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02/04/2024

REBECCA RUTH GOULD
“Nouvel antisémitisme” : ces mots qui tuent
Comment le mythe du “Juif collectif” protège Israël des critiques : un livre d’Antony Lerman


Rebecca Ruth Gould, deterritorialization,  30/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans Whatever Happened to Antisemitism ? Redefinition and the Myth of the ‘Collective Jew’ [Qu’est-il advenu de l’antisémitisme ? La redéfinition et le mythe du “Juif collectif”](Pluto Books, 2022), Antony Lerman examine ce qui est arrivé à l’antisémitisme au cours des cinq dernières décennies. Comment l’effort de définition de l’antisémitisme s’est-il aligné sur la réduction au silence des discours critiques à l’égard d’Israël ? L’histoire est complexe et n’a jamais été racontée avec autant de détails et de profondeur que dans ce livre.

Lerman écrit en tant que figure centrale des débats sur l’antisémitisme. En plus d’être un observateur de longue date de la lutte contre l’antisémitisme, il a également participé à l’élaboration de cette histoire. Il a été directeur de l’Institut des affaires juives* à partir de 1991, et c’est à ce titre qu’il a fondé le rapport mondial sur l’antisémitisme, qui a été publié de 1992 à 1998.

 
Anthony Lerman, lors d’une présentation de son livre au Musée juif de Hohenems, en Autriche, en novembre 2022

Lerman décrit et documente les pressions intenses qu’il a subies pour aligner le programme de recherche de son institut sur le projet d’étude de l’antisémitisme de l’université de Tel-Aviv, financé par le Mossad. En fin de compte, le refus de Lerman de s’aligner sur les objectifs sionistes et pro-israéliens des organisations israéliennes et usaméricaines a fait de lui la cible d’attaques de la part de l’establishment. Il a décidé de démissionner de son poste en 2009, afin d’écrire de manière indépendante sur le sujet de l’antisémitisme, libre de toute contrainte institutionnelle.

S’appuyant sur des décennies de recherches empiriques approfondies, Lerman nous guide de manière experte à travers les nombreux changements qui ont eu lieu dans la signification de l’antisémitisme au cours des dernières décennies. Comme il le souligne, même si l’attention du monde s’est déplacée vers le soi-disant « nouvel antisémitisme" »centré sur la critique d’Israël, le « nouvel antisémitisme » n’a pas remplacé l’ancien antisémitisme, qui prospère même à une époque où la quasi-totalité de la censure se concentre sur le « nouvel antisémitisme ».

Lerman rejoint d’autres chercheurs, tels que la théoricienne critique interdisciplinaire Esther Romeyn, pour considérer le nouvel antisémitisme comme « un champ de gouvernance transnational" »qui est « contrôlé par des “acteurs” institutionnels et humains ». Ces acteurs comprennent les Nations unies, l’UNESCO, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la Commission européenne, diverses institutions communautaires, ainsi qu’une foule de politiciens et d’experts en la matière. Ces organisations « définissent, inventent des outils et des technologies de mesure, analysent, formulent des déclarations politiques et des programmes, et élaborent des “interventions” pour traiter et corriger » ce qu’elles considèrent comme le “nouvel antisémitisme”, qu’elles confondent souvent avec l’antisionisme et les critiques à l’égard d’Israël.

En d’autres termes, le discours qui mobilise les sociétés contre le “nouvel antisémitisme” est un outil de gouvernance, et pas seulement - ni même principalement - une praxis antiraciste. Cet outil de gouvernance s’est avéré de plus en plus utile aux États occidentaux ces dernières années dans leurs efforts pour réprimer le discours et l’activisme propalestiniens.

Une perspective historique

En expliquant comment le vieil antisémitisme a été reconfiguré en “nouvel antisémitisme” dans l’imaginaire politique des États et des institutions d’Europe et d’Amérique du Nord, Lerman identifie le 11 septembre comme le tournant décisif. Le 11 septembre marque également un tournant dramatique dans la guerre contre le terrorisme. À partir de ce moment, les attaques disproportionnées menées par les grandes puissances mondiales contre l’Afghanistan, l’Irak, le Xinjiang, le Cachemire et maintenant Gaza ont commencé à être considérées comme nécessaires et acceptables pour le maintien de l’ordre mondial.

Au moment même où l’antisémitisme était redéfini pour englober la critique d’un État-nation spécifique - Israël - les plus grandes puissances militaires du monde affirmaient leur droit à se défendre contre les insurgés terroristes et d’autres acteurs non étatiques sans tenir compte de la proportionnalité. Cette intersection entre la guerre et le discours politique sur l’antisémitisme est révélatrice car, comme l’affirme Lerman de manière lapidaire, « On ne peut pas faire la guerre à une abstraction ».

Les sections historiques (chapitres 3, 5 et 7) comptent parmi les parties les plus convaincantes de l’ouvrage. Elles documentent les défis lancés à l’État d’Israël et à l’idéologie politique du sionisme à l’ONU, ainsi que les institutions qui se sont développées en réponse à ces défis entre les années 1970 et 2000. L’un des principaux enseignements de la trajectoire historique esquissée par Lerman est que le “nouvel antisémitisme” n’est pas aussi nouveau que nous l’imaginons généralement. La tendance à confondre les critiques de gauche à l’égard d’Israël avec l’antisémitisme peut être observée dans les déclarations de responsables israéliens datant des années 1970.

En 1975, les Nations unies ont adopté la résolution 3379, qui qualifie le sionisme de « forme de racisme et de discrimination raciale ». Pourtant, dès 1973, le ministre israélien des Affaires étrangères, Abba Eban, avait perçu le sens de la marche et s’était rendu compte de l’hostilité des pays du Sud et de certains courants de gauche à l’égard d’Israël. « La nouvelle gauche est l’auteur et le géniteur du nouvel antisémitisme », affirmait Eban. Se projetant dans l’avenir, Eban ajoutait que « l’une des tâches principales de tout dialogue avec le monde des Gentils [goyim, non-juifs] est de prouver que la distinction entre l’antisémitisme et l’antisionisme n’est pas une distinction du tout ». Dans cette première déclaration, nous pouvons discerner l’idée maîtresse des débats sur l’antisémitisme qui allaient consumer les institutions communautaires et politiques juives jusqu’à aujourd’hui.

Bien que le livre de Lerman soit aujourd’hui l’étude définitive sur le sujet, il est nécessaire de signaler quelques erreurs de typographie et de translittération. Par exemple, il est impossible de savoir où commence une citation de Romeyn à la page 9 (paragraphe quatre). Plus important encore, nakba est mal orthographié en tant que naqba à la page 3. Espérons que les éditeurs procéderont à une relecture approfondie pour la prochaine édition.

Une prochaine édition sera certainement nécessaire. Les controverses autour de l’antisémitisme en relation avec Israël-Palestine, documentées dans ce livre historique, sont susceptibles de s’intensifier dans un avenir prévisible, alors que la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza se poursuit et que la menace d’un nettoyage ethnique plane sur la Cisjordanie. Nous devrions également être reconnaissants à Lerman d’avoir un livre objectif, fondé sur des principes et érudit pour nous guider à travers ces désastres.

*NdT : fondé en 1941 à New York sous les auspices du Congrès Juif Mondial, l’Institute of Jewish Affairs a déménagé à Londres en 1965 et a été renommé Institute for Jewish Policy Research en 1996

Pour lutter contre le racisme, nous avons besoin d’une approche matérialiste

Sur la politique de définition de l’antisémitisme - et de résistance à l’antisémitisme

Rebecca Ruth Gould, ILLUMINATION-Curated, 20 février 2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pendant la première Intifada (1987-1993), l’artiste palestinien Sliman Mansour a commencé à dépeindre l’érosion des frontières de la Palestine par l’occupation militaire israélienne.

Les artistes palestiniens étaient engagés dans un boycott des produits israéliens, et Mansour n’avait accès qu’aux matériaux locaux qui pouvaient être obtenus sans commerce avec Israël : bois, cuir, boue, henné, teintures naturelles et objets trouvés.

À partir d’un mélange de bois, de boue et de teintures naturelles, il a produit une image tridimensionnelle de la Palestine, qu’il a appelée "Shrinking Object" (objet qui rétrécit). Vu en trois dimensions, le cadre de Mansour s’agrandit à mesure que la Palestine s’éloigne du champ de vision.

 

Shrinking Object ( (شئ متقلص), boue sur bois, 1996 , par Sliman Mansour

Bien qu’elle ait été créée en 1996, l’image d’une Palestine qui se rétrécit est encore plus prégnante aujourd’hui. Au cours des décennies écoulées, les frontières de la Palestine ont encore reculé. Elles ont été recouvertes par des centaines de colonies israéliennes qui ont effectivement effacé la frontière entre la Palestine et Israël et rendu obsolète le concept d’une solution à deux États.

J’ai choisi “Shrinking Object” comme couverture de mon livre, Erasing Palestine. L’image illustre parfaitement le parallèle entre l’effacement des terres palestiniennes par l’expansion du régime de colonisation et la réduction au silence de l’activisme palestinien en Europe et en Amérique du Nord.

03/06/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Est-ce que critiquer l’État d’Israël, c’est de l’antisémitisme ?
Argentine : Wolff contre Pietragalla

Luis E. Sabini Fernández, uy.press, 1/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis que l’IHRA a redéfini l’antisémitisme non plus comme un rejet de la judéité en soi, mais comme un rejet de l’israélité, le monde a connu une vague d’accusations d’antisémitisme d’une ampleur sans précédent.


Carlos Latuff

En Argentine, la dernière péripétie en date de cette vague a été la plainte judiciaire de Waldo Wolff contre Horacio Pietragalla. Il s’agit respectivement du secrétaire aux Affaires publiques de la ville autonome de Buenos Aires [membre de la coalition macriste Cambiemos]  et du secrétaire aux Droits humains  du gouvernement Fernández-Kirchner [Frente de Todos, péroniste], et la plainte a été déposée en ce même mois de mai 2023.

Wolff (à g.) et Pietragalla

Nous craignons que, bien que l’IHRA doive être considérée comme connue urbi et orbi, il vaille la peine de décrire ce qui se cache derrière ce sigle, qui, nous l’imaginons, ne sera connu que d’une poignée de personnes.

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste est une organisation fondée en 1998. Un retard considérable, si l’on considère qu’elle invoque ce qui s’est passé pendant l’ère nazie, plus d’un demi-siècle auparavant.

Il est également remarquable de constater que la “solution finale” mise en œuvre par les nazis en 1942 a été “socialisée” sous le nom d’“Holocauste”, non pas en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme on pourrait l’imaginer, mais lorsque Hollywood a produit un matériel cinématographique qui a sensibilisé les foules. En 1978, avec la série Holocauste[1]. Deux aspects de la question ont été médiatisés : un univers concentrationnaire avec la mort comme protagoniste et sa désignation même.

Pourquoi a-t-il fallu plus de trois décennies pour généraliser une désignation dont “les faits historiques présentés” nous laissent penser qu’elle était immédiate ?

Et pourquoi a-t-il fallu attendre au total plus d’un demi-siècle (1945-1998) pour mettre en place une institution se référant à un événement aussi clair ?

On ne va pas croire que c’est par manque de moyens financiers ou de soutien médiatique. Si l’on a pu constater quelque chose lors des procès de Nuremberg en 1945 (pas le congrès nazi de 1935 dans la même ville, mais ceux du tribunal mis en place par les puissances victorieuses à la fin de la Seconde Guerre mondiale), c’est que tout a été orchestré sans difficulté et que sa structure administrative était tenue par des juifs. Ce qui amena des membres de l’armée usaméricaine, à remarquer, lors des sessions du procès, qu’une telle entreprise, bien que louable et compréhensible, nuisait à la crédibilité des instances du procès et qu’il aurait été préférable de laisser certains domaines couverts par du personnel d’origine différente afin de donner plus de respectabilité à ce qui avait été réalisé.

De 1945 à une bonne partie des années 1970, la vision des vicissitudes vécues par les juifs, les Rroms, les homosexuels, les socialistes, les chrétiens, les communistes et les anarchistes sous le Troisième Reich a fait l’objet de diverses descriptions, dont l’une était l’Holocauste.[2] Après la Seconde Guerre mondiale, l’un des qualificatifs les plus utilisés, pour tenter d’être à la hauteur de l’ampleur des dégâts, fut celui de génocide.

Au-delà des descriptions de ce qui s’est passé pendant le Reich nazi et dans ses camps de concentration, l’IHRA innove en élargissant la notion d’antisémitisme à Israël.

Il convient de revoir la caractérisation de l’antisémitisme par l’IHRA :

-             L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut s’exprimer par la haine des Juifs ;

-             les manifestations physiques et rhétoriques de l’antisémitisme sont dirigées contre des personnes juives ou non juives et/ou leurs biens ;

-             Les manifestations peuvent inclure des attaques contre l’État d’Israël conçu comme une collectivité juive ;

-             sur le pouvoir des Juifs en tant que collectivité, par exemple, mais pas exclusivement, le mythe de la conspiration juive mondiale ou le contrôle des médias par les Juifs ;

-             de reprocher aux Juifs en tant que peuple ou à Israël en tant qu’État d’avoir inventé ou exagéré l’Holocauste ;

-             accuser les citoyens juifs d’être plus loyaux envers Israël, ou envers les priorités supposées des Juifs du monde entier, qu’envers les intérêts de leur propre pays ;

-             établir des comparaisons entre la politique actuelle d’Israël et celle des nazis ;

-             tenir les Juifs pour responsables des actions de l’État d’Israël.

Il s’agit là d’une longue énumération, certainement incomplète, de ce que l’IHRA entend dénoncer comme étant “antisémite”. Il s’agit d’un mélange qui n’aide certainement pas à clarifier les zones opaques ou les zones de conflit.

Il dénonce le fait que l’État d’Israël soit conçu comme “une collectivité juive”. Qu’est-ce qu’il est censé être d’autre : un État laïque, une association commerciale ?

Il rejette le fait que les Juifs soient considérés comme un collectif dans les médias. Mais il est clair que les trolls israéliens du journalisme travaillent ensemble.

Après un massacre de grande ampleur[3] dans la bande de Gaza par les militaires israéliens qui ont eu la sincérité ou la stupidité de la baptiser “Opération Plomb Durci” (2008-2009), ils ont presque immédiatement frappé les médias de masse avec un nouveau style d’argumentation, organisé par The Israel Project. Le Global Language Dictionary, qui s’ouvre sur “un glossaire de mots qui marchent”  (A GLOSSARY OF WORDS THAT WORK).

Il s’agit clairement d’une conception militaire de la confrontation, même si, dans cet exemple, elle s’exerce par le biais des dictionnaires (et des mots).

Dans le décalogue des interdictions que nous avons transcrit, il est nié qu’il puisse y avoir des Juifs qui soient plus loyaux envers Israël qu’envers leur pays d’origine. Qu’on le veuille ou non, il s’agit d’un phénomène assez répandu et on ne comprend pas son déni, alors qu’il s’agit même d’affaires judiciaires très médiatisées. [4]

Nous ne comprenons pas non plus d’où vient l’impossibilité de comparer des croyances racistes ou des politiques qui privilégient une ethnie par rapport à d’autres dans une société donnée, comme dans le cas d’Israël.

L’un des commandements du “décalogue” interdit de considérer que les Juifs sont responsables “des actions de l’État d’Israël”. Seront-ils donc responsables des actions du Danemark, du Sénégal ou de la Bolivie ? Et en Israël, qui sera responsable - les chiites, les bouddhistes, les catholiques, les libres penseurs ?

En bref : nous ne comprenons pas les intentions de l’IHRA. Et ce qu’elle veut et ce que nous comprenons est de mauvais augure. Une audace politique sans précédent : la politique comme impunité. Et le remplacement de l’analyse et de la critique politiques par une liste d’“interdits de penser”.

Wolff accuse Pietragalla « [...] d’avoir affirmé que l’existence d’Israël est un processus colonisateur et raciste après avoir participé officiellement à une exposition photographique rappelant la “Nakba”, l’exode massif des Palestiniens qui a suivi la création de l’État israélien ».

Wolff soutient-il qu’Israël n’ait pas eu de processus colonisateur et raciste ? Qu’est-ce que les aliyas, par exemple, et l’obligation d’intégrer les kibboutzim exclusivement avec des Juifs ? Comment cela s’appelle-t-il en espagnol ? J’ai l’impression que Pietragalla connaît mieux notre langue.

Wolff a affirmé que les déclarations du ministre « sont dirigées contre les institutions des communautés et sont donc considérées comme antisémites ». Ici, celui qui semble ne pas comprendre l’espagnol ou ignorer les causalités est l’auteur de cette approche, ou celui qui la transcrit. Nous ne comprenons pas pourquoi certaines institutions seraient “antisémites”.

Aux difficultés linguistiques du dernier défi de Wolff s’ajoute notre malaise face à sa gestion du temps : il affirme que l’on ne peut accepter ce qu’il considère comme une excuse : la sympathie de Pietragalla pour “une commémoration tardive”.

Ça veut dire quoi, commémoration tardive ?  La Nakba fait référence à la date à laquelle Israël a généralisé son Plan Dalet (15 mai 1948). Un plan à feu et à sang, qui a fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés. Pour Wolff, « il n’est pas nécessaire d’affirmer que l’existence d’Israël est un processus colonisateur et raciste » pour s’emparer par la force du territoire palestinien.

Il n’est pas nécessaire d’argumenter... parce que c’est faux ? ou parce que c’est gênant ? Et si Israël n’était pas un État colonialiste et raciste (concepts pratiquement interchangeables), comment et pourquoi la Nakba aurait-elle eu lieu ?

Wolff ne demande pas grand-chose. Il pense pouvoir détecter un kirchnérisme anti-israélien caché (peut-être exprimé alors, dans les années 1940, sous forme de péronisme) parce que l’Argentine n’a pas soutenu le rapport de l’ONU sur la question palestinienne en 1948... et qu’elle l’a fait... en 1949. D’autre part, l’Argentine “péroniste” a accueilli sur son territoire un important contingent de Juifs déplacés ou persécutés en Europe (rappelons que l’Argentine était, avant la montée du sionisme, le siège de nombreux Juifs déplacés des pays pays européens).

Bien qu’en 1948 la plupart des États dits latino-américains aient approuvé le rapport majoritaire des Nations unies, plusieurs l’ont fait, comme l’Argentine l’année suivante, la Colombie, le Chili, le Mexique, le Honduras et le Salvador, sans qu’aucune agression anti-israélienne manifeste n’ait été constatée.

En résumé, ce qui met Wolff mal à l’aise, c’est que Pietragalla se réfère à des aspects factuels et incontestables comme le fait colonial et son frère siamois, le racisme, et ne s’en tienne pas à ce à quoi le gouvernement argentin a souscrit ;[5] la reconnaissance de la définition de l’“antisémitisme” que l’Etat d’Israël et ses alliés les plus proches diffusent partout depuis quelques années, qui consiste à nier nombre des critiques “sensibles” faites à l’Etat d’Israël, de son histoire, de ses fondements, de ses budgets.

La DAIA avait également critiqué Pietragalla, pour exactement la même raison, et Wolff reprend cette remise en cause, « pour avoir criminalisé l’Etat d’Israël et délégitimé son droit à l’existence ».

Mais au-delà des épithètes et des qualifications, il est sain de s’en tenir aux faits historiques, et ceux-ci nous apprennent que les sionistes se sont emparés après une opération militaire de la quasi-totalité du territoire palestinien, ce qui ne coïncide même pas avec le découpage entrevu par l’ONU, qui était déjà très favorable à un futur État israélien, prévoyant 53% d’un territoire habité par une minorité juive. Le plan Dalet a porté la superficie du futur État juif à 78 % de la Palestine historique. En d’autres termes, le plan sioniste n’a pas tenu compte de l’offre de l’ONU et a fait “sa propre récolte” manu militari. Basé sur la souffrance des juifs aux mains du nazisme, le plan sioniste n’a pas tenu compte de l’offre de l’ONU. Les Palestiniens - musulmans, chrétiens et, au début, même juifs - se sont demandé, ainsi qu’aux “autorités” de l’ONU, pourquoi les Palestiniens devaient payer pour les “pots cassés” des conflits d’autres peuples.

Il n’y a pas eu de réponse.

Ce qui existait, en revanche, c’était la procédure “coutumière” entre vainqueurs et vaincus, et en particulier entre les peuples de seigneurs et les peuples auxquels la puissance planétaire n’accordait pas d’entité, de personnalité, de maturité. A cet égard, il est très instructif de lire les arguments des progressistes de l’ONU à la fin des années 1940 sur ce conflit.

Jorge García Granados, ambassadeur du Guatemala auprès de l’ONU et nommé juriste principal pour traiter le différend, écrit : « Les Arabes soutiennent que la Palestine a été cédée à la partie intéressée : la population du pays selon eux. Mais l’article 1 du traité de Lausanne établit la renonciation turque [... sans aucune référence aux habitants] ».

L’équipe juridique de l’ONU administrait les “biens en déshérence” que la défaite de la Turquie (et de l’Allemagne et de l’Autriche) après la Première Guerre mondiale avait laissés “libres”.

Et García Granados ne trouve aucun passage du traité entre vainqueurs et vaincus dans lequel il est établi [...] « qu’ils [les Palestiniens] sont une partie intéressée ». Et le juriste précis d’en appeler aux: « [...] principes généraux [selon lesquels] seuls les États souverains peuvent être des sujets en droit international ». [6] Il est donc clair que les Palestiniens, malgré leur lutte pour l’indépendance, leur lutte pour l’émancipation (locale ou panarabe) peuvent être ignorés. Car le droit international donne force de loi aux Etats déjà constitués (qui ne l’ont pas perdue en étant vaincus). Bref, c’est le Royaume-Uni, qui vient de céder un territoire à l’armée israélienne, ou les USA avec leur déploiement géopolitique transcontinental, qui décident.

C’est ça l’histoire. Avec des lacunes, inévitablement, mais sans interdits préalables.

Notes

[1] Basée sur un roman de Gerald Green, la mini-série “Holocauste”, réalisée par Marvin Chomsky, a été diffusée à la télévision US en avril 1978. Elle a connu un grand succès auprès du public, ce qui a incité l télévision argentine à l'acheter. Sa diffusion, annoncée pour la fin de l'année 1978, n’a eu lieu qu'en décembre 1981.[NdT]

[2]   Une appellation erronée s'il en est, puisque bibliquement, l'holocauste était l'offrande d'animaux sacrifiés par les rabbins à leur dieu.

[3]  Je fais référence aux opérations militaires d'artillerie et de bombardement dans les villes et quartiers civils palestiniens peuplés, qui ont entraîné le massacre de centaines d'enfants, par exemple, et de civils en général. Ampleur : des milliers d'êtres humains tués.

[4]  Affaire Pollard, USA, 1998. Ce n’était ni la première ni la dernière.

[5]  Le gouvernement argentin a adopté la définition de l'antisémitisme de l'IHRA en 2020, assimilant ainsi l'antisionisme à l'antisémitisme.

[6]   "Justification" dans Así nació Israel, Biblioteca Oriente, Buenos Aires, 1949.

24/01/2023

Josep Borrell : “il n’est pas approprié d’utiliser le terme «apartheid» à propos de l’État d’Israël”

Dans une réponse à une question écrite de députés européens, le vice-président de la Commission européenne a écrit qu'il est antisémite de qualifier Israël d'État d'apartheid.

Antisémitisme dans le rapport d’Amnesty International sur Israël

8.3.2022

Question avec demande de réponse écrite  E-000932/2022/rev.1
au vice-président de la Commission/haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
Article 138 du règlement intérieur
Nicola Beer (Renew), Frédérique Ries (Renew), Niclas Herbst (PPE), Lukas Mandl (PPE), Ilana Cicurel (Renew), Anna-Michelle Asimakopoulou (PPE), Dietmar Köster (S&D), Sara Skyttedal (PPE), Petras Auštrevičius (Renew), Andrey Kovatchev (PPE), Miriam Lexmann (PPE), Bert-Jan Ruissen (ECR), Ondřej Knotek (Renew), Sergey Lagodinsky (Verts/ALE)

Le 1er février 2022, Amnesty International a publié un rapport intitulé «L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne: un système cruel de domination et un crime contre l’humanité», qui allègue que l’apartheid est inhérent à la fondation de l’État d’Israël en 1948 et a été établi et perpétué par les gouvernements israéliens successifs.

1.Le vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR) considère-t-il que l’État d’Israël est un régime d’apartheid, sachant, entre autres, que la création de ce pays repose sur la résolution 181 des Nations unies, que plus de 10 % des membres de la Knesset et certains juges, y compris à la Cour suprême, sont des Arabes israéliens, et qu’un parti arabe est représenté au sein du gouvernement actuel?
2.Au regard de la définition juridiquement non contraignante de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, le VP/HR estime-t-il que ce rapport est antisémite, étant donné qu’il prétend que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste, à savoir un régime d’apartheid?
 

Réponse donnée par le haut représentant/vice-président Josep Borrell i Fontelles au nom de la Commission européenne

20.1.2023

La Commission a connaissance du rapport auquel les honorables parlementaires font référence et lui accorde l’attention voulue. En tout état de cause, la Commission estime qu’il n’est pas approprié d’utiliser le terme «apartheid» à propos de l’État d’Israël.

La Commission utilise la définition opérationnelle juridiquement non contraignante de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (définition de l’IHRA), comme outil d’orientation pratique et base de son travail pour lutter contre l’antisémitisme. L’affirmation selon laquelle l’existence d’un État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste figure parmi les exemples donnés dans la définition de l’IHRA.

L’UE et ses États membres continueront de suivre de près l’évolution de la situation sur le terrain. Le respect du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme par les acteurs étatiques et non étatiques, ainsi que la nécessité de veiller à ce que les auteurs répondent des violations commises, constituent une pierre angulaire de la paix et de la sécurité dans la région du Proche-Orient.

L’UE reste attachée à une solution négociée fondée sur la coexistence de deux États, sur la base du droit international et des frontières de 1967, avec des échanges de terres équivalents définis d'un commun accord entre les parties et avec l'État d'Israël et un État de Palestine[*] indépendant, démocratique, d'un seul tenant, souverain et viable, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité et la reconnaissance mutuelle.


[*] Cette dénomination ne saurait être interprétée comme une reconnaissance d'un État de Palestine et est sans préjudice de la position de chaque État membre sur cette question.

  NDLR Tlaxcala : notons que le camarade Borrell a mis 318 jours pour faire cette réponse, digne des meilleures écoles jésuites.