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05/10/2025

GIDEON LEVY
Oui, il faut pleurer sur le sang versé : des générations passeront avant que Gaza oublie le génocide


Gideon Levy, Haaretz, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

Il faut une dose extraordinaire d’optimisme pour ne pas être accablé – ou rabat-joie – face à l’accord sur Gaza. Mais c’est possible : la proposition présente certains points positifs.


Des Palestiniens inspectent les dégâts dans un quartier résidentiel après une opération israélienne dans la zone, samedi.
Photo Ebrahim Hajjaj / REUTERS


Ce n’est pas un accord de paix entre Israël et Gaza, ce qui aurait bien sûr été préférable, mais plutôt un accord que les USA ont imposé à Israël. Il est depuis longtemps évident que seul un accord imposé peut amener Israël à changer. Le voici donc. C’est un signe d’espoir pour la poursuite d’une politique usaméricaine contraignante — sans laquelle rien ne bouge.

Des dizaines de milliers de vies ont été sauvées ce week-end. La peur, la faim, les maladies, les souffrances et les privations de plus de deux millions de personnes pourraient peu à peu prendre fin. Dimanche, elles auront au moins leur première nuit de sommeil sans la menace des bombardements au-dessus de leurs têtes. Des centaines de personnes retrouveront aussi leur liberté : les 20 otages israéliens encore en vie, les 250 prisonniers palestiniens purgeant des peines à perpétuité en Israël, et les 1 800 habitants de Gaza, pour la plupart innocents, détenus en Israël.

Oui, dans un même souffle : les détenus palestiniens ont eux aussi des familles qui ont enduré des mois, voire des années, d’angoisse et d’incertitude quant au sort de leurs proches. La plupart méritent enfin d’être libérés. Aucun des 1 800 détenus de Gaza qui seront libérés n’a été jugé. Eux aussi ont été enlevés. Il vaut mieux éviter de comparer les conditions de détention : elles ont été terribles des deux côtés. Leur libération est donc une source de joie – pour tous : tous les otages et toutes les familles.

Cet accord rétablit l’ordre dans les relations usaméricano-israéliennes : Israël est l’État client, et les USA la superpuissance. Ces définitions s’étaient complètement brouillées ces dernières années, au point que, surtout sous les administrations Obama et Biden, il semblait parfois qu’Israël était le patron et l’USAmérique son protectorat. Enfin, un président usaméricain ose utiliser le levier immense dont il dispose pour dicter les actions d’Israël. Les décisions imposées par Donald Trump sont bénéfiques pour Israël — même si peu l’admettent.

Mettre fin à la guerre est bien sûr une bonne chose pour Gaza, mais c’est aussi une bonne chose pour Israël. Ce n’est pas le moment d’énumérer tous les dommages terribles que cette guerre a causés à Israël, certains irréversibles. Le monde n’oubliera pas de sitôt le génocide ; il faudra des générations avant que Gaza oublie.
Arrêter la guerre maintenant est le moindre mal pour Israël, qui a perdu son chemin. Ces derniers mois, le pays était au bord de l’effondrement moral et stratégique. L’oncle Donald le ramène à ses proportions d’origine et, peut-être, lui ouvre une voie différente.

Israël aurait pu éviter cette guerre, qui ne lui a causé que du tort. Mais il aurait aussi pu gérer sa fin autrement. Des négociations directes avec le Hamas et des gestes de bonne volonté auraient pu changer la donne. Un retrait total de la bande de Gaza et la libération de tous les prisonniers auraient signalé un nouveau départ. Mais Israël, comme toujours, a choisi d’agir différemment — de ne faire que ce qu’on lui impose.

Gaza, et même le Hamas, sortent de cette guerre debout. Battus, saignants, épuisés, ruinés, mais debout. Gaza est devenue une Hiroshima, mais son esprit vit encore. La cause palestinienne avait complètement disparu de l’agenda international — encore un moment de paix avec l’Arabie saoudite, et les Palestiniens seraient devenus les Indiens d’Amérique de la région — puis la guerre est venue, les ramenant au centre de l’attention mondiale. Le monde les aime, le monde les plaint.

Il n’y a pas de consolation pour les habitants de Gaza, qui ont payé un prix indescriptible — et le monde pourrait encore les oublier —, mais pour l’instant, ils sont au sommet de l’attention mondiale.

Ce moment doit être saisi pour changer l’état d’esprit en Israël : il est temps que les Israéliens ouvrent les yeux et voient ce qu’ils ont fait.

Peut-être qu’il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé, mais le sang versé est autre chose. Il est temps d’ouvrir la bande de Gaza aux médias et de dire aux Israéliens : “Voyez, voilà ce que nous avons fait”.
Il est temps d’apprendre que s’appuyer uniquement sur la force militaire mène à la dévastation.
Il est temps de comprendre qu’en Cisjordanie, nous créons un autre Gaza.
Et il est temps de regarder droit devant et de dire : nous avons péché, nous avons agi avec perversité, nous avons transgressé.

28/09/2025

GIDEON LEVY
Netanyahou, si tuer 20 000 enfants à Gaza est une bonne chose, alors qu’est-ce qui est mal ?

Gideon Levy, Haaretz, 28/9/2025
Traduit par Tlaxcala

« Nous n’en avons pas encore fini », a-t-il déclaré d’une voix tonitruante, menaçant comme un parrain de la mafia la bande de Gaza mourante devant l’Assemblée générale des Nations unies, aussi vide qu’un cinéma qui aurait projeté le même film pendant trop longtemps. « Nous n’en avons pas encore fini », a-t-il également menacé les Israéliens qui veulent déjà le voir disparaître de leur vie.

Le discours prononcé vendredi par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a une nouvelle fois mis en évidence le fait que nous n’en avons pas encore fini avec lui et qu’il n’en a pas encore fini avec la bande de Gaza et avec nous.

Malgré l’étrange pin’s avec un code QR renvoyant vers des images et des vidéos du massacre du 7 octobre, les gadgets enfantins, le quiz, la carte et les haut-parleurs à Gaza, il reste un démagogue de premier ordre : un meurtrier de masse, l’homme le plus recherché au monde – le simple fait qu’il soit autorisé à monter sur l’estrade de l’ONU est un scandale – se faisant passer pour Mère Teresa.

Quiconque l’écouterait sans rien savoir de ce que son pays fait à Gaza et en Cisjordanie pourrait être tenté de penser que les Forces de défense israéliennes sont l’Armée du Salut, qu’Israël rivalise avec l’UNICEF pour venir en aide aux enfants dans le besoin et qu’il est lui-même un disciple de longue date des enseignements du Mahatma Gandhi. Oui, Netanyahou n’a rien perdu de son talent.

Les débuts étaient prometteurs. L’exode massif de la salle aurait dû faire honte à tous les Israéliens et les amener enfin à se demander : Israël a-t-il finalement commis une erreur ? On peut supposer sans risque que la plupart des Israéliens répondraient : « C’est l’antisémitisme, idiot. »

Puis vint l’authenticité : le Premier ministre raconta fièrement comment Israël avait pilonné, détruit, écrasé, paralysé et dévasté toute la région environnante. Des dizaines de synonymes pour « anéantir ». Il a utilisé son marqueur noir habituel pour cocher la carte de l’année dernière, couvrant toute la zone de destruction et peut-être aussi celles à venir. Quel honneur. Seule Gaza manquait. Et la Cisjordanie. Peut-être les a-t-il oubliées.

Un groupe de flagorneurs – particulièrement restreint cette année, sans tous les riches Juifs des années précédentes – a applaudi ; le chef de cabinet du Premier ministre, Tzachi Braverman, a lancé des regards sévères à tout le monde, s’assurant que personne ne s’abstienne.

Puis vinrent la démagogie, la propagande et les mensonges insupportables, même selon ses propres critères. « Vous avez vu la photo d’Evyatar David. Émacié, contraint de creuser sa propre tombe », a-t-il déclaré. Avez-vous vu, Monsieur le Premier ministre, la photo de Marwan Barghouti dans une prison israélienne ?

Avez-vous vu le squelette humain, cet homme qui aurait pu apporter la paix ? Vous avez transformé le bien en mal... et le mal en bien, a-t-il prêché en termes bibliques aux pays européens qui ont reconnu l’État palestinien.

Par le bien, vous vouliez dire Israël, Netanyahou ? Comment votre main n’a-t-elle pas tremblé lorsque vous avez écrit ces mots ? Comment votre voix n’a-t-elle pas tremblé lorsque vous les avez prononcés ? Est-ce bien de tuer 1 000 bébés de moins d’un an et 20 000 enfants au total ? De créer 40 000 nouveaux orphelins ? De détruire systématiquement Gaza, sans laisser une seule pierre debout ?

Si c’est ça votre bien, alors qu’est-ce que le mal ? Est-il humain de parler d’autoriser une aide équivalente à 3 000 calories par jour pour chaque habitant de la bande de Gaza ? Est-il légitime de mentionner un beau jeune couple de l’ambassade israélienne à Washington qui a été assassiné à proximité pour la personne qui est responsable du meurtre de dizaines de milliers de beaux jeunes couples à Gaza – un massacre qu’il n’a pas terminé, de son propre aveu ?

Est-il juste d’affirmer (sans citer la source) que près de 90 % des Palestiniens ont soutenu l’attaque du 7 octobre, sans dire combien d’Israéliens juifs soutiennent le génocide, certains avec joie, d’autres en silence ? Le seul chiffre vrai qu’il a cité est que plus de 90 % des députés israéliens ont voté contre l’imposition d’un État palestinien. Comme c’est vrai et comme c’est honteux.

Le summum de cette démagogie mensongère est venu dans la défense contre les accusations de génocide. Les nazis ont-ils gentiment demandé aux Juifs de partir, a-t-il demandé, comparant Israël aux nazis. Eh bien, M. Netanyahou, les nazis ont expulsé les Juifs avant que l’extermination commence.

Entre 1939 et 1941, ils ont expulsé et déporté les Juifs d’Allemagne, de Tchécoslovaquie et d’Autriche vers la Pologne occupée. Leur plan Madagascar rappelle votre plan Riviera et celui de Donald Trump. L’holocauste arménien a également commencé par des expulsions massives.

Nous n’en avons pas encore fini, a déclaré mon Premier ministre, le Premier ministre de tous.

24/09/2025

CHAIM LEVINSON
Plus isolé que jamais, Netanyahou va tenter de persuader Trump de tenir bon pour remporter la victoire à Gaza

L’Assemblée générale des Nations unies a démenti le grand mensonge de Netanyahu et montré que, contrairement à ce qu’il affirme, les États arabes, les USA et d’autres pays occidentaux souhaitent tous que le Hamas soit écarté. Trump doit désormais décider quelle voie permettra d’y parvenir le plus rapidement : un accord imposé à Israël ou la conquête de la ville de Gaza.

Chaim Levinson, Haaretz, 24/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou se rendra mercredi soir à une fête qui est déjà terminée. Tous les invités importants sont partis, et il arrive en même temps que l’équipe de nettoyage venue balayer les confettis. Vendredi, jour de son discours, aucun dirigeant mondial important ne sera en ville pour le rencontrer.

Il est seul, plus isolé que jamais, accroché au bord de la falaise, avec seulement la main de Donald Trump pour l’empêcher de tomber.

Paresh Nath

La 80e Assemblée générale des Nations unies a peut-être été la plus dure à l’égard d’Israël. Netanyahu, qui s’est présenté pendant des années comme un génie diplomatique, qui a méprisé tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui, qui a ignoré tous les avertissements sur la détérioration de la situation en Israël, est resté chez lui à regarder la télévision tandis que ceux qu’il considérait autrefois comme ses alliés lui tournaient le dos.

L’initiative franco-saoudienne visant à reconnaître l’État palestinien prend de l’ampleur, même si elle n’a pas de poids pratique immédiat. La réunion à huis clos entre les dirigeants arabes et musulmans et Trump au siège de l’ONU, au cours de laquelle ils ont discuté de Gaza, a été beaucoup plus significative.

Parmi les participants figuraient l’émir du Qatar et le président turc. Leur objectif : persuader Trump qu’une fin immédiate de la guerre était possible – les États arabes prendraient le contrôle de Gaza, la reconstruiraient et écarteraient le Hamas.

Il est frappant de constater que presque aucun détail de cette réunion n’a filtré dans les médias arabes. Un responsable qatari qui s’est entretenu avec Haaretz a refusé de révéler ce qui avait été dit, mais son ton suggérait une certaine satisfaction. Israël, notamment, n’avait pas été invité – et ce n’était pas à cause de Rosh Hashanah, le nouvel an juif.

Lundi, ce sera au tour de Netanyahou de rencontrer Trump à la Maison Blanche. Son discours de vendredi sera destiné à la consommation intérieure, comme d’habitude. Il répétera ses « cinq conditions » pour mettre fin à la guerre à Gaza, mais les véritables décisions seront prises à Washington.

« Trump est fortement influencé par la dernière personne qui se trouve dans la pièce avec lui », a déclaré l’un des confidents du président à Haaretz. « Netanyahou entendra de sa bouche tout ce qu’il a entendu des dirigeants arabes. »

Pendant ce temps, l’envoyé spécial Steve Witkoff, qui était également présent à New York, s’efforce de sauver le « plan Witkoff » : la libération de dix otages, un cessez-le-feu et la garantie par Trump de la fin de la guerre.

Witkoff est depuis longtemps proche de la famille régnante qatarie Al-Thani. Depuis la tentative d’assassinat ratée d’Israël contre les dirigeants du Hamas, le Qatar a coupé tout contact direct avec Israël, mais continue de négocier avec Washington.

Son espoir est de conclure un accord avec les USAméricains qui forcerait Israël à céder. Ces derniers jours, Witkoff et le Premier ministre qatari Mohammed Al-Thani ont bricolé une nouvelle lettre du Hamas proposant la libération de dix otages.

Il n’est pas certain que Witkoff parvienne à convaincre Trump, ni que Netanyahou l’emporte.

L’objectif de Netanyahou est de convaincre Trump d’attendre encore un peu, en lui faisant croire que la prise imminente de la ville de Gaza va transformer la guerre. Il montre à des journalistes amis des rapports des services de renseignement – des rapports soigneusement sélectionnés, bien sûr – qui soulignent la crainte du Hamas face à la conquête imminente de la ville. Selon lui, il ne faut plus que quelques mois, puis soit la victoire sera remportée, soit la prochaine stratégie sera prête.

Trump l’a soutenu jusqu’à présent, et Netanyahou veut plus de temps face aux pressions croissantes.

Au cœur du dilemme de Trump se trouve une question simple : qu’est-ce qui permettra de renverser le Hamas plus rapidement : un accord imposé à Israël, avec l’intervention des États arabes pour mettre fin à la guerre, ou la conquête de la ville de Gaza ?

La grande supercherie de Netanyahou est le mythe selon lequel il est le seul à vouloir se débarrasser du Hamas. La réunion de l’ONU de cette semaine a souligné un consensus qui existe depuis deux ans et que Netanyahou s’est efforcé de minimiser : les États arabes, les USA et l’Occident veulent tous que le Hamas soit renversé et remplacé par un gouvernement civil normal [sic].

Huit mois après son entrée en fonction, Trump reste difficile à cerner. Son discours à l’ONU était parfois incohérent, à l’image des divagations des complotistes antivaxx sur Facebook. Pourtant, à certains moments, il se montre vif et saisit clairement la dynamique.

Quel Trump Netanyahou rencontrera-t-il lundi : le tonton maboul à la table de Rosh Hashanah ou l’homme d’affaires qui sait flairer le mensonge ? Nous le saurons lundi.

 

 

23/09/2025

JOSHUA LEIFER
La vision de Netanyahou pour l’avenir d’Israël n’est pas Sparte, c’est pire

En tant que Premier ministre, Benjamin Netanyahou a toujours rêvé d’un Israël affranchi des contraintes et conditions imposées par les USA.

Joshua Leifer, Haaretz, 21/9/2025
Traduit par Tlaxcala


Joshua Leifer (New Jersey, 1994) est journaliste et historien. Il est chroniqueur pour Haaretz. Ses essais et reportages ont également paru dans The New York Times, The New York Review of Books, The Guardian, et ailleurs. Son premier livre, Tablets Shattered: The End of an American Jewish Century and the Future of Jewish Life (2024), a remporté un National Jewish Book Award. Il est actuellement doctorant en histoire à l’université Yale, où ses recherches se situent à l’intersection de l’histoire intellectuelle moderne, de la politique juive contemporaine, de la politique étrangère usaméricaine et de la mémoire de la Shoah. Sa thèse porte sur la politique de l’antisémitisme et la crise de l’ordre libéral.

La nuit où les forces terrestres israéliennes ont commencé leur invasion de Gaza, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a prononcé un discours au ministère des Finances dans lequel il a exposé sa sombre vision de l’avenir du pays comme un État voyou isolé. Face à l’intensification des sanctions internationales – le lendemain, l’Union européenne annonçait la suspension de composantes clés de son accord commercial avec Israël – Israël devrait devenir une « Super-Sparte », a-t-il déclaré.


Ancien consultant en management qui avait contribué à mener la révolution du marché libre en Israël, Netanyahou a expliqué que l’économie du pays devrait adopter des « marqueurs d’autarcie » et sortir « très vite » du Consensus de Washington qui régissait les affaires économiques mondiales. En d’autres termes, il s’agissait de se rapprocher du modèle de Moscou et de Pyongyang.

Pourtant, ce discours de Netanyahou esquissait non seulement une nouvelle vision pour Israël, mais aussi un tableau du nouvel ordre mondial émergent et de la place d’Israël en son sein. « Le monde s’est divisé en deux blocs », dit-il. « Et nous ne faisons partie d’aucun bloc. »

Sur scène ce soir-là, Netanyahu semblait presque encouragé par la possibilité que ce supposé non-alignement offrirait à Israël une plus grande marge de manœuvre dans son assaut contre Gaza. Mais un isolement à long terme est bien plus susceptible de menacer Israël que de le sécuriser. Chaque grand homme d’État israélien avait compris ce principe de base – du moins jusqu’à présent.

Ennemi des valeurs de l’Europe

Depuis sa première campagne pour devenir Premier ministre, Netanyahou a rêvé de se libérer des conditions et contraintes imposées à Israël par les USA, aussi minimales fussent-elles. Dans une note de 1996 intitulée A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm, un groupe de stratèges néoconservateurs et de conseillers de Netanyahou appelaient Israël à établir une nouvelle relation avec l’USAmérique « fondée sur l’autonomie ». Si Israël n’avait plus besoin d’une aide usaméricaine substantielle, pensaient-ils, Washington aurait moins de leviers pour forcer Israël à des compromis avec les Palestiniens.

Pourtant, Netanyahou a toujours imaginé Israël comme faisant partie du bloc occidental dirigé par les USA. Dans son livre de 1998, A Place Among the Nations, il soutenait qu’avec la fin de la guerre froide, Israël devait agir comme le chien de garde du nouvel ordre unipolaire, le policier de l’Occident au Moyen-Orient. « Avec personne dans la région pour contrôler en permanence leurs ambitions ou leurs plans obsessionnels d’armement », écrivait-il au sujet des « régimes militants » du Moyen-Orient, le rôle d’Israël était désormais de « sauvegarder l’intérêt plus large de la paix ». Tacitement, et parfois explicitement, les dirigeants usaméricains et européens ont adopté ce rôle pour Israël et l’ont soutenu en conséquence.

La destruction de la bande de Gaza par Israël – et la crise régionale prolongée qu’elle a déclenchée – a changé cela.

Après des mois d’inaction, alors que les forces israéliennes rendaient Gaza inhabitable, les États européens ont commencé à imposer des conséquences à Israël. Les dirigeants européens reconsidèrent également ce que sera leur relation avec Israël à l’avenir. Et ce n’est pas seulement, ni même principalement, parce que les protestations contre la guerre israélienne ont transformé la destruction de Gaza en un problème politique intérieur explosif dans les capitales européennes. C’est plutôt parce que l’Israël de Netanyahou s’est déclaré ennemi des valeurs dont la nouvelle Europe est fière : la paix, la démocratie et les droits de l’homme.

Aux USA, Israël n’a pas seulement perdu la gauche – cela est ancien – mais il a aussi commencé à perdre la droite. Sur les réseaux sociaux, des comptes et influenceurs d’extrême droite, appartenant au monde MAGA, diffusent des théories du complot antisémites délirantes sur des sujets allant des antibiotiques à l’assassinat de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. L’ancien animateur de Fox, Tucker Carlson, a gagné en popularité en synthétisant le sentiment anti-israélien croissant dans son nationalisme « America First ». La nouvelle droite usaméricaine ne verse aucune larme pour les musulmans morts, mais se réjouit de la nouvelle image d’Israël comme une force démoniaque et sinistre.

En 2021, Ron Dermer, alors ancien ambassadeur d’Israël aux USA, avait provoqué un tollé en suggérant qu’Israël devrait privilégier le soutien des chrétiens usaméricains plutôt que celui des juifs usaméricains. Sur ses propres termes – obtenir un soutien pour les guerres d’Israël – cette stratégie a manifestement échoué. Contrairement aux évangéliques plus âgés, généralement de fervents partisans d’Israël, les jeunes chrétiens usaméricains commencent déjà à se détourner. Comme l’a récemment dit Megyn Kelly, ancienne présentatrice conservatrice de Fox, à Carlson : « Tous les moins de 30 ans détestent Israël. »

Rupture avec la politique étrangère sioniste

La démolition intentionnelle du consensus bipartisan aux USA par Netanyahou et son entourage a toujours été un pari orgueilleux. Comme une grenade mal chronométrée, elle leur a explosé au visage. Bien qu’ils n’aient pas eu tort de constater que la droite usaméricaine était en train de monter, le bureau du Premier ministre a manqué le fait que cette nouvelle droite tirait sa force de la promesse d’isolement, alimentée par la colère contre le paradigme interventionniste que les alliés les plus proches d’Israël à Washington représentaient. Formés à l’apogée du néoconservatisme, ces hommes n’avaient guère réfléchi à la perspective d’un monde post-usaméricain.

Face aux condamnations croissantes et aux sanctions internationales imminentes, Netanyahou a refusé d’arrêter l’assaut israélien. Désormais, pour poursuivre la guerre – que ce soit par survie politique étroite, messianisme mégalomaniaque ou une combinaison des deux – il propose rien de moins qu’une rupture totale avec le principe le plus fondamental de la politique étrangère sioniste.

Dès ses premières années, lorsque Theodor Herzl chercha à obtenir une audience avec le sultan ottoman, le sionisme a travaillé à obtenir et à compter sur le soutien des grandes puissances. Il réussit non par intervention divine ou plan providentiel, mais parce que les premiers dirigeants sionistes recherchaient activement de telles alliances. Ils comprenaient que pour les Juifs, comme pour d’autres petites nations, l’isolement était un piège mortel. Au cours du dernier siècle, de vieux empires sont tombés, de nouvelles puissances les ont remplacés, mais le principe est resté le même.

Après la fondation d’Israël, ses premiers dirigeants craignaient énormément que sans alliances avec des puissances régionales et mondiales plus fortes, le projet sioniste échoue. En 1949, Moshe Sharrett, alors ministre des Affaires étrangères, se lamentait : « Nous vivons dans un état d’isolement malveillant au Moyen-Orient. » David Ben-Gourion rêvait d’un accord de défense mutuelle avec les USA. Avec le temps, Israël réussit à obtenir le soutien usaméricain ; c’est sans doute l’une des raisons de sa survie.

Peut-être que l’un des aspects les plus incohérents, voire délirants, de la vision de Netanyahou est qu’il a proclamé la non-appartenance présumée d’Israël à tout bloc mondial au moment même où Israël apparaît comme le factotum capricieux de l’USAmérique. Les deux dernières années ont démontré la dépendance totale d’Israël envers les USA pour tout, des munitions au partage du renseignement. La guerre de 12 jours contre l’Iran a révélé Israël comme une sorte d’État vassal, implorant l’aide du seigneur féodal.

Il y a toutefois une chose que le récent discours de Netanyahou a bien identifié. L’ordre unipolaire post-1989 est terminé. La transition vers le siècle post-usaméricain a également menacé de faire s’effondrer le système de normes et d’institutions internationales qui s’était formé sous l’hégémonie hémisphérique, puis mondiale, des USA. Israël doit sa prospérité actuelle, sinon son existence même, à ce système.

Et pourtant, tout au long des deux dernières années de guerre acharnée, les dirigeants israéliens, Netanyahou en tête, ont semblé vouloir abattre ce système. Les actions d’Israël à Gaza ont gravement terni sa légitimité. À long terme, cependant, Israël sera voué à l’échec sans lui.

Dans son discours cette semaine, Netanyahou a puisé dans la tradition grecque, mais peut-être que la référence la plus pertinente se trouve dans la Bible hébraïque. Ce que Netanyahou propose n’est pas Sparte, mais Samson.

Mort de Samson, par Gustave Doré, 1866

18/09/2025

ZVI BAR’EL
La survie d’une Sparte israélienne dépend d’un état de guerre permanent

Zvi Bar'el , Haaretz, 16/9/2025
Traduit par Tlaxcala

La conquête de la ville de Gaza est censée offrir à l’État d’Israël l’image de la victoire totale. Ce n’est pas l’Iran, ni la Syrie, ni le Liban et certainement pas les Houthis au Yémen qui sont l’ennemi ultime que Benjamin Netanyahou n’a pas réussi à vaincre, mais bien le Hamas, l’organisation qu’il a entretenue pendant des années comme un atout stratégique et idéologique. Le Hamas était censé être la charge explosive au bord de la route qui ferait disparaître la caractérisation de l’Organisation de libération de la Palestine et de l’Autorité palestinienne comme seuls représentants du peuple palestinien et, de ce fait, empêcher la reconnaissance internationale d’un État palestinien.

Ce fut un partenariat merveilleux qui a duré de nombreuses années, qui a conféré au Hamas un mini-État à Gaza et qui a remis à Netanyahou l’accomplissement du rêve d’un Grand Israël. Jusqu’au moment où le Hamas a trahi son partenaire et n’a pas rempli sa mission.


Une manifestation exigeant la libération immédiate des otages israéliens, près de la résidence du Premier ministre Benjamin Netanyahou à Jérusalem, mardi 16 septembre 2025. Photo Ammar Awad/REUTERS

Le Hamas a apparemment mis fin à son rôle de proxy de Netanyahou et doit maintenant être anéanti en punition pour avoir saboté la stratégie messianique qui combattait la solution à deux États. Mais prendre le contrôle de la ville de Gaza n’est pas seulement une histoire de vengeance de plus. Israël a depuis longtemps vengé le massacre que, par son abandon total, Netanyahou a permis que le Hamas commette le 7 octobre 2023. Les Palestiniens ont payé trente fois ou plus pour chaque Israélien tué, et pour chaque maison incendiée au kibboutz Nir Oz ou à Sderot, des quartiers entiers et des villes ont été effacés. La mort de 10 000 ou 20 000 Palestiniens supplémentaires dans la rafale actuelle de destruction n’ajoutera rien à la douceur de la vengeance.

Elle est remplacée par le besoin de rester au pouvoir, même si cela signifie la destruction du pays-mère, qui sera remplacé par un État de toutes ses colonies — à Gaza, en Cisjordanie, dans le sud du Liban et dans l’ouest de la Syrie.

Cette destruction n’apparaît pas seulement sur les champs de massacre de Gaza, qui ont anéanti toute valeur humaine et morale, qui ont poussé la puissance de l’armée israélienne à ses limites, qui imposent et continueront d’imposer un fardeau économique insupportable et ont transformé Israël en État paria. L’architecte de cette destruction nationale a eu la décence de la définir clairement lorsqu’il a comparé Israël à Sparte. Sparte n’est pas seulement un symbole de puissance militaire, de survie et de courage. Ce fut un modèle jugé digne d’imitation par Adolf Hitler et Benito Mussolini.

Dans le livre clandestin qu’Hitler a écrit en 1928, et qui a reçu le titre « Le deuxième livre d’Hitler », publié seulement après la Seconde Guerre mondiale, il a écrit : « Le contrôle de six mille Spartiates sur 350 000 Hilotes n’a été possible que grâce à leur supériorité raciale... Ils ont créé le premier État racial. »

Cette Sparte, qui fut détruite et ne laissa derrière elle qu’un héritage symbolique, est maintenant revenue à la vie en Israël. Si jusqu’à présent nous avions identifié le début de processus métamorphosant Israël en un État fasciste fondé sur la supériorité raciale, la guerre à Gaza achèvera le travail. Elle a déjà enregistré des succès idéologiques impressionnants.

Elle a sapé la plupart des mécanismes qui défendaient la démocratie israélienne. Elle a transformé le système judiciaire en paillasson intimidé et a enrôlé le système éducatif pour dispenser un endoctrinement national-religieux. Elle dicte le récit idéologique « approprié » aux médias, au cinéma et au théâtre, et a étiqueté comme traître quiconque ne rend pas hommage au chef. Elle a aussi fait de l’espoir de remplacer le gouvernement par des élections une perspective incertaine.

Et contrairement aux régimes dictatoriaux « traditionnels » qui persécutent et répriment leurs rivaux politiques, le gouvernement israélien peut même se servir de l’opposition comme d’un ornement qu’il exhibe pour préserver son image d’administration démocratique qui représente « la volonté du peuple ».

Le problème, c’est que lorsqu’une bande prend le contrôle d’un pays, ce n’est pas comme une opération militaire qui se termine par la défaite de l’ennemi. Le maintien du régime exige une lutte incessante contre des rivaux domestiques potentiels et, surtout, requiert une légitimation publique constante. C’est là que la nouvelle mission impliquant Gaza et le Hamas entre en jeu. Parce que la survie de la Sparte israélienne dépend d’un état de guerre permanent.

La bonne nouvelle, c’est que même si le dernier membre du Hamas est tué, il restera plus de 2 millions de Gazaouis qui feront en sorte que la conquête de Gaza soit seulement un avant-goût de la guerre éternelle qui perpétuera la soumission et l’obéissance du public israélien au régime de gangs qui le contrôle.

16/09/2025

AMEER MAKHOUL
Netanyahou, le discours “spartiate” et la guerre des civilisations

Ameer Makhoul, Progress Center for Policies, 15/9/2025
Traduit par Tlaxcala

 


Dans son discours du 15 septembre au Département des comptables généraux du ministère israélien des Finances, Netanyahou a exposé sa vision de l’avenir et une dimension fondamentale de sa vision et de ses politiques, fondées sur la permanence de la guerre, déclarant : « Les dangers ne disparaissent pas, ils ne font que changer. » Netanyahou a souligné la nouvelle orientation consistant à contrer l’isolement international en se tournant vers une production militaire autonome.

On ne sait pas si le discours de Netanyahou, qui a coïncidé avec le sommet arabo-islamique de Doha et la visite du secrétaire d’État usaméricain, était lié à ces deux événements en termes de calendrier.

Analyse

Netanyahou reconnaît ouvertement l’isolement dans lequel se trouve Israël, tandis que sa conclusion est de renforcer davantage des politiques qui équivalent à un pari global et à une guerre perpétuelle jusqu’à la « victoire décisive ». Il semble convaincu qu’Israël est capable de l’atteindre, renforcé par les déclarations de Marco Rubio, qui a adopté la position et le récit d’Israël. En réalité, Netanyahou rejette toute main arabe tendue vers la compréhension ou la paix, quelle qu’en soit la forme ou la substance.

Plus dangereuse encore est l’affirmation de Netanyahou, dans le contexte des succès d’Israël dans la guerre contre l’Iran, qu’il existe de nouvelles menaces pesant sur Israël. Il a ajouté : « Même lorsqu’une force est éliminée, d’autres forces remontent à la surface… Je ne les nommerai pas. » Il a poursuivi, s’adressant aux hauts responsables du ministère des Finances : « Réfléchissez entre vous aux dangers. Les dangers ne disparaissent pas, ils ne font que changer. » Netanyahou faisait implicitement allusion à l’Égypte et à la Turquie, tout en justifiant une frappe contre le Qatar.

La question de la fabrication militaire indépendante est apparue sous la présidence de Biden, lorsque celui-ci a interdit la fourniture de bombes massives à Israël avant son occupation et sa destruction de Rafah. Biden considérait que l’armée israélienne les utiliserait contre des civils, tandis que les USA fournissaient à Israël des bombes et des équipements encore plus meurtriers pour la guerre contre le Hezbollah et l’Iran. Trump a depuis levé l’interdiction de Biden.

L’Allemagne a suivi cette ligne, interrompant l’exportation de certaines armes de destruction massive et de munitions pouvant être utilisées contre des civils lors de « l’opération Chariots de Gédéon 2 », selon la position allemande. Le Royaume-Uni et la France ont pris des mesures similaires, tandis que l’Espagne est allée plus loin en interdisant l’utilisation de ses ports pour le transfert d’armes usaméricaines vers Israël, suivie plus tard par l’Italie.

La guerre des civilisations et le “Grand Israël”

Netanyahou attribue l’isolement d’Israël à deux raisons principales : la première est « la migration illimitée des minorités musulmanes vers les pays d’Europe occidentale. Elles ne sont pas encore majoritaires, mais elles sont une minorité influente, bruyante et efficace, ce qui dissuade les gouvernements. Ces questions influencent les dirigeants, et ils ne le nient pas dans les conversations privées. »

L’Israël officiel et sa machine médiatique ont réagi de manière ostensible aux récentes manifestations racistes en Grande-Bretagne contre l’immigration, y exprimant leur soutien. Ils ont également cherché à alimenter le discours populiste européen contre les migrants, les présentant comme antisémites, anti-civilisation occidentale et manipulateurs des positions européennes. Cette rhétorique rappelle les discours de haine autrefois dirigés contre les Juifs européens lors de la montée de l’antisémitisme.

Netanyahou et son gouvernement considèrent la visite de Rubio, secrétaire d’État usaméricain dont les positions idéologiques s’alignent sur celles de Trump contre l’immigration (qu’il qualifie de « menace pour la sécurité nationale »), comme une opportunité d’inciter les deux à se débarrasser du « danger » en expulsant de force les migrants. Pour Netanyahou, la question de l’expulsion des migrants s’aligne logiquement avec ses intentions de déplacer la population de Gaza et même de la Cisjordanie.

Le second message, adressé principalement à Trump et à son administration a été l’affirmation de Netanyahou : « Des pays comme le Qatar et la Chine influencent l’opinion publique par d’énormes investissements dans des campagnes sur les réseaux sociaux. Cela change la position internationale d’Israël. Nous devrons investir des sommes énormes là-dedans. » Ce message visait également le ministère des Finances afin d’allouer des budgets à cet effet.

Netanyahou passe effectivement dans son discours de la doctrine du marché libre ouvert mondialement et intérieurement à celle d’une économie fermée basée sur l’autosuffisance et l’isolement défensif. Ce n’est pas une fin en soi, mais une partie d’une vision qui accepte les guerres perpétuelles comme une réalité. Il a déclaré : « Au moins dans les années à venir, nous devrons nous défendre et savoir comment frapper l’ennemi. » Il a ajouté qu’Israël devait être géré comme « Sparte », qui a mené de nombreuses guerres contre Athènes : « Nous devrons développer des industries d’armement ici. Nous serons à la fois Athènes et une grande Sparte. Nous n’avons pas d’autre choix. »

Conclusion

Netanyahou reconnaît que l’isolement international actuel d’Israël n’est pas temporaire ou éphémère, mais constant et durable, tandis qu’il mise sur les valeurs de Trump et sur les populistes européens.

S’il reste au pouvoir, l’approche de Netanyahou face à l’isolement international est de s’enfermer dans des intentions de guerre permanente, ne comptant que sur des solutions militaires sans aucune voie politique. Il ne s’intéresse ni à la normalisation ni même aux accords d’Abraham.

Il menace implicitement à la fois l’Égypte et la Turquie, indiquant que l’opération militaire israélienne à Doha n’est pas la fin du chemin.

Il défie les pays exportateurs d’armes en insistant sur la production indépendante de l’arsenal militaire d’Israël, ce qui nécessiterait des budgets sans précédent et peut-être indisponibles, même avec de grands changements économiques.

Netanyahou s’aligne presque totalement sur l’agenda et l’administration de Trump dans leur hostilité envers les immigrés, l’Islam et la Chine, embrassant la xénophobie et une théorie du « choc des civilisations » soutenu. Il se positionne aux côtés des forces populistes européennes — même celles qui sont antisémites — tant que leur rhétorique est anti-immigrés, cherchant à provoquer des affrontements internes en Europe avec les mouvements propalestiniens.

En exploitant la question des immigrés palestiniens et arabo-islamiques en Europe et en exigeant de gros budgets pour une propagande visant à promouvoir le récit israélien, Netanyahou cherche à ouvrir un front direct contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, les diabolisant par une rhétorique raciste comme le produit de l’immigration et une menace pour la position « européenne blanche » selon le discours colonial.

En parallèle avec le mouvement isolationniste MAGA (« Make America Great Again »), Netanyahou promeut sa doctrine isolationniste « spartiate », que l’on pourrait résumer par MIGA : « Make Israel Great Again ».

Ces changements idéologiques dans la rhétorique de Netanyahou confirment que les évolutions des positions internationales en faveur des droits palestiniens isolent de plus en plus Israël. Pourtant, les conclusions de Netanyahou ne feront qu’approfondir et aggraver cet isolement, prouvant qu’il ne s’agit pas d’une phase passagère.

08/08/2025

AMOS HAREL
Le plan de Netanyahou pour prendre le contrôle de la Ville de Gaza engage fermement Israël sur la voie d’une guerre perpétuelle

L’intensification des combats à Gaza n’a fait qu’aggraver la situation d’Israël, et la seule solution du Premier ministre est de s’enfoncer encore davantage dans le bourbier Pendant ce temps, ses ministres tentent déjà de normaliser les inévitables pertes militaires et la mort imminente des otages

Amos Harel, Haaretz, 8/8/2025
Traduit par Tlaxcala


Un drapeau israélien endommagé flotte sur Gaza, vu depuis le côté israélien de la frontière entre Israël et Gaza, le 7 août 2025. Photo : Amir Cohen / REUTERS

La crise entre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le chef d’état-major des Forces de défense israéliennes, Eyal Zamir, au sujet de la prochaine phase de la guerre dans la bande de Gaza est encore plus grave que ce que les médias ont rapporté cette semaine.

Il est plus difficile que jamais de savoir ce que Netanyahou a vraiment l’intention de faire : à ce stade, non seulement parce qu’il garde toutes ses options ouvertes, mais aussi parce qu’il est prêt à tout. Néanmoins, la tension entre les deux hommes est réelle.

Netanyahou a peut-être d’autres objectifs (apaiser l’aile messianique de droite de sa coalition gouvernementale, dissuader le Hamas), mais il semble actuellement se concentrer sur la persuasion de l’armée de se préparer à une occupation totale ou quasi totale de Gaza.

Tôt vendredi matin, après une réunion marathon, le cabinet a approuvé le plan de Netanyahou visant à préparer la prise de contrôle de la ville de Gaza. Zamir pense que cela serait désastreux. Il n’est pas inconcevable qu’il soit poussé à démissionner, ou licencié, en raison de ce différend, ce qui provoquerait de nombreux séismes secondaires au sein de l’armée israélienne.

Le conflit entre les deux hommes découle directement de l’impasse dans laquelle se trouve la guerre. Tout au long de cette guerre, la plus longue de l’histoire d’Israël, les partisans de Netanyahou ont affirmé qu’il mettait en œuvre une stratégie ordonnée qui avait permis d’obtenir des résultats importants (Iran, Liban, Syrie, coups portés au Hamas) malgré quelques accrocs en cours de route. Mais dans la pratique, il a plongé Israël dans de graves difficultés.

De mai à juillet, il y avait une possibilité de parvenir à un accord au moins partiel avec le Hamas sur la libération des otages, ce que Netanyahou prétendait vouloir. Mais sa décision d’étendre la guerre en lançant une vaste opération terrestre en mai, connue sous le nom d’opération « Les chars de Gédéon », après avoir violé unilatéralement un cessez-le-feu, n’a pas donné les résultats escomptés par lui-même et l’armée.

C’est également à ce moment-là que le fiasco de l’aide humanitaire a commencé. La Gaza Humanitarian Foundation, basée aux USA, n’a pas atteint les objectifs ambitieux qui lui avaient été fixés en matière de distribution de l’aide aux Gazaouis – ce qui était prévisible dès le départ – et la fin du contrôle du Hamas sur l’aide n’a pas mis l’organisation à genoux. Au contraire, une nouvelle catastrophe humanitaire s’est développée à Gaza, pire encore que celles qui l’ont précédée. Les propagandistes propalestiniens l’ont ensuite amplifiée par un flot de mensonges et de guerre psychologique.[sic]

La position d’Israël à l’étranger s’est encore détériorée, le gouvernement usaméricain a exercé des pressions et, il y a deux semaines, Netanyahou a été contraint d’ouvrir les portes de Gaza et d’inonder l’enclave d’aide, contrairement à toutes ses déclarations précédentes. Pourtant, les dommages causés à la population de Gaza sont si importants qu’il faudra beaucoup de temps pour les réparer. Et ne parlons même pas de l’attitude de la communauté internationale envers Israël. Ce que les touristes israéliens ont vécu en Grèce n’était qu’un début. Le nombre d’alertes concernant des attaques potentielles contre des Israéliens et des Juifs à l’étranger est en forte augmentation.

Cette semaine, nous avons appris que le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui avait tenté il y a deux mois de refuser l’allocation de 700 millions de shekels (175 millions d’euros) pour sécuriser les centres de distribution de l’aide de la GHF, alloue désormais sans sourciller 3 milliards de shekels supplémentaires à ce projet. « Les Palestiniens ne m’intéressent pas, mais détruire le Hamas, oui », a-t-il expliqué. Pendant ce temps, les Gazaouis qui tentent désespérément d’obtenir de la nourriture pour leurs familles dans les rares centres de distribution continuent de mourir, sous les balles ou piétinés à mort.


Un garçon palestinien mange du tahini cru près d’un centre de distribution de la GHF samedi. Photo Eyad Baba/AFP

À la mi-juillet, avant que la crise alimentaire n’éclate, un accord partiel sur les otages semblait proche. Israël a fait grand cas de l’occupation de deux couloirs dans la région de Morag, au sud de Gaza, afin de pouvoir les céder dans le cadre de l’accord. Les hauts responsables de la défense se montraient prudemment optimistes, comme si le cessez-le-feu initial de 60 jours en discussion allait cette fois déboucher sur un plan plus large pour mettre fin à la guerre. Mais le Hamas a rapidement saisi la nouvelle donne et, depuis lors, il n’a montré aucun signe de flexibilité dans les négociations. Il a même ajouté deux exigences : la libération des membres capturés de sa force d’élite Nukhba, qui a perpétré le massacre du 7 octobre, et le report de la libération du dernier otage jusqu’au début de la reconstruction de Gaza. Il a commencé à mettre en avant la nécessité de reconstruire Gaza, en partie pour signaler son intention de rester au sein du gouvernement du territoire.

Ces exigences ont provoqué la colère de Netanyahou et du président Trump et ont conduit les négociations dans une impasse. En réalité, toute la guerre est au point mort. Les négociations ont été suspendues, les négociateurs israéliens ont été rappelés du Qatar et les combats à Gaza sont plus statiques que jamais en raison de la crise humanitaire et de l’absence de décision sur la suite des opérations militaires. Pour utiliser une analogie sportive, Netanyahou préfère jouer large plutôt que direct. Il ne cherche pas une victoire rapide. Il veut laisser ouvertes autant d’options que possible et gagner du temps tout en évitant toute menace pour sa coalition gouvernementale.


Netanyahou donne l'accolade à Eyal Zamir, au QG de la défense à Tel-Aviv, fin juin. Photo Maayan Toaf/GPO

L’absence de progrès ouvre la voie à une crise avec les hauts responsables de l’armée israélienne, qui pourrait se traduire par un affaiblissement de l’armée et des attaques contre le chef d’état-major. À l’instar de la « ville humanitaire » de Rafah qui n’a jamais vu le jour ou du plan d’émigration des Gazaouis qui n’aboutit à rien, une telle crise donnerait aux médias un nouveau sujet de discussion. L’attente tendue des réunions décisives et des fuites permet de détourner quelque peu l’attention des échecs du gouvernement : la prolongation d’une guerre sans objectif, les cris des familles des otages, le projet de loi scandaleux visant à légaliser l’exemption du service militaire pour les ultra-orthodoxes et les mauvaises performances des ministres. Pendant ce temps, le temps passe et le gouvernement survit.

Une guerre perpétuelle pourrait également aider Netanyahou à atteindre son deuxième objectif : assurer sa victoire aux prochaines élections, même si tous les sondages prédisent sa défaite. Pour ce faire, il suffirait de saper systématiquement le processus démocratique sous le couvert de la guerre et de ses nécessités.

Zamir n’a pas non plus de solution satisfaisante à la crise qui s’est créée. L’offensive terrestre de mai n’a pas atteint son objectif et, selon Zamir, c’est parce que le gouvernement n’a pas tiré parti de ses succès pour mener une diplomatie efficace. Aujourd’hui, incapable de contraindre le Hamas à signer un accord, Israël improvise des solutions alternatives. Zamir a profité de l’accalmie des combats pour réduire les effectifs militaires à Gaza. L’armée a également pris des mesures pour réduire la charge pesant sur les réservistes cette année et a mis fin à sa politique de prolongation automatique du service des soldats appelés sous les drapeaux par des ordres d’appel d’urgence.

Normalisation de l’abandon

Le conflit avec Netanyahou s’est intensifié à la suite d’un article publié vendredi dernier par le journaliste chevronné Nahum Barnea dans le quotidien à grand tirage Yedioth Ahronoth. Barnea a écrit que Zamir envisageait la possibilité de démissionner si les décideurs politiques l’obligeaient à conquérir toute la bande de Gaza. Le cabinet du Premier ministre, suivant son habitude, a tenté de faire pression sur le chef d’état-major pour qu’il se dissocie de l’article, mais Zamir a refusé, même si la formulation sans équivoque du titre l’a apparemment quelque peu surpris.

Les raisons de la frustration de Zamir sont compréhensibles : le cabinet de sécurité ne se réunit pratiquement jamais (à la place, il y a des réunions des chefs des factions de la Knesset, un forum dépourvu de toute autorité légale) ; les rencontres personnelles entre Zamir et le Premier ministre sont rares ; et la guerre est menée à la sauvette, sans qu’aucune politique claire ne soit définie.


Une sympathisante des otages capturés le 7 octobre 2023 brandit des pancartes lors d’une manifestation exigeant la libération immédiate des otages et la fin de la guerre, à Tel-Aviv le 7 août 2025. Photo Ammar Awad/ REUTERS

Pendant ce temps, la famille Netanyahou a lancé une offensive contre Zamir. Alors que le père fait entendre sa voix dans les coulisses, le fils et la mère agissent selon leurs méthodes : via les réseaux sociaux et des fuites dans les médias. Yair Netanyahou a tweeté des accusations infondées contre le chef d’état-major, affirmant qu’il préparait un coup d’État militaire, et s’est dissocié de la responsabilité de son père dans la nomination de Zamir (en réalité, le Premier ministre avait fièrement déclaré lors de la cérémonie de nomination en mars que c’était la troisième fois qu’il voulait Zamir à ce poste).

Sara Netanyahou aurait déclaré avoir averti son mari de ne pas nommer Zamir, car il ne serait pas capable de résister à la pression des médias. Comme dans une république bananière, la presse a rapporté que Netanyahou père voulait en fait Zamir, mais que la mère et le fils avaient fait pression pour la nomination du général David Zini, qui a entre-temps été nommé à la tête du service de sécurité Shin Bet – une décision dangereuse.

Cette semaine, des correspondants diplomatiques et militaires ont reçu des fuites détaillées – d’une manière qui soulève des doutes quant au sérieux de la discussion – sur les plans exigés par Netanyahou : la conquête de la ville de Gaza et des camps de réfugiés au centre de la bande de Gaza. Il s’agit de deux des trois enclaves dans lesquelles l’armée israélienne a contraint la population palestinienne à se réfugier et où sont détenus les otages israéliens (la troisième est la région de Mawasi, sur la côte sud de la bande de Gaza).

De hauts responsables de l’armée israélienne ont averti que cela nécessiterait une opération terrestre de plusieurs mois et des actions visant à passer la zone au peigne fin et à la purger de tout terroriste, ce qui pourrait prendre jusqu’à deux ans. L’opération nécessiterait quatre à six divisions, ce qui représente un nombre astronomique de jours de réserve supplémentaires. Et l’intention est de continuer à pousser la population par la force vers le sud de la bande de Gaza tout en essayant de la contraindre à émigrer. Zamir, en revanche, a proposé d’encercler les enclaves actuelles, d’exercer une pression militaire sur elles depuis l’extérieur et d’essayer d’épuiser le Hamas, sans mettre en danger la vie des otages. Cela ne semble pas non plus être une solution gagnante.

Trump semble avoir donné le feu vert à Netanyahou pour étendre l’opération à Gaza, à condition que les forces agissent rapidement, sans s’attarder inutilement sur place. Dans le même temps, il a contraint le Premier ministre à autoriser l’acheminement de l’aide. Pour l’instant, Netanyahou, avec le soutien de Trump, s’efforce de mener une opération de grande envergure, malgré les risques. Il adhère également à des idées irresponsables qui circulent dans son entourage, selon lesquelles, après avoir occupé la ville de Gaza, il sera possible de gérer la distribution de la nourriture sur place par le biais des clans locaux.

Il existe toutefois une issue : si le Premier ministre évite de présenter un calendrier rigide, il sera toujours possible de brouiller les pistes quant au rythme de mise en œuvre et d’espérer qu’entre-temps, une autre solution émergera grâce à la menace militaire.

Les serviteurs du Premier ministre, les ministres et les députés, s’affairent à normaliser la guerre et à préparer le terrain pour que l’opinion publique accepte d’abandonner les otages à la mort. Cela commence par l’affirmation que les civils qui ont été enlevés chez eux et lors du festival de musique Nova sont en réalité des « prisonniers de guerre », c’est-à-dire des soldats capturés qui doivent attendre la fin de la guerre, à une date inconnue, pour être libérés, et cela se termine par le silence imposé aux familles des otages à la Knesset.

Zamir a un avantage certain : l’armée est toujours derrière lui. La majorité absolue des officiers le croit et partage ses considérations. Netanyahou, dont les partisans envisagent des scénarios de destitution et de remplacement, devra en tenir compte. La combinaison du danger pour la vie des soldats et des otages et d’une confrontation publique entre le Premier ministre et le chef d’état-major pourrait faire basculer l’opinion publique contre Netanyahou.


Réservistes à Gaza, en mars. Photo porte-parole de l’armée israélienne

Si Zamir fait ce qu’Eli Geva a fait pendant la guerre du Liban en 1982 – en tant que commandant de la 211e brigade blindée, il avait démissionné de l’armée pour protester contre la guerre –, nous entrerons en territoire inconnu. Cela risque d’entraîner un refus plus important de servir, en particulier parmi les unités de réserve, et de voir enfin naître un nouveau mouvement des Quatre Mères, efficace et plus virulent, à l’image de celui qui avait vu le jour en 1997 contre la guerre au Liban.

L’état réel de l’armée, qui combat à Gaza depuis 22 mois, peut être déduit d’un message publié par un major de réserve, commandant d’une unité qui utilise du matériel de génie lourd. « Au cours des trois dernières semaines, j’ai pu constater de près la gravité du problème », écrit-il. « Le manque d’organisation, l’incertitude et l’absence d’objectif opérationnel clair – des sentiments qui reviennent dans tous les cadres... Le résultat sur le terrain : les forces se déplacent sans contexte, sans continuité et sans objectif clair. Les troupes de combat le ressentent également, non seulement dans la charge, mais aussi dans un sentiment de mépris total pour les opérations. »

Lorsque les choses sont clairement énoncées, et non par des sources anonymes, les médias sont obligés de les rapporter de manière directe. Mais la plupart du temps, ils s’efforcent de brouiller les événements à Gaza sous une épaisse couche de patriotisme, de camaraderie guerrière et d’édulcoration.

6 août 2025 : une fillette palestinienne devant le centre de santé Sheikh Radwan, dans le nord de la ville de Gaza, après sa destruction lors d'une frappe nocturne. Photo Omar Al-Qattaa/AFP