique rapide au début des années 1990. La monnaie est restée stable et l’inflation faible. En 1990, le PIB par habitant de la Pologne (mesuré en termes de pouvoir d’achat) représentait 33 % de celui de l’Allemagne voisine. En 2024, il atteignait 68 % du PIB par habitant de l’Allemagne, après des décennies de croissance économique rapide.

La recherche dun Grand Marchandage pour lUnion soviétique

 Sur la base de la réussite économique de la Pologne, j’ai été contacté en 1990 par Grigori Iavlinski, conseiller économique du président Mikhail Gorbatchev, pour offrir des conseils similaires à l’Union soviétique, et en particulier pour aider à mobiliser un soutien financier pour la stabilisation économique et la transformation de l’Union soviétique. L’un des résultats de ce travail a été un projet entrepris en 1991 à la Harvard Kennedy School avec les professeurs Graham Allison, Stanley Fisher et Robert Blackwill. Nous avons proposé conjointement un « Grand Bargain » [Grand marchandage] aux USA, au G7 et à l’Union soviétique, dans lequel nous avons préconisé un soutien financier à grande échelle de la part des USA et des pays du G7 pour les réformes économiques et politiques en cours de Gorbatchev. Le rapport a été publié sous le titre Window of Opportunity : The Grand Bargain for Democracy in the Soviet Union (1er  octobre 1991).

                                                                    Etta Hulme, 1987

La proposition d’un soutien occidental à grande échelle à l’Union soviétique a été catégoriquement rejetée par les guerriers froids de la Maison Blanche. Gorbatchev s’est rendu au sommet du G7 à Londres en juillet 1991 pour demander une aide financière, mais il est reparti les mains vides. À son retour à Moscou, il est kidnappé lors de la tentative de coup d’État d’août 1991. Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, prend alors la direction effective de l’Union soviétique en crise. En décembre, sous le poids des décisions prises par la Russie et d’autres républiques soviétiques, l’Union soviétique a été dissoute avec l’émergence de 15 nations nouvellement indépendantes.

07/08/2022

LISA ROZOVSKY
Les espions juifs rivaux qui ont failli changer le cours de la Seconde Guerre mondiale

Liza Rozovsky, Haaretz, 6/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'histoire de la rivalité acharnée entre deux agents juifs pendant la Seconde Guerre mondiale a conduit un historien à spéculer sur les nombreuses façons dont la guerre aurait pu se dérouler.

Photo : Collection Roger-Viollet via AFP

Au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, Samson Mikiciński, un homme d'affaires juif polono-russe, a sauvé de Varsovie occupée des top-modèles, des femmes de la société et des parentes de dirigeants polonais en exil et les a fait passer clandestinement à Paris. À la même époque, Edward Szarkiewicz, un juif né dans l'Oblast de Lviv [Lvov/Lwów/Lemberg] en Ukraine sous le nom de Moses Szapiro, se convertit au christianisme et opère en tant que taupe britannique au sein des services de sécurité polonais. Leur rencontre fait l'objet d'un livre récemment publié en hébreu par l'historien Yaacov Falkov, « Entre Hitler et Churchill : Deux agents juifs et les efforts déployés par les services secrets britanniques pour empêcher un accord secret entre la Pologne et les nazis » (Magnes Press).

 

Mais cette histoire d'espionnage digne d'un thriller n'est que le tremplin sur lequel Falkov - chargé de recherche à l'Institut international de lutte contre le terrorisme de l'université Reichman (Herzliya) et conférencier dans cette université et à l'université de Tel Aviv - révèle une histoire non moins surprenante et bien plus importante : une tentative de dialogue clandestin entre le gouvernement polonais en exil à Londres et l'Allemagne nazie. Selon Falkov, cette tentative a été déjouée par les services secrets britanniques, avec l'aide de Szarkiewicz.

 

La plus spectaculaire de toutes est peut-être l'hypothèse de l'auteur selon laquelle si Mikiciński n'avait pas été enlevé alors qu'il était en plein milieu des contacts entre les nazis et les dirigeants polonais en exil, le cours de la guerre aurait été différent.

 

En prélude à son récit sur l’âpre rivalité entre les deux agents juifs, Falkov raconte les tentatives répétées du Troisième Reich de conclure un accord de paix avec les Polonais et les Britanniques immédiatement après l'invasion de la Pologne, en septembre 1939. Le livre fournit des détails sur les démarches allemandes auprès des Britanniques et sur les efforts de Berlin pour parvenir à un accord avec les responsables polonais, ce qu'elle a fait dès les premiers jours de la guerre.

 

« Des affirmations et des récits sur les contacts que les nazis ont eus avec les Britanniques et les Polonais au début de la guerre, dans le but de parvenir à la paix, ont été publiés par le passé », dit Falkov, lorsque nous nous rencontrons pour parler de son livre dans un café de Tel Aviv. « Mais à mon avis, il s'agissait d'épisodes séparés et sporadiques, qui ne donnent pas un tableau complet. Je pense avoir réussi à reconstituer ce puzzle. Je pense aussi que si nous continuons à creuser, nous découvrirons d'autres témoignages ».

 

D’Istanbul à la Palestine

 

Les efforts de sauvetage de Mikiciński, un homme polyglotte et casse-cou, ressemblaient à des voyages d'agrément ou à des épisodes d'un film de Quentin Tarantino. Les femmes en fuite et le passeur se déplaçaient d'une capitale européenne à l'autre dans des voitures de luxe et des avions de ligne, logeant pendant leurs voyages dans des hôtels de luxe. La capacité de Mikiciński à franchir les frontières (Falkov écrit qu'il traversait les frontières politiques de l'Europe déchirée par la guerre comme s'il s'agissait des frontières de l'Union européenne de notre époque) a une explication relativement simple : il était habile à corrompre les bonnes personnes aux bons endroits. Une fois, ce pouvait être le diplomate chilien qui lui a délivré un passeport diplomatique de son pays lui assurant un passage sûr en Pologne, en Roumanie et en Turquie ; une autre fois, c'est un haut responsable de l'Abwehr, les services de renseignements militaires allemands, le major Heinz-Heinrich Fabian, connu sous le pseudo de « Docteur Scholtz », qui a aidé Mikiciński à entrer et à sortir sans encombre de la Pologne occupée, lui permettant d'exécuter des missions pour le compte de l'ennemi de l'Allemagne, le gouvernement polonais en exil.

 

Qu'en est-il de ses coreligionnaires ? Les recherches de Falkov montrent que Mikiciński a également aidé des Juifs - principalement, semble-t-il, des Juifs aisés - à fuir la Pologne et la Roumanie. Les Juifs plaçaient également leurs capitaux entre ses mains, afin qu'il puisse aussi les faire sortir de leurs pays d'origine, ce qui est attesté, par exemple, par les réclamations faites contre les héritiers de Mikiciński des années après sa mort.

 

Le succès de Mikiciński, qui réussit à extraire de Varsovie occupée les familles des dirigeants polonais en exil, lui vaut leur confiance. Il devint particulièrement proche du ministre de l'Intérieur en exil, Stanislaw Kot. En tant qu'envoyé de Kot, il mène des négociations avec l'ambassadeur allemand à Ankara, Franz von Papen, et avec le diplomate Emil von Rintelen, qui est un proche collaborateur du ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop.

 

C'est là qu'intervient l'agent double Edward Szarkiewicz, qui opère pour le compte des services secrets britanniques, en coopération avec les services secrets turcs et avec des personnalités polonaises qui luttent contre le gouvernement en exil. Szarkiewicz a découvert le lien secret entre Mikiciński et les diplomates allemands, et a géré une opération complexe à Istanbul pour torpiller les négociations.

 

Sur ordre de Londres, il a attiré Mikiciński à une réunion avec un agent des services secrets turcs au début de 1941, où le Polonais s'est vu servir du café additionné d'un sédatif.

Étonnamment, il ne s'est pas endormi comme prévu, peut-être en raison de son physique robuste. Le seul recours était de le frapper à la tête et de le droguer avec un mouchoir imbibé de chloroforme tenu sur son visage.

 

13/09/2021

Stanisław Lem est le meilleur auteur de science-fiction que vous avez peut-être raté

Yonatan Englender, Haaretz, 13/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 


Yonatan Englender est un journaliste israélien, réacteur au quotidien Haaretz, et aussi un scénariste. Il a étudié la langue et la littérature anglaises à l’Université de Tel Aviv. @YEnglender

Beaucoup de ses pairs occidentaux ont connu un grand succès en dehors de la communauté de la science-fiction et sont devenus des icônes culturelles. Mais l'auteur polonais juif Stanisław Lem - né il y a 100 ans cette semaine (12 septembre 1921) - est resté relativement inconnu. Ses écrits sur l'insignifiance de l'homme et la futilité de la technologie y ont peut-être contribué... 

 

Stanisław Lem. A passé la première partie de sa vie entre les batailles et les armées d'occupation. Photo : AP

La couverture de la première édition de "Solaris", le livre à succès de l'écrivain polonais Stanisław Lem, est presque entièrement noire. Elle présente une étoile ronde jaune quelque peu effacée, éclipsée par l'espace noir qui l'entoure, espace qui occupe la quasi-totalité de la couverture. Vous n'y trouverez ni vaisseaux spatiaux, ni rayons laser, ni robots, ni astronautes. De plus, la couverture illustrée et l'impression qu'elle donne ne correspondent pas du tout à ce que l'on trouve normalement sur les couvertures de la science-fiction occidentale.

Sur les couvertures des œuvres des principaux auteurs du genre, tels que Isaac Asimov, Ray Bradbury et Robert Heinlein, l'espace est représenté comme une chose conquise par des êtres humains dans des vaisseaux spatiaux colorés, invitant le lecteur à faire partie de l'aventure. Le contraste dans la conception est significatif, reflétant la différence fondamentale entre les pionniers du genre en Occident et Lem - le plus important auteur de science-fiction qui n'ait pas écrit en anglais.


Alors que les œuvres d'Asimov et de ses collègues du milieu du XXe  siècle reflétaient les possibilités infinies offertes par la science - des colonies humaines sur Mars et des humains construisant des empires galactiques et vainquant des extraterrestres hostiles -   les livres de Lem traitent du revers de la médaille : les limites du savoir humain, l'insignifiance de l'homme dans l'univers et la futilité de la technologie si les êtres humains ne savent pas quoi en faire.

 Une couverture de "Solaris", le best-seller de Lem. Photo : Wydawnictwo Ministerstwa Obrony

Lundi a marqué le centenaire de la naissance de Lem, le 12 septembre 1921, dans une famille juive de ce qui est aujourd'hui la ville ukrainienne de Lviv. À l'époque, pendant la période de l'entre-deux-guerres, elle faisait partie de la Pologne. Lviv, ou Lvov, comme on l'appelle aussi en Occident, a été capturée par les forces soviétiques en 1939 et deux ans plus tard par l'Allemagne nazie. La famille de Lem a survécu à l'occupation nazie grâce à de faux documents. Lorsque Lvov a été annexée à la république soviétique d'Ukraine, la famille a déménagé à Cracovie, en Pologne. Lem est resté en Pologne pendant la majeure partie de sa vie.