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10/06/2023

AYMAN ODEH
Combien de temps les protestataires contre la refonte judiciaire pourront-ils ignorer l'occupation israélienne ?

Ayman Odeh, Haaretz, 4/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ayman Odeh (Haïfa, 1975) est un avocat et homme politique palestinien de 1948. Il dirige le parti communiste d'Israël Hadash/Ta'al et il est député à la Knesset de la coalition Liste unifiée (al-Qa'imah al-Mushtarakah/HaReshima HaMeshutefet), dont il est le président.

Depuis 22 semaines, des centaines de milliers de citoyens israéliens descendent dans la rue pour lutter pour la démocratie. C'est impressionnant et émouvant, et cela m'inspire un grand respect. Je n'ai pas été invité à dire quoi que ce soit lors de ces manifestations. Je ne suis ni blessé ni surpris, mais je sais que ces centaines de milliers de manifestants sont mes futurs partenaires dans la création d'une vie meilleure pour ce pays.

“J’ai peur des missiles, mais encore plus de la dictature” : manifestation contre le coup d'État judiciaire dans le centre de Tel Aviv, en mai dernier.
Photo : Tomer Appelbaum

Peut-être mes positions sont-elles difficiles à accepter pour certains d'entre eux, peut-être les organisateurs ont-ils choisi de dissimuler certaines opinions, craignant que le fait de parler de l'occupation et de la paix ne fasse fuir un grand nombre de manifestants.

Je profite donc de cette tribune pour me tourner vers les chers manifestants de la rue Kaplan et leur demander de consacrer quelques minutes à la réflexion sur le lien entre démocratie et occupation.

Nous vivons une réalité tragique dans ce pays, qui a connu tant d'effusions de sang que le mot “paix” semble presque étranger. C'est paradoxal, car nous savons que la question de la paix, ou du “conflit”, comme on aime à l'appeler, est la plus importante.

La grande majorité des Israéliens et des Palestiniens souhaitent vivre en sécurité, sans guerre, sans conflit. Mais même si de nombreuses personnes travaillent à l'instauration de la paix, l'occupation se durcit et la paix s'éloigne.

Certains pensent que le conflit peut être géré, qu'il n'a pas besoin d'être résolu. Mais ces dernières semaines, avec une nouvelle série de violences horribles, avec la reconnaissance par l'ONU de la Nakba palestinienne de 1948, avec la Marche des drapeaux raciste et la violence envers les Palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, nous avons reçu un nouveau rappel de la fausseté d'une telle conception.

Une politique de gestion du conflit ignore complètement la vie quotidienne de millions de Palestiniens qui se réveillent chaque matin pour une nouvelle journée de contrôle répressif sur leur vie. Pour eux, la gestion du conflit n'est pas une stratégie dont on peut s'accommoder jusqu'au prochain round, mais plutôt une réalité de souffrances permanentes qui pèsent sur les deux parties.

Il y a aussi ceux qui ne sont pas intéressés par la gestion ou la résolution du conflit, mais par la résolution du problème palestinien par le feu messianique du transfert, l'exacerbation de la violence et l'adoption rapide d'une abomination inimaginable. Je ne parle pas avec ces gens-là, évidemment, mais à ma grande joie, ils sont encore une minorité, même s'ils occupent actuellement des positions de pouvoir au sein du gouvernement.

 

"On est là pour sauver la démocratie juive !"


Mais notre tragédie est plus complexe. C'est une tragédie qui consiste en une réalité dans laquelle une majorité des deux peuples soutient les négociations pour une paix véritable, basée sur deux États, mais où il n'y a pas de négociations. Cette situation est tragique parce que la plupart des gens, après avoir désespéré, ne s'attaquent pas au problème. Les Israéliens savent que la seule solution à long terme qui ne rappelle pas les régimes obscurs est un accord de paix entre les deux nations.

Je pense que si l'on interrogeait la plupart des Israéliens, ils seraient même capables d'énoncer les principales composantes d'une telle paix, qui relèvent presque du bon sens. Mais en dépit de cette simplicité, nombreux sont ceux qui pensent que ce n'est tout simplement pas faisable à l'heure actuelle, si tant est que cela l'ait jamais été.

C'est profondément tragique, car nous ne sommes pas en stase, dans une situation où l'attente laisserait les choses inchangées, dans un sens ou dans l'autre. Notre situation est plutôt celle d'une cocotte-minute sur le feu, qui explosera si nous continuons à attendre sans agir. Cela pourrait prendre la forme d'une troisième intifada, d'une guerre à Gaza ou de toute autre forme d'effusion de sang destructrice qui ferait des milliers de victimes de part et d'autre.

C'est pourquoi il est important pour moi de lancer un appel à tous les chers manifestants. Le mouvement de protestation ne peut pas continuer à ignorer l'occupation. Après tout, la raison sous-jacente de la tentative de briser le système judiciaire, la société civile et les frontières démocratiques est de donner au fascisme les coudées franches dans les territoires, afin d'y perpétrer des crimes horribles sans aucune interférence.


"Démocratie pour tous" : manifestation du Bloc anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub : Fadi Amub

Dans un sens plus profond, l'occupation est le cordon ombilical du fascisme israélien. Partout ailleurs dans le monde, le fascisme se développe soit au sein du grand capital, soit dans les rangs des généraux de l'armée, mais ici, tant les généraux que le grand capital s'opposent à la refonte du système de gouvernement. Ici, la source du fascisme est l'occupation et les colonies, d'où viennent Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Simcha Rothman, et où se trouve leur principal soutien.

Par conséquent, la demande de mettre fin à l'occupation doit faire partie intégrante de la protestation, en partant du principe qu'il n'y a pas de démocratie en même temps qu'une occupation, et que l'occupation a besoin d'une révision judiciaire pour alimenter ce cycle qui se perpétue de lui-même.

Cette semaine marquera le 56e  anniversaire du début de l'occupation. Ce qui a commencé comme la mal nommée guerre des six jours s'est transformé en une guerre de 56 ans. Pour marquer cet événement, nous avons décidé d'organiser samedi une marche qui est partie de la rue Dizengoff pour rejoindre ensuite la grande manifestation de la rue Kaplan. Cette marche n'avait qu'une seule exigence : demander la fin de l'occupation et la paix sur la base de deux États pour deux peuples.

J'espère du fond du cœur que beaucoup jugeront bon de se joindre à cette cause : Juifs et Arabes, tous ceux qui ont encore de l'espoir, mais aussi ceux qui ressentent un profond désespoir, qui verront peut-être qu'en marchant avec nous, ils ne sont pas seuls. Peut-être y trouveront-ils un peu d'espoir dans cette période sombre. Nous avons le devoir de brandir ensemble la bannière de la paix, sinon la bannière noire de l'occupation continuera de flotter.

Certains diront que ce sont des espoirs vains. Que c'est la réalité et qu'il faut simplement l'accepter. Mais même si beaucoup ont désespéré de la paix, nous devons nous rappeler qu'en 2001 et 2008, nous en avons été très proches. Et que tous les tyrans sont destinés à tomber à la fin, que chaque peuple occupé continuera à se battre pour sa liberté et que la paix vaut tous les efforts. Je suis plein d'espoir qu'après avoir vaincu le désespoir, nous pourrons, ensemble, instaurer la paix.

01/09/2022

GIDEON LEVY
Meretz ne doit pas faire liste commune avec le parti travailliste, aveugle à l'occupation

Gideon Levy, Haaretz, 1/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice

Avec la formation de deux listes sionistes de gauche à la Knesset, l'une pour le parti travailliste et l'autre pour le parti Meretz, il n'est plus possible de prétendre qu'il n'y a pas de différence entre eux.

Meretz a présenté une liste dans laquelle se distinguent les opposants à l'occupation, ceux pour qui la lutte est la première bannière, au-dessus de toute autre. Les travaillistes ont présenté une liste qui ne compte pas un seul opposant actif à l'occupation. Ce n'est pas une question insignifiante.

Conclusion : Les deux partis ne doivent pas se présenter ensemble, sinon la différence idéologique qui les sépare pourrait bien être occultée.

Zehava Galon (g.), Meretz et  Merav Michaeli (travaillistes)

Le prix de la dilution est plus élevé que le risque, qui n'existe presque pas, que l'un ou l'autre parti ne passe pas le seuil électoral. Les sionistes qui ne peuvent pas dormir à cause de l'occupation plus qu'autre chose, et qui croient encore au mensonge des deux États, ont voté pour Meretz. Ceux qui se considèrent de gauche, pour qui l'occupation est une question épuisante, importante mais pas cruciale, « on-veut-bien-deux-États-mais-yapadepartenaire », ont voté pour le parti travailliste. Ces deux approches ne doivent pas être combinées. Il n'y a pas de place dans le petit camp mourant de la gauche sioniste pour plus de goulasch, même si le désir du cœur est l'existence d’une gauche non sioniste en Israël.

Il est difficile de comprendre pourquoi c'est Meretz qui appelle à l'unité. Il serait plus approprié pour les travaillistes de faire tout leur possible pour s'unir, comme ils l'ont toujours fait. De mélanger le Mapai avec Ahdut Ha'avoda, les deux avec Rafi, les travaillistes avec le Mapam, malgré toutes les différences. On peut dire à la décharge de la lideure travailliste Merav Michaeli qu'elle voit les différences. À son détriment, on peut dire qu'elle fuit ces différences comme le feu. L'aspiration de Meretz à une fusion découle de la peur de l'échec et de l'impression de faire passer les intérêts du parti avant les intérêts nationaux, mais c'était censé être l'héritage du Meretz précédent. Avec Zehava Galon à sa tête, Mossi Raz en deuxième position et Gaby Lasky en sixième position - trois personnes qui ont passé leur carrière d'une manière qui suscite l'admiration pour la lutte contre l'occupation - Meretz n'a pas à rougir de son caractère unique, et il doit le préserver par tous les moyens. S'il s'associe aux travaillistes, Meretz perdra son image, qui a finalement été rajeunie. 

En revanche, les travaillistes présentent une liste de personnes aveugles à l'occupation. Aucun de ses candidats ayant une chance réaliste d'être élu à la Knesset ne sait quoi que ce soit de l'occupation, de son aspect de près et de son caractère criminel et maléfique. L'occupation ne les intéresse même pas. Il se peut que la dernière visite de Michaeli en Cisjordanie remonte à l'époque où nous sommes allés ensemble dîner dans le village de Ramin en l'honneur du plus ancien détenu administratif de l'époque, Osama Barham. Un quart de siècle s'est écoulé depuis lors. Aujourd'hui, elle et son parti n'ont pas un mot à dire sur la détention administrative - l'emprisonnement sans charges - même lorsque l'une de ses victimes les plus courageuses est en train d’agoniser.

Meretz ne peut pas se présenter sur la même liste que ceux qui ignorent l'occupation. Il y en a plus qu'assez à la Knesset, presque tous ses membres juifs. Un Meretz qui s'unit à de tels politiciens trahira sa voie. Il l'a fait ces dernières années, et c'est une bonne chose qu'il se soit, dans une certaine mesure, remis de cela. « Naama Lazimi [travailliste, militante LGBTQ+, NdT] et ses collègues sont plus à gauche que Meretz », a écrit Nehemia Shtrasler (Haaretz, mardi), menaçant de permettre la montée de l'extrême droite au pouvoir en raison du refus de Michaeli de s'unir à Meretz. Pour Shtrasler, la gauche, c'est d'abord et avant tout le mouvement syndical, pas l'occupation. Même l'éditorial du Haaretz de lundi encourageait Michaeli à accepter la fusion, mettant en garde contre une "tragédie politique" - le retour de Benjamin Netanyahou au pouvoir.

Pour les amateurs du genre horreur, ce sont des considérations qui ne doivent pas être prises à la légère. Mais il y a aussi des considérations plus importantes, d'ordre idéologique. Si un parti sioniste qui combat l'occupation n'a pas sa place, même la plus petite, à la Knesset, alors il n'y a plus de gauche sioniste en Israël, elle aura été mise à mort.

Il est très difficile, voire impossible, de s'opposer à l'occupation et de rester sioniste. Il est très difficile, voire impossible, d'être un Juif non sioniste en Israël. Nous devons donner à Meretz l'infime chance de prouver que c'est possible. Si Meretz est dilué dans le parti travailliste, seuls les Arabes s'opposeront à l'apartheid - et cela montrera qu'Israël est pire que l'Afrique du Sud. Là-bas, au moins, des Blancs, dont beaucoup de Juifs, se sont battus contre le régime.    

 

10/06/2021

Israël a affirmé que ses conquêtes territoriales en 1967 n'étaient pas planifiées. Des documents déclassifiés révèlent le contraire

Adam Raz, Haaretz, 3/6/2021
Traduit par Fausto Giudice
 

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Contrairement à l'affirmation selon laquelle Israël s'est soudainement retrouvé en possession de territoires après la guerre de juin 67, des documents déclassifiés révèlent des directives détaillées élaborées par les Forces de Défense d’Israël en prévision de la longue mission de maintien de l'ordre qui allait leur être confiée.

 

Des prisonniers de guerre arabes sont conduits, les yeux bandés, à un interrogatoire dans la vieille ville de Jérusalem, le 8 juin 1967. Photo Goren / AP

 

 

Pendant des années, la majeure partie de l'historiographie israélienne a soutenu que les décideurs du pays avaient été pris par surprise par les fruits de la victoire récoltés à la vitesse de l'éclair en juin 1967. « La guerre », a déclaré le ministre de la Défense Moshe Dayan, trois jours après sa conclusion, « s'est développée et s'est déployée sur des fronts qui n'étaient pas prévus et qui n'ont été planifiés par personne, y compris par moi ». Sur la base de ces déclarations et d'autres, l'opinion s'est enracinée que la conquête des territoires dans la guerre était le résultat d'un glissement rapide sur une pente savonneuse, une nouvelle réalité que personne ne voulait.

Toutefois, la documentation historique conservée ces dernières années dans les archives de l'État d'Israël et dans les archives des Forces de défense israéliennes et des établissements de défense exige que nous mettions en doute la crédibilité de ce point de vue. Les informations citées ici ne constituent qu'une petite partie d'un large éventail de documents conservés dans les archives gouvernementales concernant la conquête des territoires, et qui restent classifiés. Une obstination de longue haleine a été nécessaire pour obtenir la déclassification de certains des documents sur lesquels se base cet article.