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23/04/2023

YOSSI VERTER
Préparez-vous à une “fête de l’indépendance” d’Israël à la nord-coréenne

Yossi Verter, Haaretz, 21/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si un chef de l’opposition ou un membre de la Knesset envisageait encore d’assister à la cérémonie d’allumage des torches du Jour de l’Indépendance, la conférence de presse pénible de la ministre des Transports Miri Regev a résolu la question. « La cérémonie est organisée par le gouvernement, pas par la Knesset ! Le président de la Knesset est un invité », a-t-elle menti, foulant aux pieds une tradition vieille de plusieurs décennies qui n’a été interrompue que sous l’ère du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Cela fait partie du codex de base de madame la ministre.

Netanyahou, entre Ohana, président de la Knesset, et Herzog, président d’Israël, au Mémorial Yad Vashem il y a quelques jours. Photo Emil Salman

« Un message vidéo du premier ministre, c’est la coutume », a-t-elle déclaré, continuant à déformer la réalité. « Tous ceux qui agissent contre la loi ne seront pas là ». Foutaises. Aucune loi n’interdit de protester lors de cérémonies. Et pourtant. Si cela ne tenait qu’à elle, pour le jour de l’indépendance, il y aurait une loi spécifique prévoyant des peines de prison pour les personnes qui protesteraient lors de son événement, comme elle l’a dit en termes très clairs.

Elle a laissé planer la possibilité que, “dans des circonstances extrêmes”, la diffusion en direct soit interrompue au profit d’une vidéo de la répétition générale. Jusqu’où peut-on aller dans la ringardise ? Cela aurait pu fonctionner en 2004, lorsqu’elle était cheffe de la censure militaire un poste qui constituait dans une large mesure l’apogée de ses capacités. En réalité, il est tentant de la mettre à l’épreuve. Après tout, dès que la diffusion en direct sera interrompue, des centaines de smartphones sortiront et commenceront à filmer. En quelques secondes, les vidéos seront diffusées sur tous les réseaux sociaux, deviendront virales et seront diffusées dans les journaux télévisés en Israël et à l’étranger. Bien entendu, en temps réel, toutes les chaînes de télévision qui se respectent cesseront de diffuser la cérémonie enregistrée. Eh bien, voyons l’ancienne censeure vaincre le progrès.

La ministre des Transports Miri Regev lors d’une célébration de Pourim le mois dernier. Photo David Bachar

Tout·e politicien·ne ou personnalité publique qui s’oppose à la fameuse réforme judiciaire et à l’avilissement continu de la bonne gouvernance doit rester à l’écart de la cérémonie cette année. C’est malheureux, mais c’est le prix de la réalité. La cérémonie d’allumage des torches, sirupeuse et kitsch, fait l’objet d’un extraordinaire consensus israélien. Mais même l’extraordinaire tourne au vinaigre cette année. La coalition qui prend la démocratie en otage et menace de la détruire s’est également emparée de la cérémonie nationale et l’a déshonorée avant même qu’une seule image n’ait été diffusée.

Il n’y a rien non plus dans les tribunes du Mont Herzl pour les juges de la Cour suprême qui sont constamment menacés et calomniés par les ministres du gouvernement et les députés de la coalition. Il n’y a rien non plus pour la procureure  générale en chef. Faites confiance à Regev pour remplir les rangées au centre du balcon avec des membres du comité central du Likoud, qui applaudiront et agiteront des drapeaux chaque fois que la caméra sera braquée sur eux.

Lors de la cérémonie de 2021, Mme Regev a été surprise en train de faire des gestes frénétiques avec ses mains pour diriger le caméraman. Un an plus tard, la raison est revenue sur le Mont. La ministre de la Culture et des Sports, Chili Tropper, a organisé une cérémonie exprimant la beauté, l’ouverture et la tolérance d’Israël [sic]. Le Premier ministre Naftali Bennett a annoncé à l’avance qu’il ne ferait pas d’entrée “impériale” et dandy avec son épouse, qu’il ne prononcerait pas de discours et qu’il n’enverrait pas de vidéo. Il s’assiérait avec sa famille dans le public et rien d’autre.

La cérémonie du Jour de l’Indépendance au Mont Herzl à Jérusalem l’année dernière. Photo Ohad Zwigenberg

Ce fut un rare moment de grâce. Mais au fond de nous, nous savions que le gouvernement avait perdu sa majorité à la Knesset et que pour le 75e anniversaire de l’indépendance de l’État, il y avait de fortes chances que la normalité revienne à North Korea Productions, Inc. la société de production de la famille Netanyahou, et à son mégaphone obséquieux, Miri Regev, l’organisatrice d’événements personnels pour La Familia, les hooligans racistes du Beitar Jérusalem.

Les flambeaux seront allumés à la fin du Jour du Souvenir, qui se déroulera également à l’ombre des “réformes” destructrices et du profond fossé que le gouvernement d’extrémistes et de racistes a creusé dans cette nation. Des milliers de familles endeuillées ont exprimé leur désir de se recueillir auprès de leurs proches sans la participation de politicien·nes. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a refusé ces demandes. Il a comparé la non-présence des politicien·nes à un “pliage du drapeau israélien”. Selon un reportage de Kan 11 News, Gallant a conseillé à une fille endeuillée qui lui demandait, en tant que responsable du ministère qui organise les cérémonies dans les cimetières militaires, d’empêcher la participation des hommes politiques de “venir la veille” du jour du souvenir - comme si la cérémonie appartenait aux ministres du gouvernement et aux membres de la Knesset, et que les familles endeuillées n’étaient que des invités.

Gallant est apparemment en train de se frayer un chemin vers le cœur de la droite, après l’épisode troublant qu’il a vécu avec l’annonce de sa destitution qui n’a pas eu lieu. L’idée qu’une bande de réfractaires [au service militaire], d’ultra-orthodoxes et d’hyper-orthodoxes nationalistes dirigés par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui n’a pas été appelé sous les drapeaux en raison de son passé violent, participeront aux cérémonies, fait froid dans le dos.

Et ils ne seront pas les seuls : La ministre de la Diplomatie publique, Galit Distal Atbaryan, qui a traité les pilotes de lâches, le ministre des Communications, Shlomo Karhi, qui les a invités à aller se faire voir, la ministre des Transports, Miri Regev, qui qualifie les manifestants, y compris les parents, frères et sœurs et enfants endeuillés, de “privilégiés” et d’“anarchistes”, le ministre de N’importe quoi David Amsalem, qui exige que la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, et l’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, soient jugés pour “tentative de renversement du gouvernement"”et qui incite réellement à les blesser physiquement.

Cérémonie du jour du souvenir à Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv, en 2021. Photo Hadas Parush

C’est ce qui a engendré les manifestations en face de la maison de Barak, où les bibiistes et les amsalémites exigent qu’il soit placé devant un peloton d’exécution et lui souhaitent des morts étranges et variées. Ils n’ont aucune raison au monde de manifester en face du domicile d’un juge à la retraite de 86 ans qui a quitté la magistrature en 2006, si ce n’est la diffamation et la délégitimation dont des types comme Amsalem sont responsables.

Jeudi, un obscur député likoudnik, un imbécile parmi tant d’autres, a demandé dans une interview à la radio que Barak “démissionne” déjà.

Il était écœurant de voir le premier ministre qui a nommé Amsalem ministre bis de la Justice serrer la main de Hayut lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste, sans dire un mot sur les propos méprisables de Amsalem. Hayut est déjà suffisamment expérimentée pour le savoir. Elle a encore six mois à subir sa présence hypocrite avant de prendre sa retraite.

Les scènes qui se dérouleront dans tout le pays mardi matin seront difficiles à digérer. Des cimetières, on entendra non seulement le murmure des psaumes, les chants des cantors et les pleurs des cœurs brisés. De certains d’entre eux s’élèvera la voix de la protestation. Il y aura des disputes. Il y aura un cri de douleur à propos d’Israël qui se perdra - et qui, en cours de route, annulera complètement la valeur du sacrifice de nos êtres chers.

Certains pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de crier. Il est difficile de contester ce sentiment. Dans l’équation du pouvoir entre le sujet et l’oppresseur, crier est parfois la seule chose qui reste. Ou comme Yehonatan Geffen l’a dit un jour : « Nous voulions changer le monde, mais il n’était pas d’accord. S’il est impossible de sauver le monde, il est possible d’essayer au moins de sauver le monde d’une personne ».

L’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, devant son domicile de Tel-Aviv, jeudi. Photo Tomer Appelbaum

 Pas d’argent, de la poussière

Avec son retour au pouvoir, Netanyahou a régulièrement ressorti ses discours caractéristiques, mêlant cris de victimes et menaces contre l’Iran. La semaine dernière, c’était lors de la cérémonie de commémoration de la Journée de l’Holocauste. La semaine prochaine, à l’occasion du Jour du Souvenir, nous aurons droit à une nouvelle interprétation. Cela fait plus d’un quart de siècle qu’il met l’Iran en garde, et pendant ce temps, l’Iran a continué à étendre sa portée, à devenir plus puissant et plus avancé dans ses capacités nucléaires. Depuis l’arrivée au pouvoir du dernier gouvernement de Netanyahou, l’Iran a également noué des liens diplomatiques avec les pays du Golfe et avec l’Arabie saoudite, avec laquelle Netanyahou souhaite ardemment signer un accord de normalisation.

Comme toujours, ses discours visent surtout à semer la peur et l’inquiétude dans le cœur des Israéliens, ainsi que la conviction qu’il est le seul à pouvoir nous sauver. Les Iraniens ont depuis longtemps cessé d’être impressionnés par ses absurdités (si tant est qu’ils l’aient jamais été). Ils n’y croient certainement pas en ce moment, alors que les relations entre Israël et les USA sont au plus bas. Sans pouvoir compter sur l’aide de l’USAmérique pendant et surtout après une frappe israélienne, dans la guerre massive qui en résulterait, Netanyahou n’oserait rien faire. Il n’a aucune légitimité aux yeux du public, l’establishment de la défense se méfie de lui, il est faible à tous égards.

Netanyahou lors de l’entretien accordé à la chaîne CNBC mercredi.

Lors d’une interview accordée cette semaine à la chaîne CNBC et truffée d’astuces et d’affabulations, il a déclaré : « 95 % des problèmes au Moyen-Orient émanent de l’Ira ». Ce qui, soit dit en passant, est aussi sa part de responsabilité dans les problèmes qui n’affectent que le petit Israël. Prenons l’exemple de l’économie, un domaine où la Journée de commémoration de l’Holocauste illustre si douloureusement la façon dont les macro-questions créées par le gouvernement affectent les micro-questions des membres les plus faibles de la société. Alors que le parti Shas était occupé à organiser une réduction morbide sur les concessions funéraires pour les survivants de l’Holocauste - ce qu’Aryeh Dery a gazouillé avec enthousiasme, avant d’effacer rapidement son tweet - cette année, le ministère des Finances a oublié de jeter un maigre os aux survivants. Aucun élément économique destiné à leur venir en aide ne figurait dans le budget de l’État qui a été adopté en première lecture. Ce n’est pas si surprenant, peut-être, quand le prix du partenariat dans la coalition étaient des milliards de shekels qui sont distribués de manière si libérale et irresponsable.

Dery a toutefois eu de la chance, car il a été rapidement dépassé par le ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, qui a gazouillé lors d’une visite à Auschwitz, avec une inconscience qui fait froid dans le dos, « Une nation ! Un drapeau ! Un État ! » - une déclaration qui ressemble fort au slogan du parti nazi [“Ein Volk ; ein Reich, ein Führer”]. Cette déclaration rappelle la maladresse entourant le slogan original de la campagne électorale ratée de Netanyahou en 1999 : “Un leader fort pour une nation forte”, un autre slogan qui semblait provenir des pisse-copies du Führer. Ce slogan avait rapidement été remplacé par “Un dirigeant fort pour l’avenir d’Israël”.

Aussi lucide que Netanyahou puisse encore être dans certains moments, il doit comprendre qu’il ne peut compter sur aucun gain diplomatique majeur dans un avenir proche. Même s’il opère une volte-face par rapport à la poussée autocratique, il faudra du temps pour réparer les dégâts au niveau national et pour dissiper l’incertitude avec laquelle le monde éclairé et les milieux d’affaires nous considèrent aujourd’hui.


Le ministre de l’éducation Yoav Kisch et son “Une nation ! Un drapeau ! Un État !”

Dans l’interview susmentionnée, Netanyahou s’est comporté comme un vendeur de poudre de perlimpinpin : ce n’est que de la “poussière” (qui va se déposer), a-t-il déclaré avec dédain à propos de la fuite des investisseurs et de l’argent d’Israël, et de tous les indicateurs économiques négatifs qui s’accumulent. « L’argent moins intelligent suit le troupeau... L’argent intelligent arrive, et il gagnera beaucoup d’argent », a-t-il insisté, s’abstenant à peine d’ajouter un clin d’œil “faites-moi confiance” à la fin de cette phrase creuse. Comme il est déconnecté de la sombre réalité de nos vies. Pas étonnant qu’il n’accorde des interviews qu’aux chaînes étrangères, et à sa chaîne nationale, qui accueille chaleureusement ses mensonges.

Accord de plaidoyer 2.0 ?

Le procès de Netanyahou & Co. qui a repris cette semaine après six semaines d’interruption n’a pas suscité beaucoup d’intérêt. Les reportages sur le contre-interrogatoire de l’enquêteur principal de la police dans deux des affaires de corruption ont été relégués au second plan dans les journaux.

Mais pendant la pause, des événements dont l’importance ne peut être exagérée ont eu lieu, surtout lorsqu’ils sont pris ensemble.

Événement 1 : le 27 mars, il a été rapporté que l’avocat de Netanyahou, Boaz Ben Zur, avait lancé un ultimatum à son client : Si la réforme judiciaire est adoptée, il démissionnera de l’équipe de défense.

Le monde judiciaire a été stupéfait par cette grave violation de l’éthique : un avocat déclarant qu’il ne représentera son client, en l’occurrence un premier ministre, que si ce dernier ne met pas en œuvre sa politique. De plus, les tribunaux ne permettent pas aux avocats de se séparer de leurs clients, même si ceux-ci ne les paient pas ou menacent de leur causer des dommages corporels. Les avocats de la défense ne peuvent démissionner qu’avec l’accord des juges.

La décision de Ben Zur (qu’il n’a pas niée) était tellement inédite que les plus suspicieux d’entre nous se sont demandé si elle n’avait pas été coordonnée avec l’accusé pour justifier un recul par rapport au renversement de la démocratie.

Événement 2 : Le 1er avril, Ilana Dayan a rapporté sur Channel 12 News que l’avocat de Shaul Elovitch a proposé une voie alternative dans la partie d’Elovitch des affaires de corruption de Netanyahou : La “médiation judiciaire”. Les avocats de Netanyahou ont rejeté cette proposition ; ils attendront la décision du procureur général Gali Baharav-Miara.

Elovitch est jugé dans l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou aurait offert des faveurs en échange d’une couverture médiatique positive. La “médiation judiciaire”, quant à elle, est une version aseptisée d’un terme plus explosif : la “négociation de peine” [réduite si l’inculpé plaide coupable, NdT].

Dans ce cas, les négociations sont confiées à un juge à la retraite, avant que la procédure ne revienne au tribunal pour qu’il prenne une décision finale.

 

L’avocat de la défense de Netanyahou, Boaz Ben Zur, au tribunal de district de Jérusalem en janvier.

L’avocat d’Elovitch, Jacques Chen, a-t-il fait cette proposition avec l’accord tacite des avocats de l’accusé n° 1 ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, le sentiment dans le monde judiciaire est qu’une option de plaidoyer a été ressuscitée, après l’accord qui a été presque conclu avec l’ancien procureur général Avichai Mendelblit avant que Mendelblit ne prenne sa retraite en février 2022.

À l’époque, Netanyahou avait accepté de plaider coupable pour deux chefs d’accusation de fraude et d’abus de confiance afin d’éviter une décision de justice pour turpitude morale, qui l’aurait tenu à l’écart de la vie politique pendant sept ans. Le successeur de Mendelblit ne lui aurait jamais proposé un meilleur accord.

Événement 3 : Avant la Pâque, l’accusation et la défense se sont mises d’accord pour réduire considérablement le nombre de témoins de l’accusation - de 300 environ dans l’acte d’accusation à 50 ou 60 environ. Ils ont également convenu de limiter la durée de l’interrogatoire des témoins à une demi-journée ou une journée.

C’est ahurissant. Les avocats de Netanyahou ont utilisé des tactiques dilatoires tout au long du procès et ont scandaleusement fait traîner en longueur l’interrogatoire des témoins. Soudain, un esprit d’efficacité s’est emparé d’eux, comme s’ils étaient pressés de mettre fin à l’affaire.

Quiconque a lu les transcriptions des interrogatoires du Premier ministre par la police, avec leurs nombreuses contradictions et détours, est conscient du danger qui guette Bibi s’il se présente à la barre des témoins.

Les disciples stupides de Channel 14 et de la radio Galey Yisrael essaieront de faire croire que l’accusé a écrasé l’accusation, mais les décisions de justice ne sont pas écrites dans les studios. Et lorsque l’accusé, qui a la réputation d’un menteur avide et manipulateur, devra répondre aux procureurs, son charme douteux s’évaporera.

Après la limitation de la durée des témoignages, combien de temps reste-t-il avant son propre témoignage ? Les observateurs parlent de huit à dix mois. Théoriquement, un accord de plaidoyer coupable pourrait être signé juste une minute avant la décision du tribunal. En pratique, la date limite se situe juste avant que Netanyahou ne soit appelé à témoigner.

Si et quand une négociation de peine revient à l’ordre du jour, la situation sera très différente de ce qu’elle était au début de l’année 2022. L’épée que Netanyahou tient en travers de la gorge du pouvoir judiciaire est encore brûlante. À l’époque, il était le chef de l’opposition. Aujourd’hui, il est non seulement le Premier ministre le plus dangereux de notre histoire, mais aussi le plus imprévisible.

Certains disent que son fils, exilé à Porto Rico en compagnie du milliardaire du jour, veut faire de son père le martyr de la droite et qu’il exploitera le processus à fond. Difficile de savoir ce qui se passe dans ce panier de crabes. Mais conclure un tel accord dans une biosphère aussi démente n’est pas simple du tout.

Le fantôme de Ben-Gourion

Les dirigeants ultra-orthodoxes qui cherchent à protéger la sous-culture consistant à échapper au service national militaire ou civil invoquent souvent David Ben-Gourion. Après la guerre d’indépendance, le premier Premier ministre israélien a exempté 400 étudiants de yeshivas de l’armée à condition qu’ils étudient la Torah.

Ce nombre a fini par atteindre des proportions monstrueuses, et toute prudence a été abandonnée lorsque le Likoud est arrivé au pouvoir en 1977. Aujourd’hui, nous souffrons d’un manque d’égalité honteux et de tentatives de l’inscrire dans la loi.


David Ben-Gourion, qui a fini par regretter sa décision de laisser les ultra-orthodoxes échapper au service militaire. Photo : Daniel Rosenblum/Starphot

Cette semaine, un lecteur m’a envoyé une photocopie d’une lettre que Ben-Gourion a écrite en septembre 1963 à son successeur après son second mandat, Levi Eshkol. Cette lettre est parue moins de trois mois après que le Vieux Lion se fut retiré à Sde Boker, dans le sud du pays.

Le contexte : de violentes émeutes provoquées par des factions extrémistes ultra-orthodoxes. Il ressort de cette lettre que Ben-Gourion n’était pas à l’aise avec sa décision initiale, ou du moins qu’il en mesurait les conséquences pour la société israélienne.

Voici la lettre, avec quelques coupures : « Le comportement sauvage des fanatiques devient complètement incontrôlable, et je pense que j’en suis responsable dans une mesure qui est déjà connue : j’ai exempté les garçons de yeshiva du service militaire.

« Bien que je l’aie fait lorsque leur nombre était faible, ils se multiplient et, dans leur déchaînement, ils représentent un danger pour l’honneur de l’État. ... Je propose que tout garçon de yeshiva âgé de 18 ans et plus qui est pris en train de participer à un rassemblement illégal, de jeter des pierres, de se livrer à une émeute contre des citoyens ou de s’engager dans tout autre acte de violence et d’intimidation soit immédiatement incorporé dans l’armée, où il servira pendant 30 mois comme n’importe quel autre jeune en Israël - non pas dans une position religieuse, mais comme simple soldat.

« De même, il pourrait être nécessaire d’examiner si les étudiants de yeshiva devraient être exemptés d’une obligation militaire. Mais les contrevenants ne méritent absolument pas ce privilège douteux ».

L’historien Michael Bar-Zohar, qui a écrit plusieurs livres sur Ben-Gourion, m’a dit cette semaine que le vieil homme ne regrettait pas sa décision initiale concernant les 400 étudiants de yeshiva. « Nous en avons parlé à plusieurs reprises. Il respectait le monde de la Torah. Le problème, c’est qu’ils ont fait en sorte que ce nombre soit beaucoup plus important ».

Peut-être était-il difficile pour Ben-Gourion de reconnaître son péché originel, qu’il a eu trop peur de corriger pendant une décennie et demie. Mais il ne fait aucun doute qu’il a compris qu’il s’agissait d’une erreur.

Tant qu’il y avait un semblant d’efforts pour remédier à ce problème, même s’il ne s’agissait que de comités et de propositions qui traînaient en longueur - les Israéliens qui servaient dans l’armée et payaient des impôts étaient prêts à l’avaler. Le gouvernement cauchemardesque actuel ne se contente pas d’esquiver une solution au problème, il rend le péché permanent. Il l’aggrave et le légitime.

Le dernier délai fixé par la Cour suprême est le 29 mai. Les ultra-orthodoxes veulent mettre de l’ordre dans ce coin-là une fois pour toutes, sans interférence supplémentaire de la part de la Cour. Netanyahou a des problèmes bien plus graves que les philosophailleries de Ben-Gourion ; il a des acolytes qui réclament du grisbi.

20/04/2023

Israël : le Grand Magic Circus de la dissonance mémorielle

La fièvre monte en Israël à l’approche de la Journée du Souvenir et de celle dite de l’Indépendance : les partisans d’un sionisme à visage humain menacent de perturber les cérémonies officielles, ce qui donne des sueurs froides aux membres de la coalition au pouvoir, tandis que les organisateur·trices de la Journée conjointe israélo-palestinenne du Souvenir font valoir leur droit à la célébrer. Ce qu’il faut savoir : La Journée du souvenir (Yom HaZikaron LeHalalei Ma’arakhot Yisrael ul’Nifge’ei Pe’ulot HaEivah, Journée de commémoration des soldats tombés pendant les guerres d’Israël et des victimes d’actes de terrorisme) qui tombe le 4 du mois luni-solaire de lyar, aura lieu en cette année 5783 du calendrier hébraïque du lundi 24 avril au coucher du soleil au mardi 25 la nuit venue. Yom Haʿatzmaout, Jour de lIndépendance, célébrant la proclamation de l‘État dIsraël le 14 mai 1948, tombe le 5 lyar. Ci-dessous 3 articles sur les derniers événements du psychodrame collectif qui fracture le camp sioniste. [Fausto Giudice, Tlaxcala]

  Le reality show de la fête de l’indépendance d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 19/4/2023

Depuis que la membre de la Knesset Tally Gotliv* a fait irruption dans nos vies, la ministre Miri Regev** est devenue une sorte d’aristocrate britannique par rapport à son héritière - en termes de manières royales, de retenue, de style, de langue anglaise et de litotes. Mais avec la cérémonie d’allumage des flambeaux, la duchesse de Rosh Ha’ayin s’est réveillée et a recommencé à être Miri Regev. Elle a une idée : Si une protestation éclate pendant la cérémonie, les chaînes de télé diffuseront un enregistrement de la répétition générale.

La ministre des Transports Miri Regev déguisée en statue de la liberté pour la fête de Pourim au début du mois. Photo: David Bachar

C’est certainement une bonne idée. Cela épargnerait au saint public des spectacles désagréables, et ce à la veille du 75e anniversaire de l’indépendance. Qu’ils manifestent sur le mont Herzl, qu’ils crient, qu’ils protestent, qu’ils se déchaînent, nous ne vous en parlerons pas. Et si nous n’en parlons pas, c’est que cela n’a pas eu lieu. Bonne fête de l’indépendance, Israël. Sans le vouloir, Regev a simplement suggéré d’élargir ce qui est déjà le comportement habituel des médias israéliens.

Médiatiser la réalité en omettant la vérité et en la déformant est, après tout, le pain quotidien des chaînes de télévision. Lorsqu’un jeune se bat pour sa maison et sa dignité et qu’il est abattu pour cela, la télévision ne diffuse que la répétition générale, c’est-à-dire les mensonges dont le porte-parole des FDI l’abreuve. Ils ne nous montrent pas la vie sous l’occupation, seulement la répétition. Ainsi, on nous épargne le désagrément de regarder les scènes dures, les protestations ou les souffrances que nous provoquons.

De même, lorsqu’Israël attaque en Syrie ou à Gaza, les chaînes de télévision ne nous montrent que la narration officielle, afin que personne n’ait la moindre idée de ce que nous attaquons, de qui nous tuons et de ce que nous détruisons - et surtout, pourquoi.

Le crime de Mme Regev, porte-parole de Tsahal à la retraite, est d’avoir voulu étendre au Mont Herzl la propagande mensongère dont elle était responsable à l’époque de sa splendeur. Qu’y a-t-il de mal à cela ? En quoi est-ce pire que les autres fausses narrations que l’on nous sert ad nauseam ? Quand exactement nous a-t-on montré la réalité à la télévision, en ce qui concerne l’occupation en particulier, mais aussi en général ? Quand ont-ils organisé une véritable discussion sur quoi que ce soit ?

L’inconcevable ignorance de l’Israélien moyen sur ce qui se passe non loin de chez lui, et peut-être aussi son obtusité, proviennent avant tout des narrations qui lui sont retransmises à la télévision, au lieu des scènes réelles.

Que savez-vous du camp de réfugiés de Jénine ? Et que voulez-vous savoir ? Seulement la narration éculée du “nid de terroristes”. Et que savez-vous de la vie (et parfois de la mort) de centaines de milliers de jeunes Palestiniens, de leurs rêves et de leurs chances ? Seulement ce qu’on vous a dit dans la narration. La télévision israélienne est en grande partie devenue le studio d’enregistrement de Regev : de pures absurdités au lieu d’une réalité douloureuse ; du pain (programmes de cuisine) et des cirques (émissions de téléréalité) au lieu de la vie elle-même. Et surtout, de la propagande au lieu de la vérité. Chaque chaîne a sa propre propagande, et toutes ensemble cachent le problème le plus crucial : l’occupation.

Mais la proposition de la ministre, qui sera probablement mise au rebut par les chevaliers de la vérité des chaînes, a aussi ouvert une fenêtre fascinante sur l’incroyable sainteté des cérémonies nationales israéliennes. On n’avait pas vu depuis longtemps une telle vigilance en prévision de cérémonies creuses. Qui allumera le flambeau ? C’est devenu une question existentielle. Seule la question de savoir qui viendra sur les concessions des cimetières militaires la surpasse en fatalité. Les propositions rivalisent d’absurdité : dicter des discours uniformes à tous les hommes politiques ou interdire l’accès aux cimetières à ceux qui n’ont pas servi dans l’armée. Comme toujours, entre l’important et l’insignifiant, Israël choisit le second.

Il faut le dire : les cérémonies stériles, tout comme les émissions stériles, sont de fausses cérémonies. On peut manifester n’importe où, même dans les cimetières ; tout doit être rapporté, cela aussi. Les âmes sensibles des Israéliens, y compris celles des familles endeuillées, le supporteront, sans médiation ni dissimulation. Le deuil est de toute façon une affaire extrêmement privée. En attendant, une protestation se prépare déjà contre la répétition principale, par sécurité. C’est comme ça que ça se passe dans l’état d’absurdité le plus total.

NdT

*Tally (ou Tali) Gotliv  (Revital Gottlieb), née en 1975 est une avocate sulfureuse et députée du Likoud. Elle a critiqué avec véhémence la décision du gouvernement de geler provisoirement le projet de refonte judiciaire, provoqué par la vague de protestations en cours.

** Miriam “Miri” Siboni, épouse Regev, née en 1965, est ministre des Transports, des infrastructures nationales et de la sécurité routière dans le gouvernement de coalition actuel. Membre du Likoud, elle a été générale de division et porte-parole de l’armée.

“Pour quoi les puissants sont-ils tombés ?”
La semaine prochaine, Israël célèbrera son jour le plus douloureux. Cette année, ce sera très différent

Judy Maltz, Haaretz, 19/4/2023

Des familles endeuillées ont demandé aux ministres du gouvernement de ne pas s’approcher des cimetières militaires lorsqu’Israël célébrera la Journée du souvenir mardi, un appel qui risque de tomber dans l’oreille d’un sourd. Je pense que nous devons nous préparer à des scènes sans précédent", prévient un expert.

Photos : Oded Balilty/ AP / Moti Milrod / ingimage, photoshoppées par Anastasia Shub

Lors de la grande manifestation de samedi dernier à Tel Aviv contre le projet de coup d’État judiciaire du gouvernement, plusieurs dizaines de manifestants s’étaient organisés en une ligne horizontale sur la route principale menant à la scène centrale. Avec une rangée de bougies allumées sur le sol, il était difficile de les manquer.

Une femme tenait une pancarte écrite à la main qui demandait : « Pour quoi les puissants sont-ils tombés ? »

Un autre portait une affiche avec cette douloureuse question : « Mon frère est mort pour un Israël démocratique. Est-il mort en vain ? »

Une vieille photo en noir et blanc d’un jeune soldat était collée sur un morceau de carton brandi par un autre manifestant. Le texte sous la photo disait : « Le sang de mon frère crie sur la terre ».

Les T-shirts noirs portés par les membres du groupe de familles endeuillées réunis
lors des manifestations hebdomadaires comportaient une légère déformation des célèbres mots du grand poète hébreu Haïm Nahman Bialik qui figurent sur de nombreux monuments commémoratifs en Israël. À la place du mot “vie” à la fin du texte, on peut lire : « Dans leur mort, ils nous ont légué la démocratie ».

Jamais auparavant les jours précédant la journée de commémoration des soldats israéliens tombés au combat n’ont été aussi tendus. Les veillées très médiatisées organisées ces dernières semaines par des membres de familles endeuillées, dans le cadre des principales manifestations du samedi soir, ne sont probablement qu’un avant-goût de ce à quoi les Israéliens peuvent s’attendre en ce jour le plus sacré qui soit.

Omri Shabtay, au centre, avec Avivit Gera à sa gauche, tenant une photo de son frère décédé, lors de la manifestation en faveur de la démocratie à Tel Aviv samedi dernier. Photo : Judy Maltz

Perturber les discours

Les cimetières militaires israéliens sont généralement bondés le jour du souvenir (qui tombe cette année le 25 avril). À 11 heures, les sirènes retentissent dans tout le pays, tandis que les Israéliens observent deux minutes de silence. Des représentants du gouvernement s’adressent ensuite aux civils et aux soldats rassemblés autour des pierres tombales.

Des milliers de membres de familles endeuillées ont déjà signé des lettres suppliant les ministres du gouvernement de rompre avec la tradition cette année, par respect pour eux, et de rester à l’écart des cimetières. Ils représentent sans doute la majorité des Israéliens qui s’opposent à la réforme judiciaire du gouvernement et craignent qu’elle ne sonne le glas de la démocratie dans le pays.

Nombreux sont ceux qui ont menacé de perturber les discours, voire pire, si leur demande était rejetée.

Omri Shabtay, dont le père a été tué lors de la guerre du Kippour en 1973, affirme qu’il aurait préféré ne pas se présenter. « Ce sera la première fois que je ne me tiendrai pas sur la tombe de mon père le jour du souvenir », déclare ce professeur d’histoire et d’éducation civique de 53 ans.

Le Jour du Souvenir a toujours été un symbole de consensus dans un Israël de plus en plus divisé. C’est le seul jour de l’année où la plupart des Israéliens sont prêts à mettre leurs différences de côté par respect pour les jeunes hommes et femmes qui ont donné leur vie pour le pays. Alors qu’aux USA, le Memorial Day est connu pour les soldes dans les centres commerciaux et les barbecues dans les jardins, en Israël, c’est un moment de réflexion et de deuil, avec des chansons tristes et des témoignages déchirants entendus tout au long de la journée à la radio.

Ce n’est pas un hasard si ceux qui ont décidé des dates des fêtes nationales israéliennes ont placé le Jour du Souvenir un jour avant le Jour de l’Indépendance. C’était une façon de rappeler aux Israéliens le coût très élevé de leur indépendance.

Le frère cadet d’Orly Eshkar, un pilote, a été tué dans la catastrophe d’hélicoptère de 1997 au cours de laquelle 73 soldats israéliens ont perdu la vie. Elle a l’intention de se rendre sur sa tombe au cimetière militaire et d’assister à la cérémonie, comme elle le fait chaque année. Elle n’a cependant pas encore décidé si elle répondra aux appels à la retenue.

« Personne n’a envie de voir des cris ou des manifestations dans les cimetières, et c’est pourquoi nous supplions les politiciens de ne pas venir », explique cette grand-mère de 65 ans qui travaille dans le secteur de la haute technologie. « Ils nous ont traités d’anarchistes, de terroristes et de traîtres, et nous ont dit d’aller au diable. Mais tant qu’aucun membre du gouvernement n’aura présenté d’excuses pour ces paroles horribles, je pense qu’ils ont perdu le droit de participer à ces cérémonies ».

Avner Ben-Amos, un historien de l’université de Tel-Aviv qui étudie les rituels de commémoration, cite un autre facteur expliquant l’indignation de tant de familles endeuillées cette année. « C’est le premier gouvernement que nous avons avec autant de membres qui n’ont jamais servi dans l’armée », note-t-il, en faisant référence aux membres des partis ultra-orthodoxes et même orthodoxes.

Le ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, par exemple, a été exclu de l’armée en raison de son implication dans des activités terroristes lorsqu’il était adolescent. Ben-Gvir, qui dirige le parti Otzma Yehudit, doit s’adresser aux familles rassemblées mardi matin au cimetière militaire de Be’er Sheva, où une confrontation semble presque inévitable.

« Je pense que nous devons nous préparer à des scènes sans précédent dans les cimetières militaires cette année », déclare Ben-Amos.

Le ministre extrémiste Itamar Ben-Gvir s’exprimant lors d’une marche de droite dans l’avant-poste d’Itamar, en Cisjordanie, au début du mois. Photo : Moti Milrod

Mourir en vain

Avivit Gera, qui a perdu son frère aîné lors de la guerre de Kippour, animera mardi matin une cérémonie commémorative alternative organisée par un groupe de familles actives dans le mouvement de protestation. La cérémonie devrait se dérouler, symboliquement, à l’extérieur du bâtiment de Tel Aviv où la déclaration d’indépendance d’Israël a été signée il y a 75 ans.

Samedi soir, aux côtés d’autres membres du groupe de familles endeuillées, Gera a brandi un morceau de carton sur lequel était collée la photo de son frère. Sous la photo, elle avait écrit ces mots : « Ophir Beit-Arie, de mémoire bénie, 20 octobre 1973. Il a donné sa vie pour un Israël démocratique ».

« La perte d’un frère fait mal, mais c’est encore pire à cause de cet horrible gouvernement », déclare cette conservatrice de sites archéologiques et naturels âgée de 64 ans. « J’avais l’habitude de dire que mon frère avait été tué au combat. Aujourd’hui, j’ai presque l’impression qu’il a été assassiné ».

Des membres de la coalition au pouvoir et de l’opposition ont exhorté les manifestants à marquer un temps d’arrêt à l’occasion du Jour du Souvenir, par respect pour les morts. Chili Tropper, un député de l’opposition, a signé avec plus de 100 autres députés une pétition appelant les Israéliens à laisser les controverses politiques qui les divisent en dehors des cimetières militaires.

Miriam Peretz, une conférencière populaire qui a perdu deux fils dans l’armée, a récemment lancé un appel similaire sur sa page Facebook. « Le Jour du Souvenoir est un jour de tristesse, mais aussi un jour de fraternité », a écrit l’ancienne candidate à la présidence. « C’est un jour où je me sens accueillie par la grande famille que j’appelle la nation d’Israël. C’est un jour d’empathie et de partage de notre douleur, un jour où la nation étreint les familles endeuillées et où les amis rendent hommage, même 30 ans plus tard. C’est l’amitié, la fraternité, le ciment de l’unité ».

Cependant, Gera ne voit aucune raison de faire une pause dans les manifestations à l’occasion du Jour du Souvenir.

« Au contraire », dit-elle. « En ce jour sacré, la dernière chose que nous devrions faire, c’est de jouer le jeu des politiciens ».

Boaz Zirkel et sa sœur Maya sont les organisateurs du groupe des familles endeuillées lors des manifestations de Tel Aviv. Leur frère aîné, Yonatan, a été tué lors de la première guerre du Liban.

Boaz, 46 ans, explique que ce qui les a poussés à agir, c’est le sentiment grandissant que leur frère est mort en vain. « Ce gouvernement bafoue les valeurs pour lesquelles mon frère s’est battu » [quelles valeurs exactement ?, NdT], déclare ce père de trois enfants, originaire de Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv.

Boaz Zirkel, avec la pancarte suspendue autour du cou, à côté d’Omri Shabtay à Tel Aviv samedi soir dernier. La pancarte de Shabtay porte des photographies de son père Arye, tué près du canal de Suez en octobre 1973, et de son oncle Simcha, décédé deux ans plus tôt dans un accident lors d’un entraînement militaire. Photo : Judy Maltz

« Je n’ai plus de frères pour une guerre entre frères », peut-on lire sur la pancarte faite à la main qu’il porte autour du cou.

Sur l’affiche de Shabtay sont collées des photos de son père Arye, tué près du canal de Suez en octobre 1973, et de son oncle Simcha, mort dans un accident d’entraînement militaire deux ans plus tôt. »

« Le Jour du Souvenir est la chose la plus constante de ma vie », déclare Shabtay, qui est le porte-parole du groupe des familles endeuillées. « Chaque année, je me rendais sur la tombe de mon père et lui parlais de tout ce qui m’était arrivé cette année-là. Je lui parlais de mon service militaire, de mes études, de mon mariage et de mes enfants. Ce sera donc étrange de ne pas être là cette année ».

Orit Yaal, historienne du kibboutz Afikim, près de la mer de Galilée, a perdu son frère aîné, Ziv Levin, lors d’une opération militaire au Liban il y a 45 ans. « J’ai toujours pensé que pour construire un pays comme le nôtre, il fallait être prêt à perdre quelque chose », explique cette mère de quatre enfants, âgée de 61 ans. « Mais récemment, j’ai commencé à me demander pour la première fois si cela en valait la peine ».

Son frère est enterré au cimetière du kibboutz, où elle assiste chaque année à la cérémonie du jour du souvenir. Elle prévoit de s’y rendre cette année encore, mais ne sait pas encore si et comment elle exprimera sa forte opposition au gouvernement actuel.

« C’est un exercice d’équilibre très délicat », dit-elle. « D’un côté, je ne veux pas profaner la mémoire de mon frère ou de tout autre soldat tombé au combat. Mais d’un autre côté, je ressens un énorme besoin de crier ».


Quelques-unes des familles endeuillées lors de la manifestation en faveur de la démocratie la semaine dernière. Les tee-shirts portent l’inscription suivante : « Dans leur mort, ils nous ont légué la démocratie ». Photo : Judy Maltz

Les organisateurs de la Journée alternative du Souvenir déposent une requête devant la Haute Cour contre l’exclusion des familles palestiniennes par Israël

Chen Maanit, Haretz, 19/4/2023

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a fondé sa décision sur le fait que l’armée israélienne devrait fermer la Cisjordanie avant le Jour du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, le lendemain.

La journée alternative du souvenir : « La cérémonie commémorative conjointe, organisée par Combatants for Peace (CfP) et The Parents Circle Families Forum, est le plus grand événement israélo-palestinien organisé conjointement pour la paix. La Cérémonie commémorative conjointe est une occasion unique pour les Israéliens et les Palestiniens de faire leur deuil ensemble et d’exiger avec force la fin de la violence actuelle. La cérémonie a lieu chaque année depuis 2006, à la veille de Yom Hazikaron (journée commémorative israélienne). Dans la culture israélienne dominante, les cérémonies qui sont le plus souvent organisées en l’honneur de cette journée servent à renforcer les récits culturels de la douleur, de la victimisation et du désespoir. Notre mémorial commun transforme ce récit en amenant les Palestiniens au mémorial aux côtés des Israéliens. En nous unissant pour pleurer la douleur de l’autre, nous voulons remettre en question le statu quo et jeter les bases d’une nouvelle réalité fondée sur le respect mutuel, la dignité et l’égalité pour tous. En pleurant ensemble, nous ne cherchons pas à mettre les récits sur un pied d’égalité, mais plutôt à transformer le désespoir en espoir et à construire des ponts de compassion. Nous nous rappelons à nous-mêmes et à la société que l’occupation, l’oppression et la violence ne sont pas inévitables ». En 2022, 300 000 personnes ont participé à l’événement retransmis en direct et plus d’un million de personnes l’ont regardé en streaming.

Les organisateurs d’une cérémonie commune entre Israéliens et Palestiniens à l’occasion du Jour du souvenir ont saisi la Haute Cour de justice mercredi, contestant la décision du ministre de la Défense d’interdire aux familles palestiniennes d’entrer en Cisjordanie pour assister à la cérémonie.

La pétition, déposée par les familles israélo-palestiniennes endeuillées pour la paix et par les combattants pour la paix, vise à obtenir une ordonnance de justification de la décision, afin que les Palestiniens puissent entrer en Israël sous réserve d’une inspection de sécurité.

C’est la 18e année que la cérémonie commune, prévue la veille du Jour du Souvenir au parc Yarkon de Tel-Aviv, devrait avoir lieu. Des membres de quatre familles endeuillées - israéliennes et palestiniennes - devraient prendre la parole. Ces trois dernières années, l’événement s’est déroulé en ligne, en partie à cause de la pandémie de coronavirus.

Le ministre de la défense, Gallant, a fondé sa décision sur le fait que l’armée israélienne devrait fermer la Cisjordanie avant le Jour du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, le lendemain. Le bureau de Gallant a déclaré que dans la situation sécuritaire complexe actuelle en Cisjordanie, il n’est pas possible d’autoriser les Palestiniens à franchir la frontière.

Les années précédentes, les ministres de la défense avaient émis des ordres similaires sans faire d’exception pour les familles palestiniennes désireuses d’assister à la cérémonie.

La pétition, déposée par les avocats Tamir Blank et Adi Lustigman, affirme que la décision de Gallant « ne tient pas compte de l’État de droit et de l’autorité de la Cour suprême » et la qualifie d’ « atteinte flagrante à la liberté d’expression et au tissu fragile de la démocratie dans l’État d’Israël ». Elle qualifie la cérémonie commémorative de « nouvelle expression du deuil des familles qui ont perdu ce qu’elles avaient de plus cher ». Du point de vue des familles, la cérémonie est “une ouverture à l’espoir” qui “remplacerait la haine qui a conduit à la perte”.

La pétition cite la décision de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, dans l’affaire de 2019, qui a annulé l’ordre du ministre de la Défense et autorisé l’entrée de la plupart des personnes pour lesquelles les organisateurs avaient demandé une autorisation. Esther Hayut a noté que la cérémonie « a un objectif déclaré et un message clair de réconciliation et de paix. Du point de vue [des familles], il apparaît que des personnes se sont rassemblées ici et cherchent, par leur activité, à changer activement la réalité de l’inimitié et à insuffler de l’espoir ».

Combatants for Peace a répondu : « Bien que certains aient présenté Gallant comme un chevalier de la démocratie, nous constatons qu’il poursuit la ligne du gouvernement extrémiste [actuel] et méprise la Cour suprême et la liberté d’expression. Il est regrettable que cette décision intervienne à la veille Jour du Souvenir, une année où tant d’entre nous cherchent à se rassembler autour de la mémoire de tous ceux qui ont subi des pertes, sans l’intervention de politiciens... »