Alfredo Serrano Mancilla,
CELAG, 7/9/2022
Traduit par Rafael
Tobar, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Pour comprendre l’actuel phénomène de la vague progressiste en l’Amérique Latine, il ne suffit pas de faire de grandes classifications, il faut faire une analyse fine et détaillée et prendre en compte la complexité et les subtilités de chaque processus.
La généralisation est toujours une arme à double tranchant ; d'un côté, elle est utile car elle classifie et simplifie, mais d’un autre côté, elle est risquée car elle fait perdre la complexité et les subtilités.
L'expression « Deuxième vague progressiste» est née précisément de la volonté de trouver une catégorie unique qui puisse expliquer le fait que l'ensemble des processus politiques qui se sont déroulés en Amérique latine au cours des cinq dernières années (2017-2022) constitue un «tout».
Les victoires d'Andrés Manuel López Obrador au Mexique, d'Alberto Fernández en Argentine, de Luis Arce en Bolivie après le coup d'État de 2019, de Pedro Castillo au Pérou, de Gabriel Boric au Chili, de Xiomara Castro au Honduras et de Gustavo Petro en Colombie constituent sans aucun doute un nouveau phénomène géopolitique.
Ces nouveaux gouvernements ont pour point commun de freiner le néolibéralisme en vigueur dans chacun de leurs pays respectifs, mais aussi de se développer dans un temp historique différent de celui de la « Première vague progressiste », ce qui les différencie à leur tour de leurs prédécesseurs.
Toutefois, malgré certains traits caractéristiques communs, il serait erroné de les considérer comme un bloc monolithique et homogène.
Chaque ensemble spécifique est très différent des autres. L'histoire politique chilienne n'est pas comparable à celle du Mexique , ni celle de la Colombie à celle de la Bolivie.
Chaque processus a ses tensions, aussi bien internes qu'externes. Même le néolibéralisme n’agit pas de la même manière dans chaque pays.
Même la manière dont les élections sont gagnées est aussi différente.
Ce n'est pas la même chose d'obtenir une victoire au second tour avec la plus petite marge après avoir obtenu un faible 10 ou 12% des voix au premier tour (comme dans les cas de Castillo au Pérou et Boric au Chili), que de gagner au premier tour de manière écrasante (en l’occurrence, Luis Arce et Andrés Manuel López Obrador ont obtenu respectivement 46% et 33% des suffrages).
On ne peut pas non plus assimiler superficiellement le type de “front” qui constitue la base électorale et politique dans chaque pays. Le degré d'hétérogénéité est très diversifié.
Le Pacte historique colombien n'a pas grand-chose à voir avec l’Accord d'Escazú chilien; ou le Morena (Mouvement de régénération nationale) mexicain avec la fragmentation politique complexe du Pérou; ou le Frente de Todos d'Argentine avec le MAS (Mouvement vers le Socialisme) de Bolivie.
Et enfin, il ne faut pas négliger les différences entre les dirigeants eux-mêmes, qui ont des biographies inégales, y compris en termes d'âge.
Certains ont connu la prison et d'autres les luttes universitaires ; certains viennent de la campagne et d'autres de la grande ville; il y a ceux qui ont déjà une expérience de la gestion publique et ceux qui n'avaient jamais gouverné auparavant.
Tout ce subtil mélange doit être pris en compte dans l'analyse de ce deuxième moment historique en Amérique latine, car cela nous aidera certainement à expliquer les possibles divergences qui pourraient apparaître dans les mois et les années à venir.
En d'autres termes, si l'un de ces processus vacille, comme cela a été le cas au Chili avec la défaite du référendum constitutionnel de 2022, nous devrions rejeter catégoriquement l’idée qu'immédiatement après vient la fin du cycle progressiste en Amérique Latine.
Ce serait à la fois injuste et inexact, car mon hypothèse de départ est que nous sommes face à un cycle davantage fragmenté, moins compact que le précédent et que ces gouvernements auront sûrement des parcours très différents les uns des autres.
Jusqu'à présent, ces gouvernements ont montré de grandes divergences dans la gestion de la politique étrangère, dans les questions économiques, dans la manière de communiquer, dans les horizons du possible, dans leur relation avec leurs opposants et avec leurs sympathisants, dans la façon dont ils gagnent de l'autorité, dans le temps qu’il leur faut pour prendre des décisions et, disons-le, également dans le degré de modération de leurs actions.
Comme pour la dynamique des fluides, il faut étudier chaque vague en profondeur et connaître ses propriétés et sa composition : son amplitude, sa montée, sa périodicité, son point culminant, sa courbe, sa chute et sa fréquence d’onde.
Parce que chaque vague n’est ni semblable à la précédente ni uniforme.