Gideon Levy,
Haaretz, 11/12/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
À côté de toutes les descriptions apocalyptiques - dont certaines sont sûrement justifiées - de ce qui attend Israël après la prestation de serment du nouveau gouvernement, il faut laisser la place à une autre vision, plus optimiste : le nouveau gouvernement pourrait rapprocher la fin de l'apartheid, certainement plus près que ne l'aurait fait un quelconque gouvernement centriste.
Bien que ce ne soit ni son désir ni son intention, ce gouvernement d'extrême droite est le seul susceptible de troubler l'eau stagnante dans laquelle Israël se vautre depuis des décennies, de faire éclater certains de ses mensonges et tromperies, de montrer le vrai visage d'Israël aux Israéliens et au monde entier et peut-être de provoquer un bouleversement salutaire qui modifiera le statu quo apparemment éternel.
Les premiers signes de cette évolution s'accumulent et suscitent l'espoir. Le débat public en Israël s'est réveillé, après avoir été comateux pendant des années. La conversation en Occident montre également des signes d'un changement d'attitude à l'égard de son précieux Israël, l'État intouchable.
Il ne s'agit pas de la théorie selon laquelle plus les choses sont mauvaises, mieux c'est. Il ne s'agit pas non plus d'un désir de tout détruire pour reconstruire, ou de punir un État qui mérite d'être puni. Il s'agit d'une approche sobre, qui reconnaît qu'Israël est devenu un État d'apartheid au moment où l'occupation est devenue permanente, et que l'apartheid est un phénomène intolérable auquel Israël ne mettra jamais fin de son propre chef.
Quiconque comprend cela ne peut qu'espérer une secousse brutale qui rappellera aux Israéliens : mes amis, vous vivez dans l'Afrique du Sud d'avant Mandela, même si certains veillent à vous le cacher. Le sixième gouvernement de Benjamin Netanyahou apportera la bonne nouvelle. Vous ne pourrez plus être trompés. Peut-être apportera-t-il aussi la secousse.
Si nous avions à nouveau un gouvernement centriste, tout le monde serait tellement satisfait. Les Israéliens continueraient à croire qu'ils vivent dans une démocratie, le monde croirait que l'occupation est temporaire et découle des besoins de sécurité du seul État juif au monde. Après tout, Israël a un gouvernement, et il croit que le “conflit” doit être résolu. Il y a même une solution sur l'étagère : deux États, chantons “Kumbaya”.
Le nouveau gouvernement dira “non” à tout cela. Il n'y a aucune solution, aucune intention de mettre fin à l'apartheid ; l'occupation n'est pas liée à la sécurité, mais plutôt à la croyance en l'exclusivité juive sur cette terre et à des pulsions messianiques. L'annexion est déjà là, et maintenant nous allons balancer tout cela à vos gueules surprises. Le monde est quelque peu abasourdi par ce gouvernement ; comme beaucoup de bons Israéliens qui pensaient que tout allait bien, il ne sait pas quoi en faire.
Amos Harel a écrit que donner à Bezalel Smotrich des pouvoirs en Cisjordanie pourrait conduire à des sanctions internationales contre Israël et mettre fin au semblant de contrôle judiciaire de l'occupation. Mordechai Kremnitzer a écrit que la fraude systématique qu'Israël commet à l'égard de la communauté internationale a disparu, et qu'il est désormais clair que la principale considération d'Israël est de s'emparer de plus en plus de territoires (Haaretz en hébreu, 7 décembre). En d'autres termes, la fin du bluff. Tous deux reconnaissent la supercherie, mais tous deux mettent en garde contre le fait qu'elle soit mise à mal par le terrible nouveau gouvernement, en raison du prix international qu'Israël devra payer pour avoir arraché le masque.
Cette approche est déroutante. S'il est évident que nous sommes en présence d'un apartheid et que personne en Israël n'y mettra fin, alors nous devrions regarder avec nostalgie vers les sanctions, le seul moyen autre que la guerre qui puisse mettre fin à l'apartheid. Le gouvernement Netanyahou-Smotrich est le seul qui puisse accélérer ce processus, et tous ceux qui ne veulent pas d'un apartheid éternel devraient s'en réjouir.
Nous sommes harcelés par le doute. La communauté internationale, menée par les USA, fera tout pour continuer à se mentir à elle-même et éviter de punir Israël, même après 55 ans d'occupation. Il y a des sanctions qui risquent de faire très mal à chaque Israélien. Mais en toute honnêteté, y a-t-il une autre option qui puisse nous donner de l'espoir ?