16/10/2024

MEHDI HASAN
Israël est un État voyou : il devrait être exclu des Nations unies


Mehdi Hasan, The Guardian, 15/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Un État voyou ne peut pas déclarer impunément la guerre à l’ONU

Ramses, Cuba

Au cours de l’année écoulée, Israël a lancé des attaques contre de nombreux pays et territoires occupés : la bande de Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, le Yémen et l’Iran.

Pourtant, pays et territoires mis à part, Israël a également ciblé une organisation spécifique avec une série d’attaques rhétoriques et violentes sans précédent.

Oui, les Nations unies. Nous avons tous vu Israël déclarer la guerre à l’ONU.

Il suffit de regarder ce qui s’est passé ces dernières semaines et ces derniers mois :

  • Le Premier ministre israélien, à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies, a dénoncé cet organe comme étant « méprisable », une « maison des ténèbres » et un « marécage de bile antisémite ».

  • L’ambassadeur sortant d’Israël aux Nations unies a déchiqueté un exemplaire de la charte des Nations unies avec une déchiqueteuse miniature alors qu’il se trouvait également à la tribune de l’assemblée générale, et a déclaré plus tard que le siège des Nations unies à New York « devrait être fermé et rayé de la surface de la Terre ».

  • Le ministre israélien des Affaires étrangères a accusé à tort le secrétaire général des Nations unies de ne pas avoir condamné les attaques de l’Iran contre Israël, l’a déclaré « persona non grata en Israël » et a annoncé qu’il lui avait « interdit d’entrer dans le pays ».

  • Le gouvernement israélien a activement fait obstruction à une commission d’enquête mandatée par l’ONU qui tentait de recueillir des preuves sur les attaques du 7 octobre.

  • Le parlement israélien est en train de désigner une agence de l’ONU de longue date, l’UNRWA, comme « organisation terroriste ».

  • L’armée israélienne a bombardé des écoles, des entrepôts et des camps de réfugiés de l’ONU à Gaza pendant 12 mois consécutifs, tuant au passage un nombre record de 228 employés de l’ONU. « Il s’agit de loin du nombre le plus élevé de membres de notre personnel tués dans un seul conflit ou une seule catastrophe naturelle depuis la création des Nations unies », selon les termes du secrétaire général de l’ONU.

  • L’armée israélienne s’en prend désormais également aux soldats de la paix de l’ONU dans le sud du Liban. Selon l’ONU, « cinq Casques bleus de la FINUL au Liban ont été blessés par les forces israéliennes qui ont endommagé des positions de l’ONU proches de la “Ligne bleue” ».

En quoi tout cela est-il acceptable ? Acceptable ? Légal?

La question la plus importante est peut-être la suivante : comment Israël peut-il encore rester membre de l’ONU ? Pourquoi n’a-t-il pas encore été expulsé d’une organisation qu’il attaque et sape sans relâche et sans vergogne ? Bien sûr, d’autres auteurs de violations des droits de l’homme restent membres de l’ONU - la Syrie, la Russie et la Corée du Nord, pour n’en citer que quelques-uns - mais aucun d’entre eux n’a tué en masse des employés de l’ONU ; aucun n’a envoyé des chars pour envahir une base de l’ONU; aucun n’a « refusé de se conformer à plus de deux douzaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ». Cela fait plus de 60 ans qu’aucun pays au monde n ‘a osé déclarer un secrétaire général de l’ONU « persona non grata ».

Soyons clairs : ce n’est pas comme s’il n’existait pas de mécanisme permettant d’expulser un État membre de l’ONU. L’article 6 de la charte des Nations unies stipule : « Un membre des Nations unies qui a violé de manière persistante les principes énoncés dans la présente Charte peut être exclu de l’Organisation par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ».

D’aucuns pourraient faire remarquer qu’aucun État membre n’a jamais été expulsé de l’ONU en vertu de l’article 6. De plus, les USA, qui ont opposé leur veto à plus de 50 résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU critiquant Israël depuis le début des années 1970, ne permettraient jamais qu’une telle « recommandation du Conseil de sécurité » soit formulée.

L’objection est valable. L’histoire nous enseigne toutefois qu’il existe des solutions pour contourner les vetos du Conseil de sécurité. Comme l’a souligné Thomas Grant, professeur de droit international et ancien conseiller du département d’État usaméricain, en octobre 2022, alors qu’il plaidait pour l’expulsion de la Russie des Nations unies à la suite de l’invasion illégale de l’Ukraine par Vladimir Poutine, « les membres de l’ONU ont jugé à deux reprises par le passé qu’une délégation particulière n’était plus apte à s’asseoir à la table de l’organisation. À chaque fois, l’ONU a improvisé une solution ».

En 1971, les nations socialistes et non alignées du Sud ont voté à l’assemblée générale des Nations unies pour reconnaître la République populaire de Chine comme « le seul représentant légitime de la Chine aux Nations unies », remplaçant ainsi les représentants de la République de Chine (Taïwan), qui avait été un membre fondateur des Nations unies. La RdC était exclue, la RPC était admise - et c’est l’assemblée générale, et non le conseil de sécurité, qui en a décidé ainsi.

Trois ans plus tard, s’appuyant à nouveau non pas sur la charte des Nations unies mais sur ses propres « règles de procédure », comme l’a noté l’avocat spécialiste des droits humains et ancien fonctionnaire des Nations unies Saul Takahisi, l’assemblée générale des Nations unies « a voté le refus de reconnaître les pouvoirs de la délégation sud-africaine » et « a interdit à l’Afrique du Sud de participer à l’AG de l’ONU » jusqu’en 1994.

Et les deux principales raisons invoquées par l’assemblée générale des Nations unies pour suspendre l’adhésion de l’Afrique du Sud ? Sa pratique de l’apartheid à l’encontre de la population noire indigène et son occupation illégale de la Namibie voisine. Cela vous rappelle quelque chose ?

Comme l’a écrit Thomas Grant, « l’action contre l’Afrique du Sud n’a suivi aucune procédure précise dans la charte des Nations unies ou dans la pratique existante des Nations unies » et les Nations unies ont montré comment « une éthique d’improvisation prévaut, lorsque les États membres jugent qu’une question est suffisamment importante pour qu’ils agissent ».

Qu’est-ce qui est plus « important » pour les États membres de l’ONU en ce moment que des attaques contre l’ONU elle-même par un État membre ? Contre l’autorité, le personnel, le siège et la charte de l’ONU ? Samedi, 40 pays ont publié une déclaration commune condamnant l’attaque effrontée et continue d’Israël contre les soldats de la paix de l’ONU au Liban, mais les paroles ne valent pas grand-chose. Les États membres de l’ONU doivent agir.

Le gouvernement israélien peut vouloir prétendre que les Nations unies, et l’assemblée générale en particulier, ne sont pas pertinentes, impuissantes et remplies de préjugés antisémites, mais Israël n’existe aujourd’hui que grâce à une résolution de l’assemblée générale des Nations unies. La déclaration d’indépendance de 1948 du pays fait sept références différentes aux Nations unies, toutes très positives et toujours très reconnaissantes.

L’expulsion d’Israël des Nations unies, ou du moins la suspension de sa participation à l’assemblée générale dans un premier temps, enverrait donc un message fort, tant au peuple israélien qu’au reste du monde, pour dire que l’autorité des Nations unies a encore de l’importance ; que la vie du personnel de l’ONU et des forces de maintien de la paix compte également. Et qu’un État voyou ne peut pas déclarer la guerre à l’ONU elle-même et continuer à s’en tirer à bon compte.

Le message de Netanyahou au monde, par Kamal Sharaf

 

Après avoir volé l’entreprise CITGO au Venezuela, les vautours yankees l’ont reprise à Juanito, le crétin de service qui n’a jamais rien compris


Le fonds vautour Elliott remporte les enchères pour les actifs de CITGO, l’entreprise publique vénézuélienne basée au Texas, qui avait été « confiée » à Guaidó par Trump

 

Andy Robinson, La Vanguardia, 14/10/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Andy Robinson (Liverpool, 1960) est un journaliste et écrivain britannique de langue espagnole. Il écrit dans le quotidien barcelonais La Vanguardia depuis 2002. Il a consacré une grande partie de son travail à suivre les capitalistes à la trace, de Davos à Las Vegas, dans ses articles, ses chroniques de blog et ses livres.

De nombreuses personnes au Venezuela, tant au sein du gouvernement que de l’opposition, parlaient déjà du « casse du siècle » après l’annonce, plus tôt cette année aux USA, que la compagnie pétrolière nationale CITGO, basée à Houston, serait vendue aux enchères pour dédommager les fonds d’investissement et les multinationales lésés par la faillite de l’État vénézuélien [sic] et les nationalisations chavistes.


Aujourd’hui, la décision préliminaire d’un tribunal du Delaware d’autoriser la vente de CITGO à une filiale du fonds controversé Elliott Investments semble confirmer les pires craintes. Après tout, Elliott est le plus agressif des fonds dits « vautours », de puissants véhicules financiers qui achètent la dette des pays pauvres en défaut de paiement et attaquent ensuite leurs gouvernements en justice pour en tirer le maximum de profits. C’est ce que le magazine The New Yorker a appelé « une façon de faire des affaires particulièrement conflictuelle et immensément lucrative ».

Si le plan du tribunal du Delaware est mis en œuvre, Elliott, dirigé par le milliardaire et donateur républicain Paul Singer - qui a réalisé de juteux profits en intentant des procès contre des pays comme l’Argentine, la République démocratique du Congo, le Pérou et le Liberia - paiera 7,3 milliards de dollars pour les actifs usaméricains de CITGO. Ceux-ci comprennent trois grandes raffineries au Texas, en Louisiane et dans l’Illinois, qui produisent plus de 800 000 barils d’essence par jour, ainsi qu’un important réseau de stations-service. Cette somme est bien inférieure à la valeur estimée de CITGO, filiale de la compagnie pétrolière nationale Petróleos de Venezuela (PDVSA), dont le logo en forme de triangle rouge a été une présence incongrue aux USA pendant des décennies de confrontation entre Caracas et Washington.

Mais Elliott doit faire face aux poursuites judiciaires d’une vingtaine de multinationales, principalement des sociétés minières et énergétiques, ainsi que des fonds d’investissement cherchant à obtenir des compensations pour les défauts de paiement de la dette vénézuélienne et les nationalisations d’entreprises privées effectuées sous les gouvernements d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro.

La frénésie des entreprises demanderesses, toutes déterminées à obtenir leur part de CITGO, est telle que même Elliott pourrait se sentir mal à l’aise.  Les détenteurs d’obligations se sont tournés vers d’autres tribunaux pour obtenir des décisions en faveur de leurs propres revendications. Un groupe de détenteurs d’obligations, qui a acheté des titres vénézuéliens garantis par des actifs de CITGO en 2020 pour un prix équivalant à 20 % de leur valeur d’émission, réclame à présent plus de 90 %. Menés par le fonds Gramercy, spécialisé dans l’achat d’obligations de pacotille auprès d’entités en faillite, ils veulent devancer les autres demandeurs, qu’il s’agisse d’entreprises énergétiques ou minières, dans la file d’attente pour être indemnisés en cas de défaut de paiement ou de nationalisation de leurs actifs. Le remboursement de ces investisseurs rendrait l’opération d’Elliott non viable.

Selon Paul Sankey, analyste pétrolier basé à Houston, avant la vente aux enchères, la valeur de CITGO - aux mains de l’État vénézuélien depuis 1990 - avait été estimée entre 32 et 40 milliards de dollars. En 2011, lorsque Chávez a tenté de vendre l’entreprise, elle était évaluée à 13,5 milliards de dollars.

« CITGO a perdu 50 % de sa valeur », a déclaré l’analyste pétrolier vénézuélien Einstein Millán. C’est « la remise du joyau de la couronne à des intérêts étrangers rassemblés autour du capital-risque », a-t-il ajouté.

Le gouvernement vénézuélien et l’opposition s’opposent tous deux à la vente de CITGO, qui non seulement générait des milliards de dollars de revenus pour le Venezuela, mais raffinait également le pétrole brut lourd extrait par PDVSA dans le bassin de l’Orénoque.

Mais la victoire contestée [on sait par qui, NdT] de Nicolás Maduro aux élections de juillet fait qu’il est presque impossible pour l’administration Biden d’arrêter la vente aux enchères. « S’il y avait un changement de gouvernement au Venezuela, peut-être que le gouvernement de Washington retirerait la licence, mais il semble que ce soit déjà fait », a déclaré l’économiste vénézuélien Francisco Rodriguez, qui vit aux USA.

C’est ironique. Car, pour de nombreux analystes de l’histoire alambiquée de CITGO, c’est l’opposition vénézuélienne, en collaboration avec les faucons néoconservateurs de l’administration de Donald Trump, qui a donné aux multinationales l’occasion en or de s’emparer de CITGO.

Trump a émis un décret en 2017, dans le cadre d’un embargo total sur la vente de pétrole vénézuélien, par lequel CITGO ne pouvait plus transférer ses bénéfices à Caracas. Puis, après avoir reconnu comme chef d’État le jeune leader parlementaire Juan Guaidó autoproclamé président en janvier 2019, le président usaméricain de l’époque a remis tous les actifs vénézuéliens à l’étranger, le plus précieux étant CITGO, au nouveau gouvernement « fantôme » de Guaidó. Le résultat - par erreur ou intentionnellement - serait l’éviscération des actifs de CITGO au profit de fonds et d’entreprises multinationaux.

Les actifs de CITGO équivalaient à 10 % du PIB vénézuélien, soit 13,5 milliards de dollars, selon l’estimation de la vente par Chávez en 2012.

Il y avait « une motivation cachée derrière le plan de changement de régime qui a échoué », affirme la journaliste usaméricaine Anya Parampil dans son nouveau livre Corporate coup (OR Books, 2024). « Il s’agissait d’une conspiration visant à voler l’actif international le plus convoité du Venezuela ». Avec l’arrivée d’Elliott - connu pour ses procès agressifs contre des pays en faillite qui sont allés jusqu’à forcer la saisie d’un navire militaire argentin en 2011 afin de collecter 2,6 milliards de dollars auprès du gouvernement de Cristina Kirchner - la manœuvre était peut-être déjà au point.

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Le livre « Corporate Coup » révèle le complot visant à voler les actifs de PDVSA

En prenant le contrôle du précieux réseau de distribution et des raffineries de CITGO aux USA, Guaidó et ses collaborateurs - menés par Luisa Palacios [nommée PDG de CITGO par Guaidó en 2019, elle a démissionné 20 mois plus tard, NdT], épouse d’un haut dirigeant de JP Morgan à Wall Street vivant dans le New Jersey - ont fait un cadeau aux avocats des multinationales pétrolières et des fonds mondiaux qui avaient subi des revers au Venezuela.

Ce but contre son camp s’est déroulé de la manière suivante. Pendant 20 ans, les gouvernements chavistes, conseillés par de grands avocats d’affaires, ont créé des structures administratives pour « maintenir une distance de sécurité entre CITGO, PDVSA et l’État vénézuélien », explique Parampil. Il était donc difficile de prouver, à l’aide d’arguments juridiques, que CITGO était un instrument de Maduro. Aucun créancier n’a réussi à convaincre les juges usaméricains qu’il avait le droit de percevoir ses indemnités grâce à la saisie de CITGO.

Mais, après que l’entreprise a été remise à l’équipe « gouvernementale » de Guaidó qui a nommé de nouveaux membres du conseil d’administration pour PDVSA et CITGO, le juge Leonard Stark du Delaware a accepté pour la première fois en 2023 l’argument selon lequel CITGO était un soi-disant « alter ego » de l’État vénézuélien.

En vertu de ce schéma juridique alambiqué, toute entreprise s’estimant lésée par les actions de l’État vénézuélien était en droit de demander réparation en saisissant les actifs de CITGO. Et c’est exactement ce qui s’est passé. M. Stark a tranché en faveur de l’argument selon lequel l’équipe de Guaidó « a utilisé les ressources de PDVSA à ses propres fins (ce qui) a permis aux créanciers de la république vénézuélienne (et pas seulement de PDVSA) de saisir CITGO », explique M. Rodriguez.

Les avocats consultés par La Vanguardia dans l’entourage du « gouvernement parallèle » de Guaidó répondent que la décision est due à un changement de position des juges usaméricains. « En 2023, la cour du Delaware et la cour d’appel du troisième circuit ont modifié les critères utilisés pour définir l’alter ego », dit José Ignacio Hernández, le principal représentant juridique du « gouvernement parallèle » de Guaidó. Les juges ont décidé à tort que les « contrôles normaux » - tels que la nomination du conseil d’administration - « constituaient une preuve d’“alteregoïté” et que ces contrôles étaient imputés au gouvernement intérimaire ». En tout état de cause, ajoute Hernández, la responsabilité de la perte de CITGO n’incombe pas au “gouvernement” Guaidó, mais à « la dette publique de 170 milliards de dollars, héritage d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro », qui a fait du Venezuela une cible pour les réclamations des créanciers et des fonds vautours [c’est une manière de voir les choses, NdT].

Qu’il s’agisse de l’erreur des avocats de Guaidó, des critères changeants des tribunaux usaméricains ou de l’héritage de l’endettement des gouvernements chavistes, le résultat est le même : CITGO - dont les actifs équivalaient à pas moins de 10 % du PIB vénézuélien - sera saisie au profit d’un groupe de fonds vautours, d’investisseurs en obligations de pacotille de Wall Street ainsi que de multinationales du secteur de l’énergie et de l’exploitation minière.

 Ne serait-ce qu’en raison de la coïncidence temporelle, il est difficile de séparer la débâcle de CITGO de la mauvaise gestion du “gouvernement” Guaidó. Parampil se demande même si le pillage de CITGO était un objectif explicite du plan ourdi en 2019 par l’administration Trump pour renverser Maduro.  « S’agissait-il d’un effet secondaire du plan de changement de régime ou d’une conséquence intentionnelle de celui-ci ? », demande-t-elle dans son livre.

Bien entendu, les bénéficiaires probables de la vente forcée de CITGO sont les alliés des faucons - dont beaucoup sont basés à Miami - qui ont organisé le coup d’État de Guaidó. Outre Elliott, il s’agit des multinationales pétrolières ConocoPhillips, l’un des principaux donateurs de la campagne de Trump, Vitol et Koch Industries, dont les partenaires, les frères Koch du Kansas, soutiennent le réseau Atlas de groupes ultraconservateurs latino-américains, dont l’actuelle opposition vénézuélienne (Pedro Urruchurtu, le conseiller de Corina Machado, la candidate de facto à l’élection présidentielle de juillet, est un activiste des réseaux libéraux liés à Atlas).

La société canadienne d’extraction d’or Crystallex, dont la concession d’extraction d’or dans le sud du Venezuela a été retirée par Chavez en 2008, est également candidate à la saisie des actifs de CITGO. Une autre société minière canadienne, Gold Reserve, est également impliquée, de même que le fabricant de verre usaméricain Owens-Illinois, qui a été nationalisé par le gouvernement Chavez et qui cherche à empocher près de 450 millions de dollars. Siemens Energy est un autre plaignant. Au total, il y a quelque 19 actions en justice dont les réclamations s’élèvent à environ 20 milliards de dollars, soit 40 % du PIB du Venezuela, ce qui représente presque trois fois ce qu’Elliott paierait pour CITGO.

L’histoire de Crystallex est essentielle pour comprendre l’issue grotesque de la tragédie de CITGO. Suite à la décision du gouvernement Chávez de lui retirer la concession de sa mine Las Cristinas, cette entreprise canadienne a poursuivi l’État vénézuélien en 2016 devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un tribunal d’arbitrage affilié à la Banque mondiale et basé à Washington, utilisé dans le passé par des fonds vautours comme Elliott. Comme c’est souvent le cas, ce tribunal multilatéral a statué en faveur de la multinationale et a ordonné à l’État vénézuélien de verser 1,2 milliard de dollars de compensation à Crystallex. Le tribunal du Delaware ayant reconnu que CITGO est l’« alter ego » de l’État vénézuélien, Crystallex a désormais le feu vert pour obtenir tout ou partie de cette indemnisation par la saisie et la vente des actifs de CITGO, même si elle devra se mesurer à Elliott.

Un fait qui a éveillé les soupçons selon lesquels le plan Guaidó était effectivement un « coup d’État » est que le conseiller juridique susmentionné de l’équipe de Guaidó, José Ignacio Hernández, avait déjà été l’avocat de Crystallex et d’Owens-Illinois lorsqu’ils ont essayé de récupérer leurs investissements perdus au Venezuela en saisissant les actifs pétroliers de l’État vénézuélien. Bien que Hernández n’ait pas utilisé la notion d’« alter ego » dans les poursuites engagées contre le Venezuela, il a souligné que les gouvernements chavistes avaient rompu l’indépendance juridique de PDVSA et que, par conséquent, une saisie serait légale.  « J’ai déjà dit à plusieurs reprises que Maduro et Chávez avaient violé l’autonomie de PDVSA, ce qui est évident, mais il est totalement faux que j’aie soutenu la thèse de l’alter ego », a insisté Hernández dans un entretien avec votre serviteur.

Cependant, une partie de l’opposition vénézuélienne demande une enquête sur le rôle de Hernández ainsi que sur celui de Carlos Vecchio, un autre avocat qui a été nommé chargé d’affaires du “gouvernement” Guaidó aux USA, Vecchio ayant représenté la compagnie pétrolière usaméricaine Exxon.  « Il faut respecter la présomption d’innocence, mais il peut y avoir des conflits d’intérêts et c’est suffisant pour mériter une enquête », dit Francisco Rodriguez.

CITGO n’est pas le seul actif de l’État vénézuélien en faillite à avoir été exproprié pendant les années Trump. L’usine de Barranquilla (Colombie) de l’entreprise publique vénézuélienne d’engrais Monómeros - une autre filiale de PDVSA - a également été remise au “gouvernement” Guaidó. Après l’effondrement de l’entreprise suite à des allégations de corruption, Gustavo Petro, le président colombien, a restitué Monómeros à l’État vénézuélien. De même, les lingots d’or vénézuéliens conservés dans les coffres de la Banque d’Angleterre ont été soustraits au contrôle de l’État vénézuélien à la suite de l’opération Guaidó. Sans légitimité et sans le soutien des forces de sécurité, le gouvernement virtuel créé par Trump a rapidement perdu sa crédibilité. Il est aujourd’hui accusé de détournement de fonds et d’autres délits de corruption.  Guaidó s’est installé à Miami [où il attend en priant Saint-Antoine le versement du bakchich de consolation pour ses bons et loyaux services par ces messieurs les vautours d’Elliott , les Singer père et fils, NdT]

 NdT

CITGO a une capacité de traitement de 769 000 barils par jour répartis entre ses trois raffineries de l'Illinois, de la Louisiane et du Texas. Elle possède également un réseau de pipelines et plus de 4 000 stations-service, principalement sur la côte est des USA.

 

15/10/2024

REINALDO SPITALETTA
Qui se soucie que des Palestiniens soient tués ?

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 15/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Qu'est-ce que cela peut nous faire, même si nous assistons à un « génocide en temps réel », que des hordes de soldats, qui en plus se prennent en selfies devant les villes et les villages qu'ils rasent, tuent des Palestiniens. Peu importent leurs coups de canons, leurs bombardements, leurs snipers. Tout ça semble aller pour le mieux, car ce sont les bâtiments, les rues, les hôpitaux, les écoles, les habitants de Gaza qui tombent sous le feu sacro-saint du « peuple élu », de la « fureur de Yahvé », ou peut-être, également en temps réel, de deux héros de mauvais augure qui font couler le sang par tous leurs pores : Joe Biden et Benjamin Netanyahou.

Que nous importe qu'une jeune fille décharnée, transpercée par toutes les angoisses, crie sur le caméraman qui filme tout ce malheur d'un peuple, si cela n'intéresse personne. Et, à la longue, qui se soucie, par exemple, qu'un Palestinien arbitrairement emprisonné par des soldats israéliens soit déshabillé, dégradé, forcé de se tourner face contre terre et qu'on lui verse un liquide sur les fesses. Ensuite, ils lâchent un énorme chien qui, excité par l'odeur d'une substance qui l'excite démesurément, viole la victime sans défense.

Ceux d'entre nous qui ont vu le documentaire Gaza, réalisé par Al Jazeera, pourraient rester sans voix, même si, dis-je, ces barbaries ne semblent importer à personne, malgré toute l'infamie qui y est montrée, malgré cette sauvagerie qui a toutes les teintes, les contours et les essences d'un génocide. On pourrait dire, pourquoi pas, que les souffrances anciennes du peuple palestinien, qui remontent au moins à 1948, n'intéressent aujourd'hui, selon l'insensibilité de cette atrocité qu'on appelle « l'Occident », ni les cours et tribunaux internationaux, ni personne d'autre.

Qui s'émouvra, par exemple, lorsque des petits cons d'Israéliens enregistrent une série de singeries sur Tik Tok pour se moquer des enfants palestiniens qui, au milieu de grimaces moqueuses, s'enduiraient de sauce ou d'encre rouge, autrement dit simuleraient des blessures pour poser devant les caméras. Ou ce que font les soldats israéliens, avec des gestes satisfaits, en rasant des cuisines, des salons, des vitrines, des maisons civiles, puis en posant avec toute la « grâce » du « mannequinat » devant leurs photographes portraitistes propagandistes.

Ce terrible documentaire questionne, parmi tant d’infamies de l'armée israélienne, l'utilisation des réseaux sociaux sur lesquels les militaires partagent des photos et des vidéos de leurs actions sans cœur à Gaza. Bien qu’on le sache déjà, Gaza montre comment les USA, l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres pays occidentaux soutiennent la boucherie israélienne. Mais, comme on le sait, aucun organisme de défense des « droits humains » ni aucun tribunal international ne les condamnera.

Le documentaire est déchirant, provocateur, voire larmoyant, et, pourquoi pas, on peut même lancer des filsdeputes bruyants contre les meurtriers en uniforme, mais, pour en revenir à notre mépris traditionnel pour ce qui arrive aux autres, on s'en moque. C'est du moins ce que semble comprendre Susan Abulhawa, écrivaine et journaliste palestinienne : « Les Palestiniens savent qu'ils ont été abandonnés, que le monde qui parle de droits de l'homme et de droit international ment, que ces concepts sont destinés aux Blancs ou aux Occidentaux, que l'obligation de rendre des comptes n'est pas destinée à obliger les oppresseurs à rendre des comptes, qu'ils ont en fait été jetés comme des ordures ».

Et oui, cet « Occident » civilisé, celui qui, au cours des deux seules guerres mondiales, a causé un nombre de morts sans précédent dans l'histoire, celui qui a depuis longtemps démoli l'édifice de la raison pour ériger des monuments à la barbarie, regarde avec complaisance la destruction de Gaza, la brutalité à l'encontre des Palestiniens. Ah, et pas seulement : il les promeut. C'est comme si le mot d'ordre était d'anéantir ce peuple. De les exterminer. Le documentaire d'Al Jazeera, qui rend également hommage aux journalistes morts, témoigne de la manière terrifiante dont un peuple, une culture, est en train d’être dévasté.

Il permet aussi de déceler certaines sophistications dans le génocide. L'intelligence artificielle au service de la destruction. Grâce à un système appelé « Where's Daddy », des personnes sont suivies à la trace, un niveau de menace leur est attribué et leur domicile est ciblé avec une grande précision. Des familles entières ont ainsi été annihilées.

Quoi qu'il en soit, ce sont des images douloureuses dans ce documentaire, qui constitue un puissant réquisitoire. À quoi cela servira-t-il ? Au moins à dire au monde qu’on ne s’en sortira pas, après tout, avec l'excuse qu’on ne savait rien de ce qui se passait dans ces régions (pour certains très éloignées). Oh oui, des Palestiniens ont été et sont encore tués. Point barre. Ce n'est pas de notre truc. C'est leur affaire.

Autre chose : la plupart des victimes, sur les plus de 41 000 tués par Israël, étaient des femmes et des enfants. Le droit international a été déchiqueté par Israël et ses parrains. Comment faire pour que nous nous en soucions ?

14/10/2024

GIDEON LEVY
Le retour de la morgue : l’arrogance démesurée d’Israël est une recette pour le désastre

Gideon Levy, Haaretz, 13/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 L’arrogance israélienne est de retour, pour de bon. Qui aurait cru qu’un an après le 7 octobre, elle reviendrait, et à une telle échelle. Après avoir vaincu le Hamas et détruit la bande de Gaza, nous sommes en train de vaincre le Hezbollah et de détruire le Liban - et nous nous tournons déjà vers l’Iran.

Le dialogue israélien évoque déjà un changement de régime dans ce pays, discute de l’assassinat de l’ayatollah Ali Khamenei et délibère entre des frappes sur des installations nucléaires et des frappes sur des installations pétrolières. Israël est dans un état d’orgueil démesuré. Du fond du gouffre et de l’esprit brisé de la déroute du 7 octobre - elle a été comparée à l’Holocauste - aux sommets de l’arrogance du changement de régime et du déplacement des peuples dans tout le Moyen-Orient. Et tout cela en l’espace d’un an. Cela se terminera dans les larmes et le sang.

C’est dans la nature de l’orgueil démesuré, par définition, que de se terminer par un désastre. C’est dans la nature d’une volatilité aussi extrême, d’un holocauste fictif à une victoire fictive, de s’effondrer.

Pendant ce temps, des millions de personnes fuient l’armée israélienne pour sauver leur vie, déplacées, réfugiées, démunies, désespérées, blessées, orphelines et estropiées dans des cortèges de souffrances sans fin à Gaza et au Liban. Bientôt en Cisjordanie et peut-être aussi en Iran. Jamais autant de personnes n’ont fui la terreur d’Israël, pas même lors de la Nakba de 1948. Elles n’oublieront jamais ce qu’Israël leur a fait. Jamais. Pour Israël et les Israéliens, cela apporte non seulement de la joie, de la satisfaction et de la fierté nationale, mais aussi un trip de toute-puissance comme ils n’en ont jamais vu, certainement pas depuis 1967.

Les succès militaires, aussi impressionnants soient-ils, rendent Israël fou. La façon dont nous avons fait sauter les bipeurs et dont nous avons tué leurs chefs : tout le monde se congratule. L’attaque contre l’Iran risque d’en faire la démonstration. Mais les succès militaires ne sont pas le plus important. Qu’est-ce qui va suivre ?

Israël estime que le ciel est la limite de ses attaques, de ses conquêtes, des tueries et des destructions qu’il est capable de semer. Et rien ne l’arrêtera. Jamais auparavant il ne s’est tenu ainsi devant un but vide, convaincu qu’il a reçu l’occasion de donner le coup de pied de sa vie. L’un après l’autre, nous avons vu s’écrouler les châteaux de cartes que l’on craignait tant : les roquettes de Gaza, les missiles du Liban, les missiles de croisière du Yémen et les missiles balistiques de l’Iran n’impressionnent plus personne.

L’impuissance de la communauté internationale, et notamment des USA, renforce le sentiment d’ivresse. Tout est possible. Il semble qu’Israël puisse poursuivre sans entrave ses campagnes de conquête et de punition à la Genghis Khan. L’USAmérique le supplie d’arrêter ; ses supplications ne font aucune impression sur les Israéliens. Et pour cause.

Mais Israël pourrait découvrir que ses étonnantes victoires ne sont rien d’autre qu’un piège à miel fatal, comme la victoire enivrante de 1967, dont nous mangeons encore aujourd’hui les fruits pourris. Ce qui est présenté comme des capacités militaires illimitées risque de se terminer par une victoire à la Pyrrhus. À Gaza, Israël continue de maltraiter des millions de malheureux, même après avoir annoncé que le Hamas avait été militairement vaincu. Pourquoi continuer ? Parce qu’il le peut. Bientôt au Liban aussi.

Le châtiment inutile et dangereux de l’Iran est discuté publiquement depuis des jours, comme s’il n’y avait pas d’autre pays qu’Israël, pas de limite à ses possibilités et personne qui puisse arrêter sa soif de pouvoir. En l’absence d’un véritable ami qui le ferait, il ne s’arrêtera jamais de lui-même, jusqu’à ce qu’un désastre le frappe. Et cela risque de se produire. Les succès militaires ont tendance à être trompeurs et éphémères.

Les masses du monde finiront par être rejointes dans leur aversion par leurs gouvernements, et un jour (lointain), tout le monde en aura sa claque. Israël ne bénéficie d’aucun soutien international, à l’exception des USA et de l’UEurope. Il est vrai que ceux-ci n’ont pas encore bougé le petit doigt, mais un jour, leur opinion publique pourrait changer la donne.

L’histoire est pleine de pays ivres de puissance qui n’ont pas su s’arrêter à temps. Israël s’en approche. En attendant, la pensée de millions de personnes au Moyen-Orient fuyant dans la terreur devant lui, souffrant d’une douleur et d’une humiliation indescriptibles sous nos bottes, devrait faire reculer de honte et de peur chaque Israélien. Au lieu de cela, ce spectacle remplit le cœur des Israéliens de fierté et les encourage à en redemander. Et il n’y a pas moyen d’arrêter ça.

 

 

13/10/2024

RANDA ABDEL-FATTAH
“Je mise sur Gaza : elle est indestructible”
Échanges entre Palestiniens en diaspora après le 7 octobre 2023

Le 7 octobre a montré que nous Palestiniens et Arabes restons les héritiers légitimes de notre histoire Nous restons les premiers témoins de notre passé, de notre présent et de notre avenir.

Randa Abdel-Fattah, Mondoweiss, 12/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

La Dre Randa Abdel-Fattah est chercheuse au département de sociologie de l’université Macquarie, à Sydney, en Australie. Ses domaines de recherche sont la Palestine, l’islamophobie, les assignations raciales, la guerre contre le terrorisme, les identités juvéniles et les mouvements sociaux. Elle est également l’une des plus éminentes défenseuses de la Palestine en Australie, une ancienne avocate en contentieux et l’auteure de 12 livres publiés dans plus de 20 pays et traduits dans plus de 15 langues, qui ont reçu de nombreuses récompenses. Elle a été récompensée ou présélectionnée pour tous les principaux prix littéraires australiens. X.

Ce n’est pas la première fois que j’écris un texte d’anniversaire J’avais quelque chose à dire en mai 2023, en juin 2017, en mai 2018, en mai 2013, en mai 2008 et en mai 1998. J’avais quelque chose à dire cent ans après que Sykes et Picot eurent découpé nos patries avec leurs stylos rouges et bleus.  Je connais la marche à suivre. Commémorer un événement, marquer un point discret repose souvent sur certaines conventions narratives et certains procédés littéraires. Il s’agit notamment de faire la chronique de ce dont nous avons été témoins, de ce que sont les moments propices à la réflexion, du diagnostic et du remède ; une réflexion sur ce que je ressens à propos du passé, du présent et de l’avenir. Je respecte tout ce qui a trait à cet exercice.

 Une fissure dans l'eau suivie du retour, par Dima Srouji

Mais il ne s’agit pas ici d’un texte d’anniversaire.

Je ne peux pas écrire comme avant. Je ne peux pas rédiger un paragraphe de faits et de chiffres qui résument l’horreur apocalyptique dont nous avons été témoins au cours de l’année écoulée. Je veux résister à l’envie de faire le bilan de nos souffrances. Je ne peux pas mesurer la destruction et l’injustice alors que le génocide se poursuit et que le massacre industriel d’Israël s’est étendu au Liban, à la Syrie et au Yémen.

Depuis le 7 octobre, nous avons vu, en temps réel, diffusées en direct sur nos écrans, des scènes apocalyptiques de violence infligées méthodiquement à une population assiégée, sous le regard du monde entier, au service d’un projet politique qui n’a pas terminé son travail démographique, qui exige l’extermination des « brutes », l’élimination des autochtones, afin d’atteindre l’objectif d’une majorité juive et du contrôle de l’ensemble des terres volées, du fleuve à la mer et au-delà, jusqu’au sud du Liban et à la Syrie. Chaque jour a été une horrible chronique de génocide industrialisé, de domicide, de scolasticide, d’infanticide, de féminicide, de médicide et d’écocide. Je ne peux pas supporter de passer au crible mes tweets et mes messages sauvegardés - une bibliothèque d’une horreur insondable - et de décider quelle histoire d’horreur sera retenue alors que les bombes continuent de tomber et que les capitaux continuent d’affluer. Je ne peux pas supporter de passer au crible les infographies basées sur des faits, les discussions d’experts, les articles, les essais, les podcasts, les vidéos d’apprentissage, les interviews, les posts TikTok et les histoires instagram et de proposer un synopsis de ce paysage infernal. Comment résumer l’année écoulée ? Quelle atrocité se retrouve dans mon décompte de mots ?

Je ne peux pas non plus faire face à l’élaboration d’un arc narratif pour une année d’un génocide qui se poursuit à l’heure où j’écris ces lignes Comment pourrais-je ne serait-ce qu’esquisser des personnages et créer une intrigue à partir de Gaza ? Tous les protagonistes, tous les genres, tous les livres et films que vous avez lus ou regardés, tout ce que vous avez imaginé, se trouvent sur cette minuscule bande de terre. Gaza peut vous offrir un voyage de héros, une histoire pour enfants et jeunes adultes, une histoire d’horreur, dystopique, de science-fiction, une intrigue d’action, des drames politiques à foison, des tragi-comédies, des drames juridiques, des castings d’ensemble, une série dérivée au Liban

Et rien de tout cela n’a suffi à arrêter le massacre.

Au lieu de réfléchir à l’année écoulée, je me retrouve à penser à la responsabilité. Ce que cela implique pour nous lorsque le jour viendra et que nous assisterons à la chute d’un empire. Comment rendre compte de tous les crimes et garantir l’exercice de la justice ? Lorsque (et non pas si) Israël, le monde occidental et les régimes arabes s’effondreront et devront rendre des comptes à la population, ce sera l’heure des comptes où nous présenterons un registre de nos avertissements, de nos plaidoyers, de nos prévisions et de la chaîne de causalité

Si vous me demandez ce qu’est l’espoir, je vous dirai qu’il y a eu une lueur le 7 octobre Elle était palpable, réelle et exaltante Si vous me demandez ce qu’est la confusion, la peur et les attentes, elles étaient présentes dans les premières heures et les premiers jours Si vous me demandez ce qu’est un génocide, je vous dirai qu’il aurait pu être arrêté Si vous m’interrogez sur la liberté, la justice et la paix, je vous dirai qu’elles auraient pu être réalisées. C’est pour ces raisons que nous devons garder les pièces à conviction pour le moment de la reddition des comptes.

Pour cet essai, je propose non seulement mes mots, mais aussi certains des mots de mes amis et camarades de la diaspora dans la colonie australienne, dont les premières réactions au 7 octobre révèlent que nous Palestiniens et Arabes restons, et devons insister pour rester, les héritiers légitimes de notre histoire. Nous restons les premiers témoins de notre passé, de notre présent et de notre avenir Nous restons les propriétaires de notre récit. Nous avons prédit, nous avons analysé ; parfois nous avons surestimé, parfois nous avons sous-estimé. Je relis les messages que nous avons échangés au début du mois d’octobre et je pleure. Parce qu’à l’époque, alors que nous tapions des mots d’espoir, de peur et de confusion, nous ne savions pas que certains d’entre nous assisteraient à l’assassinat de membres de leur famille. Nous ne savions pas qu’un an plus tard, les maisons et les vies de certains de nos parents et amis seraient détruites Alors que certains d’entre nous écrivaient sur l’évacuation de leur famille et de leurs amis, nous ne savions pas qu’ils seraient contraints d’accomplir leur propre Nakba. Nous ne savions pas que nos victimes seraient un flux continu et mondial d’Israël déchiquetant, bombardant, décapitant et mutilant des enfants, des femmes, des hommes, des travailleurs de la santé, des journalistes, des étudiants, des enseignants et toutes les catégories d’êtres humains, uniquement parce que le Palestinien, l’Arabe, a été désigné comme non-humain.

Alors que nous étions inconsolables devant 1 000 enfants martyrs, nous ne pouvions imaginer que les gouvernements du monde entier autoriseraient le meurtre de 16 500, voire 100 000 enfants selon les calculs de Lancet.

Les messages ci-dessous sont tirés de discussions de groupe auxquelles j’ai participé. Des amis palestiniens, dont des militants, des universitaires, des artistes et des avocats. Les messages parlent d’eux-mêmes Et nous rappellent, un an après, que nos voix suffisent Si seulement le monde écoutait.

Choc, confusion, espoir

7 octobre 2023, 8h00 (Israël), 15h00 (Australie)

15 h 21 : « Je n’arrive pas à croire ce que je vois Une évasion massive de prison !

15 h 21 : « Les événements actuels sont décrits comme étant sans précédent depuis 1973, date à laquelle Israël a déclaré une “guerre”.

15:33 : « Je suis entre l’excitation totale et la crainte de l’effusion de sang On signale la capture de trois soldats vivants ou morts. Aljazeera essaie de confirmer.

15 h 37 : « Aljazeera confirme. Il semble qu’il y ait également un grand nombre de victimes.

15 h 41 : « Israël craint d’avoir perdu le contrôle du passage d’Eretz !

15 h 43 : J’ai l’impression que mon effroi nie la puissance de la résistance. Ils savent ce qu’ils affrontent et ce qu’ils risquent, et pourtant ils persistent. Néanmoins, j’éprouve toujours de l’effroi pour ce qui va suivre.

15 h 48 : « Des rapports font état de dizaines de victimes du côté israélien. Les détails sont flous.

15:48 pm : « Grande peur à Gaza de ce qui va arriver S’il vous plaît, pas de nouveau mai 2021 ou d’opération « Plomb durci ».

15 h 49 : « Israël a perdu le contrôle du point de passage d’Eretz avec Gaza !

15 h 50 : « Pas possible ! Ce n’est pas possible !

16 h 16 : « Gaza, nous ne l’avons pas vu venir. C’est incroyable !

16 h 22 : « Al Jazeera interviewe un commentateur israélien qui dit que cela va “renforcer la poigne de Netenyahou contre l’opposition”. Je pense que les voisins m’auraient entendu jurer contre la télé !

16:24 : « Cela n’a aucun sens.

16:28 pm : « Bien sûr, en anticipant une réponse d’Israël. Une population assoiffée de sang en Israël apprécierait maintenant le bombardement de Gaza, l’assassinat de dirigeants et la destruction qui s’ensuivra. Et ils iront sur la colline pour regarder !

4:29 pm : « Nous étions juste là et tout indiquait un accord de paix économique.

Personne à qui j’ai parlé n’en avait la moindre idée ... on avait l’impression que Gaza s’éloignait du reste de la Palestine.

16:30 : « Et maintenant, Gaza est de nouveau à l’ordre du jour.

16:30 : « Mais s’ils ont des otages ?

16:30 : « Ils seront heureux de faire des compromis avec eux. Ils l’ont fait pendant la dernière guerre.

16:31 : « C’est différent.

16 h 31 : « Peut-être.

16:33 : « Je mise sur Gaza. Elle est indestructible.

17h00 : « Est-ce mal de souhaiter qu’ils aillent jusqu’à Ramallah et qu’ils destituent Abbas ?

17 h 00 : « Mon père dirait qu’ils devraient alors libérer Barghouti et le placer au sommet.

17 h 33 : « Le Hamas fait état de 35 Israéliens capturés.

17:34 : « Soit Israël entre dans une guerre à grande échelle, soit, compte tenu du nombre de soldats et de colons kidnappés et de la pression interne, il s’abstient de mener une guerre et demande l’échange de prisonniers. Cette fois-ci serait différente des autres.

17 h 42 : « La reprise du point de passage d’Erez est une action tellement symbolique qu’elle donnera un coup de fouet au moral de tous les habitants de Gaza. Le point de passage est un symbole d’humiliation, d’emprisonnement et d’oppression

En outre, cela dissipera le mythe de la surveillance électronique, du repérage par satellite et du renseignement dont Israël se vante.

18:54 : « Des appels aux pogroms maintenant. Nous pourrions assister à des scènes similaires à celles de mai 2021.

20 h 51 : « Je n’arrive toujours pas à croire que c’est en train de se produire.

20 h 52 : « Moi non plus. Les images diffusées à la télévision sont sans précédent.

20:56 : « Alors, Israël va-t-il tenter de réoccuper la bande de Gaza ? La dernière fois, il y a eu 53 jours de guerre. Aucun objectif n’a été atteint.

21 h 05 : « Je vois des tweets où l’on compare ça au 11 septembre - ils utilisent toujours l’islamophobie mondiale pour s’attirer de la sympathie.

21:07 : « Nous devons nous préparer pour demain. Ils vont faire démarrer l’horloge le 7 octobre.

21 h 07 : « Oui, parce que le 6 octobre, c’était l’utopie pour les Palestiniens.

21:08 : « Nous devons trouver des citations de ministres israéliens qui, au fil des ans, ont expliqué qu’ils voulaient vivre par l’épée. Rien que cette année, il y a plus de 230 victimes, des enfants, des personnes âgées, des maisons détruites, des maisons occupées, etc. Rappeler aux gens le POURQUOI.

21:08 : « Je viens de regarder Netanyahou. Il se la joue Président Snow donnant des téléconférences dans La Révolte.

21 h 10 : « Ils parlent d’une force sans précédent, mais je ne peux pas imaginer que ce soit pire que tout ce qu’ils ont fait... C’est très effrayant.

22:29 : « Le bilan de l’assaut israélien sur Gaza s’élève à 161 Palestiniens tués. Au moins 1000 blessés selon des sources locales.

23 h 05 : « Ya rab facilite-leur la tâche.

1 h 28 : « Je crois que j’ai compris pourquoi le Hamas fait ça maintenant. Le discours de Haniyeh s’adresse clairement au monde arabe et musulman. Il redonne espoir dans la résistance palestinienne et ravive l’imagination des normalisateurs défaitistes. Il s’agit d’une démonstration de force qui espère remettre la Palestine au centre après qu’elle a été mise de côté.

Évacuer ou rester

13 octobre 2023

14:29 : « Les habitants de Gaza nous demandent de leur confirmer s’ils doivent partir. Ils ont perdu l’internet et la communication et ne savent pas quoi faire.

14 h 45 : « Ma famille refuse de partir. Ils disent que cette fois-ci, c’est différent. Gaza a montré qu’Israël n’est pas invincible Ils pensent que cette fois-ci, les Arabes et les dirigeants musulmans seront à la hauteur.

15:29 : « Ordre d’évacuation : quelqu’un peut-il vérifier les sources de cette information ? Il pourrait s’agir d’un bobard israélien faisant partie de la guerre psychologique.

15:39 : « Nos familles, en fait nos voisins aussi, se dirigent tous vers le sud. L’expulsion est en cours. On craint beaucoup le manque d’eau dans les jours à venir.

15 h 31 : « Je m’organise avec ma famille pour savoir comment partir.

15 h 31 : « Les miens refusent. Ils disent qu’ils vivront et mourront à Gaza. Mon cœur se brise.

15 h 35 : « L’ONU déclare qu’Israël demande l’expulsion de 1,1 million de personnes du nord au sud de Gaza. Ce n’est pas seulement un génocide, c’est un redécoupage géographique.

15:40 : « Oui - mes oncles sont au milieu de la bande de Gaza - 1,1 million de personnes vont déménager au milieu et au sud de la bande de Gaza - c’est de la folie, je ne peux pas l’imaginer.

16 h 48 : « Je suis tellement en colère. La folie de ce monde.

16 h 49 : « Où allez-vous trouver de l’eau, de la nourriture, un abri pour 1,1 million de réfugiés en 24 heures ?

16 h 52 : « Que pouvons-nous faire ? Il faut faire quelque chose !

16:56 : « Est-ce qu’ils nous placent dans une zone géographique plus restreinte pour nous éliminer avec moins d’armes ?

17 h 02 : « Il est incompréhensible que la deuxième Nakba se produise et que nous essayions de convaincre le monde que nous ne sommes pas des tueurs de bébés.

17:10 : « Le mode opératoire sioniste consiste à détourner l’attention et à nier l’existence du problème ».

Avertissement relatif au contenu

14 octobre 2023

8h19 : « Un message de Perth homeschooling [Éducation à la maison]]  avertissant les parents de supprimer les applications de médias sociaux de leurs téléphones alors que les terroristes du Hamas devraient publier des vidéos angoissantes d’otages israéliens suppliant pour leur vie. Comme l’a fait remarquer un psychologue, « les vidéos et les témoignages auxquels nous sommes actuellement exposés sont plus grands et plus cruels que ce que nos âmes peuvent contenir ». Il est conseillé aux parents australiens de surveiller de près l’utilisation des médias sociaux par leurs enfants et d’être conscients qu’ils peuvent tomber sur des contenus incroyablement pénibles. Posté sur le site féministe Mamamia, destiné aux femmes blanches. Évidemment.

8 h 25 : « Il est difficile de comprendre comment ils s’en sortent avec ces atrocités.

8 h 27 : « Parce que les atrocités commises sur les corps des Palestiniens ne nécessitent pas d’avertissement sur le contenu.

Liberté académique

14 octobre 2023

10 h 02 : « Je pense que les choses vont très mal se passer dans les universités.

10 h 02 : « La liberté académique va être le champ de bataille de l’ IHRA.

10 h 03 : « Notre existence sur le campus en tant que Palestiniens sera littéralement considérée comme un déclencheur.

10 h 05 : « Les gens ont droit à une sécurité réelle. Pas à un sentiment constant de sécurité. Je trouve que beaucoup de gens n’arrivent pas à faire la distinction entre les deux.

Droit international et courage

15 octobre 2023

12 h 40 : « J’ai réfléchi à ce qui pouvait être fait sur le plan juridique La meilleure chose à laquelle j’ai pu penser est une demande de mesures provisoires d’un État tiers ou d’un État ami auprès de la CIJ. Mais la question est de savoir quel État aurait le courage de le faire.

Le génocide en direct

15 octobre, 202

11:09 pm : « Je viens de voir des vidéos de bébés décapités à Gaza par Israël. Je vais vomir. C’est tellement horrible.

23 h 13 : « Je suis déchirée et je pense que les gens doivent voir et affronter ces horreurs, je veux témoigner et les habitants de Gaza nous demandent de témoigner C’est peut-être la seule chose qui les sauvera.

11:13 : « C’est un énorme avertissement sur le contenu ».

23 h 14 : « Cela ne fait aucune différence Je ne sais même pas pourquoi nous partageons ce genre de choses. Tout ce que cela fait, c’est contribuer à notre déshumanisation et à l’aggravation de nos traumatismes.

23h15 : « Je comprends. Mais c’est une preuve, en temps réel. Cela change la donne. Le Liban de 1982, Reagan et Israël ne peut pas maintenir sa hasbara. Les gouvernements ne pourront pas nier ce que nous voyons tous sur nos écrans Notre déshumanisation, oui, mais elle pourrait enfin inciter le monde à agir.

Pouvez-vous nous mettre en contact avec des habitants de Gaza ?

16 octobre 2023

16:55 : « Je crains que l’histoire ne sorte du cycle de l’information. Cela s’est passé en 2014. Vous remarquerez déjà que les demandes d’articles vont diminuer.

16:55 : « Ils veulent entrer en contact avec les habitants de Gaza. Que dois-je leur dire ? Entre deux tentatives pour trouver un abri, de la nourriture et de l’eau, pouvez-vous parler à ce journaliste de vos souffrances pour qu’il puisse modifier vos propos et les intégrer dans son histoire à double sens ?

16 h 59 : « Nos familles ne veulent pas parler aux médias, car elles ont peur qu’Israël bombarde les maisons dans lesquelles elles se trouvent.

17:05 : « L’ABC [télévision publique australienne] aurait dû se battre pour avoir ses journalistes sur le terrain plutôt que d’accepter les ordres israéliens d’oublier Gaza depuis des décennies. J’en ai assez de devoir passer la moitié de mes journées à mettre en relation des médias paresseux avec des personnes sur le terrain pour qu’elles correspondent à l’angle d’attaque qu’elles doivent colporter pour obtenir des clics et des vues. J’en ai assez, mais je ne vois vraiment pas d’autre solution.

17 h 10 : « Nous devons continuer à raconter l’histoire Nous ne sommes pas considérés comme des êtres humains.

1000 enfants

16 octobre 2023

20 h 06 : « 1000 enfants sont morts, mec. Je n’arrive vraiment pas à le supporter.

Ça se propage

18 octobre 2023

5h00 : « Mon Dieu Ça se propage.

10 h 46 : « Je pense que la Cisjordanie va bientôt s’enflammer J’ai parlé à ma famille à Jénine.

16 h 22 : « J’ai parlé à mon père et j’entendais des tirs d’obus en arrière-plan. Il m’a dit que depuis six heures, ils tirent des obus sur le Liban toutes les deux heures. Ils ont commencé à 2h15 du matin et toute notre maison tremble à cause de leur proximité car, comme en 2006, ils ont placé toutes leurs unités d’artillerie près des villages arabes.

Nos cœurs n’en peuvent plus

19 octobre 202

8h53 : « On estime que 600 enfants sont encore sous les décombres, nos nerfs sont fatigués, nos cœurs n’en peuvent plus, des appels pour savoir s’ils sont vivants, des appels pour savoir où ils sont, je pensais que ma famille avait été anéantie hier, cette merde est réelle, ce n’est pas un jeu politique.

8h54 : « 600 Ya Allah.

9h02 : « Nous triompherons et nous nous retrouverons dans notre Palestine libre. Nous reconstruirons et nous nous rendrons visite là-bas. Nous prendrons le train de Haïfa à Beyrouth. Laissez votre rage vous aider à imaginer.

9 h 02 : « Nous ne pouvons pas désespérer. Les peuples du monde sont avec nous L’élite dirigeante ne l’est pas. La question angoissante est de savoir combien de temps nous devrons attendre et à quel prix.