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24/06/2025

GUILLERMO MARTINEZ
“Ça peut arriver à n’importe qui” : la peur des immigrés de Torrejón après le meurtre dAbderrahim par un policier

Guillermo Martínez, elDiario.es, 21/6/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

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La communauté africaine immigrée de Torrejón a exprimé sa crainte que ce qui s’est passé mardi dernier, lorsqu’un policier municipal de Madrid a étranglé un homme d’origine maghrébine, puisse se reproduire. Aujourd’hui, ils se sont rassemblés pour condamner ce crime

Rassemblement après la mort d’Abderrahim, étranglé par un policier mardi dernier

Les immigrés de Torrejón de Ardoz ont peur. « S’ils ont fait ça à Abderrahim, ils peuvent le faire à n’importe lequel d’entre nous à tout moment », a critiqué une femme marocaine ce matin lors du rassemblement pour dénoncer le « meurtre », comme l’ont qualifié les organisateurs [et comment auraient-ils du le qualifier ?,NdlT], de cet immigré de 35 ans par un policier mardi dernier. Elle n’était pas la seule à exprimer sa crainte que les forces de l’ordre agissent de cette manière. « S’il avait volé ou fait quoi que ce soit, la loi est là pour ça. Personne ne peut ôter la vie à quelqu’un de cette manière », a déclaré un autre jeune homme.

Il fait référence à l’étranglement qu’un policier municipal de Madrid a infligé à sa victime à l’aide d’un mataleón [étranglement arrière, rear naked choke], une technique d’immobilisation très dangereuse qui a finalement causé sa mort. C’est pourquoi la plateforme Corredor en Lucha [Corridor en lutte], formée par divers collectifs de la région et des centres sociaux de Torrejón, a organisé ce rassemblement auquel ont participé 250 personnes selon les organisateurs et la délégation du gouvernement.

« Aucune personne n’est illégale », « indigène ou étranger, même classe ouvrière » et « assez de racisme policier » sont quelques-uns des slogans qui ont été scandés pendant la manifestation, malgré une chaleur qui n’a pas empêché les proches d’Abderrahim de se rendre sur place. Quelques minutes après midi, ils sont arrivés avec des photos de son visage et se sont montrés très affectés par cette perte. Mimoun Akkouh, le père de la victime, a déclaré à elDiario.es qu’« il est impossible de vivre » après ce qui s’est passé : « Comment tu vas manger ? Comment tu vas dormir ? Ils ont tué mon fils. Ma famille vit à Torrejón depuis 32 ans et nous n’avons jamais eu de problèmes ».

Ils ne demandent que justice

Auparavant, Akkouh avait pris le micro pour partager sa douleur et sa tristesse avec les personnes présentes, mais aussi sa colère et son indignation. « S’il est vrai qu’il a volé le téléphone portable, qu’on l’arrête, qu’il paie une amende ou qu’il aille en prison, mais toujours dans le respect de la loi. C’est tout ce que nous demandons, la justice », a-t-il lancé devant les cris de la foule rassemblée.

Le policier municipal est en liberté sous contrôle judiciaire et fait l’objet d’une enquête pour homicide involontaire, ce que certaines personnes présentes à la manifestation voient d’un mauvais œil. « Si vous passez 15 minutes à étouffer une personne, vous vous rendez compte qu’elle perd peu à peu son souffle. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’imprudence », a soutenu Mouhciwe.

 

Le père de la victime pendant le rassemblement


 Originaire du Maroc, il vit depuis quatre ans à Torrejón et considère que ce qui s’est passé est « inadmissible », « d’autant plus venant d’un policier, qui est censé protéger les gens », a-t-il souligné. Il a également qualifié d’« inacceptable » le fait que certaines personnes défendent l’action du policier au motif qu’Abderrahim avait tenté de lui voler son téléphone portable auparavant. « On ne peut pas se faire justice soi-même et tuer comme ça. La peine de mort n’existe même pas dans ce pays », a-t-il ajouté.

Alors que des dizaines de personnes autour de lui scandaient des slogans tels que « vous, les racistes, vous êtes les terroristes », Mouhciwe a déclaré avoir peur. « Nous avons tous vécu des situations de racisme. Si Abderrahim avait été blanc, je suis sûr qu’ils ne l’auraient pas tué », a-t-il déclaré.

La peur face à la montée du racisme

À quelques mètres de lui, deux femmes se réfugiaient à l’ombre. Elles ont préféré ne pas donner leurs noms, mais ont affirmé qu’elles ne s’attendaient pas à ce qu’un événement de cette ampleur se produise à Torrejón. « S’il s’agit d’un délinquant, que la justice fasse son travail, mais pas qu’un policier le tue. On ne tue même pas les chiens de cette manière », a critiqué l’une d’elles.

Ces deux femmes ont affirmé qu’elles ressentaient une certaine crainte face au racisme qui ne cesse de croître, pour reprendre leurs propres termes. « On vous insulte dans la rue et certaines personnes pensent que tout ce qui va mal est la faute des moros [terme péjoratif pour désigner les Maghrébins]. Peu leur importe que vos enfants soient nés ici, rien que parce qu’ils ont la peau plus foncée, ils les agressent et leur disent de retourner dans leur pays. J’ai aussi peur pour eux », a commenté l’autre. Toutes deux vivent à Torrejón depuis deux décennies et connaissent la famille d’Abderrahim. « Si ça arrive avec un policier, cela signifie qu’on ne peut plus faire confiance à personne. Allons-nous les appeler quand nous aurons un problème ? Espérons que justice sera faite », ont-elles souligné.


Famille et connaissances d’Abderrahim à Torrejón

La mobilisation a rassemblé de nombreux jeunes. L’un d’entre eux, qui n’a pas souhaité révéler son nom, a souligné qu’ils étaient « dévastés ». Comme il l’a expliqué, « tout le monde peut se tromper, et cet homme souffrait d’une maladie mentale, car j’ai vu les rapports médicaux que possède la famille ». Il a 26 ans et est arrivé à Torrejón avant d’avoir atteint l’âge d’un an. « Maintenant, nous avons peur que quelque chose comme ça puisse nous arriver, car cela aurait déjà pu nous arriver. Cela peut arriver à n’importe qui. N’importe lequel d’entre nous aurait pu être Abderrahim cette nuit-là », a-t-il souligné.

Contre la violence policière

Le rassemblement a eu lieu sur la place d’Espagne à Torrejón, qui était à midi complètement encerclée par des fourgons de police postés à chacune de ses entrées. Carlos Buendía, porte-parole de Corredor en Lucha, a critiqué devant les personnes présentes, selon ses propres termes, le mépris de certaines personnes envers la classe ouvrière migrante qui ne peut pas se rendre en Espagne en avion. Il a également dénoncé les « brigades racistes » de policiers qui opèrent régulièrement dans la gare RENFE de la ville, la manifestation ayant eu lieu à quelques mètres de la gare. Les militants ont alors crié « Stop à la violence policière ».


L’affiche du rassemblement

L’ancien député de l’Assemblée de Madrid et membre de Podemos, Serigne Mbayé, était également présent : « Nous remplirons les rues, nous remplirons les places, et ni la chaleur, ni le froid, ni le vent ne nous empêcheront de dénoncer le racisme institutionnel », a-t-il déclaré. La mobilisation a également bénéficié du soutien de diverses organisations politiques et sociales de gauche.

Environ une heure après le début du rassemblement, Buendía a lu aux personnes présentes un communiqué signé par Corredor en Lucha : « Mardi dernier, un nouveau cas de racisme institutionnel s’est produit à quelques rues d’ici. Deux policiers hors service ont étouffé à mort un jeune homme de 35 ans devant de nombreux témoins qui exigeaient qu’ils cessent d’agresser le jeune homme d’origine maghrébine, Abderrahim », a-t-il déclaré.

Le porte-parole a ensuite énuméré d’autres cas de racisme, tels que « les centaines de personnes qui meurent en Méditerranée, notre camarade Mbaye assassiné en 2018 à Lavapiés, le meurtre de Lucrecia, le massacre du Tarajal, les milliers de morts du génocide palestinien aux mains du sionisme ».

La plateforme a donc exigé « que des responsabilités soient assumées pour le meurtre brutal d’Abderrahim » et a appelé « toute la classe ouvrière du Corredor del Henares* à s’organiser pour mettre fin à l’offensive raciste du régime ». « Parce qu’aucune vie ne vaut moins qu’une autre, parce que l’offensive du capital doit cesser, parce qu’il faut en finir avec la résignation, parce qu’il est temps de se battre », a-t-il conclu alors que la place scandait en chœur : « Vous n’êtes pas seuls, nous sommes avec vous ».

NdlT
Le Corredor del Henares (Corridor du Henares) est un axe résidentiel, industriel et commercial développé dans la plaine du fleuve Henares, autour de l'autoroute Nord-Est et de la ligne ferroviaire Madrid-Barcelone, entre les villes espagnoles de Madrid et Guadalajara.

Il englobe des villes hautement industrialisées telles que Coslada, San Fernando de Henares, Torrejón de Ardoz, Alcalá de Henares, Azuqueca de Henares et Guadalajara, qui forment une agglomération urbaine de plus de 600 000 habitants, et un continuum urbain industriel avec des zones industrielles et commerciales qui se développent autour des principaux axes de communication.