Andrés Figueroa Cornejo, 5/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Andrés Figueroa Cornejo est un journaliste et communicateur social chilien, collaborateur de nombreux sites ouèbe
Le 4 novembre, au terme d’une vigoureuse mission d’observation des droits humains au Chili entamée le 16 octobre, l’éminente juriste Mireille Fanon, fille du brillant militant anticolonialiste et intellectuel révolutionnaire Franz Fanon, a fait ses adieux à un jeune public dans la salle d’honneur de l’université de Santiago. Durant son séjour au Chili, son agenda a été marqué par des visites aux prisonniers politiques mapuches et non mapuches.
À cette occasion, la combattante française a évoqué la situation actuelle en Palestine, précisant que « c’est une guerre d’extermination qui est en train de se dérouler. Et il faut reprendre le concept de « génocide » de Raphael Lemkin, qui stipule qu’un acte de génocide est dirigé contre un groupe national et ses entités. Malheureusement, la commission de l’ONU en charge du dossier n’a pas étendu le terme de génocide au-delà du cas juif lui-même. En fait, aujourd’hui, le génocide de la Palestine se déroule avec le soutien de l’ONU et de la communauté internationale. Par conséquent, nous sommes également complices de ce qui se passe », et il a demandé : »Comment est-il possible pour une organisation de commettre un génocide sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit ?
Il faut remonter à l’époque de la création de la Palestine, sous mandat britannique, pour comprendre. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que les Nations unies venaient d’être créées, les Juifs d’Europe ont réclamé un État qui leur soit propre. La résolution 194 de l’ONU a été utilisée à cet effet, arguant que la Palestine était un territoire sans peuple pour un peuple sans territoire.
Les deux premières fois que la résolution a été votée, la proposition a été rejetée, jusqu’à ce que la pression américaine sur la France fasse passer la résolution ».
La fille de l’auteur des Damnés de la terre a déclaré qu’elle avait passé les deux dernières semaines à visiter les prisons où des membres du peuple mapuche sont détenus et qu’elle s’était rendu compte qu’« il existe de nombreuses similitudes entre les cas palestinien et mapuche. Un réseau d’accords entre l’État espagnol et l’État chilien qui a trompé les représentants du peuple d’origine, plaçant la culture et les relations sociales des Mapuches sous la juridiction de la République chilienne. C’est ce qui permet aujourd’hui aux entreprises capitalistes d’exploiter le territoire ancestral.
Tout comme la résolution 194 a permis à l’État d’Israël de “manger” les territoires palestiniens, un faux traité promu par l’État chilien a permis au capital de “manger” les territoires mapuches. De même, la communauté internationale ne reconnaît pas le droit des peuples palestinien et mapuche à se défendre.
« Dans les deux cas, il est facile de constater que le droit international est comateux. La Convention 169 de l’OIT est inapplicable et inopérante dans le cas des Mapuches. Il en va de même, en général, pour le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes.
« Le peuple mapuche devrait bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour protéger sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie et je le dis, tant pour le peuple mapuche que pour le peuple palestinien, et pour les colonies françaises actuelles, dont la Martinique, la terre d’origine de Franz Fanon, le pays de ma famille. Nous avons des exemples similaires ici, en Colombie, en Argentine, aux USA, qui remontent à 1492, lorsque la marchandisation des corps a été imposée pour la première fois et que les colons se sont approprié des terres qui ne leur appartenaient pas par le sang et le vol. Jamais les empires et les colons n’ont payé pour ces crimes, jamais il n’y a eu de réparations politiques et collectives (et je ne parle pas de réparations individuelles qui nous enfermeraient dans la logique du capitalisme libéral, mais de transformation du paradigme de la domination). Depuis, la mondialisation de l’esclavage a émergé en toute impunité. Tout cela au nom de la hiérarchisation des races, société dans laquelle nous vivons encore aujourd’hui et qui est fondée sur la modernité eurocentrique. Cependant, le suprémacisme blanc refuse de reconnaître l’énorme valeur des cultures des Amériques, de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Asie, etc. Si nous voulons changer le monde, nous n’avons pas d’autre choix que d’initier ces réparations à partir de cette ère de l’humanité. Si nous voulons changer le monde, nous n’avons pas d’autre choix que d’initier ces réparations pour cette époque de l’humanité. Nous n’avons pas le droit de nous tromper dans la lutte. Sinon, les criminels seront à nouveau récompensés et les victimes seront criminalisées, qualifiées de terroristes, emprisonnées, torturées, harcelées. Nous ne devons pas oublier que plus de la moitié de la population palestinienne a été emprisonnée. Ici il faut citer Franz Fanon : «Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir».
Comment juges-tu le régime chilien après ta visite ?
« L’État chilien est raciste, il trafique avec des entreprises capitalistes auxquelles il vend des terres mapuches. C’est un État fortement colonial, et pas seulement avec les Mapuches. En fait, il ne mentionne même pas qu’il y a des Afro-Chiliens dans le nord du pays, qui sont invisibles pour lui. Même les Mapuches n’en parlent pas. J’ai rencontré des jeunes en prison qui déclarent ne pas être racistes, mais qui ne considèrent pas l’invisibilisation des Afro-Chiliens comme un problème. Cela m’amène à penser qu’il existe un important racisme structurel institutionnalisé. Et ce qui le sous-tend, non seulement dans l’État chilien, mais dans de nombreux États à travers le monde, c’est la croyance que la société est divisée entre êtres humains et es êtres non-humains. C’est pourquoi je suis convaincue que seule la force des peuples a entre ses mains la tâche de surmonter les relations de colonialité qui prévalent ».