Gideon Levy, Haaretz, 1/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La dynamique du pouvoir est également similaire : des dizaines de personnes contre un chauffeur, comme l’armée la mieux équipée du monde contre la population impuissante de Gaza.
Ils lui ont donné des coups de
pied et l’ont battu, lui ont lancé des objets et l’ont frappé alors qu’il
gisait, blessé et sans défense, sur le plancher du bus. Une foule de personnes
se tenait autour de lui : certaines applaudissaient, d’autres restaient
silencieuse set quelques-unes étaient hébétées.
L’agression brutale de deux chauffeurs de bus arabes à Jérusalem jeudi soir est l’agression
qu’Israël commet dans la bande de Gaza depuis 20 mois.
Comme un village modèle, une
version réduite qui se ressemble étrangement. En Israël, la maquette a suscité
plus d’opposition que l’original, mais la guerre à Gaza est infiniment plus
brutale que l’attaque à Jérusalem.
Les hooligans supporters l’équipe
de football du Beitar Jérusalem n’ont pas besoin d’une raison
pour frapper un chauffeur de bus arabe qui leur fournit un service, mais cette
fois-ci, elle en a eu une : Zahi Ahmed, un joueur arabe, a eu l’audace de
marquer un but contre le Beitar, aidant ainsi son équipe, l’Hapoel Be’er Sheva,
à remporter la Coupe d’État d’Israël en finale.
Pour les hooligans du Beitar, un
but marqué par un joueur arabe, surtout en finale de la coupe, c’est presque un
7 octobre. ça ne peut être ignoré. Comme après le 7 octobre, une réponse
immédiate est nécessaire. Pour eux, le championnat aurait dû être exempt d’Arabes
depuis longtemps ; l’audace d’un joueur arabe marquant contre l’équipe la plus
juive - en finale de la coupe, qui plus est - ne pouvait rester sans réponse.
Si vous avez été stupéfaits par l’assaut,
comment ne pas l’être par la guerre ?
L’assaut et la guerre avaient
tous deux un prétexte. On ne peut pas comparer les horreurs du 7 octobre à un
but de football, mais on ne peut pas non plus comparer deux chauffeurs de bus
blessés à un millier de bébés morts. Le 7 octobre a été un crime horrible. Aux
yeux de La Familia, un groupe ultra qui soutient le Beitar, un Arabe qui marque
un but contre une équipe juive, c’est également un crime qui ne peut être passé
sous silence.
Des supporters du Beitar Jérusalem agressant un chauffeur de bus palestinien à Jérusalem jeudi
À partir de là, la similitude ne
fait qu’augmenter. Dans les deux cas, la réponse a été illégale, illégitime et
totalement disproportionnée. Qualifier la guerre à Gaza de guerre juste – « la
guerre la plus juste de notre histoire » - est aussi insensé que de dire
que les supporters du Beitar avaient une raison de frapper les chauffeurs. Ces
derniers ont autant de liens avec la perte du Beitar que les enfants de Gaza avec le 7 octobre.
Dire que l’objectif de la guerre est de libérer les otages et de vaincre le Hamas est aussi ridicule que de penser que l’agression d’un chauffeur de bus empêchera les joueurs arabes de marquer des buts. Les hooligans pensaient dissuader les joueurs par l’agression, et Israël pense dissuader Gaza par le génocide. La soif de vengeance est également similaire.
Dans les deux cas, il n’y a eu
aucune retenue, ni légale ni morale. Tabasser sans pitié, c’est comme bombarder
et pilonner sans pitié. Dans les deux cas, la plupart des victimes sont
innocentes. La dynamique du pouvoir est également similaire : des dizaines de
personnes contre un chauffeur, comme l’armée la mieux équipée du monde contre
une population sans défense. Un assaut brutal contre Gaza. Bombarder et
pilonner la bande de Gaza, même lorsqu’elle est déjà au sol, malade, affamée et
en sang, tout comme donner des coups de pied au chauffeur qui gît meurtri et en
sang.
Ces agressions n’étaient pas les
premières du genre à Jérusalem, et elles ne seront pas les dernières ; selon le
syndicat des chauffeurs de bus, il y a chaque jour au moins deux agressions
contre des chauffeurs arabes à Jérusalem. L’attaque actuelle contre Gaza n’est
pas non plus la première, bien sûr, ni la dernière.
Quant à la foule qui l’entoure :
« Oh, oh ! », crient les badauds, choqués ou excités. Personne n’a
pris la défense des chauffeurs, pas même un seul juste de Jérusalem. Les deux
chauffeurs ne se remettront pas rapidement du traumatisme, et il est douteux qu’ils
puissent à nouveau conduire un bus dans cette ville fasciste. Gaza ne s’en
remettra pas non plus. Elle restera à jamais abasourdie par ce qu’Israël lui a
fait subir.
Regardez les agressions à
Jérusalem et voyez Israël ; regardez les spectateurs passifs qui crient « Oh,
Oh » - et voyez-nous, presque chacun d’entre nous.