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06/09/2023

ANNAMARIA RIVERA
L’anar et la gattara*

Annamaria Rivera, Comune-Info, 3/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Je ne suis pas en mesure de définir pleinement la non-violence ni d’expliquer suffisamment à d’autres comment elle devrait être comprise et pratiquée. C’est trop compliqué et glissant, un enchevêtrement qui alimente les paradoxes.

    Il y a des va-t-en-guerre qui se proclament non-violents. Des vétérans et des néophytes de la non-violence qui votent des crédits de guerre. Des non-violents de toujours qui mangent la chair de créatures torturées et atrocement tuées. Il y a aussi les chantres de la violence des opprimés qui ne feraient pas de mal à une mouche. Et il y a celles et ceux de la dernière heure : de petits tacticiens de la non-violence, mais affichée comme doctrine, qui pratiquent habituellement la mimésis et les métaphores fétichistes de la guerre.

Je sais qu’il y a aussi de vrais et respectables maîtres et témoins de la non-violence. Ils et elles m’ont appris beaucoup de choses, mais ils et elles n’ont pas complètement dissous mes doutes. Je préfère donc utiliser ces termes : peut-être que “cette chose-là” est un processus qui exige avant tout de l’empathie et de la com-passion, un sens de l’égalité et de la justice ; en les exerçant, on peut apprendre à sublimer les conflits.

Dit ainsi, cela peut paraître approximatif et banal. J’essaie donc de m’exprimer avec un fragment d’un de mes récits, auquel j’ai donné ce titre

Dialogue entre un anarchiste et une gattara*

    Parfois, je m’arrêtais pour réfléchir à la question de savoir si ce que j’appelais le scepticisme n’était pas la véritable matrice de cette aptitude à la compassion que j’attribuais aux chats des rues. Je n’avais pas de réponse, mais seulement la conscience que mes analyses à la va-comme-je-te-pousse étaient dans une certaine mesure le fruit de mes propres projections. L’une des rares personnes avec qui je pouvais en parler sans craindre d’être prise en pitié comme une démente était Monsieur Errico, l’anarchiste, qui se prêtait volontiers à mes méditations chatesques.

    « Chère Madame, ce que vous appelez compassion - oui, je sais, vous l’entendez au sens étymologique, comme com-passion - n’est rien d’autre que la proximité avec les racines et les raisons de l’existence vitale. Les chats ont la capacité de reconnaître qu’une expérience a eu lieu, qu’il s’agisse d’une naissance ou d’une mort. Ils sont proches de l’essence de la vie et savent donc saisir le sens ultime des choses.

    Oui, bien sûr, “essence” est un terme inapproprié, ne vous méprenez pas : je ne parle pas de métaphysique ni même de biologie pure et simple, mais plutôt de ces contenus vitaux qui transcendent les formes historiques ».     

    Lorsque la conversation est tombée sur le lieu commun qui attribue aux chats une agressivité particulière, M. Errico a osé exprimer une pensée que j’avais toujours gardée pour moi.

    « Vous qui êtes une si fine observatrice devriez savoir que les chats ne connaissent pas d’antagonismes absolus, mais seulement des antagonismes relatifs et conjoncturels. Ils ne conçoivent pas d’ennemis, mais seulement des proies. Et s’ils ont des concurrents ou des présences hostiles, ils choisissent le plus souvent la fuite ou la manœuvre oblique : ils n’attaquent que lorsqu’il n’y a rien d’autre à faire.

    Observez des mâles adultes non castrés : vous vous rendrez compte à quel point leurs conflits, pour une femelle ou un territoire, sont stylisés à l’extrême. Vous voyez, j’ai dit “territoire” : une fois de plus, je me suis pris les pinceaux dans un mot inapproprié ! Je suis moi aussi victime des clichés : seuls les humains peuvent concevoir des territoires, c’est-à-dire des espaces délimités par des frontières fixes et linéaires, souvent blindées et gardées par des armes.

    Vous semble-t-il que les chats se déplacent dans l’espace comme s’il s’agissait d’un territoire ? Pardonnez-moi alors : ce que je voulais dire, c’est que leurs combats ne sont qu’une pantomime d’approches et de reculs, de coups de museau et de retraites rapides, bref, des signaux - je dirais même des symboles - pour styliser et sublimer le conflit.

    Si nous prenions les chats pour maîtres, nous réaliserions pleinement que les conflits armés des humains, sans parler de l’innovation des guerres préventives et permanentes, relèvent de la folie pure, d’une folie contre nature : instinct de l’espèce, mon œil ! Est-ce par instinct que l’on peut concevoir et pratiquer un oxymore aussi horrible que la guerre humanitaire ?  

   J’ai écouté en silence. Il n’y avait pas lieu de répondre : M. Errico avait beau être catégorique, il avait beau se délecter de ses mots comme toujours, cette fois-ci, c’était comme si c’était moi qui avais parlé.       

Paru la première fois sur Tellusfolio.it, 1/10/ 2008

NdT

Gattara : ce terme ancien mais apparu dans l’écrit seulement en 1988 et entré dans les dictionnaires en 2002, que l’on peut traduire par femme à chats, dame aux chats, ou, éventuellement, cattophile, provient du dialecte romain parlé et désigne une femme, en général d’un certain âge, qui prend soin des chats errants de son quartier. Souvent dépréciatif, ce terme a acquis ses lettres de noblesse par la loi 281 de 1991, qui reconnaît aux chiens et chats dits errants le statut d’être libres, fait obligation aux autorités municipales de veiller à leur bien-être par l’intermédiaire des gattare, devenues des tutors (tutrices) en italien post-moderne. En toscan on dit gattaia, en milanais (lombard) mamm di gatt et en anglais cat lady. La plus célèbre gattara romaine fut l'actrice Anna Magnani.