Luis E. Sabini Fernández, 12/11/2025
Traduit
par Tlaxcala
Nous parlons des embarcations explosées en haute mer, dans les Caraïbes ou dans le Pacifique, et non du dieu de la guerre si étroitement lié à la manière american de vivre-dans-le-monde.Un vieil aphorisme chinois mordant nous rappelle que lorsque le doigt montre la lune, l’idiot regarde le doigt.
Et nous en sommes là, de plus en plus, dans notre société du spectacle.
Nous parlons de Hamas, pas du sionisme.
Nous parlons de bipeurs et d’interphones, pas de ceux qui les ont construits. Et pourquoi.
Nous parlons de l’armée israélienne pulvérisant des villes entières avec leur population, mais pas de ce qui a permis aux militaires sionistes de fabriquer en toute impunité des décombres de maçonnerie avec corps humains inclus : un mortier dont on peut à peine formuler la nature, tant il nous paraît atroce et étranger à tout sentiment humain.
Tout
cela indique une montée de la brutalité politique, un déchaînement
d’incontinence et d’arrogance. Depuis les sommets du pouvoir planétaire, car
dans les plaines, les marécages, les côtes, les banlieues, ce qui augmente, ce
sont l’exclusion et les victimes.
Sommes-nous
dans la troisième guerre mondiale, tant de fois annoncée ? Il semble bien que
oui — sans que l’immense majorité d’entre nous le sache, ni qu’on puisse dire
depuis quand.
Plusieurs
dates peuvent être On peut marquer plusieurs dates pour cette commémoration pathétique
et tragique.
14
mai 1948
Ce
jour-là est « fondé » l’État d’Israël. Et avec lui se réactualise le
colonialisme débridé qui marqua le début de la modernité occidentale aux XVe
et XVIe siècles.
Le
cycle colonial semblait clos avec l’épanouissement de la démocratie «
universelle » en 1945. Très vite, on vit que le colonialisme n’avait pas
disparu, loin de là : il avait changé d’habits, rebaptisé désormais néocolonialisme.
La différence fondamentale était que l’ancien colonialisme — celui du British
Empire, par exemple — arborait fièrement, sur toutes les mers, son drapeau
britannique[1]. Le
colonialisme rajeuni d’après 1945 inaugura au contraire de nouveaux drapeaux
pour les colonies, désormais « ex-colonies ». Des drapeaux propres : une
affirmation de soi purement symbolique.
Ainsi,
publiquement, et à grand renfort de discours sur « l’émancipation et la
souveraineté nationale », on déclara clos le cycle colonial, avec ses abus
honteux, ses vols et ses génocides. On entrait dans une ère de « paix sans
violence ». Démocratie pour tous, ou plutôt for everybody. Mais on verra
bien vite que tous n’étaient pas tous, et que ce tous se
réduisait à une minorité.
Mais,
ô merveilles des politiques impériales !, tandis que le colonialisme se
poursuivait avec un élan technologique renouvelé sous des formes plus
insidieuses dans le « Tiers Monde », en changeant même de nom et en inaugurant,
tambour battant, des États « nouveaux, modernes et démocratiques », on créait
aussi, en 1948, des États dans le vieux style : Israël fut érigé avec une
population étrangère au territoire (à 95–98 %, bien qu’introduite graduellement
sur des décennies), tout en vidant plus de la moitié de la population
historique du lieu. Et un autre État du vieux style, en 1948, changeait
simplement de chemise : la République d’Afrique du Sud devenait l’Union
sud-africaine et établissait, en toute légalité, la politique d’apartheid[2].
Tout
n’était pas néocolonial : il y eut aussi des États comme le Nigeria, la Tunisie
ou la Birmanie.
Dans
l’Union sud-africaine, on reconnaissait aux colons européens des droits sur les
terres arrachées aux peuples africains — zoulou, kongo, luba et autres. Les
Européens qui avaient bâti l’Union sud-africaine étaient britanniques, arrivés
au XIXe siècle, mais des Hollandais s’y étaient installés dès le
XVIIe, et, plus à l’intérieur des terres, prétendaient être plus «
originaires » que les Britanniques. En réalité, c’étaient des colonialistes
exterminateurs plus anciens : ils réglèrent leurs différends par une guerre
entre Blancs, où les Anglais n’hésitèrent pas à exterminer les Boers au
tournant du XIXe et du XXe siècle. Comprendre cela coûta
à l’ONU quelques décennies… et à Nelson Mandela, vingt-sept ans de prison.
L’assaut
sioniste contre la Palestine, en tant qu’« action de guerre de conquête », peut
bien être considéré comme une date ou une annonce de « troisième guerre
mondiale ». Pourtant, la proximité historique avec la guerre tout juste
achevée, celle de 1939–1945, rendait peu imaginable que l’humanité se retrouvât
si tôt plongée dans un autre conflit mondial.
La
possibilité d’une « troisième guerre mondiale » reprit vigueur avec la
disparition de « l’équilibre des deux superpuissances » (de 1945 à 1991).
Alors,
les USA et leurs élites de pouvoir sentirent — une fois encore — que leur heure
avait sonné : ils rêvaient de faire du XXIe siècle « le nouveau
siècle américain », mais cette fois-ci de manière exclusive.[3]
11
septembre 2001
Presque
aussitôt, le monde fut bouleversé par l’effondrement des tours de New York,
l’implosion du bâtiment 7 et l’explosion — ou le tir de missile — contre un
flanc du Pentagone. Cela paraît trop considérable pour avoir été accompli
uniquement par des cellules terroristes d’origine arabe (bien que, sans doute,
des Arabes aient été impliqués : on retrouva sur les lieux des passeports ou
documents d’identité d’origine arabe, miraculeusement intacts).
Le 11
septembre 2001 entraîna l’arrestation immédiate et sommaire à New York d’autant
de Juifs et d’Israéliens que d’Arabes — des centaines. À noter. Sans nul doute,
par la violence déployée, cet attentat nous rapprocha beaucoup d’une troisième
guerre mondiale aux protagonistes brouillés. La violence et l’ignorance
croissent de concert. Ce qui gagne, c’est l’hétéronomie. Le mystère du 11
septembre 2001 demeure.
27
février 2014 ou 24 février 2022
Avec
l’expansion de l’OTAN, les néoconservateurs, suprémacistes, reprirent du vent
dans les voiles, et, soutenus par une cranothèque fondamentalement sioniste,
poursuivirent leur expansion aux dépens de nombreux États ex-communistes.
Ainsi,
des près de dix-huit États qui formaient, avec la Russie, l’URSS, la majorité
des sociétés post-soviétiques, avides de se débarrasser du bâillon soviétique,
firent défection. La Russie ne parvint à maintenir des relations supposément
fraternelles qu’avec une demi-douzaine d’États voisins : Arménie, Azerbaïdjan,
Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Tadjikistan et Kazakhstan.
La
Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Finlande, l’Ouzbékistan, la Pologne, la
Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Tchéquie quittèrent
l’influence russe et rejoignirent le « camp occidental » via l’intégration à
l’Union européenne.
Un
grand pays européen — l’Ukraine —, environ 700 000 km² et 45 millions
d’habitants, en remettant les armes nucléaires héritées de l’URSS, resta en terra
nullius, “terre de personne”. La Russie exigea sa neutralisation, comme
convenu lors de l’effondrement soviétique. Mais les ambitions hégémoniques des USA
— ou de leurs forces internes, le « deep state » — modifièrent la donne.
L’Ukraine,
composante majeure de l’ex-URSS, fut considérée par la cranothèque usaméricaine
—Victoria Nuland à sa tête — comme un fruit mûr pour la récolte occidentale.
Par la persuasion ou la contrainte. Une présidence favorable à la Russie fut
renversée ; des mobilisations violentes, faisant des dizaines de morts,
installèrent un gouvernement pro-occidental.
Le
tournant devint de plus en plus antirusse : suppression de textes et de cours
en russe malgré une forte population russophone, harcèlement — y compris
violent — des « Russes », probablement en règlement de vieilles rancunes. Une
contre-résistance russophone, aussitôt soutenue par Moscou, s’organisa.
Certaines régions désobéirent au gouvernement ukrainien (Donetsk, Lougansk, la
Crimée). Finalement, pour empêcher l’intégration de l’Ukraine à l’UE, la
Russie, sous Vladimir Poutine, malgré des avertissements répétés, envahit le
pays à la manière classique — une réaction militaire après huit ans d’attente.
Un
autre scénario possible de début de troisième guerre mondiale, même si l’on
perçoit aussi des efforts pour conjurer un tel dénouement.
7
octobre 2023
Comme
si nous n’avions pas assez de casus belli, le 7 octobre 2023 surgit une
situation qui, une fois de plus, nous plaça — et nous place encore — aux portes
de la très rebattue troisième guerre mondiale. Comme si certains tenaient à la
déclencher : l’indéfinition trouble et inquiète.
Ce
qui survient — et est en train de survenir — n’est rien moins qu’un génocide
répondant à tous les critères établis par Raphael Lemkin, le créateur du terme
: un génocide de manuel, signé fièrement par le sionisme et ses dirigeants.
Bien
que les médias d’incommunication de masse se soient empressés de peindre la
situation comme l’attaque perfide de combattants musulmans irréguliers — le
Hamas —, la vérité est toute autre.
Nous
n’étions pas dans le meilleur des mondes lorsque le Hamas déclencha son raid
meurtrier. Bien au contraire. Edward Said décrivait la situation de Gaza en
2002 (il mourut en 2003, avant de voir l’aggravation brutale de ce qu’il avait
décrit). En 2006, Israël enferma Gaza par air, mer et terre, rendant encore
plus insoutenable la description de Said :
«
Gaza est entourée d’une clôture électrifiée sur trois côtés ; emprisonnés comme
des animaux, les Gazaouis sont empêchés de se déplacer, de travailler, de
vendre leurs légumes ou leurs fruits, d’aller à l’école. Exposés toute la
journée aux avions et aux hélicoptères, abattus comme des dindons de
basse-cour, depuis les airs et depuis le sol. Appauvris et affamés, Gaza est
une sorte de cauchemar […] avec des milliers de soldats voués à l’humiliation,
au châtiment et à l’affaiblissement de chaque Palestinien, quel que soit son
âge, son sexe ou son état de santé. Les soins médicaux ne pénètrent pas le
territoire ; les ambulances sont prises pour cibles ou bloquées. Des centaines
de maisons sont démolies et des centaines de milliers d’arbres fruitiers
détruits, ainsi que les terres arables : punitions collectives contre une
population civile et désarmée […] »
Vingt
ans plus tard, le garrot n’a pas desserré d’un pouce ; tout s’est détérioré et
aggravé. Il n’y a plus de fruits ni de légumes dans l’agriculture autrefois
florissante de Gaza, sabotée de mille façons.
Israël
s’est senti maltraité par les Palestiniens, par le Hamas, en 2023. Il s’est
senti attaqué. Il a été attaqué. Il trouva horrible ce que les irréguliers
avaient fait en pénétrant avec des bicyclettes, des parapentes, des pelleteuses
et des motos. Un déferlement de violence s’était abattu sur lui.
Mais
que croyaient-ils ? Comme l’explique Enzo Traverso :
« Le
discours dominant sur le 7 octobre fut comme l’éruption d’une épiphanie
négative, l’apparition soudaine du Mal qui déclencha une guerre de réparation.
Le 7 octobre, Israël remit le compteur à zéro, comme si les événements de ce
jour étaient la seule cause de la tragédie. »
Comme
si tout ce qu’Israël infligeait à la Palestine — et à Gaza en particulier —
n’existait pas. Israël, et tout l’appareil médiatique sous son influence,
assigna à chacun son rôle : au Hamas, celui de bourreau ; et, ô surprise, à
Israël, celui de victime. Une inversion pathétique de la vérité historique :
l’offenseur se sent offensé ; le tortionnaire, torturé ; celui qui dispose des
vies et des biens d’autrui, victime.
Mais
la réalité est têtue. Et la fluidité médiatique actuelle retire au pouvoir
constitué le monopole de presque toutes les cartes.
Nous
avons vu la réaction d’une grande partie des Juifs, surtout jeunes, rompant
avec les « vérités consacrées » ; refusant de croire qu’Israël est la victime
universelle.
Le
rôle d’Israël dans le monde est si bouleversant, si terrifiant, que nous
voyons, en Europe, en Asie, mais surtout aux USA, la contestation des « vérités
officielles » prendre corps.
Un
journaliste de droite, trumpiste, mais avide de vérité plutôt que d’illusions —
Tucker Carlson — s’efforce de remuer les ordures médiatiques qui nous
submergent chaque jour. Il est, par exemple, à la tête d’un mouvement visant à
réexaminer les assassinats des Kennedy, plus d’un demi-siècle après (et,
inévitablement, viendra le besoin de vérité sur les événements de 2001… plus de
trois mille morts attendent encore).
L’«
astuce » israélienne se voit, par exemple, dans la GHF, institution créée pour
« nourrir » les Gazaouis : elle distribue dans quatre points, obligeant à
marcher 5 ou 10 km pour recevoir… des balles, des pâtes, du riz. Littéralement.
Et sans eau : un détail de sadisme exemplaire, sous un climat sec.
Sur Gaza, et sur toute la Palestine, règne une impunité obscène, comme celle de ces officières israéliennes se maquillant devant des immeubles pulvérisés par les bombes. Que d’abjection.
Notes
[1] La Couronne a souvent alterné l'utilisation de ce drapeau avec ceux de divers pirates. Elle a utilisé la légalité et la discrétion en dehors de la loi, à sa convenance.
[2] De manière significative, ces deux « nouveaux » États, Israël et l'Union sud-africaine, vont nouer une alliance bicontinentale étroite à tous les niveaux imaginables, en particulier dans les domaines commercial et militaire. Mais lorsque, dans les années 90, le déclin irréversible du racisme meurtrier sud-africain s'amorcera, Israël retirera rapidement tout son soutien, donnant ainsi une véritable leçon d'opportunisme (Abdelwahab Elmessiri et Richard Stevens, The Progression of a Relationship, New World Press, N.Y., 1976).
[3] Voir A Report of The New Project for the New American Century, septembre 2000. Il est frappant de constater que ce document aspire à, annonce, un événement fortuit d'une violence inhabituelle qui permettrait aux USA de reprendre leur leadership mondial, après avoir expliqué le déclin militaire qu'ils ont subi après l'effondrement de l'Union soviétique. Les stratèges de la Maison Blanche insistent : « Une stratégie de transformation qui se concentrerait exclusivement sur les capacités de projection de force depuis les USA, [...], créerait des problèmes entre les alliés des USA. De plus, le processus de transformation [...], sera probablement long, à moins qu'un événement catastrophique et catalyseur ne se produise, comme un nouveau Pearl Harbor. » Le lecteur remarquera que cela a été écrit en août 2000 : un certain Pearl Harbor se produit en septembre 2001.





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