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06/12/2024

YOSSI MELMAN
L’homme qui a interrogé Netanyahou est convaincu de la culpabilité du Premier ministre
Entretien avec Eli Assayag, ancien chef de la police israélienne


Dans sa première interview depuis sa retraite, le général de brigade Eli Assayag parle également à Haaretz de la « catastrophe » qui pourrait découler de la prise de contrôle de la police par  Itamar Ben-Gvir.

Eli Assayag. Il a compris qu’il ne serait pas promu « peut-être parce que je m’occupais de ces affaires sensibles ». Photo Tomer Appelbaum

Yossi Melman, Haaretz, 2/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la mi-2018, le général de brigade Eli Assayag et deux autres enquêteurs ont quitté les bureaux de l’unité anticorruption Lahav 433 de la police pour se rendre au siège du Mossad, près de Tel-Aviv.
Objectif : interroger le chef du Mossad de l’époque, Yossi Cohen - en tant que témoin et non en tant que suspect - dans l’affaire dite des sous-marins [dite "Affaire 3000" : achat par Israël de sous-marins Dolphin et de navires guerre Sa'ar, fabriqués par ThyssenKrupp, pour 2 milliards de dollars, faisant l'objet d'une commission d'enquête de l'État établie par le gouvernement Lapid-Gantz, lire ici NdT], dans laquelle des associés du Premier ministre Benjamin Netanyahou sont soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vin. Les malversations présumées - des pots-de-vin pour qu’Israël achète plus de navires de guerre qu’il n’en avait besoin - ont eu lieu lorsque Cohen dirigeait le Conseil national de sécurité d’Israël.
De retour au siège du Mossad, lorsque la voiture a franchi le portail et ses gardes armés, les enquêteurs ont atteint le bâtiment principal - et ses jardins bien entretenus - où se trouve le bureau du chef du Mossad. Les trois hommes ont été accueillis par l’assistante de Cohen, qui leur a demandé de lui donner leurs téléphones portables.

L’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen. Il ne voulait pas être photographié dans un poste de police. Photo Ohad Zwigenberg

Assayag a refusé. « Pas de problème », lui a-t-il dit. « Nous allons retourner à notre bureau et y convoquer Yossi Cohen ». Cohen a cédé. Il ne voulait pas être photographié dans un commissariat de police.
« Je n’ai jamais fait de concessions au cours de ma carrière », déclare Assayag, ancien chef de l’unité de la police chargée de la lutte contre la criminalité financière. « Toute personne ayant commis une infraction ou ayant été convoquée pour témoigner a été traitée de manière équitable et professionnelle. En même temps, je n’ai jamais été flagorneur ou rampant, même si les personnes impliquées étaient très haut placées ».
Assayag a dirigé les enquêtes sur l’affaire des sous-marins et sur l’affaire dite « Bezeq-Walla », l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou est poursuivi sur le soupçon d’avoir échangé des faveurs réglementaires contre une couverture médiatique positive.
C’est Assayag qui a recommandé l’annulation d’un accord de plaidoyer avec Michael Ganor, un suspect dans l’affaire du sous-marin. Ganor est actuellement jugé pour avoir offert et donné des pots-de-vin, pour blanchiment d’argent, pour évasion fiscale et pour avoir violé les lois sur les partis politiques.
Pourquoi avez-vous recommandé la révocation de l’accord conclu avec Ganor ?
« Je serai prudent car le procès est toujours en cours et je pourrais être appelé à témoigner devant le tribunal. D’une manière générale, je peux dire que j’ai pris ma décision après qu’il a changé sa version des faits et tenté de modifier les conditions de l’accord
».

Eli Assayag a également interrogé Netanyahou dans l’affaire Bezeq-Walla, dans laquelle il est accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance. Dans cette affaire, Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq, sont jugés pour corruption, obstruction à la justice et subornation de témoins au cours d’une enquête.

Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq. Ils sont également jugés. Photo Moti Milrod

L’enquête la plus rapide
Assayag a pris sa retraite de la police en mars 2021, à la fin du cinquième mandat de Netanyahou en tant que premier ministre. Selon les médias de l’époque, Assayag a pris sa retraite parce qu’il n’a pas été promu, peut-être en raison de son rôle dans les enquêtes.
Assayag présente la chose ainsi : « J’ai pris ma retraite à l’âge de 58 ans, après 36 ans dans la police. On ne m’a pas montré la porte, mais j’ai compris que je ne serais pas promu, peut-être parce que j’ai traité ces affaires sensibles ».
Il s’agit de la première interview accordée par M. Assayag aux médias depuis qu’il a pris sa retraite.


Eli Assayag : « Parfois, il se mettait en colère et perdait son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire : amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit où il dit les choses de manière authentique, où il dit la vérité ». Photo Tomer Appelbaum

Il n’est pas disposé à parler de son interrogatoire de Netanyahou parce qu’il pourrait encore être appelé à témoigner dans le procès du Premier ministre. Il se contente de dire qu’à son grand désarroi, Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises les séances. Une fois la date fixée, Assayag pensait que l’interrogatoire devait avoir lieu dans les bureaux de Lahav 433, mais le procureur général de l’époque, Avichai Mendelblit, a demandé aux enquêteurs de se rendre au bureau du Premier ministre.
« L’interrogatoire a été mené de manière professionnelle, avec rigueur, propreté et brièveté », explique Assayag. « En moins de neuf mois, nous avons terminé l’enquête et transmis le dossier au bureau du procureur de l’État. Il s’agit de l’enquête la plus rapide jamais menée dans une affaire de criminalité en col blanc ».

Les enregistrements filmés donnent l’impression que Netanyahou était arrogant envers les interrogateurs de la police, et que ceux-ci étaient parfois plutôt dociles.

« Je ne pense pas que ça ait été le cas. Parfois, il s’est mis en colère et a perdu son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire - amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit dans lequel il dit les choses de manière authentique ; il dit la vérité. »


Benjamin Netanyahou au tribunal de district de Jérusalem. Photo Ben Hakoon


Êtes-vous convaincu de la culpabilité de Benjamin Netanyahou ?
« Si je n’étais pas convaincu, je n’aurais pas recommandé [une mise en accusation].

Ben-Gvir le « client »
Eli Assayag est né en 1962 à Ashkelon dans une famille qui avait immigré du Maroc. Pendant son service militaire, il a participé à la guerre du Liban qui a éclaté en juin 1982.
En 1986, il est entré dans la police. Il est titulaire d’un diplôme de droit de l’Ono Academic College et d’un diplôme d’études supérieures en sciences politiques de l’université de Haïfa. Il a également étudié au Collège de sécurité nationale.
Après sa phase de formation dans la police, il a été affecté au district de Tel Aviv en tant qu’enquêteur. Trois ans plus tard, il devient coordinateur du renseignement et dirige des agents. En 1991, il a suivi un cours pour officiers et est devenu officier de renseignement dans le district de Tel Aviv.
Il espère toujours que son expérience aidera la police à améliorer ses compétences en matière de renseignement. Au cours de sa carrière, il a été en contact avec des collègues du Mossad et du service de sécurité Shin Bet.

Le travail de renseignement au sein de la police s’apparente-t-il à la gestion d’agents au sein du Shin Bet ou du Mossad ?
« Oui et non. Le Mossad et le Shin Bet dirigent des agents et peuvent utiliser les renseignements qu’ils obtiennent pour déjouer des attentats en [Cisjordanie] ou à l’étranger. Pour nous, à la police, le fait de déjouer un crime ou d’autres succès n’est possible que si nous pouvons fournir au tribunal des preuves qui aboutissent à une condamnation. Sans cela, nous n’avons rien fait ».

Assayag a assumé de nombreuses fonctions au sein de la police, notamment dans le cadre d’affaires de drogue graves telles que celle impliquant le trafiquant de drogue international Zeev Rosenstein. Assayag a également dirigé l’unité d’enquête de la police en Cisjordanie, où il a lutté contre les crimes violents commis par de jeunes colons - les « jeunes du sommet des collines » - à l’encontre de Palestiniens.

En mai 2011, une voiture palestinienne a été incendiée près d’Hébron, en Cisjordanie, dans le cadre d’une opération dite d’étiquetage des prix [« price tag operation » : acte de vandalisme punitif contre des Palestiniens, NdT]. L’incendiaire était Hannah Hananya, considérée comme l’égérie des jeunes des collines. Elle a commis ce crime alors qu’elle était censée être assignée à résidence chez Itamar Ben-Gvir. À l’époque, Ben-Gvir était un militant radical de la colonisation et un terroriste condamné ; aujourd’hui, il est ministre de la sécurité nationale.
Il était censé servir d’agent de probation pour le tribunal. Ben-Gvir a intenté un procès en diffamation - toujours en cours - contre Hananya et l’émission d’information d’investigation « Uvda » de Canal 12 concernant la publication d’informations sur cet incident.
Hananya était la cible de l’unité d’Assayag et de la division juive du Shin Bet en raison d’activités telles que l’entrée illégale dans une ancienne synagogue à Jéricho, l’intrusion dans une base militaire et le saccage d’une voiture, ainsi que la manifestation devant le domicile du chef de la division juive du Shin Bet. Hananya a été arrêtée et a purgé une courte peine de prison.

Itamar Ben-Gvir. La dégradation de l’état de la police sous sa direction retourne les tripes d’Assayag. Photo : Olivier Fitoussi

Elle a déclaré qu’elle avait informé les enquêteurs de la police d’autres projets de violence contre des Palestiniens, mais qu’elle n’avait pas été prise au sérieux.
« Nous avons travaillé avec le Shin Bet, mais c’est lui qui nous donnait des lignes directrices et des directives venant d’en haut », dit Assayag. « Je ne pense pas qu’ils se soient beaucoup investis dans la lutte contre la criminalité ultra-nationaliste juive ».

Est-ce que la police et vous-même étiez désireux de vous attaquer à ce problème ?
« J’ai traité ce dont j’étais témoin. Notre unité était petite. Elle a été élargie par la suite. Le Shin Bet ne nous informait pas toujours de tout. »

Avez-vous rencontré Ben-Gvir lorsque vous étiez dans le district de Judée et Samarie en Cisjordanie ?
« Non, pas en personne. Mais il était l’un des « clients » [suspects potentiels d’incidents violents] sur lesquels on se penchait.
Ben-Gvir n’a pas répondu aux demandes de commentaires pour cet article.

Le renseignement humain est précieux

Assayag estime que les efforts de la police israélienne en matière de renseignement peuvent encore être améliorés. « Le travail d’un officier de renseignement de la police est difficile ; il prend 24 heures par jour, sept jours par semaine », dit-il. « Les officiers traitants étaient autrefois des policiers chevronnés qui persévéraient dans ce travail. La jeune génération n’est pas enthousiaste à l’idée de faire ce genre de travail, et le taux de rotation est élevé.
« Malheureusement, la dépendance à l’égard de la technologie est de plus en plus forte. Mais le SIGINT [renseignement d’origine électromagnétique utilisant des dispositifs d’écoute] n’est pas tout. Voyez l’émoi suscité par l’utilisation du logiciel espion Pegasus [outils développés par l’entreprise israélienne controversée NSO]. La capacité de ces méthodes à produire des renseignements pertinents est très limitée. Elle est surestimée. Le SIGINT ne donne pas vraiment de résultats satisfaisants ; l’enthousiasme pour ce type de surveillance est très exagéré. Il faut investir beaucoup plus dans le HUMINT, le renseignement humain ».
Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant », déclare Assayag à propos du nouveau chef de la police Danny Levy.

Que voulez-vous dire par là ?
« Il faut changer le concept de gestion des opérations. J’estime qu’il y a 500 officiers de renseignement de la police dans tout le pays. Je propose qu’ils soient tous placés dans les commissariats de police. Ils connaissent la zone dans laquelle ils travaillent. Ils savent comment exploiter les sources. Un agent fournira les renseignements qu’il recueille à son commissariat local et aux échelons supérieurs tels que le district et le Lahav 433. »
« Il faut sortir des sentiers battus. L’unité de renseignement et d’enquête doit être responsable de la stratégie. Elle déterminera les cibles, et les agents sur le terrain agiront en conséquence, mais ils conserveront une certaine indépendance et une capacité d’influence.
« De cette manière, nous pouvons limiter les effectifs et augmenter les salaires. Il faut améliorer le processus de sélection et attirer des personnes ayant des compétences académiques et une formation adéquate.
« Il faut mieux former les agents de renseignement pour qu’ils s’adaptent aux défis modernes. Ils doivent comprendre les crypto-monnaies, que de nombreux criminels utilisent pour brouiller les pistes. Il faut connaître le blanchiment d’argent, le fonctionnement de la criminalité financière sophistiquée, et pas seulement la criminalité classique comme les atteintes aux biens, les cambriolages ou les meurtres.
« Il faut prendre des mesures telles que la création de sociétés écrans pour pénétrer les organisations criminelles, qui ont souvent plus de connaissances et de moyens que la police. Mais je doute que ma proposition soit adoptée ».

Détérioration mortelle
La personne qui doit prendre cette décision est le nouveau chef de la police, le général de division Danny Levy, qui vient de terminer ses 100 premiers jours en fonction. Assayag le connaît assez bien ; ils ont travaillé ensemble au district de Tel-Aviv, mais dans des services différents.
« Danny est un bon policier qui s’est développé à partir de la base. Ces dernières années, les commissaires ont été parachutés du Shin Bet [Roni Alsheich] ou de la police des frontières [Kobi Shabtai]. Il est tout à fait capable de faire ce travail », affirme Assayag.


Le chef de la police Danny Levy : « un bon flic qui a grandi à partir de la base » 
 Photo Olivier Fitoussi

« Je suis pour un commissaire qui a grandi dans la police. Mais Danny doit développer son indépendance et se dissocier du ministre ».
La détérioration de l’état de la police sous Ben-Gvir retourne les tripes d’Assayag. « Après la nomination de Ben-Gvir au poste de ministre de la sécurité nationale, la police a changé. Elle utilise une force disproportionnée contre les manifestants [israéliens juifs, NdT] », explique-t-il.
« Cela découle de l’esprit du commandant. Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant. Si aucun adulte responsable n’est trouvé pour arrêter la détérioration, une catastrophe s’ensuivra dans la société israélienne. »



07/09/2024

YOSSI VERTER
Le harcèlement organisé ne dissuadera pas le seul ministre israélien qui se préoccupe des otages, Yoav Gallant

La campagne de harcèlement contre le ministre de la Défense Yoav Gallant s’est intensifiée cette semaine, mais il n’a pas l’intention de démissionner Cette semaine pourrait bien rester dans les mémoires comme celle où Netanyahou a renoncé à la récupération des otages Ben-Gvir et Smotrich ne se laissent pas intimider par la menace d’une guerre régionale qui engloberait la Cisjordanie ; au contraire, ils aspirent à l’Armageddon

Yossi Verter, Haaretz, 6/9/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

 

Illustration : Amos Biderman

Ce samedi, Yoav Gallant fête son onzième mois en tant que ministre de la défense au cours d’une guerre effroyable comme Israël n’en a jamais connue. Ce n’est pas le seul événement auquel son nom sera associé dans les années et les décennies à venir, lorsque les élèves apprendront le massacre du 7 octobre, les échecs qui l’ont précédé et la guerre qui s’en est suivie.

Les élèves apprendront que le ministre de la défense - un illustre ancien général - a été le seul ministre d’un gouvernement d’échec à se préoccuper du sort des otages retenus à Gaza. Ils apprendront qu’il a été le seul à se battre pour leur retour face à un Premier ministre cynique et indifférent et à ses collègues apeurés, pour lesquels le terme de lemming est trop gentil.

Ils apprendront que, malgré son rôle dans les échecs précédents, le public lui faisait grandement confiance et qu’il était en conflit permanent avec le premier ministre (comme tous les autres ministres de la défense qui ont servi sous Netanyahou). Dans les livres, ils liront qu’à certains moments, il semblait que se débarrasser du ministre de la défense était l’un des objectifs de Netanyahou pour la guerre. Cela aurait-il pu être le cas ? Ils se poseront la question avec incrédulité.


Les membres de la coalition Shalom Danino, à gauche, David Amsalem, David Biton et Simcha Rothman à la Knesset le mois dernier. Photo Olivier Fitoussi

La semaine dernière, la campagne de harcèlement organisée contre Gallant s’est intensifiée. Lors d’une conférence de presse, Netanyahou a présenté une note écrite en arabe qui avait été trouvée à Gaza par des troupes en janvier et qui avait été rapportée par Channel 12 News : elle contenait des directives pour mener une guerre psychologique contre Israël. L’une des sections stipulait qu’il fallait augmenter la « pression psychologique sur Gallant ».

Au même moment - et ce n’est pas une coïncidence - quatre députés du Likoud à la Knesset ont envoyé une lettre au premier ministre pour lui demander de renvoyer l’ensemble de la direction des Forces de défense israéliennes et le ministre de la défense avec elle « avant d’entamer la guerre au Liban ». D’autres députés marginaux comme Moshe Saada et Nissim Vaturi ainsi que le ministre du Venin [des Communications, NdT]  Shlomo Karhi se sont joints à eux. Ils ont affirmé que Gallant est faible, qu’il représente l’opposition et qu’il doit partir.

Personne au sein du parti ou du cabinet n’a pris la défense de Gallant. Même les collaborateurs du ministre admettent que la situation n’est pas bonne. Le discours sur sa faiblesse risque de s’amplifier. Entre-temps, il continue de jouir de la confiance de la population [israélienne juive, NdT] qui, dans sa grande majorité, refuse d’avaler les pilules empoisonnées. Grâce à l’opinion publique, Gallant n’a pas été poussé vers la sortie, même s’il a « adopté le récit du Hamas », pour citer Netanyahou.


Le ministre de la Justice Yariv Levin, le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benjamin Netanyahou à la Knesset en février. Photo Olivier Fitoussi

Il a été demandé à Gallant de convoquer une conférence de presse et de présenter son cas, mais ce serait peut-être aller trop loin. Cela reviendrait à provoquer directement Netanyahou et, contrairement à ce que l’on pense, Gallant ne « veut pas être viré ». Il est convaincu que sans lui, un larbin de Netanyahou sera installé dans le bureau du ministre de la défense au 14ème étage du quartier général de la défense à Tel Aviv. Cela pourrait profiter à Netanyahou personnellement, mais ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la guerre, et certainement pas l’objectif que Gallant considère comme le plus important : sauver la vie des otages.

« Tout ce qui a été réalisé à Gaza peut être revendiqué, à l’exception de la vie des otages », dit Gallant aux personnes qu’il rencontre en privé et au cabinet. « Si nous ne concluons pas un accord maintenant, non seulement nous les perdrons, car ils mourront s’ils restent là-bas, mais nous continuerons à nous battre à Gaza et nous ne serons pas en mesure de traiter avec le Liban, que ce soit par le biais d’un accord ou d’une opération militaire ».

C’est pourquoi il a demandé à Netanyahou de réunir le cabinet il y a une semaine, au cours de laquelle Gallant a présenté son « carrefour stratégique »: l’escalade ou l’accord. « Comprenez ce sur quoi vous votez », a dit Gallant aux ministres. « Si vous choisissez l’escalade, nous risquons de nous retrouver dans une guerre régionale ».

Le reste appartient à l’histoire. Après de longues heures de discussions que plusieurs participants ont qualifiées de sérieuses et approfondies, le premier ministre a demandé un vote sur le maintien de Tsahal dans le corridor de Philadelphie (son « Masada », selon les associés de Gallant). L’objectif, selon l’entourage du ministre de la défense, était de détourner l’attention du carrefour stratégique, moins confortable pour Netanyahou, et de l’orienter vers le corridor. C’est le roc de notre existence, ai-je écrit dimanche avec sarcasme. Mais soyons clairs : c’est le roc de l’existence (politique) de Netanyahou.


Netanyahou en conférence de presse, mercredi. Photo Ohad Zwigenberg/AP

L’embuscade du cabinet a donné lieu à deux conférences de presse de Netanyahou, l’une en hébreu et l’autre en anglais, consacrées à l’importance de la route Philadelphie. Netanyahou est premier ministre depuis 2009. Il a présidé trois opérations militaires à Gaza, s’est catégoriquement opposé à la prise du corridor, n’a pas exigé que les FDI s’en emparent au début de l’opération terrestre actuelle et, pendant des années, a approuvé le transfert de milliards de shekels au Hamas dans le but de le renforcer. Il explique maintenant au monde entier, par le biais d’une multitude de présentations et de documents, pourquoi cette bande de sable garantit l’existence d’Israël et que, sans elle, le massacre du 7 octobre se reproduira encore et encore.

Si le sens de cette farce n’était pas si triste - les derniers espoirs d’une prise d’otages s’amenuisant - nous serions morts de rire.

Gallant connaît la vérité : Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich détiennent le droit de veto sur toute mesure considérée comme un retrait des FDI de la bande de Gaza. Ils ne peuvent pas non plus être effrayés par l’idée d’une guerre régionale impliquant la Cisjordanie. Au contraire, ils aspirent à l’apocalypse. C’est leur rêve. À une autre époque, avec d’autres partenaires et sans qu’un procès pour corruption ne plane sur lui, Netanyahou aurait agi différemment. Aujourd’hui, il est leur otage.

Sa captivité est volontaire ; d’autres otages n’ont jamais choisi leur sort.

La mentalité du troupeau

Les personnes qui ont rencontré Gallant cette semaine disent avoir vu un homme le cœur est honnêtement touché par le sort des otages. Disons-le franchement : jusqu’à ce que survienne cette tragédie nationale, nous n’aurions jamais soupçonné qu’il était capable d’une telle humanité et d’une telle compassion. Nous l’avons connu courageux le 25 mars 2023 lorsqu’au plus fort de la controverse sur la réforme du système judiciaire, il a mis en garde contre le danger clair et présent pour la sécurité nationale d’Israël (ce qui lui a valu d’être licencié puis réembauché). Au courage et à la responsabilité dont il a fait preuve s’ajoutent désormais l’humanité et les valeurs [sic].

Le problème est qu’il est seul et isolé. Il est l’un des 32 membres du groupe parlementaire du Likoud, l’un des 64 membres de la coalition. Lorsqu’on lui a demandé ce que c’était que d’être l’animal que le troupeau expulse, Gallant a répondu nonchalamment qu’il était plus rapide que le troupeau et que personne ne devrait douter de son endurance, car il a subi des épreuves plus difficiles dans sa vie, dans des endroits beaucoup plus rudes que la salle du cabinet.


Des manifestants à Tel-Aviv jeudi ; sur la pancarte : « Les otages avant tout ». Photo Itai Ron

Les insultes et les humiliations qu’il y subit le laissent indifférent. Il n’a pas appris grand-chose de Shimon Peres, mais il a adopté l’un de ses dictons : « C’est moi qui décide par qui je suis prêt à être offensé ».

Malgré les difficultés, il n’a pas l’intention de démissionner. Même si, à Dieu ne plaise, les négociations sur les otages échouent, si la proposition imminente des USAméricains ne se concrétise pas, si la situation va de mal en pis et si sa mise en garde contre une escalade en l’absence d’un accord se vérifie, il ne démissionnera pas pour autant. « C’est la chose la plus importante que j’ai faite ou que je ferai dans ma vie publique », avait-il coutume de dire. « Il y a des choses importantes - l’Iran, le Liban. J’ai une responsabilité unique. La trajectoire de ma vie m’a amené à ce point ».

Lors de cette fameuse réunion du cabinet, connue sous le nom de « séance de coups de gueule », alors qu’il tentait d’empêcher Netanyahou de soumettre la question de Philadelphie à un vote, Gallant a déclaré aux ministres : « Avec cette décision, vous poussez [Yahya] Sinwar, le chef du Hamas, à dire : “Si c’est le cas, il n’y a pas d’accord” ». Ils l’ont regardé d’un air absent. L’accord en question, qui pourrait démanteler le gouvernement, les renverrait à la maison.

D’ailleurs, cette question le concerne. Comme les autres, Gallant a également un intérêt personnel à la survie du gouvernement. Il considère son poste de ministre de la Défense comme le plus important de sa vie. Mais ce n’est pas la chose la plus importante pour lui. Un drôle d’oiseau. Un excentrique.

À ses yeux, toute cette agitation autour de la route Philadelphie, comme s’il s’agissait du Saint des Saints, est absurde. L’establishment de la défense qu’il dirige a des réponses à toutes les objections, certainement pour les 42 jours de la première étape de l’accord proposé qui devrait ramener plus de 20 personnes vivantes en Israël - des jeunes femmes, des personnes âgées, des malades et des blessés.


D’autres manifestants à Tel Aviv jeudi. Photo Hadas Parush

Le Washington Post a rapporté jeudi que le Hamas envisageait d’exécuter d’autres otages afin d’exacerber les divisions en Israël et de susciter davantage de protestations. Un responsable diplomatique affirme la même chose. Les vidéos publiées par le Hamas sur les six otages qui ont été exécutés par la suite sont choquantes. Les jeunes hommes et femmes sont maigres et pâles, faibles, les yeux enfoncés dans les orbites. Comment peut-on dire que le maintien d’une barrière terrestre est plus important que la libération immédiate des otages ?

Netanyahou, je suis désolé de le dire, a perdu sa dernière once d’humanité il y a quelque temps. Monstrueux, sans cœur, têtu, Netanyahou déteste autant Gallant car la comparaison est si peu flatteuse.

On se souviendra peut-être de cette semaine (et on l’oubliera peut-être) comme celle où le premier ministre israélien a déclaré au monde que l’objectif de la guerre, à savoir le retour des otages, était à ses yeux lettre morte.

Lors de sa rencontre avec le secrétaire d’État usaméricain Antony Blinken, il y a deux semaines, le ministre de la défense lui a demandé : « Vous voulez que nous mettions fin à la guerre, mais si, après 42 jours, nous sommes contraints de reprendre le combat et que le Conseil de sécurité des Nations unies vote contre nous, comment les USA voteront-ils ? » « Nous opposerons notre veto », a promis Blinken. Cela aurait dû apaiser les inquiétudes du premier ministre. Même si Ben-Gvir et/ou Smotrich quittent la coalition pendant l’accord, ils reviendront quand Israël reprendra la guerre.

Gallant ne comprend pas : si les USA sont de notre côté, comment pouvons-nous insister sur Philadelphie au prix de l’abandon des otages ? Comment pouvons-nous agir de la sorte sur le plan moral ? Qu’en est-il des valeurs de Tsahal ? De l’éthique israélienne ? Il sait exactement où elles se trouvent. Sur le tas de cendres de cette coalition du désastre.


Faux cercueils d’otages à Tel-Aviv, jeudi. Photo Itai Ron

Les erreurs de Bibi hier et aujourd’hui

D’accord, ce n’est plus drôle. Les erreurs de Netanyahou sur le jour où ont eu lieu les massacres à la frontière de Gaza peuvent être considérées comme un événement médical, psychologique ou cognitif. Appelez cela comme vous voulez, mais il n’est pas raisonnable qu’une personne, et certainement pas un Premier ministre, ne se souvienne pas de la pire date de l’histoire du pays.

Lors de la journée de commémoration de l’Holocauste, il a lu un discours et a dit « 7 novembre ». Cette semaine, lors de sa conférence de presse en hébreu, il a dit « 9 octobre ». Le lendemain, lors d’une interview accordée à Fox News, il a de nouveau dit « 7 novembre ».

Au moins, il n’est pas loin. En fait, il lui arrive quelque chose. Les gens qui passent du temps avec lui disent qu’il a mauvaise mine. À la télévision, caché sous des couches de maquillage, c’est moins visible. Ce qui est sûr, c’est que si Joe Biden se trompait aussi souvent sur Israël, il se ferait lyncher par les porte-parole de Bibi sur Canal 14.

Outre le nombre croissant d’erreurs, regarder les discours de Netanyahou est également devenu une sorte de jeu. On peut l’appeler « Le jeu du mensonge » ou « Twister », même s’il ne s’agit pas d’une façon particulièrement stimulante de tester ses capacités cérébrales.

Au contraire, il est devenu plus facile de détecter les tromperies de Netanyahou. Ses mensonges, manipulations et demi-vérités sont devenus superficiels et maladroits. Ils ne présentent pas de véritable défi intellectuel.

Prenons l’exemple du retrait de Gaza en 2005. Tous les consommateurs israéliens raisonnables d’informations peuvent réciter dans leur sommeil comment Netanyahou, ministre des finances à l’époque, a soutenu le plan d’Ariel Sharon d’évacuer les colonies de Gaza (et quatre autres dans le nord de la Cisjordanie). Ils se souviennent des remarques de Netanyahou à la Knesset, de son rôle dans la rédaction de la proposition au cabinet, puis de sa volte-face et de sa démission une semaine avant que la décision de la Knesset (pour laquelle il avait voté) n’entre en vigueur.


Manifestants devant la résidence du premier ministre à Jérusalem, lundi.  Photo Olivier Fitoussi

C’est simple. Mais un autre détail a été négligé, et c’est le plus important en ce qui concerne le rôle de Netanyahou dans la poursuite du désengagement.

En mai 2004, environ 15 mois avant le retrait des forces de défense israéliennes, le Likoud de Sharon a sondé les militants pour savoir s’ils soutenaient le plan. Netanyahou - et les médias s’en sont fait l’écho - a annoncé qu’il voterait en faveur du plan. L’hypothèse était qu’il s’agissait d’une affaire réglée et que la plupart des membres du parti voteraient en faveur du plan. Mais ce ne fut pas le cas : 60 % des députés se sont opposés au retrait. Sharon subit une défaite humiliante.

Sharon a promis qu’il respecterait le vote du parti, mais quelques heures après l’annonce des résultats, il a clairement fait savoir qu’il ne le ferait pas. Un démocrate ?

Le moment était venu pour Netanyahou de contrecarrer le retrait. Quoi de plus légitime que de dire : « Le parti a voté contre, nous représentons un mouvement et nous devons respecter sa décision. » Mais même là, alors qu’un cadeau tombait du ciel, Netanyahou n’a rien fait.

D’accord, ce n’est pas tout à fait exact. Netanyahou a fait quelques remarques indécises, et c’est ainsi qu’a commencé une farce qui a été appelée plus tard « l’affaire Livni ». La ministre du logement, Tzipi Livni, s’est interposée entre lui, Sharon et plusieurs ministres indécis, et a rédigé un document évoquant un retrait par « étapes », avec une évaluation de la situation à l’issue de chacune d’entre elles.

Au sein du cabinet, Netanyahou et ses amis ont voté en faveur de ce document. Plus tard, Sharon a rejeté le plan de Livni. Mais même à ce moment-là, Netanyahou est resté silencieux. Toutes les raisons qu’il a invoquées cette semaine pour démissionner du gouvernement Sharon existaient depuis de nombreux mois avant qu’il n’agisse, et chaque fois qu’il a soutenu un retrait.

Une semaine avant l’évacuation elle-même, un de ses proches conseillers m’a appelé le matin de la réunion du cabinet. « Bibi est en route pour la réunion avec sa démission plus tard », m’a-t-il chuchoté.

« Pourquoi ? » lui ai-je demandé.

« Il est paniqué. Les sondages montrent qu’Uzi Landau* le devance dans la course à la direction du Likoud. »

Non, ce ne sont pas les armes passées en contrebande sur la route Philadelphie qui l’ont fait changer d’avis. C’était juste un Uzi.

NdT

*Uzi Landau (81 ans) est un caméléon bien représentatif de la caste politico-militaire israélienne. Il a été député et ministre un nombre conséquent de fois, outre d’avoir présidé l’entreprise militaire Rafael. Il s’est promené au fil des années entre le Likoud et Yisrael Beiteinu (Avigdor Liberman), le parti « russe » disputant l’héritage révisionniste de Jabotinsky au Likoud.


 

25/08/2024

GIDEON LEVY/ALUF BENN
Les véritables motivations et objectifs de Netanyahou

C’est l’idéologie qui motive Netanyahou, pas seulement le pouvoir

Gideon Levy, Haaretz, 25/8/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

Peut-être n’avons-nous pas suffisamment dénigré son mode de vie ; en tout cas, il s’en est bien sorti malgré tout ce dénigrement. Mais notez que ses nombreux détracteurs s’abstiennent de l’attaquer sur un point : son idéologie. Pour tous ses détracteurs, il n’a pas d’idéologie, il n’a qu’un désir profond de rester en place, une soif de pouvoir sans limite. Pour eux, les membres de la brigade « tout sauf Bibi », il est un opportuniste creux, dépourvu de toute vision du monde. S’il en a jamais eu une, il l’a vendue il y a longtemps, juste pour rester au pouvoir.

Le rédacteur en chef de Haaretz, Aluf Benn, pense le contraire. Selon lui [voir article ci-dessous], Benjamin Netanyahou a un objectif primordial, et ce n’est pas nécessairement de rester au pouvoir. Netanyahu, dit Benn, se bat pour un objectif bien plus important : l’occupation permanente de la bande de Gaza.

Pour l’atteindre, le premier ministre est prêt à payer un lourd tribut, y compris l’abandon des otages et le risque d’une guerre régionale, à condition qu’Israël contrôle la bande de Gaza pour toujours. Personne n’a jamais analysé les motivations de Netanyahou de cette manière. La question de ses motivations reste cruciale.

La réponse de Benn ne diminue pas la nécessité de combattre Netanyahou, mais elle révèle la pauvreté intellectuelle de ses opposants. Ils ne l’attaquent pas pour son idéologie, mais seulement pour son mode de vie obscène, parce que c’est beaucoup plus commode pour eux.

Il est également facile d’attaquer Netanyahou sur l’échec du 7 octobre en raison de sa responsabilité suprême, mais ce camp s’abstient de le critiquer pour sa vision du monde parce qu’il sait très bien qu’il n’a pas de réelles différences idéologiques avec lui et aucun plan réalisable pour sortir Israël du nadir dans lequel il s’est enfoncé.

De tous les candidats possibles pour remplacer Netanyahou - Yoav Gallant, Benny Gantz, Gadi Eisenkot, Naftali Bennett, Avigdor Lieberman, Gideon Sa’ar, Yossi Cohen et Yair Golan - il n’y en a pas un seul qui soit prêt à libérer tous les prisonniers palestiniens et à se retirer de l’ensemble de la bande de Gaza. En d’autres termes, personne n’est véritablement en faveur de la fin de la guerre et de la libération des otages. Il n’y a personne non plus qui ait l’intention de se retirer un jour dans les frontières d’avant 1967.

Dans ces conditions, ils évitent de critiquer le plan de Netanyahou. Les crimes et les échecs de son gouvernement, qui ont non seulement valu à Israël d’être accusé de génocide, mais l’ont également transformé en un pays du tiers monde pourri, corrompu et dysfonctionnel, sont décourageants. Ce qui est tout aussi décourageant, c’est qu’aucun de ses critiques virulents ne propose quelque chose de différent.

L’idéologie de Netanyahou est bien plus dangereuse que son style de vie flamboyant et sa corruption. Contrairement à ce que pensent ses détracteurs, il a adhéré à son idéologie au fil des ans. Netanyahou n’a jamais cru aux accords avec les Palestiniens. Il est un fervent adepte de la vie par l’épée pour toujours ; il n’a jamais reculé.

Depuis la supercherie transparente et presque avouée du « discours de Bar-Ilan », Netanyahou a agi et prospéré : Il a définitivement écarté la possibilité de créer un État palestinien et a empêché tout engagement en faveur d’autres solutions.

Il n’a jamais cru à une solution diplomatique et est resté fidèle à sa conviction. La prochaine étape est la conquête de Gaza, et le fait d’en faire une occupation permanente ajoute une nouvelle série de briques à son plan visant à « résoudre » la question palestinienne par la seule guerre.

Netanyahou aurait dû être attaqué sans pitié pour cette vision du monde, avant toute autre chose, y compris son mode de vie. C’est ce qui a semé les graines de la destruction du pays, bien avant l’avion Aile de Sion*, son fils Yair, sa femme Sara et les procès pour corruption.

La rénovation sans fin de la maison de Césarée est odieuse, tout comme le traitement des employés de la résidence du Premier ministre, mais le projet de Netanyahou de perpétuer l’apartheid est le plus grand danger posé par le Premier ministre le plus décrié/révéré de l’histoire d’Israël.

Pour cela, pour l’immortalisation de l’apartheid, aucun leader d’un parti sioniste ne peut attaquer Netanyahou : d’Itamar Ben-Gvir à Yair Golan, ils sont tous d’accord avec lui. Et c’est là la véritable cause du désespoir, c’est la plus grande de toutes les raisons de désespérer.

 NdT

* Il s’agit d’un Boeing 767 reconfiguré et modernisé ayant une capacité de 60 passagers, qui a effectué son premier vol en juillet dernier, pour la visite de Netanyahou à Wasington. « Aile de Sion » fait l’objet d’une lutte politique en Israël depuis plusieurs années, Netanyahou et ses partisans affirmant qu’il s’agit d’une mesure de sécurité nécessaire, tandis que ses détracteurs le considèrent comme un gaspillage de l’argent des contribuables et un symbole de corruption. Chaque vol coûte plus de 200 000 dollars.

 


L’objectif de guerre de Netanyahou n’est pas le retour des otages, c’est l’occupation de Gaza

Aluf Benn, Haaretz, 21/8/2024

Aluf Benn, né Bomstein (Ramat HaSharon, 1965) est depuis 2011 rédacteur en chef du quotidien israélien Haaretz, où il travaille depuis 1989. @alufbenn

57 ans d’occupation israélienne en Cisjordanie nous ont appris qu’aucune grande ville juive ne sera érigée demain à Gaza ; l’« occupation rampante » fera avancer caravane après caravane, avant-poste après avant-poste.

Lorsqu’il a annoncé mardi 20 août qu’il torpillait les négociations en vue d’un accord de cessez-le-feu avec le Hamas, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a parlé de « notre défense et de nos atouts stratégiques » - le contrôle des routes de Philadelphie et de Netzarim - qu’Israël perdrait s’il acceptait l’accord actuellement sur la table.

Le discours public en Israël se concentre sur les otages et leur sort, mais Netanyahou les considère comme une nuisance médiatique, un bélier pour ses opposants politiques et une distraction par rapport à l’objectif : une occupation prolongée de la bande de Gaza ou, comme il l’a déclaré à plusieurs reprises depuis le début de la guerre, le « contrôle de la sécurité israélienne ».

Le contrôle de la route de Philadephie et du « corridor de sécurité » le long de la frontière permet à Israël d’encercler les frontières terrestres de Gaza et de l’isoler de l’Égypte. Le contrôle de la route de Netzarim divise en pratique le nord de Gaza, où il ne reste que quelques Palestiniens dont les maisons et les infrastructures ont été détruites, de la partie sud de l’enclave côtière, qui regorge de réfugiés venus de toute la bande de Gaza.

Dans la pratique, un accord à long terme pour le « jour d’après » est en cours d’élaboration. Israël contrôlera le nord de la bande de Gaza et chassera les 300 000 Palestiniens qui s’y trouvent encore. Le général de division (réserviste) Giora Eiland, idéologue de la guerre, propose de les faire mourir de faim ou de les exiler pour vaincre le Hamas. La droite israélienne envisage une colonisation juive de la région, qui présente un vaste potentiel immobilier grâce à une topographie favorable, une vue sur la mer et la proximité du centre d’Israël.

Les 57 années d’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est montrent qu’il s’agit d’un long processus qui exige beaucoup de patience et de capacité de manœuvre diplomatique. Aucune grande ville juive ne sera construite à Gaza demain, mais les progrès se feront acre par acre, mobile home par mobile home, avant-poste par avant-poste - tout comme à Hébron, Elon Moreh et Gilad Farm.

Le sud de la bande de Gaza sera laissé au Hamas, qui devra s’occuper des habitants démunis sous le siège israélien, même lorsque la communauté internationale se désintéressera de l’histoire et passera à d’autres crises. Netanyahou est convaincu qu’après les élections usaméricaines, l’influence des manifestants pro-palestiniens sur la politique usaméricaine diminuera, même si la vice-présidente Kamala Harris l’emporte.

Naturellement, si Donald Trump bouleverse le jeu et revient à la Maison Blanche, Netanyahou s’attend à avoir les coudées franches à Gaza. Dans les deux scénarios, l’USAmérique, avec ses porte-avions, est censée dissuader l’Iran d’une escalade générale, ou s’impliquer elle-même dans une guerre pour sauver Israël.

Ne vous méprenez pas : l’occupation est l’objectif pour lequel Netanyahou se bat, même au prix de la mort des derniers otages et au risque d’une guerre régionale. Les échafaudages qui soutiennent son régime, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich, resteront en place tant qu’il cherchera, par ses paroles et ses actes, à obtenir une occupation permanente et une annexion rampante de la bande de Gaza.

Lors de la réunion du cabinet de cette semaine, M. Netanyahu a réitéré son slogan de 1996 contre les accords d’Oslo: « Donner et prendre, pas donner et donner ». En termes plus simples : les territoires occupés ne seront pas restitués, même sous la pression internationale et même aujourd’hui, face aux appels des otages. Tel est le but de sa guerre.

 
Brandan Reynolds, Business Day, Afrique du Sud

24/08/2024

BENNY MORRIS
Netanyahou n’est pas Churchill : on se souviendra de lui comme du pire Premier ministre d’Israël

L’histoire prendra Bibi à partie, écrit le célèbre historiographe israélien, fort soucieux de l’avenir du sionisme, dont le destin s’inscrit pourtant désormais en lettres de feu à l’horizon : “NO FUTURE”, avec ou sans Bibi.

Benny Morris, Haaretz, 23/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

 

Lors d’une interview sur Canal 12 à la mi-juillet, le chef du Conseil national de sécurité, Tzachi Hanegbi, qui par le passé donnait l’impression d’être une personne intelligente, a déclaré : « Netanyahou entrera dans l’histoire comme quelqu’un qui a réussi à renforcer Israël. » Dans le contexte de ce qui est arrivé à Israël le 7 octobre et de ses conséquences, le commentaire de Hanegbi semble grotesque. Il s’agit d’une flatterie sans fondement et illogique.

Je pense savoir quelque chose sur l’écriture de l’histoire, et je n’ai aucun doute que Benjamin Netanyahou sera dépeint dans les livres d’histoire qui seront écrits dans les décennies à venir comme le pire Premier ministre d’Israël. On peut raisonnablement supposer qu’il aspire depuis des mois à remporter la fameuse « victoire totale » sur le Hamas, ne serait-ce que pour « mériter » une bonne place dans l’histoire de notre peuple. Mais même s’il y a une victoire « totale » sur le Hamas, je ne crois pas que cela changera fondamentalement le jugement de l’histoire. Les stigmates du 7 octobre - et oui, aussi les étiquettes des bouteilles de champagne, c’est-à-dire l’odeur de la corruption - lui colleront à la peau pour toujours.

Un Israël renforcé ? Israël est aujourd’hui faible et est perçu comme tel par ses ennemis, malgré le stock de bombes dans les sous-sols, malgré ses divisions blindées et ses légendaires unités d’opérations spéciales. Le principal responsable de cette situation est le premier ministre des 15 dernières années (avec une interruption d’environ un an et demi en 2021-2022). Depuis plus de 10 mois, Israël, avec une armée d’un demi-million de soldats, n’a pas réussi à éradiquer une organisation terroriste de 30 000 combattants équipés principalement de fusils d’assaut, de lanceurs RPG et de missiles antichars dans une zone géographique minuscule (et je suis conscient des réalités urbaines complexes de la bande de Gaza et du labyrinthe de tunnels pour lesquels Israël n’a pas trouvé de solution rapide et efficace).

Et Israël n’ose pas frapper sérieusement le Hezbollah, qui déverse quotidiennement une pluie de roquettes, de missiles et de drones sur les colonies du nord d’Israël, ni s’attaquer à l’Iran, qui orchestre depuis plus de 10 mois l’offensive multi-arènes contre notre pays. Israël est fort ?

Netanyahou mentionne fréquemment le premier ministre britannique de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill, et aime se faire photographier avec des livres qui lui sont consacrés. Implicitement, au moins, il se compare à ce noble Rosbif.

Mais aucune comparaison n’est plus ridicule. Churchill était un leader, audacieux et chaleureux, qui a eu la clairvoyance de reconnaître le danger qui menaçait son pays et qui a été capable, en fin de compte, d’unir son peuple face à la menace nazie*. Contrairement à Churchill, Netanyahou, malgré les avertissements continus des chefs de l’establishment de la défense, n’a pas réussi à identifier la menace sécuritaire à laquelle Israël est confronté et, au cours des deux dernières années, il a également réussi à diviser profondément les Israéliens en s’efforçant de saper les institutions démocratiques du pays et en procédant à diverses manipulations liées au déroulement de la guerre et au problème des otages israéliens retenus à Gaza.

Un Churchill est capable de décider et d’agir résolument face à des problèmes dramatiques. Netanyahou, en revanche, excelle depuis des années dans l’hésitation et la procrastination - certains diraient par lâcheté - qu’il a su, avec beaucoup d’habileté, faire passer auprès de ses partisans ignorants pour du discernement et de la sagesse. Au début de la guerre de Gaza - à laquelle il a donné le nom particulier d’« épées de fer » (un nom qui sera oublié au fil des ans, tout comme a été oublié le nom d’« opération Paix en Galilée », nom que le prédécesseur de Netanyahou à la tête de la droite, Menahem Begin, avait donné à la guerre du Liban en 1982) - Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises l’étape de l’invasion terrestre de Gaza et a rejeté la proposition du ministre de la défense du 12 octobre de lancer une attaque préemptive massive contre le Hezbollah. Il a agi de la même manière lors des précédents combats contre le Hamas.

En effet, Netanyahou reporte la décision concernant le Hezbollah depuis 10 mois et plus. Et tout au long de ses années en tant que Premier ministre, il a reporté à plusieurs reprises une décision concernant le projet nucléaire iranien, qui semble aujourd’hui sur le point d’être achevé. En outre, tout au long de son mandat, Netanyahou a évité de prendre une décision sur l’avenir de la Cisjordanie. Il n’est pas allé de l’avant avec l’annexion, alors qu’en même temps, il a toujours opposé son veto à la voie de la séparation d’avec les Palestiniens dans le cadre d’une paix fondée sur deux États pour les deux peuples. Il s’est abstenu et a reporté, reporté et reporté. « Irrésolu » pourrait être le deuxième prénom de Netanyahou.

Au cours de sa longue carrière, Churchill a souvent été un personnage controversé et, en tant que ministre du gouvernement britannique, il a pris des mesures qui ont suscité l’opposition de divers milieux (le débarquement de Gallipoli pendant la Première Guerre mondiale, la répression de la grève générale en Grande-Bretagne en 1926). Mais il est resté une figure appréciée du grand public et, en 1940, il a uni sa nation autour d’un objectif sinistre et noble.

Contrairement à Churchill, Netanyahou, tout au long de sa carrière, a excellé dans l’incitation et la division. Il a incité simultanément contre les libéraux et contre Yitzhak Rabin, contre les Israéliens laïques et contre la gauche (« Ils ont oublié ce que c’est que d’être juif ») et a lancé les Sépharades contre les Ashkénazes. Inciter et diviser, inciter et diviser, tel a été son mode opératoire constant. Un ancien premier ministre du Likoud, Yitzhak Shamir, a qualifié à juste titre Netanyahou d’« ange du sabotage ». Actuellement, Netanyahou et ses laquais sont occupés à inciter les chefs de l’establishment de la défense (c’est-à-dire les chefs des Forces de défense israéliennes, du Mossad et du service de sécurité Shin Bet) et les familles des otages de Gaza ; il y a un an, il a incité contre le système judiciaire et les forces de l’ordre - tout cela au service de ses besoins personnels, à savoir continuer à gouverner et ne pas aller en prison.

Churchill, 1940

Il existe d’autres différences majeures entre Netanyahou et Churchill. Ce dernier, par exemple, avait un esprit vif et se moquait parfois de lui-même. Je ne me souviens pas que Netanyahou ait jamais ri, en tout cas pas de lui-même, et ses (rares) sourires traduisent généralement le mépris pour les autres. La comparaison avec Churchill tombe également à plat lorsqu’il s’agit des compétences linguistiques en anglais. Churchill avait une rare maîtrise de la langue et a su l’utiliser efficacement pour mobiliser son peuple et obtenir un soutien extérieur pour la Grande-Bretagne dans les moments les plus difficiles. Il a réussi à consolider l’alliance anglo-usaméricaine.