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02/11/2025

El auge del Thielverso y el Estado de vigilancia: anatomía del tecnofascismo en marcha en USA


Transcrito y traducido por Tlaxcala

Resumen sintético de la entrevista

La entrevista entre Chris Hedges y Whitney Webb explora la mutación silenciosa del poder en la era digital: la fusión entre el Estado securitario y los gigantes de Silicon Valley.
Whitney Webb traza la filiación directa entre el programa de vigilancia Total Information Awareness, concebido por John Poindexter tras el 11 de septiembre, y Palantir, la empresa fundada en 2003 por Peter Thiel con el apoyo de la CIA. Este traslado del espionaje público al sector privado convirtió la vigilancia en un mercado. El ciudadano deja de ser un sujeto de derecho para transformarse en un flujo de datos.
Bajo el pretexto de la seguridad y la salud pública, Palantir y sus derivados han generalizado la lógica del precrimen: predecir los comportamientos, identificar los riesgos antes de que ocurran y administrar la sociedad como si fuera un algoritmo.
El Estado profundo no desaparece: se reconfigura en torno a las tecnologías predictivas, alimentadas por los gigantes digitales.
En torno a Thiel gravita la llamada PayPal Mafia – Musk, Altman, Vance, Luckey, Sacks –, que transforma el capitalismo tecnológico en ideología política: un Estado privatizado dirigido como una empresa.
La “gobernanza por IA” y la militarización de la tecnología (Palantir, Anduril, SpaceX) consagran la fusión del poder militar, financiero y digital.
A esta arquitectura se suma la contribución israelí: la unidad 8200 y sus empresas emergentes de ciberespionaje (Black Cube, NSO, Carbyne) prolongan el modelo usamericano a escala global, donde los datos y los algoritmos circulan entre Tel Aviv, Washington y Silicon Valley.
Este sistema no impone la tiranía por la fuerza, sino por la seducción del confort: seguridad, eficiencia, personalización. La libertad se convierte en una opción que se marca en una casilla, y la propaganda en una función nativa de las plataformas.
Para Hedges y Webb, la resistencia no puede ser puramente tecnológica: es moral y política. Rechazar la servidumbre digital, apoyar las redes libres y los medios independientes es preservar la parte humana en un mundo donde el poder pretende cuantificarlo todo — incluso la conciencia.

Descargar traducción de la entrevista

 


 

 

 

 


L’essor du Thielverse et l’État de surveillance : anatomie du technofascisme en marche aux USA


Transcrit et traduit par Tlaxcala

Résumé synthétique de l’entretien

L’entretien entre Chris Hedges et Whitney Webb explore la mutation silencieuse du pouvoir à l’ère numérique : la fusion entre l’État sécuritaire et les géants de la Silicon Valley.

Whitney Webb retrace la filiation directe entre le programme de surveillance Total Information Awareness de John Poindexter, conçu après le 11 septembre, et Palantir, la société fondée en 2003 par Peter Thiel avec le soutien de la CIA. Ce transfert du renseignement public vers le secteur privé a fait de la surveillance un marché. Le citoyen n’est plus un sujet de droit, mais un flux de données.

Sous prétexte de sécurité et de santé publique, Palantir et ses dérivés ont généralisé la logique du pré-crime : prédire les comportements, identifier les risques avant qu’ils ne se produisent, administrer la société comme un algorithme.

L’État profond ne disparaît pas : il se reconfigure autour des technologies prédictives, alimentées par les géants du numérique.

Autour de Thiel gravite la PayPal Mafia – Musk, Altman, Vance, Luckey, Sacks – qui transforme le capitalisme technologique en idéologie politique : un État privatisé dirigé comme une entreprise. La “gouvernance par IA” et la militarisation des technologies (Palantir, Anduril, SpaceX) consacrent la fusion du militaire, du financier et du numérique.

À cette architecture s’ajoute la contribution israélienne : l’unité 8200 et ses start-ups de cybersurveillance (Black Cube, NSO, Carbyne) prolongent le modèle usaméricain à l’échelle globale, où les données et les algorithmes circulent entre Tel-Aviv, Washington et la Silicon Valley.

Ce système n’impose pas la tyrannie par la force, mais par la séduction du confort : sécurité, efficacité, personnalisation. La liberté devient un paramètre à cocher, la propagande une fonction native des plateformes.

Pour Hedges et Webb, la résistance ne peut être purement technologique : elle est morale et politique. Refuser la servitude numérique, soutenir les réseaux libres et les médias indépendants, c’est préserver la part d’humain dans un monde où le pouvoir cherche à tout quantifier — y compris la conscience.

 Chris Hedges

Beaucoup de personnes, y compris certains libéraux, ont cru à tort que l’administration Trump allait démanteler « l’État profond ». En réalité, comme la journaliste d’investigation Whitney Webb l’a documenté, Trump est étroitement lié aux figures les plus autoritaires de la Silicon Valley, notamment Peter Thiel, qui imagine un monde où nos habitudes, nos penchants, nos opinions et nos déplacements seraient méticuleusement enregistrés et suivis. Ces alliés de Trump n’ont nullement l’intention de nous libérer de la tyrannie des agences de renseignement, de la police militarisée, du plus vaste système carcéral du monde, des entreprises prédatrices ou de la surveillance de masse.

Ils ne rétabliront pas l’État de droit pour demander des comptes aux puissants et aux riches. Ils ne réduiront pas non plus les dépenses incontrôlées du Pentagone, qui atteignent près de mille milliards de dollars. Ils purgent rapidement la fonction publique, les forces de l’ordre et l’armée, non pour éradiquer l’État profond, mais pour s’assurer que ceux qui dirigent la machine étatique soient entièrement loyaux aux caprices et aux diktats de la Maison-Blanche de Trump. Ce qui est visé, ce ne sont pas les réseaux clandestins, mais les lois, règlements et protocoles – tout ce qui limite le contrôle dictatorial absolu. Les compromis, la séparation des pouvoirs et la reddition de comptes sont voués à disparaître.

Ceux qui croient que le gouvernement doit servir le bien commun plutôt que les diktats d’une poignée de milliardaires seront éliminés. L’État profond sera reconstitué pour servir le culte du chef. Les lois et les droits inscrits dans la Constitution deviendront sans objet. C’est un coup d’État lent, imposé par étapes, appliqué brutalement par les forces de l’immigration et des douanes (ICE) dans les rues de nos villes, soutenues par Palantir de Thiel et les outils de surveillance numérique alimentés par l’intelligence artificielle.

Pour en parler, je reçois Whitney Webb, journaliste d’investigation et autrice de One Nation Under Blackmail [Une nation soumise au chantage], que l’on peut suivre sur son site ouèbe Unlimited Hangout.

Whitney, commençons par le début : John Poindexter et l’affaire Iran-Contra, que j’ai couverte quand j’étais au Nicaragua, car c’est vraiment l’origine de ce dans quoi on se trouve aujourd’hui.

Whitney Webb

Oui, c’est un excellent point de départ, merci Chris. John Poindexter, comme vous le savez, fut conseiller à la sécurité nationale sous Reagan et le plus haut responsable de son administration inculpé dans le scandale Iran-Contra.

Mais il est aussi considéré comme le « parrain de la surveillance moderne ». Juste après le 11 septembre, il a dirigé un programme de la DARPA appelé Total Information Awareness – ou Connaissance Totale de l’Information. Après Reagan, Poindexter avait travaillé pour plusieurs entreprises technologiques, ancêtres de ce que deviendront Palantir et TIA, comme Saffron Technology ou Cintech Technologies – des sous-traitants du département de la Défense qui cherchaient à employer l’analyse prédictive pour anticiper les actes terroristes, bien avant 2001.

Lorsque TIA fut révélée, l’ACLU [Union américaine pour les libertés civiles] et d’autres organisations dénoncèrent une menace directe contre le droit à la vie privée. La presse se moqua du programme en disant qu’il « combattrait le terrorisme en terrorisant les citoyens ». En mai 2003, face au tollé, on le rebaptisa Terrorism Information Awareness, sans en changer la nature.

Ce même mois, Peter Thiel fonda Palantir. Thiel et Alex Karp contactèrent Poindexter par l’intermédiaire de Richard Perle afin de privatiser le programme : ils comprirent que dans le secteur privé, le scandale s’éteindrait. Ce fut le cas.

Le financement de Palantir provenait de Thiel lui-même et du fonds de la CIA, In-Q-Tel. L’un des responsables, Alan Wade, avait travaillé avec Poindexter sur TIA. Pendant ses six premières années, Palantir n’eut qu’un seul client : la CIA. Ses ingénieurs se rendaient à Langley toutes les deux semaines. Alex Karp a reconnu que la CIA avait toujours été le client visé.

Chris Hedges

Expliquez ce que faisait ce programme et quel en était le but.

Whitney Webb

L’objectif de Poindexter était immense : recueillir toutes les données possibles – bancaires, de santé, de communications – pour prédire les actions avant qu’elles ne se produisent.

L’un des volets les plus absurdes fut le marché à terme du terrorisme : un système de paris où des investisseurs misaient sur la probabilité d’attentats ou de coups d’État au Moyen-Orient.

Un autre volet concernait la santé, la biosurveillance, ancêtre des systèmes que Palantir a ensuite mis en place pour le ministère de la Santé (HHS) pendant le COVID, en analysant par exemple les eaux usées pour prévoir les épidémies. Aujourd’hui, Palantir gère les données sanitaires du HHS, des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies), et du NHS (Service national de santé) britannique

Chris Hedges

Et Palantir aujourd’hui ?

Whitney Webb

L’entreprise s’est imposée comme moteur d’intelligence artificielle pour Wall Street et sous-traitant de toutes les agences américaines : DHS, ICE, NSA, FBI. Sa technologie est utilisée pour la « police prédictive » – c’est-à-dire la surveillance des quartiers pauvres et racisés sous prétexte de prévention. Les systèmes comme PredPol se sont révélés d’une inexactitude extrême, pires qu’un pile-ou-face.

Quand Palantir se retire, une autre société liée à Thiel, Carbyne 911 – financée aussi par Jeffrey Epstein et dirigée par Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien – prend la relève en gérant les systèmes d’urgence 911.

Ainsi, les ambitions de Poindexter se sont réalisées, accélérées sous prétexte de pandémie et de sécurité.

Chris Hedges

En somme, tout cela aboutit à créer des profils pour chaque citoyen ?

Whitney Webb

Exactement. Et cela a été reconnu publiquement. L’administration Trump utilisait Palantir pour bâtir des bases de données sur chaque USAméricain. Ce n’est que la version officielle d’un ancien système clandestin appelé Main Core, mis au point à l’époque d’Iran-Contra et qui continue d’exister.

L’idée était d’établir un registre secret des personnes considérées comme « potentiellement subversives ». Ce que Palantir fait aujourd’hui de manière légale, avec la puissance de calcul et les moyens du secteur privé.

Sous Trump, après la fusillade d’El Paso, le procureur général William Barr lança le programme DEEP – Disruption and Early Engagement Program. Ce dispositif posait les bases juridiques du « pré-crime », c’est-à-dire l’intervention avant que le crime ne soit commis. Trump proposa aussi d’utiliser les réseaux sociaux pour détecter les signes avant-coureurs de violence à l’aide d’algorithmes.

Ces projets ont ensuite été repris, sous des noms différents, par l’administration suivante. Aujourd’hui, Palantir n’est plus seulement un acteur de la sécurité ; elle gère aussi des données pour le fisc, le Trésor et les infrastructures de santé publique.

Les racines de ce système remontent aux années 1980, lorsque les protocoles de continuité du gouvernement prévoyaient déjà de ficher les citoyens dissidents afin de pouvoir les localiser et les arrêter en cas de crise politique. À l’époque, une « crise » pouvait signifier de simples manifestations pacifiques contre la guerre.

Si cela existait déjà dans les années Reagan, imaginez ce qu’il en est aujourd’hui après vingt-cinq ans de perfectionnement technologique et la montée en puissance de la surveillance numérique !

Chris Hedges
Parlons maintenant de ce que vous appelez la PayPal Mafia : Palmer Luckey, J.D. Vance, Elon Musk, Sam Altman…

Whitney Webb
Ce groupe forme une véritable cabale. PayPal est né de la fusion de Confinity, fondée par Thiel, et de X.com, fondée par Musk. Avant son lancement, Thiel consulta déjà toutes les grandes agences USaméricaines à trois lettres [CIA, DIA, NSA, FBI etc.]. PayPal a « monétisé » Internet et a lié, dès ses débuts, la fintech [technologie financière] au pouvoir d’État.

Après sa vente à eBay, Thiel créa Palantir en réutilisant l’algorithme antifraude de PayPal comme base. Aujourd’hui, ses anciens associés dominent la politique et la technologie. David Sacks, autre vétéran de PayPal, dirige la politique de l’IA à la Maison-Blanche ; J.D. Vance doit sa carrière politique à Thiel ; Musk et Altman sont des alliés étroits.

Tous partagent une idéologie influencée par Curtis Yarvin : privatiser entièrement l’État et remplacer le président par un PDG-dictateur. Ce pseudo-libertarianisme est en réalité une apologie du pouvoir autoritaire privatisé.

Palantir et Anduril – l’entreprise de Palmer Luckey financée par Thiel – développent des armes autonomes et le mur intelligent à la frontière mexicaine : drones, capteurs, automatisation militaire. Ce n’est pas moins violent, simplement plus propre et plus déshumanisé.

Chris Hedges
Expliquez ce « mur intelligent » et son lien avec SpaceX, les cryptomonnaies, etc.

Whitney Webb
Le Smart Wall n’est pas un mur physique mais un réseau invisible de drones et de capteurs capables de détecter toute traversée non autorisée. Le « mur » s’étend au-delà de la frontière ; des millions d’USAméricains vivent désormais dans ce qu’on appelle une « zone hors Constitution ».

SpaceX est devenu un acteur militaire central ; Starlink alimente les communications de l’armée ukrainienne et a été proposé pour infiltrer l’Iran.
Parallèlement, un projet nommé Department of Government Efficiency – ou DOGE – vise à remplacer les fonctionnaires par des algorithmes d’IA détenus par la Silicon Valley.
Presque tous les géants du numérique, d’Oracle à Amazon, ont été liés aux services de renseignement dès leur origine.

Oracle, par exemple, vient directement d’un contrat de la CIA.
Aujourd’hui, Larry Ellison et Elon Musk contrôlent une part considérable des infrastructures médiatiques et techniques : Musk transforme Twitter (désormais X) en application-monde intégrant paiements, cryptomonnaie et communication.

L’administration Trump a encouragé l’usage des stablecoins, des monnaies numériques adossées au Trésor, afin de financer indirectement la dette publique et les budgets militaires.

Chris Hedges
Et Oracle ?

Whitney Webb
Oracle reste la colonne vertébrale des bases de données gouvernementales. Safra Catz, sa PDG, a joué un rôle clé auprès de Trump, notamment dans le limogeage du conseiller à la sécurité nationale, le lieutenant-général H.R. McMaster. Larry Ellison est devenu l’un des oligarques les plus puissants ; il rachète CBS, Paramount, CNN, et influence directement la politique usaméricaine.

Chris Hedges
Parlez-nous du lien entre Israël, la Silicon Valley et les services de renseignement.

Whitney Webb
Depuis les années 1990, Israël a bâti un écosystème entier de start-up issues de l’unité 8200 — c’est l’équivalent israélien de la NSA. C’est l’un des départements les plus sophistiqués du renseignement militaire au monde.
En 2012, le gouvernement israélien a officialisé une politique consistant à sous-traiter au secteur privé certaines opérations de renseignement autrefois menées directement par le Mossad ou le Shin Bet.

Cela signifiait qu’au lieu de recourir uniquement à des espions d’État, Israël encourageait la création d’entreprises dirigées par d’anciens officiers du renseignement, qui pouvaient ensuite travailler à la fois pour l’État et pour des clients étrangers.
Des sociétés comme Black Cube (rendue célèbre par son travail pour Harvey Weinstein) ou Carbyne 911 (soutenue par Peter Thiel et Jeffrey Epstein) sont directement issues de ce modèle.

Un financier usaméricain, Paul Singer — très proche du Likoud — a créé l’organisation Start-Up Nation Central, chargée de relier ces entreprises israéliennes aux grandes firmes usaméricaines.
Le but déclaré était de contourner le mouvement BDS et de renforcer les liens économiques entre Israël et la Silicon Valley.

Les géants usaméricains du numérique — Google, Microsoft, Intel, Amazon — recrutent massivement d’anciens membres de l’unité 8200. Certains de leurs départements de cybersécurité sont presque entièrement composés d’anciens officiers israéliens.
Résultat : la frontière entre les systèmes de surveillance israéliens et usaméricains s’est pratiquement effacée.

Les données, les algorithmes, les infrastructures cloud sont partagés. Et cette coopération dépasse la sécurité : elle touche la santé, la finance, la recherche scientifique.

L’effet politique est évident : la Silicon Valley et le complexe militaro-sécuritaire israélien fonctionnent désormais comme deux faces d’un même réseau.
Ils se protègent mutuellement, s’échangent leurs innovations et se financent entre eux.

Chris Hedges
Vers quel monde allons-nous, selon vous ?

Whitney Webb
Nous allons vers un monde où la frontière entre le public et le privé s’efface complètement. Ce qui se met en place, c’est la fusion du pouvoir patronal et du pouvoir étatique — le fascisme technologique dans sa forme la plus pure.

Les multinationales dépasseront les gouvernements en influence, mais elles se serviront de la structure gouvernementale pour imposer leurs intérêts.
Les citoyens, eux, deviendront des sources de données et des sujets d’expérimentation sociale.

Le dernier mémorandum présidentiel sur le « terrorisme domestique » en est un exemple : il élargit tellement la définition de l’extrémisme qu’il pourrait inclure toute personne critique du capitalisme, du système militaire ou de la politique étrangère usaméricaine.

Et maintenant, grâce à la légalisation de la propagande intérieure depuis l’administration Obama, le gouvernement peut utiliser les médias et les réseaux sociaux pour diffuser des messages ciblés aux citoyens.
Ce qui n’était autrefois que la propagande de guerre est devenu un outil de gestion de l’opinion quotidienne.

Les oligarques des médias — Ellison, Musk, Thiel — amplifient ce système.
Ils fournissent à la fois les plateformes technologiques, les flux d’information, et les filtres algorithmiques.
C’est un cycle fermé : ceux qui contrôlent les réseaux contrôlent la perception du réel.

Et cette perception peut être ajustée à volonté : un clic, un algorithme, un bannissement. La désinformation devient alors non pas un problème, mais une arme politique. Le plus effrayant, c’est que tout cela est présenté comme un progrès.
L’idée qu’on sacrifie la liberté individuelle pour la sécurité collective a été normalisée depuis le 11 septembre. Et aujourd’hui, la menace invoquée n’est plus le terrorisme étranger, mais le terrorisme intérieur.

Le concept est si vague qu’il englobe quiconque s’oppose au gouvernement, de gauche comme de droite. C’est une doctrine de contrôle social total.

Mais tout n’est pas perdu. Il est encore possible de bâtir des alternatives :
– créer des systèmes parallèles de communication et d’économie,
– quitter les plateformes de la Silicon Valley,
– soutenir les logiciels libres et les médias indépendants.

Il faut comprendre que la bataille n’est pas seulement politique ou technologique : elle est spirituelle.
Accepter la servitude numérique, c’est abdiquer notre humanité. Refuser la passivité, c’est déjà résister.

Chris Hedges
Merci, Whitney. Et merci à Diego, Victor, Sophia, Thomas et Max pour la production.




14/07/2025

CHRIS HEDGES
Trump, Epstein et l’État profond
Un “Satyricon” du XXIème siècle


Le refus de l’administration Trump de divulguer les dossiers et les vidéos d’Epstein ne vise pas seulement à protéger Trump, mais aussi la classe dirigeante. Ils appartiennent tous au même club.

Chris Hedges, The Chris Hedges Report, 12/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Satyricon américain, par M. Fish

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Le refus de l’administration Trump de divulguer les dossiers et les vidéos accumulés au cours des enquêtes sur les activités du pédocriminel Jeffrey Epstein devrait mettre fin à la croyance absurde, embrassée par les partisans de Trump et les libéraux crédules, selon laquelle Trump démantèlera l’État profond. Trump est et fait depuis longtemps partie de la cabale répugnante composée de politiciens – démocrates et républicains –, de milliardaires et de célébrités qui nous considèrent, nous, et souvent des filles et des garçons mineurs, comme des marchandises à exploiter pour leur profit ou leur plaisir.

La liste des personnes qui gravitaient autour d’Epstein est un véritable bottin mondain. Elle comprend non seulement Trump, mais aussi Bill Clinton, qui aurait fait un voyage en Thaïlande avec Epstein, le Prince AndrewBill Gates, le milliardaire gestionnaire de fonds spéculatifs Glenn Dubin, l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique Bill Richardson, l’ancien secrétaire au Trésor et ancien président de l’université Harvard Larry Summers, le psychologue cognitif et auteur Stephen Pinker, l’avocat Alan Dershowitz, le milliardaire et PDG de Victoria’s Secret Leslie Wexner, l’ancien banquier de Barclays Jes Staley, l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, le magicien David Copperfield, l’acteur Kevin Spacey, l’ancien directeur de la CIA Bill Burns, le magnat de l’immobilier Mort Zuckerman, l’ancien sénateur du Maine George Mitchell  et le producteur hollywoodien déchu Harvey Weinstein, qui se délectaient des perpétuelles Bacchanales d’Epstein.

Parmi eux des cabinets d’avocats et des avocats coûteux, des procureurs fédéraux et d’État, des enquêteurs privés, des assistants personnels, des agents publicitaires, des domestiques et des chauffeurs. On trouvait aussi de nombreux fournisseurs et proxénètes, dont la petite amie d’Epstein et fille de Robert Maxwell, Ghislaine Maxwell. Parmi eux les médias et les politiciens qui ont impitoyablement discrédité et réduit au silence les victimes, et qui ont utilisé la force contre quiconque, dont une poignée de journalistes intrépides, cherchant à révéler les crimes d’Epstein et son cercle de complices.

Beaucoup de choses restent encore dans l’ombre. Mais certaines choses sont connues. Epstein avait installé des caméras cachées dans ses somptueuses résidences et sur son île privée des Caraïbes, Little St. James, afin de filmer ses amis influents se livrant à des orgies et à des abus sexuels sur des adolescentes et des adolescents mineurs. Ces enregistrements constituaient une mine d’or pour le chantage. Faisaient-ils partie d’une opération des services secrets israéliens, le Mossad? Ou bien étaient-ils utilisés pour garantir à Epstein une source stable d’investisseurs qui lui versaient des millions de dollars pour éviter d’être démasqués ? Ou bien étaient-ils utilisés dans les deux cas ? Il faisait voyager des mineures entre New York et Palm Beach dans son jet privé, le Lolita Express, qui aurait été équipé d’un lit à orgies. Son cercle d’amis célèbres, dont Clinton  et Trump, sont enregistrés comme ayant voyagé à plusieurs reprises à bord de cet avion dans les registres de vol publiés, bien que de nombreux autres registres aient disparu.

Les vidéos d’Epstein sont conservées dans les archives du FBI, ainsi que des preuves détaillées qui lèveraient le voile sur les penchants sexuels et la cruauté des puissants. Je doute qu’il existe une liste de clients, comme l’affirme la procureure générale Pam Bondi. Il n’existe pas non plus de dossier unique sur Epstein. Les documents d’enquête accumulés sur Epstein remplissent de nombreuses boîtes qui encombreraient le bureau de Bondi et, s’ils étaient rassemblés dans une seule pièce, occuperaient probablement la majeure partie de son bureau.

Epstein s’est-il suicidé, comme l’affirme le rapport d’autopsie officiel, en se pendant dans sa cellule le 10 août 2019 au Metropolitan Correctional Center de New York ? Ou a-t-il été assassiné ? Les caméras qui enregistraient l’activité dans sa cellule cette nuit-là ne fonctionnaient pas, nous ne le savons donc pas. Michael Baden, médecin légiste engagé par le frère d’Epstein, qui a été médecin légiste en chef de la ville de New York et qui était présent lors de l’autopsie, a déclaré qu’il pensait que l’autopsie d’Epstein suggérait un homicide.

L’affaire Epstein est importante car elle fait voler en éclats le mythe des divisions profondes entre les démocrates, qui n’avaient pas plus intérêt que Trump à divulguer les dossiers Epstein, et les républicains. Ils appartiennent tous au même club. Elle révèle comment les tribunaux et les forces de l’ordre s’entendent pour protéger les personnalités puissantes qui se livrent à des crimes. Elle met à nu la dépravation de notre classe dirigeante exhibitionniste, qui n’a de comptes à rendre à personne et qui est libre de violer, piller, saccager et exploiter les faibles et les vulnérables. C’est le bilan sordide de nos maîtres oligarchiques, ceux qui sont incapables de ressentir la honte ou la culpabilité, qu’ils se déguisent en Donald Trump ou en Joe Biden.

Cette classe de parasites au pouvoir a été parodiée dans le roman satirique du premier siècle, le Satyricon par Gaius Petronius Arbiter, écrit sous les règnes de Caligula, Claude et Néron. Comme dans le Satyricon, le cercle d’Epstein était dominé par des pseudo-intellectuels, des bouffons prétentieux, des escrocs, des petits délinquants, des riches insatiables et des dépravés sexuels. Epstein et son cercle restreint se livraient régulièrement à des perversions sexuelles dignes de Pétrone, comme le documente Julie Brown, journaliste d’investigation au Miami Herald, dont les reportages acharnés ont largement contribué à la réouverture de l’enquête fédérale sur Epstein et Maxwell, dans son livre “Perversion of Justice : The Jeffrey Epstein Story”.

Comme l’écrit Brown, en 2016, une femme anonyme, utilisant le pseudonyme “Kate Johnson”, a déposé une plainte civile devant un tribunal fédéral de Californie, affirmant avoir été violée par Trump et Epstein lorsqu’elle avait treize ans, pendant quatre mois, de juin à septembre 1994.

« J’ai supplié Trump à grands cris d’arrêter », a-t-elle déclaré dans le procès concernant son viol. « Trump a répondu à mes supplications en me frappant violemment au visage avec sa main ouverte et en criant qu’il pouvait faire tout ce qu’il voulait. »

Brown poursuit :

Johnson a déclaré qu’Epstein l’avait invitée à une série de « soirées sexuelles avec des mineurs » dans son manoir de New York, où elle a rencontré Trump. Séduite par des promesses d’argent et des opportunités de devenir mannequin, Johnson a déclaré avoir été contrainte d’avoir des relations sexuelles avec Trump à plusieurs reprises, dont une fois avec une autre fille de douze ans, qu’elle a surnommée « Marie Doe ».

Trump a exigé une fellation, selon la plainte, puis « a repoussé les deux mineures tout en les réprimandant violemment pour la « mauvaise » qualité de leurs performances sexuelles », selon la plainte déposée le 26 avril devant la cour fédérale de Californie centrale.

Par la suite, lorsqu’Epstein a appris que Trump avait dépucelé Johnson, il aurait « tenté de la frapper à la tête avec ses poings fermés », furieux de ne pas avoir été celui qui lui avait pris sa virginité. Johnson a affirmé que les deux hommes avaient menacé de s’en prendre à elle et à sa famille si elle révélait ce qui s’était passé.

La plainte indique que Trump n’a pas participé aux orgies d’Epstein, mais qu’il aimait regarder, souvent pendant que « Kate Johnson », âgée de treize ans, lui faisait une fellation.

Il semble que Trump ait réussi à faire annuler le procès en achetant son silence. Elle a depuis disparu.

En 2008, Alex Acosta, qui était alors procureur fédéral pour le district sud de Floride, a négocié un accord de plaidoirie  pour Epstein. L’accord accordait l’immunité contre toutes les accusations criminelles fédérales à Epstein, à quatre complices nommés et à tout « complice potentiel » non identifié. L’accord a mis fin à l’enquête du FBI visant à déterminer s’il y avait d’autres victimes et d’autres personnalités influentes impliquées dans les crimes sexuels d’Epstein. Il a suspendu l’enquête et scellé l’acte d’accusation. Trump, dans ce que beaucoup considèrent comme un geste de gratitude, a nommé Acosta secrétaire au Travail lors de son premier mandat.

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Trump a envisagé de gracier Ghislaine Maxwell après son arrestation en juillet 2020, craignant qu’elle ne révèle des détails sur son amitié de plusieurs décennies avec Epstein, selon le biographe de Trump, Michael Wolff. En juillet 2022, Maxwell a été condamnée à 20 ans de prison.

« La relation la plus étroite de Jeffrey Epstein dans sa vie était celle qu’il entretenait avec Donald Trump... Ces deux hommes étaient inséparables depuis une bonne quinzaine d’années. Ils faisaient tout ensemble », a dit  Wolff à  Joanna Coles, animatrice du podcast The Daily Beast. « Et cela va du partage, de la conquête des femmes, de la chasse aux femmes, du partage d’au moins une petite amie pendant au moins un an dans ce genre de relation entre riches, avec les avions les uns des autres, jusqu’à Epstein conseillant Trump sur la manière de frauder le fisc. »

Les anomalies juridiques, notamment la disparition d’une grande quantité de preuves incriminant Epstein, ont permis à ce dernier d’échapper à des accusations fédérales de trafic sexuel en 2007, lorsque ses avocats ont négocié un accord secret avec Acosta. Il a pu plaider coupable dans des accusations moins graves au niveau de l’État, à savoir sollicitation d’une mineure à des fins de prostitution.

Les hommes éminents accusés d’avoir participé au carnaval pédocriminel d’Epstein, y compris l’avocat d’Epstein, Dershowitz, ont violemment menacé  quiconque chercherait à les exposer. Dershowitz, par exemple, affirme qu’une enquête qu’il a refusé de rendre publique, menée par l’ancien directeur du FBI Louis Freeh, prouve qu’il n’a jamais eu de relations sexuelles avec Virginia Giuffre, une victime d’Epstein qui a été livrée au prince Andrew alors qu’elle était âgée de 17 ans. Giuffre, l’une des rares victimes à avoir publiquement dénoncé ses agresseurs, a déclaré avoir été « passée de main en main comme un plateau de fruits » parmi les amis d’Epstein et de Maxwell, jusqu’à ce qu’elle parvienne à s’échapper à l’âge de 19 ans. Elle “s’est suicidée” en avril 2025. Dershowitz a envoyé plusieurs menaces à Brown et à ses rédacteurs en chef du Miami Herald.

Brown poursuit :

[Dershowitz] n’a cessé de faire référence à des informations contenues dans des documents scellés. Il a accusé le journal de ne pas rapporter les « faits » qui, selon lui, figuraient dans ces documents scellés. La vérité, ai-je tenté d’expliquer, c’est que les journaux ne peuvent pas écrire sur des choses simplement parce qu’Alan Dershowitz affirme qu’elles existent. Nous devons les voir. Nous devons les vérifier. Puis, parce que j’ai dit « montrez-moi les documents », il m’a publiquement accusée d’avoir commis un acte criminel en lui demandant de produire des documents qui étaient sous scellés judiciaires.

C’est ainsi que fonctionne Dershowitz.

Ce qui me dérange le plus chez ce bonhomme, c’est la façon dont les médias, à quelques exceptions près, ne le remettent pas en question de manière critique. Les journalistes ont vérifié les faits rapportés par Donald Trump et d’autres membres de son administration presque tous les jours, mais dans l’ensemble, les médias semblent laisser Dershowitz s’en tirer à bon compte dans l’affaire Epstein.

En 2015, lorsque les accusations de Giuffre ont été rendues publiques pour la première fois, Dershowitz est apparu dans toutes les émissions de télévision imaginables, jurant, entre autres, que les registres de vol d’Epstein le disculperaient. « Comment le savez-vous ? » lui a-t-on demandé.

Il a répondu qu’il n’avait jamais été dans l’avion d’Epstein pendant la période où Virginia était impliquée avec Epstein.

Mais si les médias avaient vérifié, ils auraient pu apprendre que, selon les registres, il était bien passager à bord de l’avion pendant cette période.

Il a ensuite déclaré sous serment qu’il n’avait jamais pris l’avion sans sa femme. Mais il figurait sur les listes d’embarquement comme ayant voyagé à plusieurs reprises sans sa femme. Lors d’au moins un voyage, il se trouvait dans l’avion avec une mannequin nommée Tatiana.

Epstein a fait don d’argent à Harvard et a été nommé chercheur invité au département de psychologie de Harvard, bien qu’il n’ait aucune qualification universitaire dans ce domaine. Il s’est vu remettre une carte magnétique et un code d’accès, ainsi qu’un bureau dans le bâtiment qui abrite le programme de dynamique évolutive de Harvard. Dans ses communiqués de presse, il se présentait comme « Jeffrey Epstein, philanthrope scientifique », « Jeffrey Epstein, militant pour l’éducation », « Jeffrey Epstein, évolutionniste », « Jeffrey Epstein, mécène des sciences » et « Jeffrey Epstein, gestionnaire de fonds spéculatifs non-conformiste ».

Epstein, reproduisant les prétentions et la vacuité des personnages parodiés dans le chapitre “Le dîner chez Trimalcion” du Satyricon, organisait des dîners somptueux pour ses amis milliardaires, parmi lesquels Elon Musk, Salar Kamangar et Jeff Bezos. Il imaginait des stratagèmes sociaux étranges, notamment un plan  pour ensemencer l’espèce humaine avec son propre ADN en créant un bébé composite dans son immense ranch au Nouveau-Mexique.

« Epstein était également obsédé par la cryogénisation, une philosophie transhumaniste dont les adeptes croient que les êtres humains peuvent être reproduits ou ramenés à la vie après avoir été congelés », écrit Brown. « Epstein aurait déclaré à certains membres de son cercle scientifique qu’il souhaitait inséminer des femmes avec son sperme afin qu’elles donnent naissance à ses enfants, et qu’il voulait que sa tête et son  pénis soient congelés”.

L’affaire Epstein est révélatrice de la faillite morale, de l’hédonisme et de la cupidité de la classe dirigeante. Cela transcende les clivages politiques. C’est le dénominateur commun entre les politiciens démocrates, tels que Bill Clinton, les philanthropes, tels que Bill Gates, la classe des milliardaires et Trump. Ils forment une seule et même classe de prédateurs et d’escrocs. Ce ne sont pas seulement les filles et les femmes qu’ils exploitent, mais nous tous.

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07/07/2025

CHRIS HEDGES
Ils tirent profit du génocide : Francesca Albanese dénonce les principaux complices

Le dernier rapport des Nations Unies cite des centaines d'entreprises, de banques, de sociétés technologiques, d'universités, de fonds de pension et d'organisations caritatives qui tirent profit de l'occupation israélienne et du génocide.

Chris Hedges, The Chris Hedges Report2/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Murder in the Bank - par M. Fish

 

La guerre est un business. Tout comme le génocide. Le récent rapport présenté par Francesca Albanese, Rapporteure spéciale sur les territoires palestiniens occupés, répertorie 48 entreprises et institutions, dont Palantir Technologies Inc., Lockheed Martin, Alphabet Inc., Amazon, International Business Machine Corporation (IBM), Caterpillar Inc., Microsoft Corporation et le Massachusetts Institute of Technology (MIT), ainsi que des banques et des sociétés financières telles que Blackrock, des assureurs, des sociétés immobilières et des organisations caritatives, qui, en violation du droit international, tirent des milliards de dollars de l'occupation et du génocide des Palestiniens.

 

Le rapport, qui comprend une base de données de plus de 1 000 entités commerciales collaborant avec Israël, exige que ces entreprises et institutions rompent leurs liens avec Israël ou soient tenues responsables de complicité dans des crimes de guerre. Il décrit « l'occupation éternelle » d'Israël comme « le terrain d'essai idéal pour les fabricants d'armes et les géants de la technologie, offrant une offre et une demande importantes, peu de contrôle et aucune reddition de comptes, tandis que les investisseurs et les institutions privées et publiques en tirent librement profit ».

 

Les procès des industriels comme IG Farben après l'Holocauste et la Commission vérité et réconciliation sud-africaine ont établi le cadre juridique permettant de reconnaître la responsabilité pénale des institutions et des entreprises qui participent à des crimes internationaux. Ce nouveau rapport indique clairement que les décisions rendues par la Cour internationale de justice imposent aux entités « de ne pas s'engager et/ou de se retirer totalement et inconditionnellement de toute transaction associée, et de veiller à ce que tout engagement avec les Palestiniens permette leur autodétermination ».

 

« Le génocide à Gaza n'a pas cessé parce qu'il est lucratif, il est profitable pour beaucoup trop de gens », m'a dit Mme Albanese. « C'est un business. Il existe des entités commerciales, y compris dans des États favorables à la Palestine, qui depuis des décennies font des affaires et tirent profit de l'économie de l'occupation. Israël a toujours exploité les terres, les ressources et la vie des Palestiniens. Les profits ont continué et ont même augmenté à mesure que l'économie de l'occupation s'est transformée en une économie de génocide. »

 

En outre, a-t-elle ajouté, les Palestiniens ont fourni « des terrains d'entraînement illimités pour tester les technologies, les armes, les techniques de surveillance qui sont désormais utilisées contre les populations partout dans le monde, du Sud au Nord ».


Le rapport fustige les entreprises qui « fournissent à Israël les armes et les machines nécessaires pour détruire les maisons, les écoles, les hôpitaux, les lieux de loisirs et de culte, les moyens de subsistance et les actifs productifs, tels que les oliveraies et les vergers ».

 

Le territoire palestinien, note le rapport, est un « marché captif » en raison des restrictions imposées par Israël sur le commerce et les investissements, la plantation d'arbres, la pêche et l'eau pour les colonies. Les entreprises ont tiré profit de ce « marché captif » en « exploitant la main-d'œuvre et les ressources palestiniennes, en dégradant et en détournant les ressources naturelles, en construisant et en alimentant les colonies, et en vendant et commercialisant les biens et services dérivés en Israël, dans les territoires palestiniens occupés et dans le monde entier ».

 

« Israël tire profit de cette exploitation, tandis que cela coûte à l'économie palestinienne au moins 35 % de son PIB », note le rapport.

 

Les banques, les sociétés de gestion d'actifs, les fonds de pension et les assureurs ont « canalisé des financements vers l'occupation illégale », accuse le rapport. En outre, « les universités — centres de croissance et de pouvoir intellectuels — ont soutenu l'idéologie politique qui sous-tend la colonisation des terres palestiniennes, développé des armes et ignoré, voire approuvé, la violence systémique, tandis que les collaborations mondiales en matière de recherche ont masqué l'effacement des Palestiniens derrière un voile de neutralité académique ».

 

Les technologies de surveillance et d'incarcération « sont devenues des outils permettant de cibler sans discernement la population palestinienne », note le rapport. « Les engins lourds précédemment utilisés pour démolir des maisons, détruire des infrastructures et saisir des ressources en Cisjordanie ont été réutilisés pour raser le paysage urbain de Gaza, empêchant les populations déplacées de revenir et de se reconstituer en tant que communauté ».

 

L'assaut militaire contre les Palestiniens a également « fourni un terrain d'essai pour des capacités militaires de pointe : plates-formes de défense aérienne, drones, outils de ciblage alimentés par l'intelligence artificielle et même le programme F-35 mené par les USA. Ces technologies sont ensuite commercialisées comme « éprouvées au combat ».

 

Depuis 2020, Israël est le huitième exportateur d'armes au monde. Ses deux plus grandes entreprises d'armement sont Elbit Systems Ltd et la société publique Israel Aerospace Industries Ltd (IAI). Il a conclu une série de partenariats internationaux avec des entreprises d'armement étrangères , notamment « pour l'avion de combat F-35, dirigé par la société usaméricaine Lockheed Martin ».

 

« Des composants et des pièces fabriqués dans le monde entier contribuent à la flotte israélienne de F-35, qu'Israël personnalise et entretient en partenariat avec Lockheed Martin et des entreprises nationales », indique le rapport. Depuis octobre 2023, les avions F-35 et F-16 ont « joué un rôle essentiel dans l'équipement d'Israël avec une puissance aérienne sans précédent, lui permettant de larguer environ 85 000 tonnes de bombes, dont la plupart non guidées, tuant et blessant plus de 179 411 Palestiniens et détruisant Gaza ».

 

« Les drones, hexacoptères et quadricoptères ont également été des machines à tuer omniprésentes dans le ciel de Gaza », indique le rapport. « Les drones, largement développés et fournis par Elbit Systems et Israel Aerospace Industries, volent depuis longtemps aux côtés des avions de combat, surveillant les Palestiniens et fournissant des renseignements sur les cibles. Au cours des deux dernières décennies, grâce au soutien de ces entreprises et à la collaboration d'institutions telles que le Massachusetts Institute of Technology, les drones utilisés par Israël ont été équipés de systèmes d'armes automatisés et ont acquis la capacité de voler en formation en essaim. »

 

Les entreprises japonaises FANUC vendent des produits d'automatisation et « fournissent des machines robotiques pour les chaînes de production d'armes, notamment à IAI, Elbit Systems et Lockheed Martin ».

 

« Des compagnies maritimes telles que la danoise A.P. Møller— Maersk A/S transportent des composants, des pièces, des armes et des matières premières, assurant un flux constant d'équipements militaires fournis par les USA après octobre 2023. »

 

Les dépenses militaires israéliennes ont augmenté de 65 % entre 2023 et 2024, pour atteindre 46,5 milliards de dollars, l'un des montants les plus élevés par habitant au monde. Cela a entraîné une forte augmentation de leurs bénéfices annuels, tandis que les entreprises d'armement étrangères, en particulier les fabricants de munitions et d'artillerie, en ont également profité.

 

Dans le même temps, les entreprises technologiques ont tiré profit du génocide en « fournissant des infrastructures à double usage pour intégrer la collecte et la surveillance de données de masse, tout en profitant du terrain d'essai unique pour les technologies militaires qu'offrent les territoires palestiniens occupés ». Elles améliorent « les services carcéraux et de surveillance, depuis les réseaux de télévision en circuit fermé (CCTV), la surveillance biométrique, les réseaux de points de contrôle à la pointe de la technologie, les « murs intelligents » et la surveillance par drone, jusqu'au cloud computing, à l'intelligence artificielle et à l'analyse de données qui soutiennent le personnel militaire sur le terrain ».

 

« Les entreprises technologiques israéliennes se développent souvent à partir d'infrastructures et de stratégies militaires », indique le rapport, « comme l'a fait le groupe NSO, fondé par d'anciens membres de l'unité 8200. Son logiciel espion Pegasus, conçu pour la surveillance secrète des smartphones, a été utilisé contre des militants palestiniens et commercialisé dans le monde entier pour cibler des dirigeants, des journalistes et des défenseurs des droits humains. Exportée en vertu de la loi sur le contrôle des exportations de défense, la technologie de surveillance du groupe NSO permet une « diplomatie des logiciels espions » tout en renforçant l'impunité de l'État. »

 

IBM, dont la technologie a facilité la production et le traitement par l'Allemagne nazie de cartes perforées pour les données du recensement national, la logistique militaire, les statistiques des ghettos, la gestion du trafic ferroviaire et la capacité des camps de concentration, est une fois de plus partenaire du génocide actuel.

 

Elle est présente en Israël depuis 1972. Elle dispense des formations aux agences militaires et de renseignement israéliennes, en particulier à l'unité 8200, qui est chargée des opérations clandestines, de la collecte de renseignements sur les signaux et du décryptage de codes, ainsi que du contre-espionnage, de la cyberguerre, du renseignement militaire et de la surveillance.

 

« Depuis 2019, IBM Israël exploite et met à niveau la base de données centrale de l'Autorité de la population et de l'immigration, permettant la collecte, le stockage et l'utilisation par le gouvernement des données biométriques sur les Palestiniens, et soutenant le régime discriminatoire des permis d'Israël », note le rapport.

 

Microsoft, présent en Israël depuis 1989, est « intégré dans les services pénitentiaires, la police, les universités et les écoles, y compris dans les colonies. Microsoft intègre ses systèmes et ses technologies civiles dans l'armée israélienne depuis 2003, tout en acquérant des start-ups israéliennes spécialisées dans la cybersécurité et la surveillance ».

 

« À mesure que l'apartheid israélien, l'armée et les systèmes de contrôle de la population génèrent des volumes de données de plus en plus importants, le recours au stockage et au calcul dans le cloud s'est accru », indique le rapport. « En 2021, Israël a attribué à Alphabet Inc. (Google) et Amazon.com, Inc. un contrat de 1,2 milliard de dollars (projet Nimbus), financé en grande partie par le ministère de la Défense, pour fournir une infrastructure technologique de base. »

 

Microsoft, Alphabet Inc. et Amazon « accordent à Israël un accès pratiquement illimité à leurs technologies de cloud et d'intelligence artificielle, améliorant ainsi les capacités de traitement des données, de prise de décision, de surveillance et d'analyse. »

 

L'armée israélienne, souligne le rapport, « a développé des systèmes d'intelligence artificielle tels que « Lavender », « Gospel » et « Where's Daddy ? » pour traiter les données et générer des listes de cibles, redéfinissant ainsi la guerre moderne et illustrant la double nature de l'intelligence artificielle ». Selon le rapport, il existe des « motifs raisonnables » de croire que Palantir Technology Inc., qui entretient des relations de longue date avec Israël, « a fourni une technologie de police prédictive automatique, une infrastructure de défense essentielle pour la construction et le déploiement rapides et à grande échelle de logiciels militaires, ainsi que sa plateforme d'intelligence artificielle, qui permet l'intégration en temps réel des données du champ de bataille pour une prise de décision automatisée ».


 

En avril 2025, le PDG de Palantir a répondu aux accusations selon lesquelles Palantir tue des Palestiniens à Gaza en déclarant : « Il s'agit principalement de terroristes, c'est vrai ».

 

« Les technologies civiles ont longtemps servi d'outils à double usage pour l'occupation coloniale », indique le rapport. « Les opérations militaires israéliennes s'appuient fortement sur les équipements des principaux fabricants mondiaux pour « déraciner » les Palestiniens de leurs terres, démolir leurs maisons, leurs bâtiments publics, leurs terres agricoles, leurs routes et autres infrastructures vitales. Depuis octobre 2023, ces machines ont joué un rôle essentiel dans la destruction de 70 % des structures et de 81 % des terres agricoles à Gaza. »

 

Depuis des décennies, Caterpillar Inc. fournit à l'armée israélienne des équipements utilisés pour démolir des maisons, des mosquées et des hôpitaux palestiniens, ainsi que pour « enterrer vivants des Palestiniens blessés », et a tué des militants, tels que Rachel Corrie.

 

« Israël a transformé le bulldozer D9 de Caterpillar en une arme automatisée et télécommandée, utilisée par l'armée israélienne dans presque toutes les opérations militaires depuis 2000 pour dégager les lignes d'incursion, « neutraliser » le territoire et tuer des Palestiniens », indique le rapport. Cette année, Caterpillar « a obtenu un nouveau contrat de plusieurs millions de dollars avec Israël ».

 

« La société coréenne HD Hyundai et sa filiale partielle Doosan, ainsi que le groupe suédois Volvo et d'autres grands fabricants de machines lourdes, sont depuis longtemps liés à la destruction de biens palestiniens, chacun fournissant des équipements par l'intermédiaire de concessionnaires israéliens sous licence exclusive », indique le rapport.

 

« Tout en contribuant à la destruction de la vie palestinienne dans les territoires palestiniens occupés, les entreprises ont également aidé à construire ce qui la remplace : des colonies et leurs infrastructures, l'extraction et le commerce de matériaux, d'énergie et de produits agricoles, et l'accueil de visiteurs dans les colonies comme s'il s'agissait d'une destination de vacances ordinaire. »

 

« Plus de 371 colonies et avant-postes illégaux ont été construits, alimentés en énergie et commercialisés par des entreprises facilitant le remplacement par Israël de la population indigène dans les territoires palestiniens occupés », conclut le rapport.

 

Ces projets de construction ont utilisé des excavatrices et des équipements lourds Caterpillar, HD Hyundai et Volvo. Hanson Israel, une filiale de la société allemande Heidelberg Materials AG, « a contribué au pillage de millions de tonnes de roche dolomitique dans la carrière de Nahal Raba, sur des terres saisies à des villages palestiniens en Cisjordanie ». La dolomite extraite est utilisée pour construire des colonies juives en Cisjordanie.

 

Les entreprises étrangères ont également « contribué au développement des routes et des infrastructures de transport public indispensables à la création et à l'expansion des colonies, et à leur connexion avec Israël, tout en excluant et en ségréguant les Palestiniens ».

 

Des sociétés immobilières mondiales vendent des propriétés dans les colonies à des acheteurs israéliens et internationaux. Parmi ces sociétés immobilières figure Keller Williams Realty LLC, qui « possède des succursales dans les colonies » par l'intermédiaire de sa franchise israélienne KW Israel. L'année dernière, par l'intermédiaire d'une autre franchise appelée Home in Israel, Keller Williams « a organisé une tournée de présentation immobilière au Canada et aux USA, parrainée conjointement par plusieurs sociétés qui développent et commercialisent des milliers d'appartements dans les colonies ».

 

Des plateformes de location, notamment Booking.com et Airbnb, proposent des biens immobiliers et des chambres d'hôtel dans des colonies juives illégales en Cisjordanie.

 

La société chinoise Bright Dairy & Food est l'actionnaire majoritaire de Tnuva, le plus grand conglomérat alimentaire israélien, qui utilise des terres saisies aux Palestiniens en Cisjordanie.

 

Dans le secteur de l'énergie, « Chevron Corporation, en consortium avec l'israélien NewMedEnergy (une filiale du groupe Delek répertorié dans la base de données du HCDH), extrait du gaz naturel des gisements de Leviathan et Tamar ; elle a versé 453 millions de dollars de redevances et de taxes au gouvernement israélien en 2023. Le consortium Chevron fournit plus de 70 % de la consommation énergétique israélienne. Chevron tire également profit de sa participation dans le gazoduc East Mediterranean Gas, qui traverse le territoire maritime palestinien, et des ventes de gaz à l'Égypte et à la Jordanie. »

 

BP et Chevron sont également « les principaux contributeurs aux importations israéliennes de pétrole brut, en tant que propriétaires majeurs respectivement du pipeline stratégique Azeri Bakou-Tbilisi-Ceyhan et du Kazakh Caspian Pipeline Consortium, ainsi que des champs pétrolifères associés. Chaque conglomérat a effectivement fourni 8 % du pétrole brut israélien entre octobre 2023 et juillet 2024, complété par des livraisons de pétrole brut provenant des champs pétroliers brésiliens, dans lesquels Petrobras détient les participations les plus importantes, et de carburant pour avions militaires. Le pétrole de ces sociétés alimente deux raffineries israéliennes.

« En fournissant à Israël du charbon, du gaz, du pétrole et du carburant, les entreprises contribuent aux infrastructures civiles qu'Israël utilise pour consolider son annexion permanente et qui servent désormais à détruire la vie des Palestiniens à Gaza », indique le rapport. « Les mêmes infrastructures auxquelles ces entreprises fournissent des ressources ont servi l'armée israélienne et sa destruction technologique et énergivore de Gaza. »

 

Les banques et les sociétés financières internationales ont également soutenu le génocide en achetant des bons du Trésor israéliens.

 

« En tant que principale source de financement du budget de l'État israélien, les bons du Trésor ont joué un rôle essentiel dans le financement de l'offensive en cours contre Gaza », indique le rapport. « De 2022 à 2024, le budget militaire israélien est passé de 4,2 % à 8,3 % du PIB, entraînant un déficit budgétaire public de 6,8 %. Israël a financé ce budget en forte expansion en augmentant ses émissions d'obligations, notamment 8 milliards de dollars en mars 2024 et 5 milliards de dollars en février 2025, parallèlement à des émissions sur son marché intérieur du nouveau shekel. »

 

Le rapport note que certaines des plus grandes banques mondiales, notamment BNP Paribas et Barclays, « sont intervenues pour renforcer la confiance du marché en souscrivant ces obligations d'État internationales et nationales, permettant ainsi à Israël de contenir la prime de taux d'intérêt, malgré une dégradation de sa note de crédit. Des sociétés de gestion d'actifs, notamment Blackrock (68 millions de dollars), Vanguard (546 millions de dollars) et PIMCO, la filiale usaméricaine de gestion d'actifs de l'assureur allemand Allianz (960 millions de dollars), figuraient parmi les quelque 400 investisseurs de 36 pays qui les ont achetées.

 

Les organisations caritatives confessionnelles sont « également devenues des facilitateurs financiers clés de projets illégaux, notamment dans les territoires palestiniens occupés, bénéficiant souvent de déductions fiscales à l'étranger malgré des cadres réglementaires stricts en matière de charité », indique le rapport.

 

« Le Fonds national juif (KKL-JNF) et ses plus de 20 filiales financent l'expansion des colonies et des projets liés à l'armée », indique le rapport. « Depuis octobre 2023, des plateformes telles qu’ Israel Gives ont permis un financement participatif déductible des impôts dans 32 pays pour les unités militaires et les colons israéliens. Les organisations Christian Friends of Israeli Communities, basée aux USA, Dutch Christians for Israel et leurs filiales mondiales ont envoyé plus de 12,25 millions de dollars en 2023 à divers projets qui soutiennent les colonies, y compris certains qui forment des colons extrémistes. »

 

Le rapport critique les universités qui s'associent à des universités et institutions israéliennes. Il note que les laboratoires du MIT « mènent des recherches sur les armes et la surveillance financées par le ministère israélien de la Défense ». Ces projets comprennent « le contrôle des essaims de drones — une caractéristique distincte de l'assaut israélien sur Gaza depuis octobre 2023 — les algorithmes de poursuite et la surveillance sous-marine ».

 

Le génocide nécessite un vaste réseau et des milliards de dollars pour se maintenir. Israël ne pourrait pas mener à bien son massacre massif des Palestiniens sans cet écosystème. Ces entités, qui tirent profit de la violence industrielle contre les Palestiniens et des déplacements massifs, sont aussi coupables de génocide que les unités militaires israéliennes qui déciment la population de Gaza. Elles aussi sont des criminels de guerre. Elles aussi doivent être tenues pour responsables.