Affichage des articles dont le libellé est Racisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Racisme. Afficher tous les articles

03/10/2023

ANNAMARIA RIVERA
Mal parler, même à gauche

 Annamaria Rivera, Comune-Info, 2/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Lorsqu'il s'agit de migrations, de droits des migrant·es, de racisme et d'antiracisme, le discours public italien, même dans ses variantes non racistes, semble souvent se déployer comme si chaque fois était la première : les antécédents et le développement de tel ou tel événement, de tel ou tel problème, de telle ou telle revendication, de tel ou tel concept sont tout simplement escamotés.

Cet oubli, pour ainsi dire, n'affecte pas seulement la rhétorique publique majoritaire, mais influence parfois l'attitude et le discours des minorités actives, se reflétant également dans le langage et le vocabulaire, influencés par la vulgate médiatique et même par le jargon du sens commun.

 Alors qu'on les croyait remisés aux archives grâce à un long travail critique, les formules et le vocabulaire liés aux schémas interprétatifs, même spontanés, font leur retour. Faute de pouvoir en dresser le catalogue complet, nous nous attarderons sur quelques-uns d'entre eux.

Race-racial

Le racisme est avant tout une idéologie, donc une sémantique : il est constitué de mots, de notions, de concepts. L'analyse critique, la déconstruction et la dénonciation du système-racisme ont donc nécessairement un versant lexical et sémantique. Ainsi, si l'on parle de discrimination raciale au lieu de discrimination raciste, on peut finir par légitimer inconsciemment la notion et le paradigme de “race”, en suggérant l'idée que ce sont les personnes différentes par la “race” qui sont discriminées.

De telles maladresses lexicales peuvent également être commises par des locuteurs qui se considèrent comme antiracistes et, de surcroît, cultivés, voire par des institutions et associations chargées de lutter contre le racisme ou même de promouvoir le respect de codes éthiques dans le domaine de l'information. Cela apparaît d'autant plus paradoxal aujourd'hui que même en Italie, à l'initiative d'un groupe d'anthropologues-biologistes, puis d'anthropologues culturels, une campagne est en cours pour effacer le mot “race” de la Constitution.

Bien que la notion de “race” ait également été expurgée du domaine de la biologie et de la génétique des populations, son utilisation persiste dans les cercles intellectuels et/ou même “de gauche”, faisant l’objet d’un usage banal et dangereux que l'on ne peut ignorer.


 Ethnie-ethnique-ethnicité

Comme le note l'anthropologue Mondher Kilani, coauteur avec René Gallissot et Annamaria Rivera de l'essai collectif L'Imbroglio ethnique en quatorze mots clés (Payot, Lausanne, 2000), l'adjectif “ethnique” a une consonance inquiétante dans des expressions telles que “nettoyage ethnique”, “guerre ethnique”, “haine ethnique”. En outre, le sens commun et une partie des médias et des intellectuels ont tendance à considérer les soi-disant “groupes ethniques” comme des entités quasi-naturelles, connotées par l'ancestralité et les liens de sang primordiaux, et par conséquent à les associer à une diversité insurmontable. Par conséquent, le terme “ethnie” est souvent utilisé comme un euphémisme pour "race".

Même dans les milieux antiracistes, l'utilisation abusive d'expressions telles que “société multiethnique”, “quartier multiethnique”, “parade multiethnique” est fréquente... Bien qu'elles soient parfois utilisées dans un sens se voulant positif, ces formules font toujours référence à l'“ethnicité” : une notion très controversée, puisqu'elle repose sur l'idée qu'il existe des groupes humains fondés sur un principe ancestral, sur une identité originelle.

En réalité, dans les contextes discursifs dominants, “ethnique” désigne toujours les autres, les groupes considérés comme particuliers et différents de la société majoritaire, considérée comme normale, générale, universelle. Il n'est pas rare que le terme “ethnicité” soit utilisé, en référence aux minorités, aux Rroms, aux populations d'origine immigrée, comme un substitut euphémique du terme “race”. À tel point que même dans la meilleure presse italienne, il est possible de rencontrer des expressions absurdes et paradoxales telles que personnes d'ethnie latino-américaine ou même chinoise, alors qu'il ne nous est jamais arrivé de lire ethnie européenne ou nord-américaine.

En tout cas, qu'il s'agisse de préjugés ou d'intentions discriminatoires, d'incompétence ou de négligence, lorsqu'il s'agit de qualifier les citoyens d'origine immigrée ou appartenant à des minorités, le critère neutre, ou du moins symétrique, de la nationalité ne semble pas s'appliquer.

La guerre des pauvres

C'est l'une des rhétoriques les plus abusives, même à gauche, même dans la gauche supposée éduquée. Elle est généralement utilisée en référence à deux catégories de belligérants supposés, imaginés comme symétriques, dont l'une est une collectivité de migrants ou de Rroms.

L'usage abusif de cette formule est révélateur d'un tabou ou d'un retrait : on a du mal à admettre que le racisme puisse s'insinuer dans les classes subalternes pour déclencher des guerres contre les plus pauvres. Guerres asymétriques, non seulement parce que les agresseurs sont généralement les nationaux, mais aussi parce que ceux-ci, aussi défavorisés soient-ils, jouissent encore du petit privilège de la citoyenneté italienne, qui leur donne quelques droits supplémentaires.

Ce racisme - que la littérature sociologique appelle le racisme “ordinaire” ou “des petits Blancs” - prend souvent racine chez ceux qui souffrent d'une certaine forme de difficulté sociale et/ou de marginalité, voire de marginalité spatiale. Favorisé par des politiques malavisées en matière de logement, d'urbanisme et, plus généralement, de politique sociale, il est aussi souvent habilement fomenté par des entrepreneurs politiques du racisme.

 Parfois, la formule passe-partout de “guerre entre les pauvres” n'a pas le moindre fondement pour justifier son utilisation, comme cela s'est produit dans le cas notoire des assauts armés répétés contre le centre de réfugiés Viale Morandi, dans la banlieue romaine de Tor Sapienza, en novembre 2014. La tentative de pogrom contre des adolescents fuyant les guerres et autres catastrophes a été présentée comme l'expression spontanée de la colère de résidents exaspérés par la “dégradation”, et donc comme un épisode de la “guerre entre les pauvres”. En réalité, les agressions, auxquelles un nombre limité de résidents a participé, ont été dirigées par une escouade de “fascistes du troisième millénaire”, eux-mêmes exécutants probables de commanditaires liés à la Mafia de la capitale.

Peu de temps auparavant, on avait parlé de “guerre entre les pauvres”, même à gauche, à propos d'un crime particulièrement odieux survenu le 18 septembre 2014 à Marranella, un quartier romain de Pigneto-Tor Pignattara : le massacre à coups de pied et de poing de Muhammad Shahzad Khan, un Pakistanais de 28 ans, doux et malchanceux, par une brute du quartier, un garçon romain de 17 ans, à l'instigation de son père fasciste.

Les précédents de ce schéma interprétatif paresseux sont nombreux. Il a été appliqué de temps à autre aux pogroms contre les Rroms à Scampia (2000) et Ponticelli (2008), fomentés par la camorra et les intérêts spéculatifs ; au massacre de Castelvolturno par la camorra (2008) ; aux graves événements de Rosarno (2010), également fomentés par les intérêts mafieux et patronaux.

Tout cela est révélateur d'une aversion croissante pour les interprétations complexes, favorisée par le bavardage des médias sociaux, qui contribue à son tour au conformisme croissant qui caractérise le débat public. Le racisme, on le sait, repose sur une montagne de gros mots. Les déconstruire et les abandonner n'est pas se livrer à un exercice abstrait de “politiquement correct” (bien que ce dernier ne soit pas aussi méprisable qu'il a longtemps été de bon ton de le faire croire), mais plutôt saper son système idéologique et sémantique.

21/08/2023

ANA IONOVA
L’autocritique de Xuxa, la Barbie brésilienne
Blanche, blonde, grande et mince : “ J’ai toujours été considérée comme un morceau de viande”

Ana Ionova, The New York Times, 15/8/2023
Jack Nicas a contribué au reportage à Rio de Janeiro.

Ler em português Leer en español

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Xuxa [prononcer “Choucha”] était autrefois la plus grande star de la télévision brésilienne. Aujourd’hui, beaucoup se demandent si une femme blanche, blonde et mince était l’idole idéale pour un pays aussi diversifié.

Maria da Graça Xuxa Meneghel, 60 ans, connue sous le nom de “Xuxa”, chez elle à Rio de Janeiro ce mois-ci. Photo : Maria Magdalena Arrellaga pour le New York Times

Des millions de Brésilien·nes ont grandi en la regardant à la télévision. Ses spectacles faisaient salle comble dans les plus grands stades d’Amérique latine. Elle avait des films et des chansons à succès, ses propres poupées et son propre parc d’attractions.

Dans les années 1980 et 1990, Maria da Graça Xuxa Meneghel, connue universellement sous le nom de Xuxa était la plus grande star de la télévision brésilienne. Des générations d’enfants passaient leurs matinées à la regarder jouer, chanter et danser pendant des heures dans son émission de variétés extrêmement populaire.

« J’étais une poupée, une baby-sitter, une amie pour ces enfants », a déclaré Xuxa, 60 ans, lors d’une long entretien. « Une Barbie de l’époque ».

« Elle était venue dans une voiture rose. Moi, je suis venue dans un vaisseau spatial rose ».

Comme la célèbre poupée, Xuxa est mince, blonde, blanche et aux yeux bleus. Dans son émission pour enfants, elle portait souvent des minijupes et des cuissardes lorsqu’elle sortait d’un vaisseau spatial estampillé de lèvres rouges géantes. Et comme Barbie, elle est devenue une idole pour ses fans, qui ont grandi en voulant ressembler à Xuxa et à sa troupe de danseuses adolescentes toutes blanches, les “Paquitas”.

Mais aujourd’hui, le Brésil est en train de vivre une sorte de remise en question de la vraie Barbie, et Xuxa est au centre de cette remise en question, en partie grâce à une nouvelle série documentaire sur elle qui est devenue une sensation nationale et qui a relancé les débats sur la diversité, les normes de beauté et la sexualisation dans son spectacle [Le journaliste Bruno Ghetti, dans la Folha de S. Paulo, voit dans cette série de GloboPlay une tentative plutôt ratée de “vendre l’ex-symbole sexuel comme icone féministe”, NdT]

Beaucoup, y compris Xuxa elle-même, se demandent si l’idéal étroit qu’elle représentait a toujours été une force positive dans un pays où la population est majoritairement noire et où un débat national s’engage sur ce qui est considéré comme beau et qui a été effacé de la culture populaire.

« À l’époque, je ne voyais pas ça comme une erreur. Aujourd’hui, nous savons que c’est mal », dit Xuxa à propos de la norme de beauté qu’elle représentait pour la jeunesse brésilienne.


Xuxa dans Xou de Xuxa, son émission de télévision sur le réseau Globo dans les années 1980. Elle dit regretter aujourdhui les normes de beauté quelle représentait. Photo : 4Imagens/Getty Images

Sous son règne, qui a coïncidé avec l’expansion économique du Brésil, les taux de chirurgie plastique ont grimpé en flèche pour devenir les plus élevés au monde, et de nombreuses personnes sont passées sous le bistouri alors qu’elles n’étaient encore que des adolescentes. Mais le Brésil et ses sentinelles culturelles adoptent de nouvelles définitions de la beauté qui célèbrent les boucles naturelles, les corps galbés et les teintes de peau plus foncées.

L’absence de visages noirs dans les spectacles de Xuxa « a infligé de profondes blessures à de nombreuses femmes au Brésil », dit Luiza Brasil, qui a écrit un livre sur le racisme dans la culture, la mode et la beauté brésiliennes.

Dans la série, Xuxa attribuait en grande partie les problèmes de son émission à son patron de longue date et à la culture de l’époque. Mais dans l’interview qu’elle a accordée au New York Times, elle a assumé une plus grande responsabilité et a déploré la marque qu’elle a pu laisser sur les jeunes téléspectatrices qui ne lui ressemblent pas. « Mon Dieu, quel traumatisme j’ai mis dans la tête de certains enfants », dit-elle

« Ce n’est pas moi qui ai pris la décision. Mais je l’ai approuvée. Je l’ai signée ».

Tout le monde était fasciné par elle

Lorsque Xuxa, âgée de 23 ans, a obtenu sa propre émission nationale pour enfants en 1986, diffusée six matins par semaine, elle a connu un succès immédiat. Son émission réunissait quelque 200 enfants dans un décor coloré et endiablé, avec des numéros musicaux, des concours et des mascottes à taille humaine, comme un moustique nommé Dengue.

La télévision « était une petite boîte magique », dit Xuxa. « Je faisais partie de cette magie ».

En tant que vedette de Globo, la plus grande chaîne de télévision brésilienne, elle est devenue l’un des visages les plus connus du pays, surnommée “la reine des petits”.

« Il y avait beaucoup de gens qui regardaient la même chose », dit Clarice Greco, professeure à l’université Paulista qui étudie la culture pop brésilienne. « Xuxa est devenu une franchise ».

Elle s’est lancée dans la musique et le cinéma, vendant plus de 26 millions de disques et près de 30 millions de billets de cinéma, pulvérisant ainsi les records du box-office brésilien. Les enfants se sont empressés d’acheter les bandes dessinées, les tenues et les poupées de Xuxa, qui ressemblaient étrangement à une autre blonde en plastique.

Xuxa à la télévision dans les années 1980. Elle a été la plus grande star de la télévision brésilienne. Photo : 4Imagens/Getty Images

« Tout le monde était fasciné par elle », dit Ana Paula Guimarães, qui a battu des milliers d’autres filles pour devenir une Paquita.

Après avoir conquis le Brésil, Xuxa a appris l’espagnol et a commencé à enregistrer des spectacles à Buenos Aires et à Barcelone. Au début des années 1990, des dizaines de millions d’enfants regardent ses émissions en portugais et en espagnol. Un journal français l’a classée parmi les femmes les plus influentes du monde, aux côtés de Margaret Thatcher. Elle a eu une série d’amours célèbres, dont Pelé et John F. Kennedy Jr.

En 1993, Xuxa a tenté de créer une émission en anglais pour conquérir le marché usaméricain, mais elle dit que ses difficultés avec la langue et son emploi du temps chargé ont fait échouer le projet.

“Blanche, blonde, grande, longues jambes”


Alors qu’une grande partie de son public était composée de Noir·es et de métis·ses, Xuxa était une descendante d’immigrés italiens, polonais et allemands, ressemblant aux princesses et aux poupées qui inondaient la culture populaire dans les années 1980.

« Je suis arrivée - blanche, blonde, grande, avec de longues jambes. Je pense que c’est probablement la raison pour laquelle ça a très, très bien fonctionné ».

Tout le monde n’était pas fan. Certains se sont plaints que Xuxa était trop sexualisée pour être un modèle pour les enfants. Avant la télévision pour enfants, elle avait posé pour Playboy. Des universitaires et des militants noirs s’interrogeaient déjà sur le manque de diversité de l’émission une fois qu’elle est devenue un succès, notamment dans un article du New York Times de 1990.

Ces dernières années, l’internet a disséqué les pires moments de Xuxa, comme le fait de dire que ses téléspectateurs préféraient les Paquitas blondes, de porter une coiffe indigène et de dire à une fille qu’elle avait perdu un concours dans son émission parce qu’elle avait “mangé trop de frites”.

Xuxa se produisant au carnaval de Rio de Janeiro en 2004. Beaucoup, y compris Xuxa, se demandent si lidéal étroit quelle représentait a toujours été une force positive dans un pays dont la population est majoritairement noire. Photo : Vanderlei Almeida/Agence France-Presse - Getty Images

Xuxa dit qu’elle regrette ces commentaires, mais ajoute que le problème le plus important était celui des normes de l’époque. « Dans les années 1980, il était impossible de trouver un feuilleton où la femme de chambre n’était pas noire », adit-elle.

« Ce n’est pas la faute du spectacle Xuxa », ajoute-t-elle. « Ce qui est en cause, c’est tout ce qui nous a été transmis comme étant normal ».

Xuxa dit qu’elle était également soumise à des idéaux de beauté cruels. « Depuis toute petite, j’ai été considérée comme un morceau de viande », lance-t-elle. On lui a dit de perdre du poids, on l’a forcée à recourir à la chirurgie plastique et on lui a interdit de se couper les cheveux. « Une poupée doit avoir les cheveux longs », se souvient-elle.

Lorsqu’elle est devenue mère, elle s’est coupé les cheveux en signe de protestation. « Maintenant, je ne veux plus être une poupée », a-t-elle déclaré, arborant la coupe pixie platine qu’elle a depuis des années.

Xuxa ne s’est jamais considérée comme une féministe, mais elle est tout de même devenue un symbole de l’émancipation féminine. Dans son émission, qui était dirigée par une femme, elle disait aux filles qu’elles pouvaient tout accomplir. Elle a dirigé un empire de plusieurs millions de dollars tout en élevant sa fille en tant que mère célibataire. « Je n’ai jamais pensé à me marier, je n’ai jamais cherché mon Ken », explique-t-elle.

Pour Xuxa, les parallèles avec Barbie ne s’arrêtent pas là. « Nous étions deux gagnantes, deux femmes victorieuses à une époque où seuls les hommes pouvaient faire quelque chose. Je pense que c’est plus qu’une question de féminisme».

J’ai dû subir tout ça

Lorsque Xuxa est devenue célèbre, elle est devenue une activiste par accident.

Elle aimait les animaux et s’est donc exprimée sur les droits des animaux dans son émission. Elle a appris la langue des signes pour pouvoir communiquer avec les téléspectateurs sourds. Et vêtue de costumes évoquant la culture drag, elle est devenue une idole dans la communauté LGBTQ.

Aujourd’hui, après des décennies sous les feux de la rampe, elle dit mieux comprendre l’influence qu’elle exerce et s’efforce de faire progresser la représentation, la lutte contre le racisme et les normes de beauté.

« J’ai commencé par défendre des causes sans nécessairement savoir qu’il s’agissait de causes. Maintenant, j’ai vraiment envie de le faire ».

Xuxa chez elle avec deux de ses animaux de compagnie. Photo : Maria Magdalena Arrellaga pour le New York Times

La semaine dernière, lors d’un événement caritatif télévisé, Xuxa est montée sur une scène illuminée avec ses deux successeures blondes de la télévision brésilienne pour enfants. Les trois femmes ont entonné des chansons qu’elles ont enseignées à des millions de personnes dans leur enfance. Derrière elles, une douzaine de danseurs noirs tournoyaient et sautaient en cadence.

La performance semblait être une démonstration d’inclusion raciale. Mais sur la toile, les réactions ont été rapides, beaucoup interprétant la réunion comme une célébration du blanchiment de la culture pop brésilienne.

« Ces femmes sont toujours considérées comme l’idéal », commente Luiza Brasil, qui est noire. « Et nous sommes toujours en marge, loin de cette beauté blonde, blanche, presque enfantine, qui nous blesse et nous tourmente depuis si longtemps ».

Ces dernières années, la télévision brésilienne a fait des progrès en matière de diversité. Les rôles principaux des trois principaux feuilletons brésiliens sont tenus par des acteur·trices noir·es, et davantage de programmes d’information et de politique sont animés par des présentateur·trices noir·es.

Xuxa a déclaré que le débat sur son impact lui a appris beaucoup de choses sur elle-même et sur la société. « Nous n’apprenons à faire les choses correctement que lorsque nous voyons que nous sommes sur la mauvaise voie. Je pense donc qu’il m’a fallu traverser tout ça pour en arriver là ».

25/05/2023

HAGIT GINZBURG
“Je ne suis pas le balayeur” : un humoriste israélien donne un nouveau sens à la “comédie noire”

Hagit Ginzburg, Haaretz, 24/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Hagit Ginzburg (1982) est une humoriste et journaliste israélienne.

L’humoriste israélien Barko Zaro n’a pas peur de plaisanter sur tous les sujets, des brutalités policières contre les Noirs israéliens au racisme dans les grandes surfaces israéliennes.

 

Barko Zaro. “Avec le temps, nous avons appris à être fiers de notre héritage éthiopien”. Photo : Jonathan Bloom

L’humoriste Barko Zaro prend le pouls de la nation. Chaque fois qu’il se passe quelque chose d’intéressant en Israël, vous pouvez toujours compter sur lui pour publier une vidéo en réponse.
Au début du mois, lorsque le propriétaire d’un café de Tel-Aviv a expulsé Nataly Dadon, mannequin et personnalité de télévision d’extrême droite, Zaro a publié une vidéo sur Facebook dans laquelle il accueillait Mme Dadon dans le club des personnes interdites d’entrée.
« Bien que ce café soit le seul endroit qui me laisse toujours entrer », plaisante-t-il, « après coup, les clients m’ont un peu engueulé : “Qu’est-ce que c’est que ça ? Pourquoi ce mauvais service ?” Mais ce n’est pas grave ».
Il a ensuite invité Dadon à un prochain spectacle de stand-up. La vidéo a reçu 9 500 likes et a été visionnée 156 000 fois.

Une fois, ils m’ont invité à un talk-show matinal pour promouvoir la série télévisée Nevsu, dans laquelle je ne jouais même pas. Ils ont simplement dit : « Faisons venir un Éthiopien pour en parler ».

« Je dis toujours que ceux qui me suivent sont à plaindre », dit-il en riant. « Je commercialise mes spectacles de manière à ce qu’ils ne s’y attendent pas. La vidéo de Nataly était totalement nulle, mais elle a explosé. Nataly a également réagi et a écrit que j’étais un roi ».

Ce n’est pas la première fois que l’une des vidéos de Zaro devient virale, mais cela le prend généralement au dépourvu.

Barko Zaro. “Nous, les Éthiopiens, sommes stigmatisés ; les gens pensent que nous sommes dans le besoin”. Photo : Jonathan Bloom

L’exemple le plus célèbre est celui d’une vidéo diffusée lors d’un de ses spectacles de stand-up au début du mois de mars 2020. Ce clip a été visionné 1,6 million de fois, et l’on a eu le sentiment que sa carrière était sur le point de décoller. Mais nous savons tous ce qui s’est passé peu après, avec le début de la pandémie de coronavirus.

« Une tonne de spectacles, une tonne de choses commençaient à ce moment-là - et puis le coronavirus est apparu », dit-il. « C’était une période où j’avais vraiment l’impression que ma carrière était en train de décoller, mais la pandémie a tout détruit. Aujourd’hui, j’en suis au point où je sens que ma carrière redémarr ».

Son ascension n’est pas le fruit du hasard. Depuis longtemps, Zaro prend soin de se faire filmer et de poster des vidéos, notamment celles où il s’adresse directement à la caméra ou se moque d’autres vidéos virales. Il est présent sur toutes les principales plateformes : Facebook, Instagram, TikTok.

Il est facile d’avoir l’impression qu’il n’est pas particulièrement intéressé par les chiffres. Il veut surtout toucher un public - et, si possible, pas seulement les membres de la communauté israélo-éthiopienne.

Avec le temps, nous avons appris à être fiers de notre héritage éthiopien, et ce n’est pas un hasard si certaines personnes choisissent aujourd’hui de donner à leurs enfants des prénoms amhariques. 

« Si quelqu’un fait défiler son fil d’actualité et qu’un contenu apparaît, il verra soudain mon visage. Il s’arrêtera sur moi parce que je suis noir. Ils regarderont parce que c’est un peu différent pour eux », explique-t-il. « Mais ça dure exactement deux secondes. En fin de compte, c’est comme une star de la télévision qui se lève et fait de la comédie : elle a quelques secondes de grâce, puis elle doit prouver qu’elle peut tenir son rôle ».

Avez-vous l’impression d’avoir plus à prouver ?

« Ce n’est pas que j’aie plus à prouver, mais si les gens ont été attirés par ma vidéo parce qu’ils ont vu un Éthiopien, je veux que le contenu les retienne ».

Zaro est l’un des deux seuls humoristes issus de la communauté éthiopienne qui exercent actuellement leur métier en Israël, avec Shlomo Babybaby. Depuis que Zaro a commencé à se produire il y a huit ans, très peu de membres de sa communauté ont tenté leur chance comme humoristes - en particulier les femmes (“Je pense que le trac les retient”, explique-t-il).

Des manifestants arrêtés dans les rues de Tel-Aviv après la mort de l’Éthiopien-Israélien Solomon Teka en 2019. Photo : Tomer Appelbaum du formulaireBas du formulaire

Avant Zaro et Babybaby, Shmuel Baro et Yossi Vasa formaient un duo dans les années 1990, créant des sketches principalement en amharique. Baro a continué, se produisant encore aujourd’hui occasionnellement en stand-up. « Ils étaient les Eli et Mariano de notre communauté », explique Zaro, en référence aux humoristes Eli Finish et Mariano Edelman. « C’étaient de vrais humoristes, à une époque où l’on vendait encore des cassettes VHS. Il n’y a pas un seul de leurs sketches que nous n’ayons pas eu à la maison ».

“Examiner les principales questions”

Les numéros de stand-up de Zaro se concentrent souvent sur le racisme auquel sa communauté est confrontée, discutant de la violence policière et des stigmates qui l’entourent depuis qu’il a immigré en Israël.

« Quels regards ! Tout le monde me regarde comme si le balayeur venait d’entrer sur scène », a-t-il l’habitude de dire au début de son show. « Les Éthiopiens sont stigmatisés ; les gens pensent que nous sommes dans le besoin. Quand on voit un Éthiopien conduire une voiture de luxe, on se dit : “Super, voyez comme il a progressé - c’est maintenant le chauffeur du patron” ».

À l’inverse, il craint aujourd’hui que toute l’interview ne porte sur le racisme. « La tendance est d’interviewer des personnes de notre communauté et de se concentrer sur cette question, sur le racisme. Cela fait partie de moi, mais ce n’est pas l’essentiel. Vous comprenez ? Je veux que les gens s’intéressent aux questions principales ».

 Pensez-vous qu’il s’agit d’une autre forme de racisme - que les gens ne veulent parler aux Éthiopiens que du racisme dont ils sont victimes ?

 « Il y a quelque chose là-dedans. Je n’y ai jamais pensé de cette manière. Mais le sentiment est que les gens disent : “Parlons du racisme et faisons appel à des Éthiopiens”. Une fois, ils m’ont invité à participer à un talk-show matinal pour promouvoir la série télévisée Nevsu [sur un homme israélo-éthiopien marié à une femme blanche] et je n’y jouais même pas. Ils ont simplement dit : “Faisons venir un Éthiopien pour en parler”. Je n’y suis pas allé, car je n’étais pas lié à la série ».

Ma couleur ne changera pas de sitôt, j’ai vérifié. Elle sera toujours là. Cela ne me dérange pas que les gens disent “Voilà le stand-up guy éthiopien” lorsqu’ils m’identifient.

L’humoriste Barko Zaro. Photo : Jonathan Bloom

Comment cela se manifeste-t-il par ailleurs ?

« Je suis souvent invité à des événements dont je sais à l’avance qu’ils sont liés aux Éthiopiens, comme la fête de Sigd. Ils m’ont également invité à participer à la Journée internationale de la femme. Je leur ai dit que c’était un excellent choix puisqu’ils avaient invité la seule personne qui gagne moins qu’une femme [rires]. Mais il n’y a pas beaucoup de fêtes ou d’événements éthiopiens. Lorsqu’il y a quelque chose comme le Sigd, ou que nous fêtons les X ans de notre immigration, je sais qu’on m’approchera, puis on me dira que je demande trop et que je devrais baisser mon prix. C’est pour les Éthiopiens, après tout ».

« Le racisme existe, mais il est structuré différemment. Aujourd’hui, pour ne pas embaucher un Arabe, on ne dit pas qu’on n’embauche pas d’Arabes. On dit qu’on cherche quelqu’un qui a servi dans l’armée. C’est comme ça que ça marche ».

Peut-on vraiment s’attendre à ce que vous demandiez moins d’argent ?

« Bien sûr, c’est irréel. C’est drôle qu’ils me demandent de prendre moins d’argent pour les événements associés au Sigd. Je leur dis que c’est comme le Jour de l’Indépendance, que je devrais gagner le double. Mais on s’attend à ce que ce soit un événement qui vous est destiné, alors prenez-en moins. Je plaisante à ce sujet dans mon show. Je dis que j’aime me produire devant un public ashkénaze parce que, contrairement aux Éthiopiens, les Juifs ashkénazes paient. Même les organisations éthiopiennes à but non lucratif me demandent de me produire gratuitement, en disant qu’elles s’efforcent de promouvoir les Juifs éthiopiens. Alors, faites-moi connaître ! »

D’une certaine manière, ces plaisanteries ne confirment-elles pas le stéréotype ?

« Je ne le soutiens pas, j’en parle, car ce n’est pas comme si les Éthiopiens n’avaient pas d’argent. Mon objectif est que mon spectacle ne s’adresse pas uniquement aux Éthiopiens et que le public comprenne que je critique la société ».

Fête du Sigd à Jérusalem. Photo : Olivier Fitoussi

En tant que membre de la communauté éthiopienne, Zaro est confronté à un défi que peu d’autres humoristes rencontrent.

« J’ai affaire à deux types de public. Le premier est celui des Éthiopiens, qui n’ont pas l’habitude de se rendre à des spectacles ou à des concerts. En Éthiopie, nous avions des terres à travailler ; il n’était pas habituel d’être des consommateurs de culture. Ici, il y a une nouvelle génération, mais ce n’est pas la tranche d’âge à laquelle appartient mon public.

« La deuxième catégorie est celle des non-Éthiopiens, et je m’inquiète toujours de savoir s’ils s’identifieront au contenu et s’il leur parlera aussi ; je crains que le spectacle ne convienne qu’aux Éthiopiens. Je dois les persuader de venir, leur dire : venez, vous pouvez rire aussi. Récemment, j’ai senti qu’il y avait plus de diversité dans le public, que quelque chose s’était ouvert ».

Lorsqu’il a commencé à se produire en solo, Zaro s’est assuré de ne se produire que dans des endroits où il se sentait à l’aise. Des endroits comme Rehovot ou Kiryat Malakhi, « où il y a d’importantes communautés éthiopiennes. Je me suis dit : “J’ai besoin d’une scène et d’un public”. Si je me produisais à Tel Aviv, qui me connaîtrait ? Malgré toutes les difficultés rencontrées pour attirer un public, à la dernière minute, de nombreuses personnes ont acheté des billets et sont venues. Maintenant, je vais dans des endroits où la communauté n’est pas vraiment représentée, pour voir comment le public réagit.

« Parfois, pendant un show, j’ai l’impression que je parle trop de racisme au public, même si je n’ai aucun problème à leur mettre cette question sous le nez. Quelqu’un m’a dit que le public était composé de personnes âgées de 70 ans ou plus, des personnes qui étaient les plus racistes. Je le fais donc d’une certaine manière pour qu’ils comprennent que c’est à cela qu’ils ressemblent et qu’ils savent que c’est comme ça - sinon, cela ne les ferait pas rire. Si je les accusais de quelque chose dont ils ne sont pas coupables, ils ne riraient pas ».

L’un des 13 ou 14

Zaro a 40 ans (« J’ai atteint l’âge où les policiers arrêtent peut-être de frapper, mais j’ai encore l’air assez jeune pour qu’ils continuent à le faire »), il est marié à Mali et père de deux filles. Il est arrivé en Israël en 1991. Il ne se souvient pas vraiment de son enfance en Éthiopie, mais seulement qu’elle n’était pas si mauvaise. « Quand je regarde les gens qui vivent en Éthiopie, je vois des gens qui n’ont rien, mais c’est justement ça. Nous regardons ce qui se passe là-bas avec des yeux différents - je ne manquais de rien. Je sortais jouer avec mes amis, je vivais dans un village. Ma maison n’était pas un appartement à Givatayim, mais il y avait de la place pour dormir. Je n’avais pas l’impression qu’il manquait quoi que ce soit ».

 

L’humoriste Shlomo Babybaby. Photo Guy Nahum Halevi

Ses parents ont divorcé (“ça n’arrive pas souvent”) et il a grandi avec sa mère et ses trois sœurs aînées. Son père s’est remarié, ce qui a permis à Zaro d’avoir de nombreux demi-frères et demi-sœurs (“En tout, nous sommes 13 ou 14 ; ça se ramifie”). Ses deux parents sont décédés l’année dernière et il dit que 2022 a été l’année la plus difficile de sa vie. Il ajoute que le stand-up l’a aidé à s’en sortir.

Lorsqu’il est arrivé en Israël, sa famille et lui ont été envoyés dans un centre d’absorption à Tibériade, au bord de la mer de Galilée (lac de Tibériade). De là, ils ont déménagé dans un parc de caravanes près d’Elad, avant de s’installer à Rosh Ha’ayin. Son enfance à Tibériade a été une période d’acclimatation. « Nous venions d’un village qui n’avait rien. Les Juifs vivaient dans des villages isolés, où pour voir une voiture ou d’autres moyens de transport, il fallait marcher longtemps - jusqu’à un endroit où l’on voyait des voitures de sa fenêtre. Le plus grand choc initial a été de voir des gens profaner le shabbat. En Éthiopie, nous observons le sabbat religieusement ».

Sa mère ne travaillait pas et ils vivaient des prestations de l’État. Il a vécu le racisme différemment de ce à quoi on pouvait s’attendre. « Je ne me souviens de rien que j’aurais pu qualifier de racisme à l’époque. On en fait l’expérience, mais on ne le sait pas. Les choses sont différentes aujourd’hui ; tout le monde en parle et personne n’en a honte, il est donc beaucoup plus facile de voir le racisme et de dire : d’accord, c’est du racisme.

« Quand j’étais petit, si quelqu’un ne voulait pas s’asseoir à côté de moi, je ne voyais pas ça comme, disons, quelqu’un qui ne voulait pas s’asseoir à côté de moi parce que j’étais éthiopien. Plus tard, on commence à comprendre. Mon désir de m’intégrer était si grand que je supportais n’importe quoi. Ce n’est qu’en vieillissant que l’on devient moins naïf et que l’on a plus de choses à dire. On n’a pas honte de dire ce que l’on pense ».

Il poursuit : « Ma fille aînée, qui a 6 ans, souffrira plus que moi, car nous sommes arrivés dans une situation et avons dû y faire face. Nous ne sommes pas nés dans cette situation. Elle a grandi comme tout le monde ; elle ne se sent pas différente. À un moment donné, la question de la couleur a été soulevée à la maison - elle m’a même taquiné à ce sujet. Elle m’a demandé pourquoi tout le monde était blanc et elle brune. Je lui ai répondu que les enfants de la maternelle sont blancs parce que leurs parents sont blancs et qu’elle est brune parce que son père et sa mère sont bruns. Elle m’a alors dit : “Mais tu n’es pas brun, tu es noir”. Elle est maintenant dans une nouvelle école, la seule Éthiopienne, et elle reconnaît immédiatement la différence. Mais les autres enfants sont d’accord avec elle, et elle n’est pas dupe ».


L’acteur Shalom Assayag : il une blague sur la police des frontières. Photo : Hadas Parush

Zaro a effectué son service militaire dans la police des frontières. « C’est le truc le plus cliché à propos des Éthiopiens », dit-il. « L’acteur Shalom Assayag a une blague : un Éthiopien meurt et on lui demande s’il veut aller au paradis ou en enfer Il répond : Quoi, il n’y a pas la possibilité d’aller à la police des frontières ?

« J’y suis allé parce que mon entourage l’a fait. S’ils avaient suivi une formation de pilote, j’aurais tenté ma chance. C’est une des choses dont je parle dans mes spectacles, dans le contexte du racisme : le fait que les Éthiopiens ont toujours été concentrés dans certains quartiers, qui étaient de toute façon défavorisés. Cela a exacerbé la situation au lieu de l’améliorer. Lorsque vous prenez une population défavorisée et que vous la mélangez à une autre, vous les affaiblissez toutes les deux. Vous ne nous donnez pas l’occasion, à nous qui sommes venus pour grandir, de le faire. Si on nous avait placés dans une autre ville avec un niveau socio-économique plus élevé, je me serais efforcé de l’atteindre aussi. Mais on est influencé par l’environnement dans lequel on se trouve ».

Montrer un angle différent

Après l’armée, Zaro s’inscrit en licence de communication à l’université d’Ariel (« Amir Hetsroni était mon professeur », dit-il, en référence au romancier et à la personnalité médiatique) et rêve de travailler dans une agence de publicité. Il a ensuite suivi un cours de rédaction, où il a rencontré l’humoriste Eyal Brigg, qui lui a suggéré de faire du stand-up, ce qui ne lui avait jamais traversé l’esprit auparavant. Il se décrit comme timide, mais ajoute qu’il a toujours fait rire ses amis et qu’il aime l’humour noir. « Pas ce genre d’humour noir... vous comprenez ce que je veux dire ».

Un soir, il s’est produit lors d’une soirée “micro ouvert” dans un club de comédie qui venait d’ouvrir ses portes. L’engouement a été tel qu’il a décidé de poursuivre dans cette voie.

Pensez-vous que le public réagit différemment à un humoriste éthiopien ?

« Je monte sur scène et c’est le silence. On sent que les gens se disent : "Écoutons qui c’est". C’est un avantage. Lorsqu’un autre humoriste monte sur scène, ce n’est pas le cas. Ceux qui viendront après Shlomo [Babybaby] et moi-même auront la tâche beaucoup plus facile. Il y a un nouvel humoriste qui s’appelle Lev Nigatu, qui est incroyable. C’est un soldat et il a un style bien à lui. Sur TikTok, il y a Aster Aweke, qui se débrouille très bien, même si je ne sais pas si elle passera un jour au stand-up.

« Je ne sais pas si mon spectacle de stand-up entraînera un changement, mais je mets des choses sur la table et les gens en parlent. Je poste une blague et les gens en parlent ; on le voit dans leurs réactions. Parfois, je suscite des discussions et des débats. Aujourd’hui, lorsque je fais de l’improvisation dans des endroits où il n’y a pas d’Éthiopiens, on dirait qu’ils n’ont jamais parlé à un Éthiopien. Dans ces endroits, j’ai l’impression de leur montrer soudainement un angle différent. Lorsqu’ils montrent un Éthiopien à la télévision, c’est toujours à l’occasion d’une catastrophe ou lorsque quelqu’un a réussi quelque chose.

« Cette année, ils ont fait venir une Éthiopienne [Yehudit Negosa, qui a fondé l’académie prémilitaire Chance for Change] pour allumer une torche à l’occasion de la fête de l’indépendance. J’ai fait remarquer que lorsqu’un Éthiopien réussit, c’est tellement exceptionnel qu’il allume une torche. Je ne voudrais pas allumer une torche simplement parce que je suis éthiopien, mais parce que j’ai fait quelque chose d’important, en m’élevant au-dessus des autres - pas parce que j’ai fait mieux que les autres Éthiopiens ».

Il aborde régulièrement le racisme policier dans ses vidéos et ses numéros de stand-up. Il fait remarquer que les fourgonnettes de police constituent le service de covoiturage Gett Taxi pour les Éthiopiens et que les commissariats de police sont couramment utilisés comme point de référence pour donner des indications à des amis éthiopiens.

« J’étais à la manifestation, et ma mère aussi », a-t-il déclaré après que des juifs éthiopiens ont manifesté en juillet 2019 à la suite de la mort d’un Éthiopien aux mains d’un policier qui n’était pas en service. « Qu’est-ce que la police ne nous a pas lancé ? Du gaz lacrymogène, du gaz poivré, des grenades assourdissantes, de la farine. Ma mère l’a collectée et a fait du pain éthiopien avec »

Avez-vous personnellement été confronté au racisme de la police ?

« C’est là. Une fois, j’ai voyagé avec Shlomo Babybaby. Il conduisait. Nous avons été arrêtés pour un test d’alcoolémie. Le policier m’a demandé ma carte d’identité. Cela ne me dérangeait pas de la lui donner, mais je voulais comprendre pourquoi il la demandait. Pourquoi en avez-vous besoin ? Qu’allez-vous y trouver ? Le racisme existe donc, mais il est structuré différemment. Aujourd’hui, pour ne pas embaucher un Arabe, on ne dit pas qu’on n’embauche pas d’Arabes. On dit qu’on cherche quelqu’un qui a servi dans l’armée. C’est comme ça que ça marche ».

L’humour vous aide-t-il à faire face à la situation ?

« Il y a une histoire que je raconte lors de mes shows : je suis allé au supermarché et quelqu’un m’a abordé - nous sommes habitués à ce que les gens pensent toujours que nous travaillons là - mais elle ne m’a pas demandé si je travaillais là. Elle a juste dit : “Quoi, il n’y a pas de céleri ?”. Elle venait me voir pour se plaindre. Je l’ai ignorée et j’ai continué à marcher. Elle m’a suivi, persuadée que j’allais lui chercher du céleri. La fin de la blague est que j’ai essayé de l’aider mais que je ne savais pas à quoi ressemblait le céleri, alors j’ai trouvé un travailleur arabe ».

Préféreriez-vous qu’on ne vous qualifie pas de “stand-up éthiopien” ?

« Ma couleur ne changera pas de sitôt, j’ai vérifié. Elle sera toujours là. Ça ne me dérange pas que les gens disent ‘Voilà le stand-up guy éthiopien’ lorsqu’ils m’identifient. Cela fait partie de mon identité et j’en parle dans mes spectacles. J’ai récemment été invité à me produire à Eilat. Tout était réglé, et la personne qui m’avait invité m’a appelé pour me demander si mon spectacle parlait des Éthiopiens. J’ai expliqué que oui : “Je parle de ma femme, elle est éthiopienne. Je parle du travail ; c’est aussi lié aux Éthiopiens”.

« Le spectacle a eu lieu et ce fut l’un des meilleurs de ma vie. Avec le temps, nous avons appris à être fiers de notre héritage éthiopien - et ce n’est pas un hasard si certaines personnes choisissent aujourd’hui de donner à leurs enfants des noms amhariques, revenant ainsi aux noms éthiopiens d’origine qui avaient été changés à leur arrivée en Israël. Votre passé est votre pouvoir ».