Le grand écrivain portugais José Saramago, en visite au Chili quelques
années après le retour à une démocratie timide et craintive, toujours sous la
tutelle de Pinochet, avait déclaré :
“Ici, les morts ne sont pas morts et les vivants ne
sont pas vivants.”
Chaque année, quand arrivait le mois de septembre, quand des milliers de
bougies étaient allumées dans tous les coins du Chili pour rendre hommage aux
disparus, je repensais à cette phrase qui, à mon avis, expliquait mieux ce qui
se passait dans le pays que des centaines de livres d’analyse et de critique
sociale, bons ou mauvais.
En traversant une fois le désert d’Atacama, nous nous sommes perdus parmi
ses énormes étoiles et distances tracées sur les routes infinies qui, comme des
aiguilles, traversent le paysage aride peint il y a des millions d’années par
des fleuves préhistoriques et des fonds marins qui n’existent plus.
Ce sont des lieux qui ressemblent à un décor spécialement créé pour l’apparition
de vaisseaux extraterrestres, de dinosaures ou de tout autre fruit de notre
pauvre imagination.
Dessin de Carlos
Ayress Moreno, 1974
Dessin d’Enrique
Olivares Aguirre
Nous sommes arrivés à un endroit qui n’existait pas sur les cartes. Il s’agissait
de l’ancienne salpêtrière de Chacabuco, qui a cessé
d’exister au début du siècle dernier et qui, en 1973, a été transformée par la
dictature en le plus grand camp de concentration du pays.
Il n’y avait là qu’une seule personne, un ancien prisonnier politique. Il était
devenu le gardien de la mémoire de cette cité fantôme. Lorsque les militaires
se sont retirés, ils ont fait sauter les installations et les traces de leurs
crimes. Puis, année après année, des pilleurs sont revenus pour voler tout ce
qui était vendable dans les maisons et les baraquements abandonnés derrière les
barbelés qui subsistaient.
Notre interlocuteur était retourné au cœur du désert pour s’occuper de ce
qui restait de sa mémoire et de celle de son pays. Il nous a montré la rue Karl
Marx, comme les prisonniers politiques appelaient l’allée principale entre les
baraquements où ils vivaient.
Il nous a raconté la rumeur qui s’est répandue parmi eux après la première
observation d’“OVNI”, qui abondaient dans ces cieux. « Ce sontles
Russes qui sont venus nous sauver », disaient-ils. Et tant d’autres
anecdotes de l’époque. Je suis retourné le voir plusieurs fois par la suite. Il
était toujours seul, de plus en plus triste, de plus en plus vieux et
alcoolique, jusqu’à ce qu’il meure dans un abandon total.
Le désert chilien est une machine à remonter le temps. En tant qu’endroit
le plus sec de la planète, il conserve les vestiges du passé, où ce qui s’est
passé il y a un siècle est indiscernable de ce qui s’est passé hier. Les corps
des personnes tuées par la dictature sont également trop bien conservés. Sur
les cadavres momifiés, on peut voir, après plusieurs décennies, non seulement
les impacts de balles, mais aussi les traces des tortures les plus sauvages.
Le nouvel État chilien, gouverné par les socialistes et les
démocrates-chrétiens, réconciliés pendant la dictature par amour du pouvoir, ne
s’est jamais préoccupé de préserver l’histoire et la mémoire de ces temps
passés, mais a voulu renforcer l’“image du pays” basée sur le modèle
social hérité du pinochetisme et abandonner au plus vite son statut de “tiers-monde”
latino-américain pour faire partie du “monde développ”".
Cinquante ans ont
passé et les idées du président Allende sont toujours pleinement valables au
Chili comme en Amérique latine et dans une bonne partie de ce que l'on appelle
le tiers-monde. Il y a des années, à Guadalajara, nous avons eu la chance de
voir un magnifique enregistrement de ce discours devant les professeurs et les
étudiants de sa prestigieuse université où le président chilien récemment élu a
exposé sa pensée, qui était certainement révolutionnaire dans ses objectifs,
ainsi que sans précédent dans sa promesse d'apporter des changements en matière
de démocratie et de liberté.
Un discours magistral où, en plus de défendre ses convictions, il
a appelé les jeunes étudiants à s'atteler à une tâche qui, bien sûr, dépasse
l'action d'un seul gouvernement ou d'une seule génération. Un discours prononcé
dans la chaleur de ses valeurs inébranlables, sans recours à un texte ou à un
aide-mémoire, démontrant comme souvent son grand talent et son verbe brillant.
Un ensemble de propositions visant à ce que nos pays se réapproprient la
propriété et la gestion de leurs richesses fondamentales, consolidant ainsi la
souveraineté qui nous a été léguée par nos libérateurs, puis bafouée par
l'impérialisme usaméricain. Dans notre cas, il s'agissait de la volonté de
nationaliser, en plus, nos grandes mines de cuivre et de donner une valeur
ajoutée à ces tonnes de métal qui partaient et continuent aujourd'hui à partir
à l'étranger et dans lesquelles il est également possible de découvrir de l'or,
de l'argent, du molybdène et d'autres matières premières importantes.
Il voulait aussi récupérer la souveraineté populaire dans nos
campagnes ravagées par les grandes propriétés et l'exploitation de millions de
paysans qui pouvaient à peine survivre avec leur salaire de misère. Diversifier
notre production agricole, moderniser l'agriculture, mais surtout faire en
sorte que ceux qui cultivent la terre en soient propriétaires et méritent de
vivre dans des logements décents, afin que leurs enfants aient accès à une
alimentation suffisante et à une éducation libératrice.
Promouvoir, bien sûr, la réforme de l'éducation à tous les
niveaux, afin de rendre l'enseignement obligatoire pour les enfants et de
permettre non seulement aux enfants des riches mais aussi aux Chiliens des
classes moyennes et populaires d'accéder à l'université, alors que moins d'un
pour cent d'entre eux avaient cette possibilité à l'époque.En même temps, ils étaient déterminés à
prendre des mesures importantes pour la formation continue des adultes et des
travailleurs, où les niveaux d'analphabétisme étaient effrayants. À tel point
qu'aujourd'hui encore, on reconnaît que plus de 50 % de notre population ne
comprend pas ce qu'elle lit, ainsi que plus de 15 % des étudiants de
l'enseignement supérieur.
La proposition d'Allende incluait également la possibilité
d'entreprendre une réforme constitutionnelle qui modérerait le présidentialisme
excessif et chercherait sérieusement à mettre fin au matabiche et autres
pratiques qui empêchaient l'accès du peuple au Parlement et aux municipalités.
Convoquer, dans les plus brefs délais, une Assemblée constituante pour rétablir
notre cadre institutionnel, qui était en soi un simulacre, dans lequel le
pouvoir de l'argent et des médias définissait l'agenda politique, économique,
social et culturel du pays.
Un renversement annoncé
Personne ne peut désormais ignorer qu'avant que Salvador Allende
ne prenne ses fonctions de chef d'État, des préparatifs étaient en cours à
Washington pour déstabiliser son gouvernement et le remplacer par un autre qui
serait docile aux intérêts impérialistes. Peu à peu, les énormes ressources
allouées à l'encouragement de l'action séditieuse des grands corps nationaux, à
l'encouragement du coup d'État de la droite politique et d'autres partis
d'opposition, qui ont été décisives pour encourager les traîtres militaires et
justifier les premières violations des droits humains, ont fait leur œuvre. Ce
rôle est honteusement revenu aux démocrates-chrétiens, un parti qui promouvait
jusqu'alors des changements en faveur de la justice sociale, mais dont les
principaux dirigeants ont succombé à la corruption par Kissinger, de la Maison
Blanche et du Pentagone. On est également au fait des millions de dollars
alloués au journal El Mercurio, propriété d'Agustín Edwards, qui, en
plus d'être un putschiste, était également vice-président de Pepsi Cola. Un
individu abominable qui a conservé son pouvoir intact, voire l'a accru, tout au
long de la période post-dictature, charmant les gouvernements successifs de la
soi-disant Concertación Democrática, de la Nueva Mayoría et, bien sûr, de la
droite elle-même, qui est revenue à La Moneda à deux reprises entretemps.
Les promesses d'Allende se sont même concrétisées pendant son bref
gouvernement, comme la nationalisation des grandes mines de cuivre, la remise
de milliers d'hectares de terres aux paysans et l'introduction de changements
significatifs dans le système éducatif, ce qui a également été fortement
combattu par les opposants qui ont été appelés à participer aux élections
législatives qui ont suivi le triomphe de l'Unidad Popular et au cours
desquelles, malgré tout, la gauche est redevenue la première majorité, en dépit
des campagnes de terreur promues et financées également par les USA et le
pouvoir économique national.
Bien que nous ne l'ayons pas du tout prévu à l'époque, le 11
septembre 1973 a été le jour du bombardement criminel de La Moneda, dans lequel
les forces armées, poussées par la droite et l'impérialisme, ont joué le rôle
principal, et dans lequel, dès la première heure, des centaines ou des milliers
d'opposants ont été criblés de balles, les premiers camps de détention et de
torture ont été créés, tandis que des milliers d'autres Chiliens ont été
arrêtés et torturés lorsqu'ils ne parvenaient pas à s'enfuir en exil. Il s'agit
sans aucun doute d'un processus sans précédent de trahison et d'insoumission à
l'ordre établi, respecté par Allende jusqu'à sa dernière heure, au cours duquel
la démocratie et les changements entrepris en faveur de la rédemption des
opprimés ont volé en éclats en quelques heures.
Nous savons déjà que le corps du président a quitté La Moneda sans
que l'on sache avec certitude s'il s'est réellement suicidé ou s'il a été
assassiné par les premiers officiers qui sont entrés dans le palais
présidentiel. Cela ne change pas vraiment le caractère criminel de l'attentat,
même si les militaires, la droite et d'autres secteurs se sont efforcés, avec
la complicité de certains juges, d'établir le suicide comme la vérité
officielle. Une “vérité officielle” qui permettrait à Pinochet de recevoir la
reconnaissance diplomatique de nombreuses nations qui, dit-on, n'auraient pas
été en mesure de le faire si le président déchu avait été assassiné.
Entre parenthèses, certains ont été convaincus qu’il avait été
assassiné après qu'un capitaine de l'armée a témoigné devant un groupe de
détenus qu'il avait lui-même tiré sur la tempe du président et qu'il s'était
vanté d'avoir exhibé la montre de ce dernier comme un trophée. Il existe
plusieurs écrits et témoignages sur le sujet, ainsi qu'un documentaire du
cinéaste Miguel Littín.
La chose la plus importante à enregistrer maintenant dans cette
commémoration historique est le respect que l'exemple d'Allende, sa conséquence
politique, sa trajectoire démocratique et sa résolution héroïque de payer de sa
vie la loyauté de son peuple, comme il l'a promis dans son discours final,
méritent dans tous les secteurs, ainsi que dans le monde entier.
Son gouvernement, l'Unité Populaire et la conduite de ses partis
sont encore aujourd'hui une source de controverses et d'attaques de bas étage
par ceux qui ont été ses opposants et qui continuent aujourd'hui à être des
militants de droite. Cependant, personne ou presque n'ose le discréditer
moralement et sa figure reste, 50 ans plus tard, celle du président et du
leader politique le plus apprécié par le peuple chilien. À tel point qu'une
étude intéressante réalisée en 2008 par Televisión Nacional (avec des centaines
de témoignages recueillis auprès d'historiens, de journalistes et de divers
intellectuels) a conclu que pour la grande majorité nationale, Allende est la
figure la plus pertinente de notre histoire républicaine, égale ou supérieure à
l'hommage rendu à nos pères de la nation, et supérieure au prestige de Pablo
Neruda, Gabriela Mistral, Violeta Parra, Alberto Hurtado et d'autres Chiliens
éminents.
Validité permanente
En ce sens, et malgré tout ce qui s'est passé, 50 ans, ce n’est
vraiment rien. Les idées d'Allende sont toujours aussi présentes dans les
manifestations qui réclament du pain, de la justice et de la liberté. Surtout
lorsqu'elles insistent sur la récupération des gisements de cuivre et
maintenant sur l'exploitation du lithium et d'autres ressources. Lorsque les
enseignants défilent et paralysent leurs activités pour exiger plus de
ressources pour l'éducation publique, ainsi que le paiement de la dette
historique que l'État leur doit depuis tant d'années. Tandis que des centaines
d'enseignants languissent sans récupérer ce droit qui leur a été arraché et
leur dignité.
Les revendications actuelles en faveur d'un système de santé qui
garantisse des soins adéquats à tous les Chiliens vont dans le même sens. La
dictature et les gouvernements qui lui ont succédé ont consolidé l'opprobre du
système privé des ISAPREs[sociétés d’assurances santé privées, au nombre de 13,
NdT], qui refuse des soins adéquats aux pauvres et à la classe
moyenne, en présentant de longues listes d'attente pour les soins médicaux, où
il est avéré que, seulement au cours du dernier semestre, plus de 19 000
Chiliens qui avaient besoin d'opérations chirurgicales urgentes sont morts.
Allende, en tant que médecin, soutiendrait sans aucun doute ces demandes
aujourd'hui, ainsi que la fin des infâmes AFP [sociétés privées
d’administration des fonds de pension ayant substitué en 1981 le système par
répartition par un système par capitalisation, NdT] qui gèrent les
cotisations de millions de travailleurs qui, à la fin de leur vie, reçoivent
des pensions misérables et se voient obligés de continuer à travailler. Un
système également privatisé par la dictature et qui a même fait l'objet de
compliments à l'époque de la soi-disant transition vers la démocratie, où, en
réalité, ceux qui ont intégré ces gouvernements ont fini par être enchantés par
le néolibéralisme, le capitalisme sauvage et les inégalités provoquées par le
marché. Sauf, bien sûr, quelques exceptions minimes, malgré les origines
socialistes, social-chrétiennes ou social-démocrates de leurs protagonistes.
Il est parfaitement logique d'assurer qu'Allende soutiendrait
aujourd'hui la lutte héroïque du peuple mapuche pour la reconnaissance de ses
droits à l'autodétermination, la récupération de ses territoires occupés et la
pleine reconnaissance de son patrimoine culturel. Tout cela ne sera possible
qu'en neutralisant l'action écocide, par exemple, des entreprises forestières
qui se sont emparées de la région. Le défunt président n'aurait certainement
pas pu consentir à la militarisation de l'Araucanie imposée par des
gouvernements se prétendant héritiers d'Allende, à la judiciarisation des
causes de notre peuple fondateur et aux assassinats habituels et répétés de
membres de la communauté, ainsi qu'à la répression qui s'abat aujourd'hui sur
ceux qui, jusqu'à très récemment, étaient reconnus comme des leaders et même
des héros par les partis et mouvements autoproclamés de gauche. Il est bien
connu que ce qui se passe dans le sud du pays est très similaire aux événements
tragiques de la soi-disant Pacification de l'Araucanie, il y a plus d'un
siècle, dont les principaux auteurs sont encore reconnaissables dans les noms
de rues et d'espaces publics. Même si la statue du général Cornelio Saavedra a
été arrachée de son socle par des manifestants en 2020 et jetée dans la rivière
Lumaco. Tout aussi récemment, le monument au général Baquedano, qui s'est
également distingué dans ce sombre épisode d'usurpation des terres mapuches, a
contraint les autorités à le retirer de la Plaza Italia, en plein centre de
notre capitale.
Le peuple chilien a l'intuition qu'Allende serait aujourd'hui le
leader qu'il a été des revendications socio-économiques de son époque.Son nom est également reconnu comme celui e
l'un des principaux combattants de notre époque. Lorsque l'inégalité sociale
prévaut et que la marginalisation et le manque d'opportunités expliquent le
développement de phénomènes tels que la criminalité et le trafic de drogue, des
fléaux que même les politiciens qui se disent progressistes pensent qu'il faut
combattre avec plus de pouvoirs pour la police, plus d'armes dissuasives et des
peines punitives même pour les mineurs qui commettent des délits. Aujourd'hui,
ils sont donc à nouveau tentés d'envoyer de plus en plus de militaires dans les
rues et les villes du nord et du sud. Une fois de plus, ils sont au bord d'une
nouvelle et juste explosion sociale, sans aucune autre pandémie en vue pour la
contenir, comme cela s'est produit, empêchant ce qui était un effondrement
institutionnel imminent.
“La gauche unie ne sera jamais vaincue” est l'un des slogans les
plus connus et celui qui a été le plus longtemps brandi sur les banderoles des avant-gardes
dans leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que c'était aussi l'aspiration
et la réussite d'Allende lorsqu'il est arrivé au gouvernement et qu'il a pu
devenir le porte-drapeau de la gauche, après la mesquinerie qui s'est
manifestée entre partis pour obtenir une plus grande hégémonie dans l'influence
sur les décisions présidentielles. Cependant, il est plus qu'évident que ce
sont les controverses entre socialistes, communistes et autres qui ont affaibli
le gouvernement de l'Unité Populaire et, dans une large mesure, encouragé le
coup d'État. Comment ne pas se rappeler que, depuis le cœur même de la gauche,
Allende a été qualifié de “social-démocrate” et accusé de défendre la
démocratie “bourgeoise” par des dirigeants qui, pendant qu’Allende mourait à La
Moneda, se cachaient déjà dans des ambassades et renonçaient à toute tentative
de résistance au déchaînement militaire !
En disant cela, nous n'avons pas l'intention de justifier l'action
des séditieux, qui ont commencé à comploter son renversement avant que ces
contradictions ne se manifestent. Pour eux, Allende ne devait être renversé
qu'en raison de sa proposition programmatique et de la possibilité que son
expérience soit reproduite dans d'autres pays appartenant à la zone d'influence
des USA, en pleine guerre froide. Il faut donc reconnaître que sa tentative de
gagner le soutien de l'Union soviétique et du monde socialiste de l'Europe de
l'Est a été vaine.
Ce qui est grave, c'est que cinquante ans après sa mort, la
situation de la gauche chilienne n'a fait qu'empirer par rapport au slogan cité
plus haut, et aujourd'hui le panorama est franchement désastreux quand les
référents avant-gardistes se multiplient dans toutes sortes de collectifs et
d'associations dont les idéologies et les intentions sont pratiquement
incompréhensibles pour le pays. Des entités qui ne comptent généralement pas
plus d'une centaine de militants actifs et qui manquent de pratiques démocratiques
internes pour définir leurs dirigeants et leurs propositions. Une flopée de
sigles, qui ne sont rien d'autre que des noms bizarres, composent le soi-disant
Frente Amplio [Front Large], ainsi que l'autoproclamé socialisme démocratique.
Tous exhibent leurs querelles à travers les médias, alors qu'ensemble ils n'ont
pas été capables de remplir un théâtre ou un stade avec leurs adhérents et
sympathisants depuis longtemps.
Il ne fait aucun doute que le principal objectif de ces camarillas
est de placer leurs partisans inconditionnels au sein de l'appareil d'État et
d'accéder aux ministères et aux sous-secrétariats, où les quotas sont le
dénominateur commun. Et quand ils n'y parviennent pas, ils créent des
fondations et d'autres entités pour recevoir des millions du Trésor public qui,
bien sûr, servent à financer leurs ambitions électorales et, accessoirement,
leur enrichissement illicite. Nous savons déjà que parmi tous les épisodes de
corruption politique, la justice enquête actuellement sur la destination de
quelque 30 milliards de pesos [= 30 millions d’€]. Ce qui est reconnu comme la
fraude la plus grave contre le trésor national de toute la période
post-dictature.
Le problème de la gauche : -Sur le fond on est d'accord -Mais d'innombrables nuances nous séparent L'avantage de la droite: -D'innombrables nuances nous séparent -Mais sur le fond on est d'accord
Pour la consolation de cette gauche qui se dégrade et s'effrite,
la droite souffre d'une atomisation similaire, tout comme les multiples
scissions de la Démocratie chrétienne, du PPD et d'autres organisations qui, selon les sondages,
obtiennent moins de trois ou quatre pour cent du soutien populaire. Le parti le
plus voté est le Parti républicain d'extrême droite, mais avec moins de 5 % du
soutien électoral.
Sans parler de la responsabilité politique qui doit être attribuée
aux partis en ce qui concerne la disparition des anciennes références
syndicales. De la faible importance aujourd'hui de la Central Unitaria de
Trabajadores, ainsi que des associations professionnelles qui ont été à
l'avant-garde de la lutte contre la dictature. Toutes ces organisations se
morfondent dans la lutte de leur caudillisme interne et sont confrontées à des
scandales de corruption qui se déclenchent précisément lorsqu'elles doivent “négocier”
avec les gouvernements en place le montant du salaire minimum et l'application
de certaines lois sur le travail.
Allende grandit définitivement dans la mémoire du peuple chilien,
bien qu'il soit systématiquement ignoré par les dirigeants politiques et
sociaux qui se réclament de lui. Tout cela s'explique par le manque d'idées et
de programmes d'action et, surtout, par l'absence de médias qui favorisent le
débat idéologique et la prise de conscience des Chiliens, en particulier des
plus jeunes.
Il est bien connu que la lutte contre l'oppression de Pinochet a
impliqué des organisations sociales et politiques spontanées, mais aussi les
médias, dont la mission était de dénoncer les abus de la dictature et de
promouvoir le retour à la démocratie. Au début, les timides efforts
journalistiques ont gagné en influence et ont eu le mérite d'enregistrer toutes
les horreurs commises contre la dignité humaine et les droits du peuple au sein
de la dictature. Cependant, même aujourd'hui, on suppose que toutes ces
références ont été exterminées par les premiers gouvernements de la
Concertation, lorsque d'obscurs personnages comme Edgardo Boeninguer, Enrique
Correa et d'autres ministres et opérateurs de La Moneda ont décidé qu'il serait
trop risqué d'avoir des journaux, des magazines et des stations de radio qui
pourraient exiger la réalisation des promesses faites par les nouvelles
autorités et, ce faisant, déstabiliser les militaires, ainsi qu'embarrasser les
grands hommes d'affaires pinochétistes qui ont pris leur place dans la nouvelle
démocratie. D'ailleurs, dans l'impunité la plus totale en ce qui concerne les
entreprises et les ressources de l'État accaparées sous la protection du tyran
et du voleur qui gouvernait de facto.
Le temps nous a donné raison lorsque nous avons constaté que des
missions diplomatiques envoyées en Europe ont averti les gouvernements qu'ils
devaient s'abstenir de toute aide aux médias chiliens et au monde prolifique
des organisations sociales et de défense des droits humains. Une demande sans
doute écoutée par les pays qui soutenaient ces médias et envisageaient même de
leur accorder une aide définitive et substantielle qui servirait à les
consolider pendant la prétendue démocratie à venir. Malheureusement, la
realpolitik s'est imposée à ces pays qui voulaient désormais faire des
affaires dans notre pays et accéder à nos richesses naturelles. Tout cela se
passait, rappelons-le, pendant que le gouvernement de Patricio Aylwin effaçait
les dettes d'El Mercurio, de La Tercera et d'autres médias, tout
en renouvelant les contrats publicitaires de plusieurs millions de dollars avec
l'État qui les soutenait alors que leur déclin était imminent. Ces mêmes
contrats publicitaires ont également été refusés à la presse indépendante qui,
sans aucun doute, aurait continué à s'opposer à l'impunité et à plaider en
faveur d'une démocratie solide et de ces réformes économiques et sociales, dont
beaucoup sont encore en suspens aujourd'hui. Tout comme ils auraient dénoncé
les premiers actes de corruption qui sont aujourd'hui si répandus dans notre
vie politique.
S'il est vrai que ces médias indépendants et dignes ont réussi à
briser le blocus de l'information imposé par la dictature, nous devrions
aujourd'hui être reconnaissants et applaudir le fait qu'il existe un nombre
infini de sites web libres sur l'internet, ce qui rend très difficile pour la
classe politique de continuer à commettre ses inepties, et maintenant même la
presse de droite elle-même est incapable de les éviter.
Des centaines de milliers, voire des millions de Chiliens vivent
aujourd'hui dans le désenchantement, à cause de ce qui aurait pu être et n'a
pas été. Nous sommes déçus par la trahison idéologique et la corruption morale
de ceux qui ont accédé au gouvernement de notre nation. Nous craignons que le
pays ne soit à nouveau au bord de l'effondrement et que les heures amères de
notre coexistence ne reviennent. Mais ce sur quoi nous sommes d'accord et qui
nous anime est le fait que, malgré tout,
les idées et les objectifs de Salvador Allende sont toujours valables et que
son nom est un cri et un ferment d'espoir.
Gabriel García Márquez, Alternativa, 1974 Original
Traduit par Tlaxcala, 11/9/2023
Ce
texte, publié en 1974, reste d’actualité car il explique avec
simplicité et clarté, en particulier pour la jeune génération, la chute
du gouvernement Allende et désigne les exécutants directs et indirects
du coup d’État.
Fin
1969, trois généraux du Pentagone ont dîné avec quatre officiers
militaires chiliens dans une maison de la banlieue de Washington. L’hôte
était alors le colonel Gerardo Lopez Angulo, attaché aérien à la
mission militaire chilienne aux États- Unis, et les invités chiliens
étaient ses collègues des autres armes. Le dîner était organisé en l
’honneur du directeur de l’école d’aviation chilienne, le général Toro
Mazote, arrivé la veille pour une visite d ’étude. Les sept soldats ont
mangé de la salade de fruits, du rôti de bœuf et des petits pois, bu les
vins chaleureux de leur lointaine patrie méridionale où les oiseaux
brillaient sur les plages tandis que Washington faisait naufrage dans la
neige, et parlé en anglais de la seule chose qui semblait intéresser
les Chiliens à ce moment-là : les élections présidentielles de septembre
prochain. Au dessert, l’un des généraux du Pentagone a demandé ce que
ferait l’armée chilienne si le candidat de gauche Salvador Allende
remportait les élections. Le général Toro Mazote lui répond : « Nous
prendrons le palais de la Moneda en une demi-heure, même si nous devons y
mettre le feu ».
L’un
des invités était le général Ernesto Baeza, ’actuel directeur de la
sécurité nationale du Chili, qui a mené l’assaut contre le palais
présidentiel lors du récent coup d’État et qui a donné l’ordre d’y
mettre le feu. Deux de ses subordonnés de l’époque sont devenus célèbres
le même jour : le général Augusto Pinochet, président de la junte
militaire, et le général Javier Palacios, qui a participé à la dernière
échauffourée contre Salvador Allende. Le général de brigade aérienne
Sergio Figueroa Gutiérrez, actuel ministre des travaux publics, et ami
proche d’un autre membre de la junte militaire, le général d’aviation
Gustavo Leigh, qui a donné l’ordre de bombarder le palais présidentiel à
l’aide de roquettes, était également présent à la table. Le dernier
invité était l ’actuel amiral Arturo Troncoso, aujourd’hui gouverneur
naval de Valparaíso, qui a procédé à la purge sanglante des officiers
progressistes de la marine et a déclenché le soulèvement militaire aux
premières heures du 11 septembre.
Ce
dîner historique fut le premier contact du Pentagone avec les officiers
des quatre armes chiliennes. Au cours d’autres réunions successives,
tant à Washington qu’à Santiago, il a été convenu que les militaires
chiliens les plus dévoués à l’âme et aux intérêts des États-Unis
prendraient le pouvoir en cas de victoire de l’Unité Populaire aux
élections. Ils l’ont planifié à froid, comme une simple opération de
guerre, et sans tenir compte des conditions réelles au Chili.
Aunque
escrito hace tiempo, el presente texto no pierde validez ya que explica
con sencillez y claridad, sobre todo a las jóvenes generaciones, la
caída del Gobierno Allende, y señala a los ejecutores directos e
indirectos del golpe de Estado.
A
fines de 1969, tres generales del Pentágono cenaron con cuatro
militares chilenos en una casa de los suburbios de Washington. El
anfitrión era el entonces coronel Gerardo López Angulo, agregado aéreo
de la misión militar de Chile en los Estados Unidos, y los invitados
chilenos eran sus colegas de las otras armas. La cena era en honor del
Director de la escuela de Aviación de Chile, general Toro Mazote, quien
había llegado el día anterior para una visita de estudio.
Los
siete militares comieron ensalada de frutas y asado de ternera con
guisantes, bebieron los vinos de corazón tibio de la remota patria del
sur donde había pájaros luminosos en las playas mientras Washington
naufragaba en la nieve, y hablaron en inglés de lo único que parecía
interesar a los chilenos en aquellos tiempo: las elecciones
presidenciales del próximo septiembre.
A
los postres, uno de los generales del Pentágono preguntó qué haría el
ejército de Chile si el candidato de la izquierda Salvador Allende
ganaba las elecciones. El general Toro Mazote contestó:
«Nos tomaremos el palacio de la Moneda en media hora, aunque tengamos que incendiarlo»
Uno
de los invitados era el general Ernesto Baeza actual director de la
Seguridad Nacional de Chile, que fue quien dirigió el asalto al palacio
presidencial en el golpe reciente, y quien dio la orden de incendiarlo.
Dos de sus subalternos de aquellos días se hicieron célebres en la misma
jornada: el general Augusto Pinochet, presidente de la Junta Militar, y
el general Javier Palacios, que participó en la refriega final contra
Salvador Allende.
También
se encontraba en la mesa el general de brigada aérea Sergio Figueroa
Gutiérrez, actual ministro de obras públicas, y amigo íntimo de otro
miembro de la Junta Militar, el general del aire Gustavo Leigh, que dio
la orden de bombardear con cohetes el palacio presidencial.
El
último invitado era el actual almirante Arturo Troncoso, ahora
gobernador naval de Valparaíso, que hizo la purga sangrienta de la
oficialidad progresista de la marina de guerra, e inició el alzamiento
militar en la madrugada del once de septiembre.
Aquella
cena histórica fue el primer contacto del Pentágono con oficiales de
las cuatro armas chilenas. En otras reuniones sucesivas, tanto en
Washington como en Santiago, se llegó al acuerdo final de que los
militares chilenos más adictos al alma y a los intereses de los Estados
Unidos se tomarían el poder en caso de que la Unidad Popular ganara las
elecciones. Lo planearon en frío, como una simple operación de guerra, y
sin tomar en cuenta las condiciones reales de Chile.
El
plan estaba elaborado desde antes, y no sólo como consecuencia de las
presiones de la International Telegraph & Telephone (I.T.T), sino
por razones mucho más profundas de política mundial. Su nombre era
«Contingency Plan». El organismo que la puso en marcha fue la Defense
Intelligence Agency del Pentágono, pero la encargada de su ejecución fue
la Naval Intelligency Agency, que centralizó y procesó los datos de las
otras agencias, inclusive la CIA, bajo la dirección política superior
del Consejo Nacional de Seguridad.
Era
normal que el proyecto se encomendara a la marina, y no al ejército,
porque el golpe de Chile debía coincidir con la Operación Unitas, que
son las maniobras conjuntas de unidades norteamericanas y chilenas en el
Pacífico. Estas maniobras se llevaban a cabo en septiembre, el mismo
mes de las elecciones y resultaba natural que hubiera en la tierra y en
el cielo chilenos toda clase de aparatos de guerra y de hombres
adiestrados en las artes y las ciencias de la muerte.
Por
esa época, Henry Kissinger dijo en privado a un grupo de chilenos: “No
me interesa ni sé nada del Sur del Mundo, desde los Pirineos hacia
abajo”. El Contingency Plan estaba entonces terminado hasta su último
detalle, y es imposible pensar que Kissinger no estuviera al corriente
de eso, y que no lo estuviera el propio presidente Nixon.
La filósofa Fernanda Navarro
recuerda los tres años que acompañó a la profesora y activista en su misión
Luego de la muerte de Salvador
Allende, su esposa, Hortensia Bussi, viajó por el mundo representando al
mandatario chileno, fallecido durante la asonada militar de 1973. Ella persiste
en la historia de América Latina y el mundo por su fidelidad a su causa
democrática y pacífica. Así lo relata la filósofa Fernanda Navarro, quien
durante tres años acompañó en esa misión a quien también fuera profesora y
activista.
El primer destino de Bussi, luego
de aquel fatídico 11 de septiembre, fue Estados Unidos, la nación que estuvo
vinculada a los golpistas chilenos. Navarro dijo a La Jornada que ese
viaje aparentemente fue una contradicción, pues se trataba del país enemigo.
Ahí la traduje al inglés y vimos a la maravillosa mujer que es Angela Davis.
Fernanda Navarro (Ciudad de
México, 1941) asegura que Allende, ese hombre tan cabal, sigue vivo porque a
estas personas no logran matarlas. Estarán vivas no en la metafísica, sino en
la historia que registra la verdad de todos los países en el mundo.
La escritora describió a
Hortensia Bussi (Valparaíso, Chile, 1914-2009) como “una mujerona. Nunca se
puso a llorar en un rincón ni a decir ‘no puedo más’. Roto el corazón por su
amor, Salvador Allende, fue por el mundo representándolo a él y a su causa”.
En esa lid, continuó Navarro,
ella mostró una gran “dignidad que se veía en su andar. Nunca fue con la cabeza
baja ni dijo ‘pobre de mí’, en cambio, asumió el ‘yo represento a mi Chile’,
con autenticidad. Nunca pretendió ser lo que no era, pero valía oro por ser tal
como era.
Berlín,
RDA, 19 de octubre de 1975: Hortensia Bussi (izq.) y Angela Davis son recibidas
por Ilse Thiele, presidenta de la Liga Democrática de Mujeres de Alemania, en
el Congreso Mundial de la Federación Democrática Internacional de Mujeres con
motivo del Año Internacional de la Mujer.
Hortensia siempre estuvo a la
altura de sí misma. La admiré siempre y a veces tuvimos que dormir en el mismo
cuarto cuando viajábamos. Ella no hablaba otros idiomas, pero sí desde su
corazón y yo podía traducirle todo. Me enriqueció tanto su cercanía, que no hay
alfabeto para describirlo.
Fernanda Navarro, doctora en
filosofía por la Universidad Nacional Autónoma de México, aprendió inglés,
francés, ruso y alemán. Colaboró con el filósofo británico Bertrand Russell y
fue cercana al poeta español León Felipe, al teórico francés Louis Althusser y
al escritor José Revueltas. Fue pareja del también pensador y activista Luis
Villoro.
Es reconocida por su trayectoria
académica y su compromiso con los movimientos sociales, como el zapatismo. Ha
contribuido al desarrollo de la filosofía y del pensamiento crítico, por
ejemplo, en su obra Filosofía y marxismo: entrevista a Louis Althusser,
además de que dio clases de filosofía maya en la UNAM.
La intelectual recordó que cuando
se enteró del arribo al poder del gobierno de la Unidad Popular viajó a finales
de 1970 a Chile para conocer de primera mano ese proceso, al que describió como
una posibilidad de humanismo, un paso adelante por la vía pacífica. Cinco
partidos, hasta la izquierda cristiana. Nunca había visto eso, y colaboró con
la Editorial Nacional Quimantú.
Navarro salió del país tras el
golpe de Estado, en el avión mexicano que también trajo a México a la viuda de
Allende. La filósofa recordó que “por aras del destino y gracias a que estudié
muchas lenguas fui su traductora, me adoptó. Me dijo ‘ayúdame’, porque llegando
a México había periodistas de todo el mundo. De ahí me llevó consigo tres años
a Europa y más allá”.
Navarro se encontró con Hortensia
Bussi poco antes de que ésta regresara a Chile, siempre fiel a lo que su patria
le significaba.
I never knew how my
father managed to give us so much with his modest salary as a bakery worker.
In this so much
the readings and the trips occupied a place of privilege. My old man collected
for decades the sports magazines Estadio (Santiago), El Gráfico
(Buenos Aires) and others, and every week he bought us kilos of comics, short
stories and various books. My mother read novels and El Fausto, a weekly
magazine for ladies that brought serial romantic stories. That’s where my love
for books comes from, from the encouragement of a father who didn’t finish the
third year of elementary school but loved reading.
The trips always
had the same destination: the archipelago of Chiloé, more precisely Achao, on
the island of Quinchao. Getting there in those days -the fifties- was an
unforgettable adventure.
From San Fernando
to Puerto Montt you traveled in an old train pulled by a sloppy locomotive,
operated by the tiznados [sooties], workers of the State Railroad
Company, so called because their faces bore the indelible mark of coal.
The train moved
with a delightful and gentle slowness. It took no less than 14 hours to cover
the 700 km, not counting the numerous stops in the provincial capitals. If you
opened a window you were liable to get a particle of coal in the eye. From time
to time a man in a white jacket, very formal, would pass by and offer you
something to drink and eat: the service was impeccable but too expensive for
our meager purse.
In Puerto Montt you
spent the half night in a lodge, until early the next morning when the steamer
sailed to the island of Quinchao.
In Achao there was
(and still isn’t) neither harbour nor wharf: you would have to disembark in the
middle of the ocean going down a narrow stairway, located on the sides of the
steamer, to the rowing boats that came to pick you up and to which you jumped
risking diving into the icy waters of the South Pacific along with your
suitcases, bags and various bundles.
When you reached
the beach of Achao you took off your shoes, rolled up your pants, and jumped
into the water. That’s how you arrived, walking, to your destination. There was
Luis Soto Romero, my grandfather, mayor of the town, who practiced his trade.
My father, teasingly, had nicknamed him the Cacique.
My grandfather had
been a practitioner in the army. In Achao, as a civilian, he was a nurse,
midwife, minor surgeon, public authority, spokesman, justice of the peace... in
short, a cacique.
My grandfather was
a socialist, one of those of that time, not to be confused with those of today:
my grandfather never had any sinecure, nor did he ever create any foundation.
He rather gave than received. Would it surprise you to know that he was a
friend and comrade of a certain Salvador Allende?
Non ho mai saputo come
mio padre riuscisse a darci così tanto con il suo modesto stipendio di operaio panettiere.
La lettura e i viaggi
erano al primo posto di quel tanto. Per decenni mio padre ha
collezionato le riviste sportive Estadio (Santiago), El Gráfico
(Buenos Aires) e altre, e ogni settimana ci comprava chili di fumetti, racconti
e libri vari. Mia madre leggeva romanzi e El Fausto, un settimanale per
signore che riportava racconti romantici a puntate. Ecco da dove viene il mio
amore per i libri, dall’incoraggiamento di un padre che non aveva finito il
terzo anno di scuola elementare, ma che amava leggere.
I viaggi avevano
sempre la stessa meta: l’arcipelago di Chiloé, più precisamente Achao, sull’isola
di Quinchao. Arrivarci a quei tempi - gli anni Cinquanta - era un’avventura
indimenticabile.
Da San Fernando a
Puerto Montt si viaggiava su un vecchio treno trainato da una locomotiva trasandata,
manovrata dai tiznados [i fuligginosi], i lavoratori dell’Impresa
di Ferrovie dello Stato, così chiamati perché i loro volti portavano il segno
indelebile del carbone.
Il treno si muoveva
con una piacevole e dolce lentezza. Ci volevano non meno di 14 ore per coprire
i 700 km, senza contare le numerose fermate nei capoluoghi di provincia. Se si
apriva un finestrino si rischiava di ricevere una scoria di carbone negli
occhi. Di tanto in tanto, un uomo in giacca bianca e molto formale passava e ti
offriva qualcosa da bere e da mangiare: il servizio era impeccabile, ma troppo
caro per le nostre magre borse.
A Puerto Montt si
passava la mezza notte in una locanda, fino alle prime ore del mattino
successivo, quando il vaporetto salpava per l’isola di Quinchao.
Ad Achao non c’era (e ancora
non c’è) né porto né molo di attracco: si sbarcava in mezzo all’oceano scendendo
una stretta scala, situata sui fianchi del piroscafo, fino alle barche a remi
che venivano a prenderti e sulle quali si saltava, rischiando di precipitare
nelle gelide acque del Pacifico meridionale insieme a valigie, borse e fascine
varie.
Quando si arrivava
alla spiaggia di Achao ci si toglieva le scarpe, si arrotolavano i pantaloni e
ci si tuffava in acqua. Così si arrivava, camminando, a destinazione. C’era
Luis Soto Romero, mio nonno, sindaco del paese, che esercitava la sua pratica.
Mio padre, scherzando, lo aveva soprannominato il Cacique.
Mio nonno era stato praticante
nell’esercito. Ad Achao, da civile, era infermiere, ostetrico, chirurgo in
chirurgia minore, autorità pubblica, portavoce, giudice di pace... insomma, un cacique.
Mio nonno era un
socialista, uno di quelli di allora, da non confondere con quelli di oggi: mio
nonno non ha mai avuto alcun canonicato, né ha mai creato alcuna fondazione. Vi
sorprenderebbe sapere che era amico e compagno di un certo Salvador Allende?
Je n’ai jamais su comment mon
père parvenait à nous donner autant avec son modeste salaire d’ouvrier
boulanger.
La lecture et les voyages
occupaient une place de choix dans cet autant. Pendant des décennies,
mon père a collectionné les revues sportives Estadio (Santiago), El
Gráfico (Buenos Aires) et autres, et chaque semaine, il nous achetait des
kilos de bandes dessinées, de nouvelles et de livres divers. Ma mère lisait des
romans et El Fausto, un hebdomadaire pour dames qui proposait des
histoires romantiques en feuilletons. C’est de là que vient mon amour pour les
livres, de l’encouragement d’un père qui n’a pas terminé la troisième année d’école
primaire, mais qui aimait lire.
Les voyages avaient toujours
la même destination : l’archipel de Chiloé, plus précisément Achao, sur l’île
de Quinchao. S’y rendre à l’époque - les années cinquante - était une aventure
inoubliable.
De San Fernando à Puerto
Montt, on voyageait dans un vieux train tiré par une locomotive déglinguée,
manœuvrée par les tiznados [gueules noires], les travailleurs de l’Entreprise
de Chemins de fer de l’État, ainsi appelés parce que leurs visages portaient la
marque indélébile du charbon.
Le train avançait avec une
lenteur délectable et charmante. Il ne fallait pas moins de 14 heures pour
parcourir les 700 km, sans compter les nombreux arrêts dans les capitales
provinciales. En ouvrant une fenêtre, on risquait de recevoir une escarbille de
charbon dans l’œil. De temps en temps, un monsieur en veste blanche passait et
vous offrait à boire et à manger : le service était impeccable, mais trop cher
pour notre maigre bourse.
À Puerto Montt, on passait la
moitié de la nuit dans une auberge, jusqu’à ce que, tôt le lendemain matin, le
bateau à vapeur appareille pour l’île de Quinchao.
À Achao, il n’y avait (il n’y
a toujours pas) ni port ni jetée d’accostage : au milieu de l’océan, on débarquait en
descendant une échelle étroite, située sur les côtés du vapeur, jusqu’aux
chaloupes qui venaient vous chercher et dans lesquelles on sautait, au risque
de plonger dans les eaux glacées du Pacifique Sud avec ses valises, ses sacs et
ses divers fagots.
Arrivés sur la plage d’Achao,
vous enleviez vos chaussures, retroussiez vos pantalons et sautiez à l’eau. C’est
ainsi que l’on arrivait, à pieds, à destination. Et là il y avait Luis Soto
Romero, mon grand-père, maire de la ville, qui exerçait son métier. Mon père,
en plaisantant, l’avait surnommé le Cacique.
Mon grand-père avait été
praticien dans l’armée. À Achao, dans le civil, il était infirmier, sage-femme,
chirurgien en petite chirurgie, autorité publique, porte-parole, juge de
paix... bref, cacique.
Mon grand-père était un
socialiste, un de ceux de l’époque, à ne pas confondre avec ceux d’aujourd’hui
: mon grand-père n’a jamais eu de sinécure, ni créé de fondation, il donnait
plus qu’il ne recevait. Cela vous surprendrait-il de savoir qu’il était l’ami
et le compagnon d’un certain Salvador Allende ?
Nunca supe cómo se las arreglaba mi padre
para darnos tanto con su modesto salario de trabajador de la panificación.
En el tanto ocuparon un lugar de
privilegio las lecturas y los viajes. Mi viejo coleccionó durante décadas las
revistas deportivas Estadio (Santiago), El Gráfico (Buenos Aires)
y aún otras, y cada semana nos compraba kilos de historietas, cuentos y libros
varios. Mi madre leía novelas y El Fausto, un semanario para señoras que
traía románticas historias por capítulos. De ahí viene mi amor por los libros,
del estímulo de un padre que no terminó el tercer año de la escuela primaria,
pero amaba la lectura.
Los viajes siempre tuvieron el mismo
destino: el archipiélago de Chiloé, más precisamente Achao, en la isla de
Quinchao. Llegar allí en esa época, -los años cincuenta-, era unaaventura inolvidable.
De San Fernando a Puerto Montt viajabas en
un viejo tren tirado por una locomotora perdularia, operada por los tiznados,
trabajadores de la Empresa de Ferrocarriles del Estado, así llamados porque sus
rostros llevaban la marca indeleble del carbón.
El tren circulaba con una deleitosa y
amable lentitud. Cubrir los 700 km le llevaba no menos de 14 horas, sin contar
las numerosas paradas en las capitales provinciales. Si abrías una ventanilla
eras candidato a recibir una partícula de carbón en un ojo. De vez en cuando
pasaba un señor, de chaqueta blanca y muy formal, que te proponía algo de beber
y de comer: el servicio era impecable pero demasiado caro para nuestro exiguo
bolsillo.
En Puerto Montt medio pernoctabas en alguna
posada, hasta la temprana hora del día siguiente en que zarpaba el vapor
que te llevaba frente a la isla de Quinchao.
En Achao no había (aún no hay) ni puerto ni
molo de abrigo: en medio del océano desembarcabas bajando por una estrecha
escalerilla, situada en los flancos del vapor, hasta las lanchas a remo
que venían a recogerte y a las cuales saltabas arriesgando zambullirte en las
heladas aguas del Pacífico Sur junto a tus maletas, bolsos y mariconadas
varias.
Al llegar a la playa de Achao te quitabas
los zapatos, arremangabas tus pantalones, y saltabas al agua. Así llegabas,
caminando, a tu destino. Allí estaba Luis Soto Romero, mi abuelo, alcalde del
pueblo, practicante de su oficio. Mi padre, cachondeándose, lo había apodado el
Cacique.
Mi abuelo había sido practicante en el
ejército. En Achao, ya civil, hacía de todo, enfermero, partero, cirujano de
cirugía menor, autoridad pública, portavoz, juez de paz... en fin, de cacique.
Mi abuelo era socialista, de los de aquella
época, no confundas ese género con los de ahora: mi abuelo nunca tuvo ninguna
canonjía, ni creó jamás Fundación alguna. Él más bien daba que recibía. ¿Te
sorprendería saber que era amigo y compañero de un tal Salvador Allende?
Qu'est-ce qui pourrait empêcher la
nation chilienne de recouvrer ses libertés et ses droits les plus fondamentaux
? L'approbation de la nouvelle Constitution est une porte ouverte sur
l'avenir...
« Les empereurs romains n’oubliaient
surtout pas de prendre le titre de Tribun du peuple, parce que cet office était
tenu pour saint et sacré ; établi pour la défense et la protection du peuple,
il jouissait d’une haute faveur dans l’État. Ils s’assuraient par ce moyen que
le peuple se fierait mieux à eux, comme s’il lui suffisait d’entendre ce nom,
sans avoir besoin d’en sentir les effets. Mais ils ne font guère mieux ceux
d’aujourd’hui qui, avant de commettre leurs crimes les plus graves, les font
toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien public et le
soulagement des malheureux. On connaît la formule dont ils font si finement
usage ; mais peut-on parler de finesse là où il y a tant d’impudence ?»
Étienne de la Boétie a écrit son célèbre texte alors qu'il
avait à peine 16 ans. Sa réflexion récurrente porte sur une question très
simple : comment se fait-il que des millions d'êtres humains se laissent
assujettir et asservir sans même chercher à retrouver leur liberté ?
L'auteur souligne que n’importe quel animal capturé vit sa
captivité comme un malheur et dans de nombreux cas préfère mourir plutôt que de
perdre sa liberté. D’après Étienne de la Boétie, la réaction des êtres humains
est souvent très différente :
« Il est
incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans
un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour
la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir
qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.»
Je suis convaincu que le peuple chilien ne souscrit pas à ce
comportement malheureux. Au contraire, je retiens la leçon d'Etienne de la
Boétie lui-même :
« Tant qu'un peuple est contraint d'obéir et qu'il obéit, il se porte bien ; mais
dès qu'il peut secouer le joug et qu'il le fait, il se porte encore mieux...».
Salvador Allende a dit la même chose le jour funeste du 11
septembre 1973 : « Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier. Le Peuple
ne doit pas se laisser écraser ni attaquer, mais ne doit pas non plus se
laisser humilier. (…) Sachez que, plus tôt
qu’on ne croit, les grandes avenues par où l’homme libre passera pour
construire une société meilleure seront à nouveau dégagées. »
Quatre siècles séparent l’exploit du Camarade Président de
l'œuvre de ce brillant adolescent qui avertissait l'humanité du danger qu'elle
encourt en normalisant l'esclavage et à l'absence de droits.
Dans le Chili d'aujourd'hui, on assiste malheureusement à la
prolifération d'une caste très encline à la servitude, qui se déclareavec
enthousiasme partisane du joug de la Constitution imposée en dictature, une loi
maudite qui depuis 42 ans, prive le peuple chilien de ses droits civiques, le
transformant en objet de prédation d'une poignée d'oligarques.