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08/10/2022

ALEX DE WAAL
La famine, point de fuite des lois de la guerre

 Alex de Waal, The New York Review of Books, 11/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alexander William Lowndes de Waal (né en 1963), chercheur britannique sur la politique des élitex africaines, est le directeur exécutif de la World Peace Foundation à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'Université Tufts (Massachussets). Auparavant, il a été membre de la Harvard Humanitarian Initiative à l'Université de Harvard, ainsi que directeur de programme au Social Science Research Council on AIDS à New York. Parmi ses livres Famine Crimes: Politics and the Disaster Relief Industry in Africa et Mass Starvation: The History and Future of Famine. Avec Bridget Conley, Catriona Murdoch et Wayne Jordash KC, il est coéditeur du recent livre Accountability for Mass Starvation : Testing the Limits of the Law. Il a dit à Daniel Drake dans une interview à la NYB : « Mon père et sa famille ont été chassés d'Autriche par les nazis en 1938. J'ai appris plus tard que deux générations auparavant, mon arrière-arrière-grand-père Ignace von Ephrussi avait quitté Odessa, craignant à juste titre des pogroms contre les Juifs. À cette époque, les Ephrussi étaient les plus gros négociants en céréales d'Europe. »

Presque toutes les famines modernes, y compris celles du Yémen et du Tigré, sont causées par des tactiques de guerre. Que faudrait-il pour les empêcher ?

Travailleurs transportant des sacs de céréales dans un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) à Abala, Éthiopie, juin 2022. Photo Eduardo Soteras/AFP/Getty

L'Organisation des Nations Unies a estimé que 276 millions de personnes dans le monde sont aujourd'hui « gravement menacées d'insécurité alimentaire ». Quarante millions de personnes sont dans des conditions « d'urgence », un peu en deçà de la définition technique de la « famine » par l'ONU. Au début de cette année, les effets conjugués de la crise climatique, des retombées économiques de la COVID-19, du conflit armé et de la hausse des coûts du carburant et de la nourriture avaient déjà provoqué une forte augmentation du nombre de personnes ayant besoin d'aide. Puis l'invasion russe de l'Ukraine a soudainement coupé les exportations de blé du grenier mondial. Pendant cinq mois, les navires de guerre russes ont bloqué les ports de la mer Noire et empêché les cargaisons de céréales de partir, à la fois pour étrangler l'économie ukrainienne et pour déstabiliser les pays importateurs de denrées alimentaires afin de pousser les USA et l'UErope à assouplir les sanctions. 

« Nous sommes confrontés à un risque réel de famines multiples cette année, et l'année prochaine pourrait être encore pire », a averti le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres à l'Assemblée générale en juillet. Quatre jours plus tard, lui et le président turc Recep Tayyip Erdoğan ont annoncé qu'ils avaient négocié des accords parallèles avec la Russie et l'Ukraine pour reprendre les expéditions de céréales et d'engrais synthétiques. Malgré une frappe russe sur Odessa, les premiers navires chargés de blé ukrainien partent le 1er août. (Aucune date n'est encore fixée pour la reprise des exportations d'engrais de Russie.) Au 4 septembre, 86 navires transportant plus de deux millions de tonnes de nourriture avaient quitté les ports ukrainiens. Les prix mondiaux du blé et de l'huile de tournesol ont baissé, ce qui laisse présager une baisse des prix du pain en Égypte et un allégement de la pression sur le budget du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l'aide alimentaire d'urgence. S'exprimant dans la ville ukrainienne de Lviv, Guterres s'est félicité lui-même et Erdoğan pour l'accord, l'Initiative sur les céréales de la mer Noire, qui, a-t-il dit, « aidera les personnes vulnérables dans tous les coins du monde ».

La levée du blocus de la mer Noire est en effet une étape importante vers une alimentation plus abordable pour des dizaines de millions de personnes qui, avant la récente hausse des prix, consacraient déjà un tiers ou plus de leurs dépenses quotidiennes au pain. Les familles pauvres dans des pays comme le Bangladesh, l'Égypte, le Liban et le Nigéria deviendront moins « en état d’insécurité alimentaire », dans le langage des spécialistes. Pour cela seulement, Guterres a droit à un rare éloge pour sa diplomatie. Mais en laissant entendre que l'Initiative sur les céréales de la mer Noire permettrait non seulement de réduire les prix du pain et de mettre plus de céréales sur le marché, mais aussi de prévenir la famine, le Secrétaire général de l'ONU, avec de nombreux commentateurs, associait l'insécurité alimentaire à la famine de masse, un type de crise très différent.

Ramener les produits ukrainiens sur le marché mondial atténuera le premier, mais aura peu d'impact sur le second. En effet, presque toutes les famines modernes sont causées par des tactiques de guerre. Le siège affameur a longtemps été l'arme préférée du faiseur de guerre : il est simple, bon marché, silencieux et horriblement efficace. Alors même qu'elle empêchait les navires chargés de blé de quitter l'Ukraine, la Russie a forcé les Ukrainiens à entrer dans les caves et les a empêchés d'obtenir de la nourriture, de l'eau et d'autres produits essentiels. L'armée russe est experte en cette stratégie : la privation de tout ce qui est nécessaire pour rester en vie a été une caractéristique majeure des guerres tchétchènes. En Syrie, les troupes du président Bachar el-Assad ont peint par pulvérisation le slogan CAPITULER OU MOURIR DE FAIM aux postes de contrôle situés à l'extérieur des enclaves de l'opposition, qu'elles ont ensuite assiégé avec les conseils et le soutien militaires russes.

Selon l'ONU, plus d'un demi-million de personnes dans quatre pays - l'Éthiopie, le Soudan du Sud, le Yémen et Madagascar - sont dans des « conditions catastrophiques ou de famine ». La semaine dernière, l'ONU et les agences humanitaires ont également déclaré la « famine en cours » en Somalie, un pays frappé par une combinaison mortelle de sécheresse et de conflit, où elles ont recueilli des données d'enquête montrant que certaines parties du pays franchissent le seuil de « l'urgence » à « la famine ». Sur ces cinq pays, quatre sont frappés par la guerre civile. (Un rare cas contemporain d'insécurité alimentaire extrême sans guerre civile est Madagascar, où une séquence de sécheresses sans précédent a mis la partie sud de l'île dans une situation désastreuse.) Des combats dans les pays pauvres accroissent l'insécurité alimentaire en entravant l'agriculture, en perturbant les marchés alimentaires et en détournant les budgets étriqués des programmes de santé et de protection sociale vers les soldats et les armes.

Mis à part la Somalie, les autres cas de faim extrême - en Éthiopie, au Yémen et au Soudan du Sud - se trouvent là où une partie belligérante a choisi d'affamer son ennemi. Contrairement à la Somalie, où le gouvernement nouvellement élu est ouvert au sort de la nation, les autorités de ces pays sont déterminées à dissimuler l'ampleur de la famine et à empêcher l'aide d'atteindre ceux qu'ils ont affamés. Le sort des personnes vulnérables dans ces conditions est décidé non pas par les prix du marché ou les budgets d'aide, mais par le calcul des hommes qui poursuivent la famine comme politique. Les victimes sont bien conscientes que la famine est un résultat politique plutôt qu'un malheur impersonnel - « la caractéristique de certaines personnes n'ayant pas assez de nourriture à manger », comme l'a écrit l'économiste Amartya Sen dans son livre Poverty and Famines [Pauvreté et famines, 1990, encore inédit en français, le prix Nobel d’Économie attribué à l’auteur en 1998 n’ayant pas suffi à convaincre un éditeur francophone, NdT] « pas la caractéristique qu'il n'y ait pas assez de nourriture à manger ».

09/11/2021

ANSHEL PFEFFER
Comment la guerre en Éthiopie a déclenché une bataille en Israël

 Anshel Pfeffer, Haaretz, 8/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une ministre israélienne cherche à faire venir en Israël des Éthiopiens dont la judéité n'a pas été confirmée ; d'autres responsables gouvernementaux restent silencieux sur la question, pour des raisons politiques mais pas seulement.

Immigrants d'Éthiopie arrivant en Israël au début de cette année. Photo : Bureau de presse du gouvernement d’Israël

Les forces rebelles sont aux portes d'Addis-Abeba, le gouvernement est au bord de l'effondrement. L'Éthiopie sombre dans le chaos et des milliers de personnes meurent de la famine et de la violence. Des milliers de Juifs éthiopiens sont entassés dans des complexes et attendent avec anxiété depuis des années la nouvelle qu'ils sont autorisés à venir à Sion. En Israël, une clameur s'élève parce que leur vie est en danger. Des avions de transport de l'armée de l'air israélienne se précipitent pour les secourir.

C'est ce qui s'est passé au milieu des années 80 (famine) et en 1991 (rebelles), lorsque les opérations d’évacuation aérienne Moïse et Salomon ont été lancées, amenant la communauté Beita Israel de Juifs éthiopiens en Israël. Alors que la guerre civile en Éthiopie s'intensifie, certains observateurs affirment que l'histoire est sur le point de se répéter, mais les similitudes sont pour l'instant au mieux superficielles.

La ministre de l’alyah et de l'intégration,PninaTamano-Shata, du parti Kahol Lavan (Bleu-Blanc), est l'une des politicien·nes qui tente de faire avaler aux Israéliens la théorie de l'histoire se répète. Lors de la réunion hebdomadaire du cabinet dimanche, elle a exigé une action rapide pour faire venir en Israël des milliers d'Ethiopiens qui prétendent actuellement avoir le droit d'immigrer. Depuis, elle a intensifié ses exigences, menaçant d'une crise de coalition et "avertissant qu'elle ne peut pas être au gouvernement alors que des Juifs éthiopiens sont massacrés", a déclaré une source proche d'elle.

Le ministre des Affaires de la diaspora, Nachman Shai, du parti travailliste, s'est joint aux demandes de Tamano-Shata au sein du cabinet, mais aucun de leurs chefs de parti ne s'y est rallié. Le chef du Kahol Lavan, le ministre de la Défense Benny Gantz, serait opposé à toute action immédiate, tandis que le chef du Parti travailliste, la ministre des Transports Merav Michaeli, n'a pas exprimé d'opinion sur la question. Aucun autre chef de parti ne s'est exprimé et la position officielle du Conseil de sécurité nationale du bureau du Premier ministre est qu'il n'y a aucun danger pour les Éthiopiens qui attendent des réponses sur leur statut d'immigrant israélien.

02/11/2021

ANTONIO MAZZEO
Abiy Ahmed, le Prix Nobel de la Paix éthiopien, fait son shopping de drones tueurs en Turquie, Iran et Israël pour ratiboiser le Tigré rebelle

Antonio Mazzeo, Africa ExPress, 29/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Nouvelle escalade dans le conflit au Tigré ; les forces armées d'Addis-Abeba s'approvisionnent en drones tueurs en Turquie.

Brandan Reynolds, Afrique du Sud

Selon le quotidien turc Daily Sabah, la société militaire privée "Baykar" d'Istanbul, spécialisée dans la production d'avions sans pilote, de systèmes de commandement, de contrôle et d'intelligence (C3I) et d'intelligence artificielle, après avoir conclu un accord avec le Royaume du Maroc, est sur le point de signer un contrat avec les forces armées éthiopiennes pour la fourniture de drones "Bayraktar TB2", de pièces de rechange et d'un soutien à la formation du personnel militaire.

Abiy Ahmed, Premier ministre de l'Éthiopie et le Président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan

La nouvelle a été confirmée par l'agence de presse Reuters. « La Turquie, l'Éthiopie et le Maroc n'ont pas annoncé officiellement d'accord sur les drones armés, mais plusieurs sources suivant les négociations nous ont fourni des détails », rapporte l'agence de presse. « Un diplomate qui a requis l'anonymat a déclaré que le Maroc avait déjà reçu le premier lot de drones commandé en mai 2021. L'Éthiopie prévoit de les acheter prochainement, mais aucun détail n'a été donné sur le nombre d'appareils prévus ni sur leur coût. L'état -major général et le bureau du Premier ministre éthiopien n'ont pas voulu commenter nos rapports ». Les autorités gouvernementales turques n'ont pas non plus confirmé ni infirmé les rapports des médias.