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22/09/2025

Baha Sa Luneta : une révolte logique des citoyens contre la corruption aux Philippines

 

Le drapeau des Pirates au Chapeau de Paille, du manga et anime japonais One Piece, est devenu le symbole de ralliement de la jeunesse asiatique, du Népal à l'Indonésie, contre l'autoritarisme et la corruption. Il a aussi flotté sur les manifestations qui ont eu lieu le dimanche 21 septembre à Manille, capitale des Philippines. Ci-desssous les compte-rendus de ces manifestations, traduits par Tlaxcala [ce drapeau est aussi apparu dans les manifestations du 18 septembre en France : lire ici]

“Impyerno !” : Des étudiants aux retraités, des milliers de personnes s’insurgent contre les projets fantômes lors du rassemblement à Luneta

Jean MangaluzThe Philippine Star , 21/9/2025
 Avec des informations de l’Agence France-Presse

MANILLE, Philippines (mis à jour à 12h00) — Des milliers de Philippins sont descendus dans la rue dimanche pour protester contre un scandale de plusieurs milliards de pesos lié à de faux projets de contrôle des inondations, tenant pour responsables à la fois les politiciens et les entrepreneurs de la perte de fonds publics. Les manifestations ont coïncidé avec le 53ᵉ anniversaire de la loi martiale.

Au moins 49 000 personnes s’étaient rassemblées à 10h25 au parc Rizal de Manille pour le rassemblement « Baha sa Luneta: Aksyon na Laban sa Korapsyon (litt.  “Inondation à Luneta : action contre la corruption ”)», organisé par des étudiants et des groupes militants, selon la municipalité. La chaleur n’a pas dissuadé les manifestants, qui brandissaient pancartes et banderoles appelant à mettre fin à la corruption endémique.


Vues aériennes de la foule à 10h25 au parc Rizal (Luneta). Au moins 49 000 personnes ont manifesté, selon les autorités municipales.— Bureau d’information de Manille


Divers groupes défilent au parc Luneta de Manille, dimanche 21 septembre 2025, lors de vastes manifestations anticorruption contre les révélations récentes d’une fraude aux projets de contrôle des inondations impliquant des centaines de milliards de pesos de fonds publics.— Philstar.com / Jean Mangaluz

Bien que la colère provienne du scandale des projets d’inondation, les revendications sont devenues multisectorielles. Certains manifestants ont réclamé une gestion budgétaire transparente, tandis que d’autres ont soulevé des préoccupations environnementales.


Les cris de protestation, dimanche 21 septembre 2025 au parc Luneta, sont devenus multisectoriels, soulignant comment une corruption massive, comme le récent scandale sur la fraude aux projets d’inondation, freine le développement dans divers domaines.— Philstar.com / Jean Mangaluz

Une grande pancarte demandait : « Comment pouvons-nous attendre des gens qui nous oppriment qu’ils nous servent ? »

Les fameux projets fantômes ont suscité l’indignation depuis que le président Ferdinand Marcos les a mentionnés dans son discours sur l’état de la nation en juillet, après plusieurs semaines d’inondations meurtrières. Lundi, il a déclaré qu’il ne blâmait « absolument pas » les gens de manifester, mais il a appelé à des rassemblements pacifiques. L’armée a été placée en alerte rouge par précaution.

Des voix dans la foule

« Il y a eu des fois où j’ai moi-même dû patauger dans les eaux des inondations, » raconte Aly Villahermosa, 23 ans, étudiante en soins infirmiers à Manille. « S’il y a un budget pour des projets fantômes, alors pourquoi n’y a-t-il pas de budget pour le secteur de la santé ? »

L’ancien député Teddy Casiño a déclaré à la foule que la corruption exigeait l’indignation publique. Il a provoqué rires et acclamations lorsqu’il a fait allusion à un vœu d’anniversaire viral d’un journaliste, souhaitant la mort de tous les responsables corrompus, en demandant au public où ces responsables devraient aller après leur mort.

« Impyerno ! » (En enfer), a répondu la foule en chœur.


De nombreux manifestants du parc Rizal se rendent à une plus grande assemblée menée par des groupes religieux au Monument du Pouvoir Populaire à Quezon City dans l’après-midi du dimanche 21 septembre 2025.— Philstar.com / Jean Mangaluz

« La corruption exige que les gens descendent dans la rue et expriment leur colère dans l’espoir de faire pression sur le gouvernement pour qu’il fasse enfin son travail, » a ajouté Casiño.

Répercussions politiques et coût économique

Le scandale a déjà provoqué des changements au Congrès, notamment la démission du président de la Chambre, Martin Romualdez, cousin de Marcos. Plus tôt ce mois-ci, les propriétaires d’une société de construction ont accusé près de 30 parlementaires et responsables du Département des travaux publics et des routes d’avoir reçu des pots-de-vin.

Le ministère des Finances estime que l’économie a perdu jusqu’à 118,5 milliards de pesos (2 milliards de dollars) entre 2023 et 2025 à cause de la corruption dans les projets de contrôle des inondations. Greenpeace affirme que la perte réelle pourrait avoisiner 18 milliards de dollars.

À Bulacan, province frappée par les inondations, Elizabeth Abanilla, retraitée de 81 ans, a déclaré que les entrepreneurs et les responsables étaient également coupables : « Ils n’auraient pas dû remettre l’argent avant que les travaux soient terminés. Ils sont tous les deux fautifs. »

D’autres manifestations attendues

Plusieurs policiers et garde-côtes ont été déployés pour surveiller les rassemblements. Des foules encore plus nombreuses étaient attendues plus tard dans la journée pour défiler le long de l’avenue EDSA [Epifanio de los Santos Avenue, boulevard périphérique de l’est de Manille, NdT], haut lieu du Mouvement du Pouvoir Populaire qui a renversé le père de Marcos en 1986.

Prières et protestations : Une marée humaine vêtue de blanc envahit EDSA pour la « Trillion Peso March »

Camille Diola, Jean Mangaluz - Philstar.com, 21/9/2025

MANILLE, Philippines (3ᵉ mise à jour, 16h01) — Une foule massive de milliers de personnes a marché dimanche 21 septembre jusqu’au Monument du Pouvoir Populaire pour une démonstration d’unité interreligieuse et multisectorielle contre le plus grand scandale de corruption du pays depuis des décennies.

Le rassemblement de l’après-midi, baptisé « Trillion Peso March », a coïncidé avec le 53ᵉ anniversaire de la loi martiale décrétée par le défunt dictateur Ferdinand Marcos père. Les organisateurs ont déclaré que la date avait été choisie délibérément, établissant un lien entre les abus du passé et la corruption actuelle.

Malgré la pluie, des individus et familles non affiliés se sont joints à des groupes chrétiens et musulmans, ainsi qu’à des organisations de jeunesse, syndicats et mouvements progressistes à Quezon City, débordant sur White Plains Avenue.

Les autorités ont dû fermer les routes à 14h00 alors que les manifestants occupaient les deux côtés de ce lieu historique d’EDSA .

 Des milliers de personnes se rassemblent à EDSA, de l’Autel du Pouvoir Populaire à EDSA jusqu’au Monument du Pouvoir Populaire, rejoignant les manifestations anticorruption dimanche. — The STAR / Mark Villeza

 Des manifestants vêtus de blanc affluent sur EDSA pour se réunir au Monument du Pouvoir Populaire lors du « Trillion Peso Rally », dimanche 21 septembre 2025. — Capture Philstar.com

Des prières aux slogans

Le programme a débuté par des prestations de Ben&Ben, Noel Cabangon, Jamie Rivera, Bayang Barrios et d’autres artistes, avant de laisser place à des prières interconfessionnelles dirigées par des leaders chrétiens et musulmans. Une cérémonie du ruban blanc a symbolisé l’unité contre la corruption.

Dans les rues, en milieu d’après-midi, les slogans « Ikulong na ’yan ! Mga korakot ! » (En prison les corrompus !) ont envahi la foule, tandis que les automobilistes klaxonnaient en solidarité malgré les embouteillages sur White Plains Avenue. Malgré la pluie intermittente, des milliers sont restés.

« Il ne s’agit pas seulement de politique. Il s’agit de dignité, de responsabilité, et des vies perdues à cause des inondations, » a déclaré un organisateur à la foule.

Les manifestants ont exprimé leur colère face aux révélations selon lesquelles des milliards de pesos de fonds destinés au contrôle des inondations ont été détournés au cours des 15 dernières années via des pots-de-vin et des projets fantômes.


Des manifestants portent des crocodiles gonflables, symbolisant les politiciens corrompus, lors du rassemblement « Baha sa Luneta » à Manille, dimanche 21 septembre 2025. — Philstar.com / Anjilica Andaya

La province de Bulacan est devenue l’épicentre du scandale après des allégations impliquant des responsables locaux du Département des travaux publics et deux sénateurs. Les entrepreneurs Curlee et Sarah Discaya ont reconnu avoir versé des pots-de-vin à des députés, tandis que d’autres entrepreneurs ont été liés à des projets inachevés ou inexistants.

Bien qu’amorcées par la fraude liée au contrôle des inondations, les manifestations se sont élargies à d’autres griefs. Les manifestants ont réclamé que la vice-présidente Sara Duterte rende des comptes sur l’utilisation des fonds confidentiels de son bureau, une controverse de longue date.

Sur scène, des victimes des anomalies dans les projets d’inondation ont livré leurs témoignages lors du segment intitulé « Sobra Na ! » (Ça suffit !).

Les célébrités deviennent militantes

La manifestation a attiré des visages familiers du monde du spectacle, dont l’humoriste Vice Ganda et l’actrice Anne Curtis, vus dans la foule. Les participants ont affirmé que leur présence montrait que la corruption « concerne tout le monde » et n’est pas seulement une affaire politique.

Par ailleurs, les actrices Angel Aquino, Jodi Sta. Maria et Maris Racal se sont adressées plus tôt aux manifestants. L’acteur Dingdong Dantes et l’animateur Kim Atienza ont mené un groupe de coureurs célèbres tôt le matin, arborant des t-shirts appelant à mettre fin à la corruption.


L’actrice Angel Aquino pose avec des manifestants au parc Rizal lors des protestations du dimanche matin 21 septembre 2025.— Philstar.com / Anjilica Andaya

Une indignation croissante

La « Trillion Peso March » a suivi le rassemblement du matin, « Baha sa Luneta », au parc Rizal de Manille, largement mené par des groupes étudiants.

Le scandale a déjà eu des retombées politiques, dont la démission du président de la Chambre, Martin Romualdez, cousin du président Ferdinand Marcos Jr., qui a lui-même déclaré soutenir les manifestations, auxquelles il a dit qu’il aimerait pouvoir participer.

Le ministère des Finances estime que l’économie a perdu jusqu’à 118,5 milliards de pesos (2 milliards de dollars) entre 2023 et 2025 en raison de la corruption dans les projets d’inondation. Des organisations environnementales comme Greenpeace situent ce chiffre bien plus haut.

Les leaders des protestations ont promis de maintenir la pression dans la rue jusqu’à ce que des mesures de responsabilisation soient appliquées.

 

17/04/2025

FAUSTO GIUDICE
Fanon façon Barny : tout faux

Fausto GiudiceBastaYeki !, 17 avril 2025

Samedi 12 avril 2025, Jean-Claude Barny a réalisé une sacrée performance à Tunis et sa banlieue. Son film était projeté à 18h au cinéma Le Rio, à 19h à l’IFT (Institut français de Tunisie) et à 21h à L’Agora de La Marsa. Il était présent à l’issue de chaque projection, en compagnie de trois de ses acteurs : Alexandre Bouyer – l’incarnation de Frantz Fanon himself -, qui a raconté que durant le tournage, il a perdu 10 kilos, et deux jeunes acteurs tunisiens, Sfaya Mbarki, jouant le rôle de Farida, une militante du FLN très peu crédible (voir plus bas), et un jeune garçon dont je n’ai pas capté le nom.


C’est que le film de Barny, Fanon, censé se passer en bonne partie à Blida en Algérie, a été tourné en Tunisie avec une majorité d’acteurs et de figurants tunisiens, dans des décors naturels tunisiens, ce qui suscite la première gêne chez le spectateur quelque peu averti.

Tout le monde n’est pas Spike Lee et ne peut pas trouver 34 millions de dollars pour faire jouer à Denzel Washington le rôle de Malcolm X.
Tout le monde n’est pas Abdenour Zahzah pour être capable de réaliser avec seulement 500 000 € un film de fiction impeccable et véridique, car étayé, documenté et réfléchi pendant une vingtaine d’années.
En tout cas, Monsieur Barny, c’est clair, n’est ni Spike Lee ni Abdenour Zahzah.

Et il n’a pu ramasser que 4 millions d’Euros pour réaliser son inepte biopic. Heureusement, des personnes qui lui voulaient du bien lui avaient refilé une première version du scénario d’Abdenour, dans lequel il a pompé allègrement pour concocter sa chorba. Mais ça n’a pas suffi à rendre son film digne, ne serait-ce que du Festival de Montpellier.

Monsieur Barny, quand donc allez-vous vous vous décider à arracher votre masque noir et nous montrer votre peau blanche ? Blanche comme le linceul dans lequel vous avez enveloppé Frantz, après l’avoir assassiné.
Une fois poussé mon cri du cœur et du cerveau, je vais tenter de l’expliquer ci-dessous, en détail.

Remarques générales

Il est clair d’emblée que Barny a vu Le Vent des Aurès de Lakhdar-Hamina (1967), le premier long métrage de l’Algérie indépendante, mais qu’il n’a ni la formation ni le talent pour lui arriver ne serait-ce qu’à la cheville. Au départ, Barny avait un projet mégalomane de raconter les 36 ans de vie de Frantz Fanon, de Fort-de-France à la Dominique, au Maroc, à Lyon et Saint-Alban, à Blida, Tunis, Accra, Bamako etc. Devant l’ampleur du projet, il se rabat sur les 8 dernières années de la vie du héros, choisissant de ne mettre en scène que Blida et Tunis. À partir de là, il a pratiquement tout faux, nous offrant une vision totalement faussée des divers événements qu’il cherche à raconter.

Ses acteurs, mal dirigés, ne savent pas sur quel pied danser et semblent hésiter à chaque scène. Le commissaire de police qui craque après s’être retrouvé dans le rôle de tortionnaire devient dans le film un sergent névrotique de l’armée, Josie, la femme militante de Frantz, devient une épouse d’une platitude consternante jouée par la pauvre actrice belge Déborah François, qui a l’air de se demander ce qu’elle fout là et semble regretter les frères Dardenne. Le seul Belge qui s’en sort est Olivier Gourmet, devenu le grand spécialiste des rôles secondaires de méchant sournois.

Détails incongrus

Venons-en maintenant aux quelques plus gros ratés du récit.

Frantz Fanon avait deux types d’écriture, l’une professionnelle, l’autre politique.
La première était constituée de notes cliniques quotidiennes, manuscrites, et consignées dans les archives de l’hôpital de Blida, où Abdenour Zahzah et Bachir Ridouh les ont consultées pour leur premier film de 2002, Franz Fanon, mémoire d’asile et dans lesquelles Zahzah a puisé pour son deuxième film de 2024, Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, au temps où Docteur Frantz Fanon était Chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956.

La seconde était constituée par ses textes politiques. Il n’a jamais dicté un seul texte à sa femme Josie, contrairement à ce que Barny met en scène. Ses textes politiques, il les parlait (Sartre : « Fanon parle à haute voix »), marchant de long en large, et Marie-Jeanne Manuellan, assistante sociale mutée au Centre neuropsychiatrique de jour de l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis dirigé par Fanon, les tapait sur une machine achetée pour l’occasion rue de Marseille, quand elle ne prenait pas en note tout ce qui se disait dans les consultations. Elle aura tapé les deux derniers livres de Fanon, L’An V de la Révolution algérienne et Les Damnés de la terre [écouter l’ entretien avec Marie-Jeanne Manuellan et voir son livre Sous la dictée de Fanon, Éditions de l’Amourier, 2017].

L’accent lyonnais/vénissian de Mehdi Senoussi, qui joue Hocine, le principal infirmier travaillant avec Fanon, est lui aussi fort mal venu.

Et que dire de Farida, la jeune militante du FLN interprétée par Sfaya Mbarki, qui se balade dans les rues d’une ville algérienne habillée d’un pantalon fuseau et portant négligemment un hijab décontracté, ce qui lui donne l’air d’une Iranienne ou d’une Afghane émancipée du XXIème siècle, mais en tout cas pas celui d’une jeune combattante clandestine dans l’Algérie des années 1950. Quiconque a une idée minimale de la société algérienne de cette époque, ne serait-ce que pour avoir vu le film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, sait que « Farida » se serait déplacée soit vêtue d’un haïk (équivalent algérien du safsari tunisien) soit déguisée en petite pied-noire proprette, en jupe plissée ou tailleur.

La palme du grotesque revient à Salem Kali, lui aussi très mal venu -avec son passé de champion de kung fu et de protagoniste de film de zombies – pour incarner Abane Ramdane, parlant un arabe de karakouz [1] : le summum est atteint dans la scène où il fait un discours aux allures de prêche à des paysans réunis dans une étable. Le public tunisien n’a pas pu se retenir de rigoler lorsqu’il prononce, la bouche en cul-de-poule sous sa moustache : « Di-mou-kra-tttiiyaa ». Abane Ramdane était un Kabyle trilingue ayant reçu une éducation française et un modèle d’intellectuel organique, réalisant l’alchimie de la constitution du mouvement national de libération. Il pensait certes, avec Mao, que « le pouvoir est au bout du fusil », mais, toujours avec Mao, que « le parti commande aux fusils et il ne faut jamais permettre que les fusils commandent au parti ». Ce fut ce qui signa son arrêt de mort. Il fut étranglé sur ordre des 3 B (Belkacem, Boussouf, Bentobbal] et avec l’assentiment des trois autres B [Ben Bella, Boumediène, Bouteflika), dans une ferme entre Tétouan et Tanger où on lui avait tenu un traquenard, et non pas, comme le filme Barny, dans une villa de Tunis.

Et pour finir, la dernière scène, celle de l’enterrement. Fanon n’a pas été enterré par quelques fellahs en gandoura dans une plaine et dans un linceul, mais dans un cercueil à Aïn Kerma, en territoire algérien, par un détachement de l’Armée de Libération Nationale qui lui a rendu les honneurs militaires. Ces faits documentés – par exemple dans l’excellent documentaire d’Hassane Mezine, Fanon hier, aujourd’hui (2018) - ont été ignorés par Si Barny.

Pour conclure, Madame la France a trouvé dans le bioupik barnyen une occasion très bon marché - ça ne mange pas de pain - de se redorer le blason auprès de ses encore-colonisés de tous les continents. Mais pas auprès des décolonisés, dont votre serviteur pense faire partie. À bon entendeur salut. Quant aux autistes et autres narcissiques konparézon*, qu’ils continuent à contempler leur nombril.

Visitez et rejoignez la page du groupe Frantz Fanon 100 ans


Notes

1 - Karakouz : terme tunisien désignant le théâtre d'ombres d'ombres d'origine ottomane, dérivé du turc Karagöz (oeil noir), nom du personnage plébéien et lourdaud, devenu en Grèce Karagiorgios. Karakouz en tunisien désigne généralement le cirque politicard.

*Par un hasard qui n’a rien de curieux, le film a eu son avant-première au Festival de Marrakech, au Maroc, un royaume dont tout le monde sait, au moins depuis la disparition forcée de Mehdi Ben Barka, qu’il est un bastion avancé des luttes de libération des peuples opprimés.

**Konparézon : prétentieux en kréyòl gwadloupèyen (créole guadeloupéen)



14/03/2025

Vient de paraître : Les passeurs de révolte
Un livre sur les étudiants et intellectuels étrangers et postcoloniaux en France dans les années 1968

 Eloïse Bidegorry, Fabula, 13/3/2025

Françoise Blum, Guillaume Tronchet (dir.)
Les Passeurs de révolte
Étudiants et intellectuels étrangers et postcoloniaux en France dans les années 1968

  • Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. "Histoire", 2025
  • EAN : 9782753598348
  • 250 pages
  • Prix : 24 EUR
  • Date de publication : 13 Mars 2025

Les passeurs de révolte dont il est question dans ce livre sont les étudiants et intellectuels étrangers et postcoloniaux en France dans les années 1968. Ces étudiants et intellectuels constituent des voix singulières et déploient des discours et des répertoires d’action qui leur sont propres dans les contestations des années 1968. Certes, leur grammaire protestataire peut se fondre dans celle de l’ensemble des révoltés (tractage, affichage, pétitions, manifestations, occupations de locaux, etc.) mais certaines revendications leur sont spécifiques. C’est le cas des discours profitant de la tribune offerte par les mobilisations pour informer, alerter et mobiliser autour des luttes sociales et politiques des pays dont ces étudiants sont originaires (Maroc, Tunisie, Argentine, etc.). C’est aussi le cas des discours revendiquant un statut égal à celui des étudiants nationaux, que l’on retrouve au cœur des demandes de la Tricontinentale. Ce livre s’inscrit dans une historiographie des années 1968, profondément renouvelée depuis une dizaine d’années à l’aune de la question globale. L’histoire des mobilisations sociales et politiques des années 1968 invite en effet désormais à interroger concrètement « les lieux et les moments de “passage”, les “passeurs” et bien sûr “ce qui passe”, textes idées, modèles, répertoires d’action » (Boris Gobille). C’est de cela qu’il est question ici : du rôle et de la place des étudiants et intellectuels étrangers dans les processus d’internationalisation des révoltes.

Sommaire

Préface de Ludivine Bantigny

Introduction…

Tribunes

  • Les étudiants portugais en France en mai-juin 1968
  • La révolte étudiante de Mai 68 et les départements d’outre-mer
  • Étudiants polynésiens pendant Mai 68 : les jeunes pousses du mouvement identitaire Mā’ohi
  • À la recherche du Mai 68 des Cambodgiens en France

Rencontres

  • Des « rencontres improbables ». Étudiants et intellectuels britanniques en France en mai 1968
  • « Let’s go to the barricades! ». Des GI déserteurs dans les mouvements de mai-juin 1968 en France
  • Penser un féminisme à partir de l’Amérique latine : mobilisations des femmes latino-américaines en Europe des années 1968

Trajectoires

  • Paris, capitale mondiale des intellectuels révolutionnaires ?
  • Transferts, liens, connexions : Conrad Detrez, écrivain-militant et figure des circulations contestataires des années 1968
  • Entre références intellectuelles et politiques des années 68 : la trajectoire du jeune brésilien étudiant en économie devenu professeur d’anthropologie
  • Le cinéma s’insurge ». 1968, Casablanca – Łódź – Paris

Documents commentés

  • Les étudiants et ouvriers grecs en mai-juin 1968 en France à travers quelques tracts
  • L’occupation de la Maison de l’Argentine à la Cité internationale universitaire de Paris en mai-juin 1968
  • Étudiants et intellectuels tunisiens en France en mai-juin 1968
  • Étudiants et ouvriers italiens en France en mai-juin 1968

Postface de Michelle Zancarini-Fournel.

Acheter le livre

Françoise Blum est ingénieure de recherche CNRS au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains. Elle travaille sur les mouvements sociaux en Afrique subsaharienne, sur les socialismes africains et la décolonisation. Elle a notamment publié Révolutions africaines : Congo, Sénégal, Madagascar (Presses universitaires de Rennes, 2014), avec Pierre Guidi et Ophélie Rillon, Étudiants africains en mouvement, codirigé Socialismes africains/Socialismes en Afrique (Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021) et Les partis communistes occidentaux et l’Afrique (Hémisphères, 2022).

Guillaume Tronchet, haut fonctionnaire et historien, est agrégé et docteur de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur associé à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (ENS-PSL, Paris 1, CNRS). Spécialiste de l’histoire internationale des universités et des mobilités étudiantes, il a publié plusieurs ouvrages et articles sur ces thématiques, et a été responsable à l’École normale supérieure du projet de recherche GlobalYouth, lauréat de l’Agence nationale de la recherche, entre 2017 et 2023.

20/01/2025

Patrice Émery Lumumba (1925-1961) : Honneur et Respect

Discours du 30 Juin 1960, jour de l'indépendance du Congo


Patrice Emery Lumumba (né le 2 juillet 1925) aura été une étoile filante dans le ciel  de l’Afrique à peine indépendante. Élu Premier ministre en 1960, destitué quatre mois plus tard, il est assassiné le 17 janvier 1961, suite à un complot mêlant la puissance coloniale belge, la CIA et les services secrets français. Ce que toutes ces puissances ne lui pardonnaient pas, c’était de vouloir rompre avec le colonialisme qui, au Congo, fut particulièrement féroce. Patrice Lumumba a scellé son destin le jour même de l’Indépendance, par son discours, non prévu. En disant la vérité du colonialisme, il se condamnait à mort.

Le 30 juin 1960, jour de l'indépendance du Congo, le Palais de la Nation à Léopoldville (l'actuelle Kinshasa) reçoit les membres de la famille royale belge dont le roi Baudoin 1er, des représentants du gouvernement belge, des administrateurs coloniaux, le parlement congolais, la presse internationale pour célébrer cette nouvelle ère pour le Congo.  L'évènement est radiodiffusé dans tout le pays et couvert par la presse internationale. La foule s'amasse devant le Palais de la Nation pour assister à un évènement historique. Le protocole voulait que le roi Baudoin puis le président Kasavubu fassent un discours pour l'indépendance du Congo mais le Premier ministre Lumumba élu par le parlement ne l'entendit pas de cette oreille.
Le discours du roi des Belges, Baudoin 1er, fut un discours de légitimation de la colonisation, une véritable apologie de l'œuvre du roi Léopold II.  

"L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique".

Il sonnait aux oreilles des nationalistes congolais comme une insulte à la mémoire des millions de morts générés par la politique monstrueuse du roi Lépold II, grand-oncle du roi Baudoin. "Pour caractériser le colonialisme léopoldien, les sources les plus diverses utilisaient les notions et les concepts les plus évocateurs pour l'époque, curse ("malédiction"), slave state ("Etat esclavagiste"), rubber slavery ("esclavage du caoutchouc"), crime, pillage...Aujourd'hui on n'hésite plus à parler de génocide et d'holocauste" (Elikia M'Bokolo, Le livre noir du colonialisme. XVIè-XXIè siècle : de l'extermination à la repentance, p.434). On peut d'ailleurs pour évaluer l'ampleur de la monstruosité coloniale au Congo sous Léopold II consulter de nombreuses références*.

Un documentaire britannique intitulé 
« Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire »   réalisé par Mark Dummett et produit par la BBC a suscité les foudres de la maison royale et du ministre des affaires étrangères Louis Michel lors de sa diffusion sur la RTBF le 8 avril 2004. Le passage incriminé était un commentaire faisant le parallèle entre la colonisation de Léopold II et le génocide hitlérien. Même si bon nombre de ces enquêtes sont postérieures à 1960, ni la Belgique, ni les Congolais ne pouvaient ignorer le cataclysme pour le Congo que fut le règne de Léopold II. Les travaux de l'avocat afro-américain George Washington Williams, du missionnaire afro-américain William Shepperd, du journaliste britannique Edmund Dene Morel, du consul britannique Roger Casement, du premier mouvement des droits de l'homme (Anti-Slavery International) furent à l'origine d'une commission d'enquête belge instituée par décret le 23 juillet 1904 et dont les témoignages ne furent pas publiés. Cette commission fut relayée par une de nombreux articles dans la presse et par une abondante littérature dont les fleurons les plus célèbres sont Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad (1905) et The crime of the Congo (1909) de Sir Arthur Conan Doyle.

Le discours de Baudoin Ier en faisant l'apologie de son grand-oncle et de l’œuvre coloniale apparaît pour les colonisés comme un discours de légitimation des nombreuses humiliations et discrimination qui ont jalonné la colonisation : arrestations arbitraires, exécutions sommaires, répressions sanglantes, spoliations et expropriations... En juin 1960, aucun Noir ne dépassait le grade de sergent-chef dans la Force Publique (force coloniale belge), et le dérisoire statut "d'évolué", censé couronner les efforts d'assimilation des indigènes, concerne à peine un millier de Congolais sur treize millions.

Baudoin Ier :

"Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet  la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux...N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils, pour former avec vous les techniciens et les fonctionnaires dont vous aurez besoin."

Au discours pro-colonial du roi Baudoin répondra le discours officiel insignifiant du président du parlement, Joseph Kasavubu qui remercie le roi et en appelle à Dieu : "...Dans une attitude de profonde humilité j'ai demandé à Dieu qu'il protège notre peuple et qu'il éclaire tous ses dirigeants...".

Puis il y eut l'allocution non annoncée du Premier Ministre Patrice Emery Lumumba à la grande surprise du gouvernement belge et de la maison royale. Son discours, pour les Congolais, fut libérateur  de tant d'humiliations, de brimades et de crimes contre l'humanité subis et jamais dénoncés publiquement. Il fut interrompu à huit reprises par les applaudissements de la foule  et son discours fut couronné par une véritable ovation tandis que le roi Baudoin devint livide selon nombre d'observateurs. Lumumba intervint immédiatement après l'allocution du président congolais. C'est Joseph Kasongo, le président de la chambre des représentants qui donna la parole au Premier ministre à la grande stupéfaction du gouvernement Eyskens et du roi. Aucun des spectateurs de cette journée n'avait eu le projet de texte de Lumumba, ni la presse, ni les Belges, ni les Congolais. Jean Van Lierde, ami belge de Lumumba, raconte comment il a vu Lumumba corriger son texte durant l'allocution du roi Baudoin et du président Kasavubu. C'est le contenu du discours qui va sceller le sort de Lumumba et montrer au monde entier de quelles valeurs, de quelle idéologie politique il était trempé. Pour la première fois, un "nègre" devenu le plus haut responsable du gouvernement congolais, révèle au monde entier le sort que les colonisés ont subi sous le joug colonial au Congo. Comble du déshonneur, il ne s'adresse ni au roi, ni au gouvernement belge mais aux Conglais, reléguant les anciens colons au rôle de spectateurs.

Ce portrait de Lumuba, commandé au peintre Bernard Safran pour orner la couverure du TIME MAGAZINE du 22 août 1960, ne parut jamais, car il fut remplacé au dernier moment par un portrait de Dag Hamarskjِöld, le Secrétaire général de l'ONU, qui venait de mourir dans un accident d'avion, resté inexpliqué à ce jour, au...Congo

Discours du 30 Juin 1960

Congolais et Congolaises,

Combattants de l'Indépendance aujourd'hui victorieux, Je vous salue au nom du gouvernement congolais.

 A vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffablement gravée dans vos coeurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l'histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

16/12/2024

VALÉRIE K ORLANDO
La littérature et le cinéma francophones du « nouveau » Maroc, reflets d’une société en transition
Nouveau livre des éditions The Glocal Workshop

“Seul le palmier se tient encore droit, implorant le Ciel, profitant du vent chaud pour dire ses prières d’un léger hochement de tête. Comme la première lettre de l’alphabet, l’Alif, il se tenait droit parmi toutes ces courbes, ces points épars, ces lignes brisées.”

Youssouf Amine Elalamy Amour nomade

Valérie K Orlando étudie dans ce livre la production écrite et filmée de langue française durant la première décennie du règne de Mohamed VI, dans le Maroc d’après les Années de plomb (1963-1999). Une décennie marquée par un florilège d’œuvres de fiction et documentaires brisant les tabous politiques, sociaux et culturels. Le fait sans doute le plus remarquable de cette période est la prise de parole féminine. Mais les œuvres ici analysées mettent aussi en scène les déshérités et les laissés pour compte. Les espoirs énormes exprimés durant cette première décennie du “nouveau” Maroc ont souvent été déçus, mais les Marocain·es ont su et savent faire preuve de persévérance et de résilience. Ils et elles le démontrent chaque jour, par la plume, par le clavier et par la caméra.

Valérie K. Orlando

La littérature et le cinéma francophones du « nouveau » Maroc
Reflets d’une société en transition

Traduit de l’anglais (USA) par Isa Rousselot
Édité par Fausto Giudice

Éditions The Glocal Workshop/L’Atelier Glocal

Collection “Tezcatlipoca” n° 6
408 pages, format A5
Décembre 2024

Classification Dewey : 070 - 440 – 492 – 791 - 840 – 843.08.083 - 892 – 928 - 964


Tout soutien bienvenu

07/12/2024

LÉOPOLD LAMBERT
Casablanca 1952 : l’architecture au service de la lutte anticoloniale ou de la contre-révolution


Léopold Lambert, The Funambulist, 9/8/2018
Traduit par
Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Je me suis récemment rendu en Algérie pour faire quelques recherches en vue de mon prochain livre consacré à l’espace de l’état d’urgence français ; j’espère écrire bientôt quelques-uns de ces articles non rigoureux à ce sujet mais, en attendant, j’aimerais écrire un court article sur une lutte de libération nationale contre l’empire colonial français que nous évoquons généralement moins souvent que la Révolution algérienne : la lutte de libération marocaine. Un moment de cette lutte revêt une importance particulière lorsqu’il s’agit d’évoquer la relation entre le colonialisme et l’architecture, notamment en la comparant aux stratégies adoptées par les gouvernements français successifs en Algérie dans les années qui suivront ce moment spécifique. 

L’événement dont il est question ici consiste en deux journées de grève et de manifestations organisées par l’Union. Générale des Syndicats Confédérés du. Maroc (UGSCM) et le principal parti nationaliste marocain (Istiqlal) en décembre 1952, décrites avec précision par Jim House dans un essai intitulé « L’impossible contrôle d’une ville coloniale ? ».(Genèses vol. 86, 2012). Bien que cet article soit partiellement motivé par la tentative de traduire certains éléments de la description de la grève de 1952 par House (ce à quoi la première partie de cet article est consacrée), il trouve également sa motivation dans l’absence, dans son article, de considération pour la transformation urbaine massive que les autorités coloniales entreprenaient à l’époque. Ce point, ainsi que ce qu’il nous apprend sur les responsabilités des architectes dans la contre-révolution coloniale, fera donc l’objet de la deuxième partie de cet article.


Farhat Hached (en costume sombre) en tête d'une manifestation de l'UGTT, la confédération syndicale tunisienne


Une manifestation anticoloniale dans les Carrières Centrales de Casablanca

Le 5 décembre 1952, le nationaliste et syndicaliste tunisien Ferhat Hached est assassiné dans un complot qui semble impliquer les autorités coloniales françaises en Tunisie. En guise de réponse transnationale, l’UGSCM marocaine et l’Istiqlal organisent une grève générale au Maroc le 7 décembre. Cette grève trouve son origine dans le bidonville des Carrières Centrales (aujourd’hui Hay Mohammadi) à Casablanca, où vivent plus de 130 000 colonisés. Certains d’entre eux ont quitté les zones rurales du pays pour venir s’installer ici ; d’autres ont été déplacés en 1938 du centre-ville après qu’une épidémie de typhoïde a servi de prétexte aux autorités pour détruire les petits bidonvilles adjacents aux « quartiers européens » et expulser leurs habitants en dehors de ce qui était alors les limites de la ville. 

Le bidonville massif qui existe donc au début des années 1950 est considéré par les autorités françaises comme une menace politique pour l’ordre colonial - nous verrons dans la deuxième partie en quoi a consisté la stratégie contre-révolutionnaire qui s’en est suivie. En conséquence, un plan de répression spécifique est mis en place pour répondre à tout mouvement anticolonial dans les Carrières Centrales : en plus des policiers français et marocains (ces derniers étant sous les ordres du makhzen), les autorités coloniales imaginent plusieurs niveaux de renforts militaires tels que des tirailleurs marocains ou sénégalais, des goums (unités militaires berbères), et d’autres branches de l’armée coloniale.

La grève organisée à l’origine par l’Istiqlal est appelée « grève des souris ». Elle consiste à refuser de sortir de chez soi pour aller travailler. Dans la soirée du 7 décembre cependant, des crieurs publics circulent dans le bidonville pour déclarer que la grève est interdite et que tout le monde devra ouvrir son magasin comme un jour normal. Quelques instants plus tard, la police ouvre le feu sur les habitants qui leur jetaient des pierres en réponse à l’interdiction. Les manifestants se rassemblent devant le poste de police local ; certains sont tués par balle. Les policiers entreprennent alors de fouiller le bidonville et pénètrent systématiquement dans les maisons, tandis que des militants nationalistes sont arrêtés. Le lendemain, les colons qui vivent à proximité sont évacués et de nouveaux tirs sont effectués par la police dans le quartier, tuant notamment un garçon de 15 ans qui creusait une tranchée à l’intérieur de sa maison pour protéger sa famille.

Dans l’après-midi du 8 décembre, une marche massive est organisée, quittant les quartiers pauvres marocains et se dirigeant vers le centre-ville, vers la Maison des Syndicats, où une réunion est prévue. En décrivant les événements, la presse française évoque une « tentative d’invasion de la ville européenne ». La police tire et tue au moins 14 personnes dans le cortège. De nombreuses autres personnes sont arrêtées. Certaines sont relâchées en petit nombre au milieu d’une foule de colons qui les agressent. Pendant ce temps, d’importants renforts militaires sont appelés pour circonscrire les quartiers pauvres marocains. Des avions de reconnaissance volent à basse altitude au-dessus de ces quartiers dans un effort qui relève autant de la surveillance que de l’intimidation. De même, des chars légers et des mitrailleuses paradent autour des Carrières Centrales. Dans le quartier lui-même, la police marocaine oblige les habitants à ouvrir leurs magasins et détruit ceux qui restent fermés, dans ce qui préfigure la réponse française à la grève générale organisée par le FLN en Algérie cinq ans plus tard.

Dans les jours qui suivent, des milliers de policiers et de soldats sont déployés dans les quartiers marocains et 1206 personnes sont jugées coupables d’atteinte à lordre public par les tribunaux coloniaux. Certains des manifestants arrêtés sont torturés à l’électricité dans les commissariats - préfigurant là encore les années suivantes de la révolution algérienne (1954-1962). 51 syndicalistes français, proches du mouvement nationaliste marocain, sont également expulsés vers la France.

Comme c’est souvent le cas dans les massacres coloniaux (l’État ayant tout intérêt à empêcher les archives d’exister), le nombre de manifestants tués au cours de ces journées de répression reste flou, mais se situerait entre 100 et 300. (Jim House, « L’impossible contrôle d’une ville coloniale ? », 2012).

 
Le Plan Écochard et le bidonville. Photothèque du ministère de l’habitat marocain


Les architectes et la contre-révolution

Comme mentionné plus haut, les informations fournies par Jim House dans son essai sont extrêmement précieuses, mais omettent également de mentionner comment les Carrières Centrales ont été en même temps le lieu d’une transformation urbaine drastique qui reste aujourd’hui bien connue dans l’histoire de l’architecture. Le récit politique et historique n’implique donc pas l’architecture et, sans surprise, la plupart des récits architecturaux n’impliquent pas la violence du colonialisme ou le font avec trop peu d’insistance. 

Alors qu’il était directeur de la Direction de l’urbanisme du Maroc (1946 à 1952), l’architecte et urbaniste français Michel Écochard a conçu un plan directeur pour les Carrières Centrales, avec son collectif, dont le nom, GAMMA pour Groupe d’Architectes Modernes Marocains, trompe sur le type d’architectes impliqués (« marocains » signifie ici français et occidentaux au Maroc, comme Shadrach Woods ou Georges Candilis).

Comme mentionné ci-dessus, ce plan directeur et sa grille reconnaissable de 8×8 mètres, ainsi que ses tentatives (plus ou moins orientalistes) de l’adapter à la population marocaine, appartiennent à l’histoire canonique de l’architecture. Dans les rares occasions où le contexte politique de ce projet est mentionné (pas « simplement » l’ordre colonial français au Maroc, mais aussi la suppression du mouvement nationaliste marocain), ce contexte est compris comme l’arrière-plan du projet, plutôt que comme son essence même.

Il s’agit, à mon avis, d’une dimension fondamentale pour comprendre, non seulement le rôle de l’architecture ici, non seulement la relation que l’architecture entretient avec le colonialisme, mais plus largement, la fonction même de l’architecture dans la cristallisation et l’application des ordres politiques (et, dans de très rares occasions peut-être, des désordres).


En d’autres termes, nous ne devrions pas simplement être frappés par le fait que le massacre de 1952 s’est produit alors que la transformation urbaine du bidonville était en cours - nous devrions considérer cette transformation comme l’effort colonial pour faire taire le mouvement anticolonial, comme ce sera plus tard le cas en Algérie à la fin des années 1950 avec la construction de complexes résidentiels massifs par les autorités françaises comme la deuxième vague contre-révolutionnaire (après et en même temps que la vague judiciaire et militaire) contre la révolution anticoloniale. Bien sûr, le projet lui-même n’est pas une réponse à la grève de 1952, mais il constitue plutôt une réponse préventive à une telle lutte politique.

Affirmer cela n’est pas une proposition pour relire l’histoire à travers le prisme d’une conspiration coloniale impliquant des architectes et des urbanistes à tous les niveaux des décisions militaires et administratives. Je n’ai personnellement pas lu de compte-rendu impliquant Ecochard et les militaires sur les caractéristiques contre-révolutionnaires de son projet urbain et je ne sais pas s’il en existe - pas plus que pour Fernand Pouillon à Alger quelques années plus tard.

Cependant, le degré d’intentionnalité manifesté par les architectes lorsqu’il s’agit de participer à l’ordre colonial est secondaire lorsque les clients sont précisément les gardiens de cet ordre, et que les architectes sont des membres de la société de colonisation. De plus, par sa valorisation extrême de la rationalité, l’architecture moderne, peut-être plus que toute autre, incarne le paradigme spatial idéal lorsqu’il s’agit de contrôler la population (voir cet article de 2014 sur Brasilia par exemple) et d’encadrer la plupart des aspects de la vie quotidienne de ses résidents.

Les différents ensembles modernistes construits par les autorités coloniales françaises au Maroc et en Algérie doivent donc être considérés, tant au niveau politique qu’opérationnel, pour ce qu’ils sont : des armes architecturales contre-révolutionnaires.


L’immeuble dit « Nid d’Abeilles » conçu par Georges Candilis et Sadrach Woods en 1952 et en 2016. Photos Léopold Lambert.

 L’architecture et la révolution anticoloniale

Comme je l’ai exprimé à maintes reprises sur The Funambulist, je suis convaincu que l’architecture a une propension à incarner l’ordre colonial. Sa violence intrinsèque matérialise facilement les murs dont l’État colonial a besoin pour se maintenir, et rien n’est plus facile que d’extruder une ligne tracée sur une carte où les frontières sont des constructions coloniales. Une partie de moi croit encore qu’un design anticolonial peut être réalisé si, d’une manière ou d’une autre, on accepte d’embrasser une telle violence intrinsèque en faveur d’un programme anticolonial. Néanmoins, la relation entre l’architecture et la révolution anticoloniale n’est jamais plus grande que lorsque l’ordre incarné par la première est subverti (volontairement ou non) en faveur de la seconde. Bien que la libération du Maroc ait eu lieu en 1956 et qu’il soit douteux qu’un tel processus ait déjà été réalisé à ce moment-là dans la grille Écochard des Carrières Centrales, la visite de l’architecture moderne de l’actuel Hay Mohammadi suggère certainement une telle subversion dans la difficulté que nous pourrions même éprouver en essayant de la reconnaître. 

Bien sûr, la subversion ici était principalement basée sur l’appropriation d’un espace domestique pour les besoins quotidiens, et non sur l’effort politique anticolonial ; cependant, tout comme les architectes colons n’ont pas besoin de contribuer volontairement à l’ordre colonial pour le faire, les résidents colonisés et post-coloniaux (Hay Mohammadi reste aujourd’hui un quartier prolétaire ) n’ont pas besoin de subvertir volontairement cet ordre pour le faire. 

Si nous pouvons conclure par une ultime comparaison avec Alger, la Casbah n’a pas eu besoin d’être transformée politiquement pour constituer une condition spatiale idéale pour la révolution algérienne, son existence continue en décalage avec la logique coloniale, ainsi que son incarnation d’une multitude de processus rationnels (par opposition à un processus uniforme, toujours manifesté dans un plan directeur), l’ont rendue ainsi. Que les photographies suivantes, en comparaison avec la précédente du plan Ecochard, représentent donc moins l’efficacité d’une lutte anticoloniale passée, que le symbole de sa potentialité au présent ou au futur dans la subversion de l’ordre colonial qu’elles incarnent.

Ci-dessous des photographies de Hay Mohammadi, Casablanca
par Léopold Lambert (2016)



Remerciements : cet article n’a pu être écrit aujourd’hui que grâce à l’invitation à Hay Mohammadi des amies Karima El Kharraze et Hélène Harder en 2016, et à la généreuse introduction à l’histoire prolétarienne de la ville par Karim Rouissi. Je profite également de ce paragraphe supplémentaire pour dire que j’ai bien sûr lu plusieurs textes de Marion Von Osten sur la question, et que je suis donc forcément influencé d’une manière ou d’une autre par son travail dans cet article ; pourtant, je reste incapable d’articuler une réponse à celui-ci car son discours semble être formulé davantage pour les besoins de l’histoire de l’architecture que pour l’histoire du colonialisme et des mouvements anticoloniaux abordée à travers la perspective de l’architecture, comme cela m’intéresse de le faire.