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20/11/2025

La “malédiction bénie” qui redéfinit Israël : limites globales, tournant de Gaza et nouvel ordre

Gideon Levy, Haaretz, 19/11/2025
Traduit par Tlaxcala


Des manifestants protestent contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et la guerre à Gaza, près de Jérusalem en septembre. Photo Olivier Fitoussi

 

Les bonnes nouvelles nous tombent dessus comme des cadeaux venus du ciel. Tandis que dans les médias tout est présenté comme défaites et désastres, cela faisait longtemps que nous n’avions pas connu un changement susceptible d’augurer l’espoir.

Voici la liste : Israéliens et Palestiniens subissent une internationalisation accélérée du conflit ; le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé une résolution qui va dans le bon sens ; Israël est ramené à ses véritables dimensions à une vitesse encourageante, et le sort des Palestiniens est de plus en plus soustrait à son contrôle exclusif. Difficile d’en demander davantage. Ce qui a été présenté en Israël comme une série de défaites humiliantes est en réalité une collection d’évolutions encourageantes.

La plus importante d’entre elles est le retour d’Israël à ses véritables dimensions. La superpuissance est redevenue une superpuissance, et son État-client est revenu à sa place naturelle. L’état de choses où il était difficile de savoir qui était dans la poche de qui, l’effacement des rôles entre la superpuissance et son État-client, qui a duré des décennies, a pris fin. C’est une bonne nouvelle pour Israël.

La mégalomanie est morte, le délire de grandeur et d’omnipotence de l’État est terminé. Et c’est une bonne chose. Israël ne peut plus faire tout ce qui lui plaît. Le génocide à Gaza devait prendre fin – non pas parce que le Premier ministre Benjamin Netanyahou le voulait, mais parce que le président usaméricain Donald Trump l’a ordonné. Sans lui, le massacre aurait continué.

La « défaite » sous la forme de l’accord visant à fournir des avions de chasse F-35 à l’Arabie saoudite n’est pas nécessairement une défaite. La décentralisation des armes dans la région pourrait mener à une forme d’endiguement d’Israël, qui jusqu’ici s’est comporté comme le caïd du quartier que tout le monde craint : bombardant et assassinant à travers la région, violant toutes les souverainetés possibles, à qui tout était permis et qui n’était sanctionné pour rien.

C’est terminé – et c’est une bonne chose pour Israël, car nombre des désastres qui l’ont frappé étaient la conséquence directe de son arrogance et de son agressivité, comme s’il n’existait ici aucun autre pays. Désormais, il y en a un. Israël ne sera plus le seul dans le voisinage à posséder l’avion de chasse le plus avancé du monde ; cette arme ne sera plus exclusivement entre ses mains, et il lui faudra réfléchir avant sa prochaine sortie de bombardement dans la région.


Netanyahou s’adresse à la séance plénière de la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem, la semaine dernière.
Photo Ronen Zvulun/Reuters

L’appropriation par les USA de ce qui se passe à Gaza est également une évolution positive. Depuis des décennies, et tout particulièrement ces deux dernières années, nous avons vu ce qu’Israël sait faire dans la bande. Le résultat : Gaza est un cimetière. Il y a un nouveau garçon dans le quartier ; voyons ce qu’il saura faire. Cela ne peut être pire que ce qu’Israël a fait.

Retirer à Israël le contrôle pourrait mener à un processus similaire en Cisjordanie. Cela prend des allures de rêve. L’entrée d’une force multinationale en Cisjordanie pourrait mettre fin à une situation où une nation y vit, sans défense et sans droits, tandis qu’une autre l’abuse sans relâche. Cela reste une vision lointaine, mais elle pourrait se réaliser.

Pendant ce temps, les USA renforcent leurs liens avec l’Arabie saoudite. En quoi cela lèse-t-il exactement Israël ? Israël demande déjà une compensation pour la perte de son « avantage militaire qualitatif », comme si celui-ci lui avait été donné par une promesse divine en même temps que ses droits exclusifs sur cette terre. Sur quelle base Israël pense-t-il être le seul à mériter et à avoir le droit de s’armer jusqu’aux dents ?


Des Palestiniens passent devant les décombres de bâtiments détruits, au milieu d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, dans la ville de Gaza, mercredi.
Photo Dawoud Abu Alkas/Reuters

Des attaques chaque fois que quelque chose ne lui plaît pas, des violations flagrantes de cessez-le-feu, des assassinats et des actes de terreur : Israël ne croit pas seulement que tout lui est permis, il est convaincu que rien n’est permis aux autres.

Cet état d’esprit l’a corrompu, et peut-être qu’à présent il prendra fin. Un Israël plus modeste dans ses ambitions et moins armé de moyens offensifs pourrait avoir une chance d’être davantage accepté dans la région. 

En 1970, l’historien israélien Shabtai Teveth a publié les versions hébreue et anglaise de son livre sur le lourd prix qu’Israël a payé pour sa victoire lors de la guerre des Six-Jours en 1967, La bénédiction maudite : l’histoire de l’occupation par Israël de la Cisjordanie. L’heure est venue, aujourd’hui, de « la malédiction bénie » : il ne s’agit pas de malédictions qui s’abattent sur nous, mais peut-être de bénédictions qui marqueront la fin de l’ère du messianisme et de l’arrogance envers tous. Le début d’un retour à la réalité.


20/10/2025

Israël entre guerre d’extermination et guerre électorale

Ameer Makhoul, Progress Center for Policies, 18/10/2025

إسرائيل بين حرب الإبادة وحرب الانتخابات

Traduit par Tlaxcala

Guerre sur tous les fronts, par Patrick Chappatte

Introduction

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Israël Katz ont de nouveau menacé de reprendre la guerre contre la bande de Gaza, avertissant qu’ils recourraient à la force si le Hamas ne remettait pas les corps des captifs et détenus israéliens.
Dans le même temps, le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, a intensifié ses contacts avec l’administration Trump, présentant des rapports de renseignement affirmant que le Hamas serait en mesure de restituer un grand nombre de corps, une manœuvre perçue comme une préparation à un feu vert usaméricain pour une nouvelle escalade militaire.

Parallèlement, le Forum des familles des captifs et détenus a publié un appel public à Netanyahou, exigeant la reprise de la guerre tant que tous les corps ne sont pas restitués,  transformant ainsi une demande humanitaire en instrument politique dans la lutte interne pour le pouvoir en Israël.

La guerre au service de la politique intérieure
Les nouvelles menaces israéliennes semblent motivées davantage par des besoins politiques et électoraux que par des objectifs militaires immédiats. Netanyahou et Katz ont même rebaptisé la guerre contre Gaza, passant de « Épées d’or » à « Guerre de la renaissance » ou « Guerre de la résurrection », cherchant à remodeler le récit israélien et à l’inscrire dans une « Guerre des sept fronts », incluant le Liban, la Syrie, le Yémen, l’Irak, l’Iran, la Cisjordanie et Gaza.

Par ce changement de marque, Netanyahou tente de détourner les appels à la reddition de comptes concernant les événements du 7 octobre 2023 ,  notamment la création d’une commission d’enquête officielle, qu’il continue de refuser sous prétexte que « les enquêtes ne peuvent pas se tenir en temps de guerre ». Cette stratégie est étroitement liée aux élections prévues pour l’été 2026.

Les lacunes du plan Trump et ses répercussions régionales
Les menaces israéliennes coïncident avec les débats autour des détails du « plan Trump » pour mettre fin à la guerre, qualifié par le ministère égyptien des Affaires étrangères de « truffé de failles ». Les points non résolus comprennent :

  • L’échange de corps et de prisonniers.
  • Le désarmement de Gaza et du Hamas.
  • Le retrait progressif d’Israël.
  • La gouvernance et la reconstruction d’après--guerre.

Les estimations palestiniennes évaluent le coût de la reconstruction de Gaza entre 60 et 70 milliards de dollars. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis auraient exprimé une volonté conditionnelle de contribuer chacun à hauteur de 20 milliards, à condition qu’il y ait stabilité, désarmement et retrait du Hamas du pouvoir,  signe que l’aide financière est étroitement liée au cadre politique et sécuritaire en formation.


La règle de Netanyahou…
Dans une lutte pour la survie, les mesures extrêmes sont justifiées !
— … Surtout si c’est la survie de ma carrière politique !
David Horsey

La dimension électorale interne
Un sondage du quotidien Maariv montre une amélioration de la position de la coalition au pouvoir après la libération du dernier groupe de captifs et détenus vivants. Le soutien au Likoud a augmenté, tandis que le parti Sonisme religieux de Bezalel Smotrich a franchi le seuil parlementaire. À l’inverse, le parti de Benny Gantz est passé en dessous de ce seuil.
Le sondage prévoit 58 sièges pour l’opposition, 52 pour la coalition et 10 pour les partis arabes, susceptibles de progresser aux prochaines élections.

Pour Netanyahou, cette configuration est idéale : elle lui permet de former une minorité de blocage empêchant l’opposition de constituer un gouvernement sans s’appuyer sur un parti arabe,  scénario inacceptable pour le consensus sioniste. Il pourrait ainsi rester Premier ministre intérimaire à long terme, avec un contrôle parlementaire minimal, d’où son intérêt pour des élections anticipées si les tendances se confirment.

Entre l’option de guerre et le besoin de stabilité
Malgré la rhétorique belliqueuse, les contraintes internes et internationales limitent la probabilité d’une reprise de la guerre. L’épuisement militaire, moral et économique en Israël, combiné à l’absence de feu vert usaméricain, fait d’un nouveau conflit un risque politique plutôt qu’une opportunité stratégique.

Le plan Trump — bénéficiant d’un large soutien régional et international — constitue la pierre angulaire de la stratégie de Washington pour rétablir l’équilibre au Moyen-Orient, notamment en vue de finaliser les accords de normalisation avec l’Arabie saoudite et l’Indonésie. Un échec affaiblirait la crédibilité des USA dans la gestion des règlements régionaux.

Le dilemme des corps et le rôle des acteurs régionaux
La question des corps des captifs constitue un test réel pour la solidité de l’accord. Des sources israéliennes reconnaissent d’importants obstacles logistiques liés à la destruction des infrastructures et des tunnels de Gaza, où beaucoup de corps seraient encore ensevelis.

Le gouvernement Netanyahou a catégoriquement refusé d’autoriser l’aide d’équipements turcs pour les opérations de récupération, une décision politique visant à limiter l’influence d’Ankara et à instrumentaliser sa position sur la Syrie. Cependant, un courant croissant en Israël plaide pour une administration de Gaza dirigée par l’Autorité palestinienne afin d’éviter un vide administratif qui profiterait au Hamas ou à d’autres acteurs extérieurs.

Conclusion
La menace israélienne de reprendre la guerre est avant tout une manœuvre électorale et médiatique visant à mobiliser le soutien intérieur et à exploiter la question des captifs à des fins politiques.

Aucun signe concret n’indique une réelle intention de relancer la guerre, compte tenu du manque de soutien usaméricain, de l’épuisement social et militaire, et de l’opposition interne de l’armée.
Le changement de nom de la guerre en « Guerre de la résurrection » reflète une tentative d’échapper à la reddition de comptes pour les échecs du 7 octobre.
Les décisions israéliennes majeures — guerre ou paix — demeurent profondément liées au calcul électoral de Netanyahou et à son effort pour préserver son pouvoir.
Le facteur décisif des mois à venir sera l’engagement de Washington envers le plan Trump, qui demeure aujourd’hui le seul cadre viable pour l’arène israélo-palestinienne.

05/10/2025

GIDEON LEVY
Oui, il faut pleurer sur le sang versé : des générations passeront avant que Gaza oublie le génocide


Gideon Levy, Haaretz, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

Il faut une dose extraordinaire d’optimisme pour ne pas être accablé – ou rabat-joie – face à l’accord sur Gaza. Mais c’est possible : la proposition présente certains points positifs.


Des Palestiniens inspectent les dégâts dans un quartier résidentiel après une opération israélienne dans la zone, samedi.
Photo Ebrahim Hajjaj / REUTERS


Ce n’est pas un accord de paix entre Israël et Gaza, ce qui aurait bien sûr été préférable, mais plutôt un accord que les USA ont imposé à Israël. Il est depuis longtemps évident que seul un accord imposé peut amener Israël à changer. Le voici donc. C’est un signe d’espoir pour la poursuite d’une politique usaméricaine contraignante — sans laquelle rien ne bouge.

Des dizaines de milliers de vies ont été sauvées ce week-end. La peur, la faim, les maladies, les souffrances et les privations de plus de deux millions de personnes pourraient peu à peu prendre fin. Dimanche, elles auront au moins leur première nuit de sommeil sans la menace des bombardements au-dessus de leurs têtes. Des centaines de personnes retrouveront aussi leur liberté : les 20 otages israéliens encore en vie, les 250 prisonniers palestiniens purgeant des peines à perpétuité en Israël, et les 1 800 habitants de Gaza, pour la plupart innocents, détenus en Israël.

Oui, dans un même souffle : les détenus palestiniens ont eux aussi des familles qui ont enduré des mois, voire des années, d’angoisse et d’incertitude quant au sort de leurs proches. La plupart méritent enfin d’être libérés. Aucun des 1 800 détenus de Gaza qui seront libérés n’a été jugé. Eux aussi ont été enlevés. Il vaut mieux éviter de comparer les conditions de détention : elles ont été terribles des deux côtés. Leur libération est donc une source de joie – pour tous : tous les otages et toutes les familles.

Cet accord rétablit l’ordre dans les relations usaméricano-israéliennes : Israël est l’État client, et les USA la superpuissance. Ces définitions s’étaient complètement brouillées ces dernières années, au point que, surtout sous les administrations Obama et Biden, il semblait parfois qu’Israël était le patron et l’USAmérique son protectorat. Enfin, un président usaméricain ose utiliser le levier immense dont il dispose pour dicter les actions d’Israël. Les décisions imposées par Donald Trump sont bénéfiques pour Israël — même si peu l’admettent.

Mettre fin à la guerre est bien sûr une bonne chose pour Gaza, mais c’est aussi une bonne chose pour Israël. Ce n’est pas le moment d’énumérer tous les dommages terribles que cette guerre a causés à Israël, certains irréversibles. Le monde n’oubliera pas de sitôt le génocide ; il faudra des générations avant que Gaza oublie.
Arrêter la guerre maintenant est le moindre mal pour Israël, qui a perdu son chemin. Ces derniers mois, le pays était au bord de l’effondrement moral et stratégique. L’oncle Donald le ramène à ses proportions d’origine et, peut-être, lui ouvre une voie différente.

Israël aurait pu éviter cette guerre, qui ne lui a causé que du tort. Mais il aurait aussi pu gérer sa fin autrement. Des négociations directes avec le Hamas et des gestes de bonne volonté auraient pu changer la donne. Un retrait total de la bande de Gaza et la libération de tous les prisonniers auraient signalé un nouveau départ. Mais Israël, comme toujours, a choisi d’agir différemment — de ne faire que ce qu’on lui impose.

Gaza, et même le Hamas, sortent de cette guerre debout. Battus, saignants, épuisés, ruinés, mais debout. Gaza est devenue une Hiroshima, mais son esprit vit encore. La cause palestinienne avait complètement disparu de l’agenda international — encore un moment de paix avec l’Arabie saoudite, et les Palestiniens seraient devenus les Indiens d’Amérique de la région — puis la guerre est venue, les ramenant au centre de l’attention mondiale. Le monde les aime, le monde les plaint.

Il n’y a pas de consolation pour les habitants de Gaza, qui ont payé un prix indescriptible — et le monde pourrait encore les oublier —, mais pour l’instant, ils sont au sommet de l’attention mondiale.

Ce moment doit être saisi pour changer l’état d’esprit en Israël : il est temps que les Israéliens ouvrent les yeux et voient ce qu’ils ont fait.

Peut-être qu’il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé, mais le sang versé est autre chose. Il est temps d’ouvrir la bande de Gaza aux médias et de dire aux Israéliens : “Voyez, voilà ce que nous avons fait”.
Il est temps d’apprendre que s’appuyer uniquement sur la force militaire mène à la dévastation.
Il est temps de comprendre qu’en Cisjordanie, nous créons un autre Gaza.
Et il est temps de regarder droit devant et de dire : nous avons péché, nous avons agi avec perversité, nous avons transgressé.

28/09/2025

GIDEON LEVY
Netanyahou, si tuer 20 000 enfants à Gaza est une bonne chose, alors qu’est-ce qui est mal ?

Gideon Levy, Haaretz, 28/9/2025
Traduit par Tlaxcala

« Nous n’en avons pas encore fini », a-t-il déclaré d’une voix tonitruante, menaçant comme un parrain de la mafia la bande de Gaza mourante devant l’Assemblée générale des Nations unies, aussi vide qu’un cinéma qui aurait projeté le même film pendant trop longtemps. « Nous n’en avons pas encore fini », a-t-il également menacé les Israéliens qui veulent déjà le voir disparaître de leur vie.

Le discours prononcé vendredi par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a une nouvelle fois mis en évidence le fait que nous n’en avons pas encore fini avec lui et qu’il n’en a pas encore fini avec la bande de Gaza et avec nous.

Malgré l’étrange pin’s avec un code QR renvoyant vers des images et des vidéos du massacre du 7 octobre, les gadgets enfantins, le quiz, la carte et les haut-parleurs à Gaza, il reste un démagogue de premier ordre : un meurtrier de masse, l’homme le plus recherché au monde – le simple fait qu’il soit autorisé à monter sur l’estrade de l’ONU est un scandale – se faisant passer pour Mère Teresa.

Quiconque l’écouterait sans rien savoir de ce que son pays fait à Gaza et en Cisjordanie pourrait être tenté de penser que les Forces de défense israéliennes sont l’Armée du Salut, qu’Israël rivalise avec l’UNICEF pour venir en aide aux enfants dans le besoin et qu’il est lui-même un disciple de longue date des enseignements du Mahatma Gandhi. Oui, Netanyahou n’a rien perdu de son talent.

Les débuts étaient prometteurs. L’exode massif de la salle aurait dû faire honte à tous les Israéliens et les amener enfin à se demander : Israël a-t-il finalement commis une erreur ? On peut supposer sans risque que la plupart des Israéliens répondraient : « C’est l’antisémitisme, idiot. »

Puis vint l’authenticité : le Premier ministre raconta fièrement comment Israël avait pilonné, détruit, écrasé, paralysé et dévasté toute la région environnante. Des dizaines de synonymes pour « anéantir ». Il a utilisé son marqueur noir habituel pour cocher la carte de l’année dernière, couvrant toute la zone de destruction et peut-être aussi celles à venir. Quel honneur. Seule Gaza manquait. Et la Cisjordanie. Peut-être les a-t-il oubliées.

Un groupe de flagorneurs – particulièrement restreint cette année, sans tous les riches Juifs des années précédentes – a applaudi ; le chef de cabinet du Premier ministre, Tzachi Braverman, a lancé des regards sévères à tout le monde, s’assurant que personne ne s’abstienne.

Puis vinrent la démagogie, la propagande et les mensonges insupportables, même selon ses propres critères. « Vous avez vu la photo d’Evyatar David. Émacié, contraint de creuser sa propre tombe », a-t-il déclaré. Avez-vous vu, Monsieur le Premier ministre, la photo de Marwan Barghouti dans une prison israélienne ?

Avez-vous vu le squelette humain, cet homme qui aurait pu apporter la paix ? Vous avez transformé le bien en mal... et le mal en bien, a-t-il prêché en termes bibliques aux pays européens qui ont reconnu l’État palestinien.

Par le bien, vous vouliez dire Israël, Netanyahou ? Comment votre main n’a-t-elle pas tremblé lorsque vous avez écrit ces mots ? Comment votre voix n’a-t-elle pas tremblé lorsque vous les avez prononcés ? Est-ce bien de tuer 1 000 bébés de moins d’un an et 20 000 enfants au total ? De créer 40 000 nouveaux orphelins ? De détruire systématiquement Gaza, sans laisser une seule pierre debout ?

Si c’est ça votre bien, alors qu’est-ce que le mal ? Est-il humain de parler d’autoriser une aide équivalente à 3 000 calories par jour pour chaque habitant de la bande de Gaza ? Est-il légitime de mentionner un beau jeune couple de l’ambassade israélienne à Washington qui a été assassiné à proximité pour la personne qui est responsable du meurtre de dizaines de milliers de beaux jeunes couples à Gaza – un massacre qu’il n’a pas terminé, de son propre aveu ?

Est-il juste d’affirmer (sans citer la source) que près de 90 % des Palestiniens ont soutenu l’attaque du 7 octobre, sans dire combien d’Israéliens juifs soutiennent le génocide, certains avec joie, d’autres en silence ? Le seul chiffre vrai qu’il a cité est que plus de 90 % des députés israéliens ont voté contre l’imposition d’un État palestinien. Comme c’est vrai et comme c’est honteux.

Le summum de cette démagogie mensongère est venu dans la défense contre les accusations de génocide. Les nazis ont-ils gentiment demandé aux Juifs de partir, a-t-il demandé, comparant Israël aux nazis. Eh bien, M. Netanyahou, les nazis ont expulsé les Juifs avant que l’extermination commence.

Entre 1939 et 1941, ils ont expulsé et déporté les Juifs d’Allemagne, de Tchécoslovaquie et d’Autriche vers la Pologne occupée. Leur plan Madagascar rappelle votre plan Riviera et celui de Donald Trump. L’holocauste arménien a également commencé par des expulsions massives.

Nous n’en avons pas encore fini, a déclaré mon Premier ministre, le Premier ministre de tous.

24/09/2025

CHAIM LEVINSON
Plus isolé que jamais, Netanyahou va tenter de persuader Trump de tenir bon pour remporter la victoire à Gaza

L’Assemblée générale des Nations unies a démenti le grand mensonge de Netanyahu et montré que, contrairement à ce qu’il affirme, les États arabes, les USA et d’autres pays occidentaux souhaitent tous que le Hamas soit écarté. Trump doit désormais décider quelle voie permettra d’y parvenir le plus rapidement : un accord imposé à Israël ou la conquête de la ville de Gaza.

Chaim Levinson, Haaretz, 24/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou se rendra mercredi soir à une fête qui est déjà terminée. Tous les invités importants sont partis, et il arrive en même temps que l’équipe de nettoyage venue balayer les confettis. Vendredi, jour de son discours, aucun dirigeant mondial important ne sera en ville pour le rencontrer.

Il est seul, plus isolé que jamais, accroché au bord de la falaise, avec seulement la main de Donald Trump pour l’empêcher de tomber.

Paresh Nath

La 80e Assemblée générale des Nations unies a peut-être été la plus dure à l’égard d’Israël. Netanyahu, qui s’est présenté pendant des années comme un génie diplomatique, qui a méprisé tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui, qui a ignoré tous les avertissements sur la détérioration de la situation en Israël, est resté chez lui à regarder la télévision tandis que ceux qu’il considérait autrefois comme ses alliés lui tournaient le dos.

L’initiative franco-saoudienne visant à reconnaître l’État palestinien prend de l’ampleur, même si elle n’a pas de poids pratique immédiat. La réunion à huis clos entre les dirigeants arabes et musulmans et Trump au siège de l’ONU, au cours de laquelle ils ont discuté de Gaza, a été beaucoup plus significative.

Parmi les participants figuraient l’émir du Qatar et le président turc. Leur objectif : persuader Trump qu’une fin immédiate de la guerre était possible – les États arabes prendraient le contrôle de Gaza, la reconstruiraient et écarteraient le Hamas.

Il est frappant de constater que presque aucun détail de cette réunion n’a filtré dans les médias arabes. Un responsable qatari qui s’est entretenu avec Haaretz a refusé de révéler ce qui avait été dit, mais son ton suggérait une certaine satisfaction. Israël, notamment, n’avait pas été invité – et ce n’était pas à cause de Rosh Hashanah, le nouvel an juif.

Lundi, ce sera au tour de Netanyahou de rencontrer Trump à la Maison Blanche. Son discours de vendredi sera destiné à la consommation intérieure, comme d’habitude. Il répétera ses « cinq conditions » pour mettre fin à la guerre à Gaza, mais les véritables décisions seront prises à Washington.

« Trump est fortement influencé par la dernière personne qui se trouve dans la pièce avec lui », a déclaré l’un des confidents du président à Haaretz. « Netanyahou entendra de sa bouche tout ce qu’il a entendu des dirigeants arabes. »

Pendant ce temps, l’envoyé spécial Steve Witkoff, qui était également présent à New York, s’efforce de sauver le « plan Witkoff » : la libération de dix otages, un cessez-le-feu et la garantie par Trump de la fin de la guerre.

Witkoff est depuis longtemps proche de la famille régnante qatarie Al-Thani. Depuis la tentative d’assassinat ratée d’Israël contre les dirigeants du Hamas, le Qatar a coupé tout contact direct avec Israël, mais continue de négocier avec Washington.

Son espoir est de conclure un accord avec les USAméricains qui forcerait Israël à céder. Ces derniers jours, Witkoff et le Premier ministre qatari Mohammed Al-Thani ont bricolé une nouvelle lettre du Hamas proposant la libération de dix otages.

Il n’est pas certain que Witkoff parvienne à convaincre Trump, ni que Netanyahou l’emporte.

L’objectif de Netanyahou est de convaincre Trump d’attendre encore un peu, en lui faisant croire que la prise imminente de la ville de Gaza va transformer la guerre. Il montre à des journalistes amis des rapports des services de renseignement – des rapports soigneusement sélectionnés, bien sûr – qui soulignent la crainte du Hamas face à la conquête imminente de la ville. Selon lui, il ne faut plus que quelques mois, puis soit la victoire sera remportée, soit la prochaine stratégie sera prête.

Trump l’a soutenu jusqu’à présent, et Netanyahou veut plus de temps face aux pressions croissantes.

Au cœur du dilemme de Trump se trouve une question simple : qu’est-ce qui permettra de renverser le Hamas plus rapidement : un accord imposé à Israël, avec l’intervention des États arabes pour mettre fin à la guerre, ou la conquête de la ville de Gaza ?

La grande supercherie de Netanyahou est le mythe selon lequel il est le seul à vouloir se débarrasser du Hamas. La réunion de l’ONU de cette semaine a souligné un consensus qui existe depuis deux ans et que Netanyahou s’est efforcé de minimiser : les États arabes, les USA et l’Occident veulent tous que le Hamas soit renversé et remplacé par un gouvernement civil normal [sic].

Huit mois après son entrée en fonction, Trump reste difficile à cerner. Son discours à l’ONU était parfois incohérent, à l’image des divagations des complotistes antivaxx sur Facebook. Pourtant, à certains moments, il se montre vif et saisit clairement la dynamique.

Quel Trump Netanyahou rencontrera-t-il lundi : le tonton maboul à la table de Rosh Hashanah ou l’homme d’affaires qui sait flairer le mensonge ? Nous le saurons lundi.

 

 

23/09/2025

JOSHUA LEIFER
La vision de Netanyahou pour l’avenir d’Israël n’est pas Sparte, c’est pire

En tant que Premier ministre, Benjamin Netanyahou a toujours rêvé d’un Israël affranchi des contraintes et conditions imposées par les USA.

Joshua Leifer, Haaretz, 21/9/2025
Traduit par Tlaxcala


Joshua Leifer (New Jersey, 1994) est journaliste et historien. Il est chroniqueur pour Haaretz. Ses essais et reportages ont également paru dans The New York Times, The New York Review of Books, The Guardian, et ailleurs. Son premier livre, Tablets Shattered: The End of an American Jewish Century and the Future of Jewish Life (2024), a remporté un National Jewish Book Award. Il est actuellement doctorant en histoire à l’université Yale, où ses recherches se situent à l’intersection de l’histoire intellectuelle moderne, de la politique juive contemporaine, de la politique étrangère usaméricaine et de la mémoire de la Shoah. Sa thèse porte sur la politique de l’antisémitisme et la crise de l’ordre libéral.

La nuit où les forces terrestres israéliennes ont commencé leur invasion de Gaza, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a prononcé un discours au ministère des Finances dans lequel il a exposé sa sombre vision de l’avenir du pays comme un État voyou isolé. Face à l’intensification des sanctions internationales – le lendemain, l’Union européenne annonçait la suspension de composantes clés de son accord commercial avec Israël – Israël devrait devenir une « Super-Sparte », a-t-il déclaré.


Ancien consultant en management qui avait contribué à mener la révolution du marché libre en Israël, Netanyahou a expliqué que l’économie du pays devrait adopter des « marqueurs d’autarcie » et sortir « très vite » du Consensus de Washington qui régissait les affaires économiques mondiales. En d’autres termes, il s’agissait de se rapprocher du modèle de Moscou et de Pyongyang.

Pourtant, ce discours de Netanyahou esquissait non seulement une nouvelle vision pour Israël, mais aussi un tableau du nouvel ordre mondial émergent et de la place d’Israël en son sein. « Le monde s’est divisé en deux blocs », dit-il. « Et nous ne faisons partie d’aucun bloc. »

Sur scène ce soir-là, Netanyahu semblait presque encouragé par la possibilité que ce supposé non-alignement offrirait à Israël une plus grande marge de manœuvre dans son assaut contre Gaza. Mais un isolement à long terme est bien plus susceptible de menacer Israël que de le sécuriser. Chaque grand homme d’État israélien avait compris ce principe de base – du moins jusqu’à présent.

Ennemi des valeurs de l’Europe

Depuis sa première campagne pour devenir Premier ministre, Netanyahou a rêvé de se libérer des conditions et contraintes imposées à Israël par les USA, aussi minimales fussent-elles. Dans une note de 1996 intitulée A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm, un groupe de stratèges néoconservateurs et de conseillers de Netanyahou appelaient Israël à établir une nouvelle relation avec l’USAmérique « fondée sur l’autonomie ». Si Israël n’avait plus besoin d’une aide usaméricaine substantielle, pensaient-ils, Washington aurait moins de leviers pour forcer Israël à des compromis avec les Palestiniens.

Pourtant, Netanyahou a toujours imaginé Israël comme faisant partie du bloc occidental dirigé par les USA. Dans son livre de 1998, A Place Among the Nations, il soutenait qu’avec la fin de la guerre froide, Israël devait agir comme le chien de garde du nouvel ordre unipolaire, le policier de l’Occident au Moyen-Orient. « Avec personne dans la région pour contrôler en permanence leurs ambitions ou leurs plans obsessionnels d’armement », écrivait-il au sujet des « régimes militants » du Moyen-Orient, le rôle d’Israël était désormais de « sauvegarder l’intérêt plus large de la paix ». Tacitement, et parfois explicitement, les dirigeants usaméricains et européens ont adopté ce rôle pour Israël et l’ont soutenu en conséquence.

La destruction de la bande de Gaza par Israël – et la crise régionale prolongée qu’elle a déclenchée – a changé cela.

Après des mois d’inaction, alors que les forces israéliennes rendaient Gaza inhabitable, les États européens ont commencé à imposer des conséquences à Israël. Les dirigeants européens reconsidèrent également ce que sera leur relation avec Israël à l’avenir. Et ce n’est pas seulement, ni même principalement, parce que les protestations contre la guerre israélienne ont transformé la destruction de Gaza en un problème politique intérieur explosif dans les capitales européennes. C’est plutôt parce que l’Israël de Netanyahou s’est déclaré ennemi des valeurs dont la nouvelle Europe est fière : la paix, la démocratie et les droits de l’homme.

Aux USA, Israël n’a pas seulement perdu la gauche – cela est ancien – mais il a aussi commencé à perdre la droite. Sur les réseaux sociaux, des comptes et influenceurs d’extrême droite, appartenant au monde MAGA, diffusent des théories du complot antisémites délirantes sur des sujets allant des antibiotiques à l’assassinat de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. L’ancien animateur de Fox, Tucker Carlson, a gagné en popularité en synthétisant le sentiment anti-israélien croissant dans son nationalisme « America First ». La nouvelle droite usaméricaine ne verse aucune larme pour les musulmans morts, mais se réjouit de la nouvelle image d’Israël comme une force démoniaque et sinistre.

En 2021, Ron Dermer, alors ancien ambassadeur d’Israël aux USA, avait provoqué un tollé en suggérant qu’Israël devrait privilégier le soutien des chrétiens usaméricains plutôt que celui des juifs usaméricains. Sur ses propres termes – obtenir un soutien pour les guerres d’Israël – cette stratégie a manifestement échoué. Contrairement aux évangéliques plus âgés, généralement de fervents partisans d’Israël, les jeunes chrétiens usaméricains commencent déjà à se détourner. Comme l’a récemment dit Megyn Kelly, ancienne présentatrice conservatrice de Fox, à Carlson : « Tous les moins de 30 ans détestent Israël. »

Rupture avec la politique étrangère sioniste

La démolition intentionnelle du consensus bipartisan aux USA par Netanyahou et son entourage a toujours été un pari orgueilleux. Comme une grenade mal chronométrée, elle leur a explosé au visage. Bien qu’ils n’aient pas eu tort de constater que la droite usaméricaine était en train de monter, le bureau du Premier ministre a manqué le fait que cette nouvelle droite tirait sa force de la promesse d’isolement, alimentée par la colère contre le paradigme interventionniste que les alliés les plus proches d’Israël à Washington représentaient. Formés à l’apogée du néoconservatisme, ces hommes n’avaient guère réfléchi à la perspective d’un monde post-usaméricain.

Face aux condamnations croissantes et aux sanctions internationales imminentes, Netanyahou a refusé d’arrêter l’assaut israélien. Désormais, pour poursuivre la guerre – que ce soit par survie politique étroite, messianisme mégalomaniaque ou une combinaison des deux – il propose rien de moins qu’une rupture totale avec le principe le plus fondamental de la politique étrangère sioniste.

Dès ses premières années, lorsque Theodor Herzl chercha à obtenir une audience avec le sultan ottoman, le sionisme a travaillé à obtenir et à compter sur le soutien des grandes puissances. Il réussit non par intervention divine ou plan providentiel, mais parce que les premiers dirigeants sionistes recherchaient activement de telles alliances. Ils comprenaient que pour les Juifs, comme pour d’autres petites nations, l’isolement était un piège mortel. Au cours du dernier siècle, de vieux empires sont tombés, de nouvelles puissances les ont remplacés, mais le principe est resté le même.

Après la fondation d’Israël, ses premiers dirigeants craignaient énormément que sans alliances avec des puissances régionales et mondiales plus fortes, le projet sioniste échoue. En 1949, Moshe Sharrett, alors ministre des Affaires étrangères, se lamentait : « Nous vivons dans un état d’isolement malveillant au Moyen-Orient. » David Ben-Gourion rêvait d’un accord de défense mutuelle avec les USA. Avec le temps, Israël réussit à obtenir le soutien usaméricain ; c’est sans doute l’une des raisons de sa survie.

Peut-être que l’un des aspects les plus incohérents, voire délirants, de la vision de Netanyahou est qu’il a proclamé la non-appartenance présumée d’Israël à tout bloc mondial au moment même où Israël apparaît comme le factotum capricieux de l’USAmérique. Les deux dernières années ont démontré la dépendance totale d’Israël envers les USA pour tout, des munitions au partage du renseignement. La guerre de 12 jours contre l’Iran a révélé Israël comme une sorte d’État vassal, implorant l’aide du seigneur féodal.

Il y a toutefois une chose que le récent discours de Netanyahou a bien identifié. L’ordre unipolaire post-1989 est terminé. La transition vers le siècle post-usaméricain a également menacé de faire s’effondrer le système de normes et d’institutions internationales qui s’était formé sous l’hégémonie hémisphérique, puis mondiale, des USA. Israël doit sa prospérité actuelle, sinon son existence même, à ce système.

Et pourtant, tout au long des deux dernières années de guerre acharnée, les dirigeants israéliens, Netanyahou en tête, ont semblé vouloir abattre ce système. Les actions d’Israël à Gaza ont gravement terni sa légitimité. À long terme, cependant, Israël sera voué à l’échec sans lui.

Dans son discours cette semaine, Netanyahou a puisé dans la tradition grecque, mais peut-être que la référence la plus pertinente se trouve dans la Bible hébraïque. Ce que Netanyahou propose n’est pas Sparte, mais Samson.

Mort de Samson, par Gustave Doré, 1866

18/09/2025

ZVI BAR’EL
La survie d’une Sparte israélienne dépend d’un état de guerre permanent

Zvi Bar'el , Haaretz, 16/9/2025
Traduit par Tlaxcala

La conquête de la ville de Gaza est censée offrir à l’État d’Israël l’image de la victoire totale. Ce n’est pas l’Iran, ni la Syrie, ni le Liban et certainement pas les Houthis au Yémen qui sont l’ennemi ultime que Benjamin Netanyahou n’a pas réussi à vaincre, mais bien le Hamas, l’organisation qu’il a entretenue pendant des années comme un atout stratégique et idéologique. Le Hamas était censé être la charge explosive au bord de la route qui ferait disparaître la caractérisation de l’Organisation de libération de la Palestine et de l’Autorité palestinienne comme seuls représentants du peuple palestinien et, de ce fait, empêcher la reconnaissance internationale d’un État palestinien.

Ce fut un partenariat merveilleux qui a duré de nombreuses années, qui a conféré au Hamas un mini-État à Gaza et qui a remis à Netanyahou l’accomplissement du rêve d’un Grand Israël. Jusqu’au moment où le Hamas a trahi son partenaire et n’a pas rempli sa mission.


Une manifestation exigeant la libération immédiate des otages israéliens, près de la résidence du Premier ministre Benjamin Netanyahou à Jérusalem, mardi 16 septembre 2025. Photo Ammar Awad/REUTERS

Le Hamas a apparemment mis fin à son rôle de proxy de Netanyahou et doit maintenant être anéanti en punition pour avoir saboté la stratégie messianique qui combattait la solution à deux États. Mais prendre le contrôle de la ville de Gaza n’est pas seulement une histoire de vengeance de plus. Israël a depuis longtemps vengé le massacre que, par son abandon total, Netanyahou a permis que le Hamas commette le 7 octobre 2023. Les Palestiniens ont payé trente fois ou plus pour chaque Israélien tué, et pour chaque maison incendiée au kibboutz Nir Oz ou à Sderot, des quartiers entiers et des villes ont été effacés. La mort de 10 000 ou 20 000 Palestiniens supplémentaires dans la rafale actuelle de destruction n’ajoutera rien à la douceur de la vengeance.

Elle est remplacée par le besoin de rester au pouvoir, même si cela signifie la destruction du pays-mère, qui sera remplacé par un État de toutes ses colonies — à Gaza, en Cisjordanie, dans le sud du Liban et dans l’ouest de la Syrie.

Cette destruction n’apparaît pas seulement sur les champs de massacre de Gaza, qui ont anéanti toute valeur humaine et morale, qui ont poussé la puissance de l’armée israélienne à ses limites, qui imposent et continueront d’imposer un fardeau économique insupportable et ont transformé Israël en État paria. L’architecte de cette destruction nationale a eu la décence de la définir clairement lorsqu’il a comparé Israël à Sparte. Sparte n’est pas seulement un symbole de puissance militaire, de survie et de courage. Ce fut un modèle jugé digne d’imitation par Adolf Hitler et Benito Mussolini.

Dans le livre clandestin qu’Hitler a écrit en 1928, et qui a reçu le titre « Le deuxième livre d’Hitler », publié seulement après la Seconde Guerre mondiale, il a écrit : « Le contrôle de six mille Spartiates sur 350 000 Hilotes n’a été possible que grâce à leur supériorité raciale... Ils ont créé le premier État racial. »

Cette Sparte, qui fut détruite et ne laissa derrière elle qu’un héritage symbolique, est maintenant revenue à la vie en Israël. Si jusqu’à présent nous avions identifié le début de processus métamorphosant Israël en un État fasciste fondé sur la supériorité raciale, la guerre à Gaza achèvera le travail. Elle a déjà enregistré des succès idéologiques impressionnants.

Elle a sapé la plupart des mécanismes qui défendaient la démocratie israélienne. Elle a transformé le système judiciaire en paillasson intimidé et a enrôlé le système éducatif pour dispenser un endoctrinement national-religieux. Elle dicte le récit idéologique « approprié » aux médias, au cinéma et au théâtre, et a étiqueté comme traître quiconque ne rend pas hommage au chef. Elle a aussi fait de l’espoir de remplacer le gouvernement par des élections une perspective incertaine.

Et contrairement aux régimes dictatoriaux « traditionnels » qui persécutent et répriment leurs rivaux politiques, le gouvernement israélien peut même se servir de l’opposition comme d’un ornement qu’il exhibe pour préserver son image d’administration démocratique qui représente « la volonté du peuple ».

Le problème, c’est que lorsqu’une bande prend le contrôle d’un pays, ce n’est pas comme une opération militaire qui se termine par la défaite de l’ennemi. Le maintien du régime exige une lutte incessante contre des rivaux domestiques potentiels et, surtout, requiert une légitimation publique constante. C’est là que la nouvelle mission impliquant Gaza et le Hamas entre en jeu. Parce que la survie de la Sparte israélienne dépend d’un état de guerre permanent.

La bonne nouvelle, c’est que même si le dernier membre du Hamas est tué, il restera plus de 2 millions de Gazaouis qui feront en sorte que la conquête de Gaza soit seulement un avant-goût de la guerre éternelle qui perpétuera la soumission et l’obéissance du public israélien au régime de gangs qui le contrôle.

16/09/2025

AMEER MAKHOUL
Netanyahou, le discours “spartiate” et la guerre des civilisations

Ameer Makhoul, Progress Center for Policies, 15/9/2025
Traduit par Tlaxcala

 


Dans son discours du 15 septembre au Département des comptables généraux du ministère israélien des Finances, Netanyahou a exposé sa vision de l’avenir et une dimension fondamentale de sa vision et de ses politiques, fondées sur la permanence de la guerre, déclarant : « Les dangers ne disparaissent pas, ils ne font que changer. » Netanyahou a souligné la nouvelle orientation consistant à contrer l’isolement international en se tournant vers une production militaire autonome.

On ne sait pas si le discours de Netanyahou, qui a coïncidé avec le sommet arabo-islamique de Doha et la visite du secrétaire d’État usaméricain, était lié à ces deux événements en termes de calendrier.

Analyse

Netanyahou reconnaît ouvertement l’isolement dans lequel se trouve Israël, tandis que sa conclusion est de renforcer davantage des politiques qui équivalent à un pari global et à une guerre perpétuelle jusqu’à la « victoire décisive ». Il semble convaincu qu’Israël est capable de l’atteindre, renforcé par les déclarations de Marco Rubio, qui a adopté la position et le récit d’Israël. En réalité, Netanyahou rejette toute main arabe tendue vers la compréhension ou la paix, quelle qu’en soit la forme ou la substance.

Plus dangereuse encore est l’affirmation de Netanyahou, dans le contexte des succès d’Israël dans la guerre contre l’Iran, qu’il existe de nouvelles menaces pesant sur Israël. Il a ajouté : « Même lorsqu’une force est éliminée, d’autres forces remontent à la surface… Je ne les nommerai pas. » Il a poursuivi, s’adressant aux hauts responsables du ministère des Finances : « Réfléchissez entre vous aux dangers. Les dangers ne disparaissent pas, ils ne font que changer. » Netanyahou faisait implicitement allusion à l’Égypte et à la Turquie, tout en justifiant une frappe contre le Qatar.

La question de la fabrication militaire indépendante est apparue sous la présidence de Biden, lorsque celui-ci a interdit la fourniture de bombes massives à Israël avant son occupation et sa destruction de Rafah. Biden considérait que l’armée israélienne les utiliserait contre des civils, tandis que les USA fournissaient à Israël des bombes et des équipements encore plus meurtriers pour la guerre contre le Hezbollah et l’Iran. Trump a depuis levé l’interdiction de Biden.

L’Allemagne a suivi cette ligne, interrompant l’exportation de certaines armes de destruction massive et de munitions pouvant être utilisées contre des civils lors de « l’opération Chariots de Gédéon 2 », selon la position allemande. Le Royaume-Uni et la France ont pris des mesures similaires, tandis que l’Espagne est allée plus loin en interdisant l’utilisation de ses ports pour le transfert d’armes usaméricaines vers Israël, suivie plus tard par l’Italie.

La guerre des civilisations et le “Grand Israël”

Netanyahou attribue l’isolement d’Israël à deux raisons principales : la première est « la migration illimitée des minorités musulmanes vers les pays d’Europe occidentale. Elles ne sont pas encore majoritaires, mais elles sont une minorité influente, bruyante et efficace, ce qui dissuade les gouvernements. Ces questions influencent les dirigeants, et ils ne le nient pas dans les conversations privées. »

L’Israël officiel et sa machine médiatique ont réagi de manière ostensible aux récentes manifestations racistes en Grande-Bretagne contre l’immigration, y exprimant leur soutien. Ils ont également cherché à alimenter le discours populiste européen contre les migrants, les présentant comme antisémites, anti-civilisation occidentale et manipulateurs des positions européennes. Cette rhétorique rappelle les discours de haine autrefois dirigés contre les Juifs européens lors de la montée de l’antisémitisme.

Netanyahou et son gouvernement considèrent la visite de Rubio, secrétaire d’État usaméricain dont les positions idéologiques s’alignent sur celles de Trump contre l’immigration (qu’il qualifie de « menace pour la sécurité nationale »), comme une opportunité d’inciter les deux à se débarrasser du « danger » en expulsant de force les migrants. Pour Netanyahou, la question de l’expulsion des migrants s’aligne logiquement avec ses intentions de déplacer la population de Gaza et même de la Cisjordanie.

Le second message, adressé principalement à Trump et à son administration a été l’affirmation de Netanyahou : « Des pays comme le Qatar et la Chine influencent l’opinion publique par d’énormes investissements dans des campagnes sur les réseaux sociaux. Cela change la position internationale d’Israël. Nous devrons investir des sommes énormes là-dedans. » Ce message visait également le ministère des Finances afin d’allouer des budgets à cet effet.

Netanyahou passe effectivement dans son discours de la doctrine du marché libre ouvert mondialement et intérieurement à celle d’une économie fermée basée sur l’autosuffisance et l’isolement défensif. Ce n’est pas une fin en soi, mais une partie d’une vision qui accepte les guerres perpétuelles comme une réalité. Il a déclaré : « Au moins dans les années à venir, nous devrons nous défendre et savoir comment frapper l’ennemi. » Il a ajouté qu’Israël devait être géré comme « Sparte », qui a mené de nombreuses guerres contre Athènes : « Nous devrons développer des industries d’armement ici. Nous serons à la fois Athènes et une grande Sparte. Nous n’avons pas d’autre choix. »

Conclusion

Netanyahou reconnaît que l’isolement international actuel d’Israël n’est pas temporaire ou éphémère, mais constant et durable, tandis qu’il mise sur les valeurs de Trump et sur les populistes européens.

S’il reste au pouvoir, l’approche de Netanyahou face à l’isolement international est de s’enfermer dans des intentions de guerre permanente, ne comptant que sur des solutions militaires sans aucune voie politique. Il ne s’intéresse ni à la normalisation ni même aux accords d’Abraham.

Il menace implicitement à la fois l’Égypte et la Turquie, indiquant que l’opération militaire israélienne à Doha n’est pas la fin du chemin.

Il défie les pays exportateurs d’armes en insistant sur la production indépendante de l’arsenal militaire d’Israël, ce qui nécessiterait des budgets sans précédent et peut-être indisponibles, même avec de grands changements économiques.

Netanyahou s’aligne presque totalement sur l’agenda et l’administration de Trump dans leur hostilité envers les immigrés, l’Islam et la Chine, embrassant la xénophobie et une théorie du « choc des civilisations » soutenu. Il se positionne aux côtés des forces populistes européennes — même celles qui sont antisémites — tant que leur rhétorique est anti-immigrés, cherchant à provoquer des affrontements internes en Europe avec les mouvements propalestiniens.

En exploitant la question des immigrés palestiniens et arabo-islamiques en Europe et en exigeant de gros budgets pour une propagande visant à promouvoir le récit israélien, Netanyahou cherche à ouvrir un front direct contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, les diabolisant par une rhétorique raciste comme le produit de l’immigration et une menace pour la position « européenne blanche » selon le discours colonial.

En parallèle avec le mouvement isolationniste MAGA (« Make America Great Again »), Netanyahou promeut sa doctrine isolationniste « spartiate », que l’on pourrait résumer par MIGA : « Make Israel Great Again ».

Ces changements idéologiques dans la rhétorique de Netanyahou confirment que les évolutions des positions internationales en faveur des droits palestiniens isolent de plus en plus Israël. Pourtant, les conclusions de Netanyahou ne feront qu’approfondir et aggraver cet isolement, prouvant qu’il ne s’agit pas d’une phase passagère.