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04/06/2025

AMIR GOLDSTEIN
L’“Alliance des voyous”, L’aile fasciste du sionisme qui a adopté le salut nazi

Alors même que les Juifs cherchaient à fuir l’Allemagne, une faction extrémiste de la droite sioniste louait la montée des nazis et voyait en Ze’ev Jabotinsky le “Duce hébreu”

Amir Goldstein, Haaretz 23/52025

Amir Goldstein (1969) est historien au Tel Hai Academic College. L’article se fonde en partie sur les recherches de ceux qui ont jeté les bases de l’étude du sionisme révisionniste : Joseph Heller, Yechiam Weitz, Arye Naor, Eran Kaplan, Colin Shindler et Yaacov Shavit.

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Abba Ahiméir, fondateur et chef du groupe de jeunes juifs rebelles antibritanniques connu sous le nom de “Brit Ha’birionim” [Alliance des voyous]. Photo Ze’ev Aleksandrowicz / Institut Jabotinsky

La plate-forme la plus importante sur laquelle repose l’aile politique de la droite sioniste a été mise en place il y a 100 ans. Le 25 avril 1925, Ze’ev Jabotinsky et un groupe de Juifs d’origine russe qui épousaient des vues proches des siennes se sont réunis à Paris et ont déclaré la fondation d’un nouveau parti sioniste, connu sous le nom d’Alliance sioniste révisionniste.

Comme beaucoup d’autres mouvements politiques, Tzohar (son acronyme hébreu) était plus diversifié qu’on ne le pense généralement, tant sur le plan idéologique que sociologique. Dès la fin des années 1920 et le début des années 1930, alors que sa force ne cessait de croître, le parti a été déchiré par une lutte sur son caractère.

Un groupe, relativement modéré, considérait le révisionnisme comme un parti politique qui devait opérer au sein de l’Organisation sioniste (comme l’Organisation sioniste mondiale s’appelait alors) et s’efforcer d’unir autour de lui des groupes issus du centre politique sioniste au sens large. Selon cette approche, une activité organisationnelle systématique et l’appui sur la position éminente de Ze’ev Jabotinsky pouvaient faire du révisionnisme un élément dominant dans les rangs sionistes.

Jabotinsky lui-même adopte une approche différente. Comme les modérés, il cherche à diriger une forme de sionisme politiquement activiste, s’appuyant sur le soutien de l’Empire britannique et cherchant à fusionner un élan national résolu avec le libéralisme. Toutefois, à la différence des modérés, il s’oppose au maintien de l’Alliance au sein de l’organisation sioniste. Pour Jabotinsky, le révisionnisme est une espèce sioniste singulière et, en tant que telle, sa vocation est d’agir comme un mouvement indépendant.

Tzohar réalise une performance impressionnante au Congrès sioniste de 1931, en triplant son soutien et en obtenant plus de 20 % des délégués. Jabotinsky, cependant, n’est pas satisfait de ce résultat et est déterminé à précipiter une crise qui l’aiderait à rompre avec l’Organisation sioniste.


Ze’ev Jabotinsky. Il cherche à diriger une forme de sionisme qui s’appuie sur le soutien de l’Empire britannique. Photo : Roger-Viollet / Léopold Mercier / AFP

Il formule un projet de résolution déclarant que l’objectif du sionisme est l’établissement d’un État juif, et lorsque ce projet est rejeté, il déchire sa carte de délégué et se prépare à déclarer l’établissement d’une fédération sioniste séparée. À son grand dam, même après cet acte démonstratif, la majorité des délégués révisionnistes continue de rejeter l’idée de quitter l’Organisation sioniste.

Un troisième groupe de Tzohar, une faction maximaliste totalement opposée à la ligne modérée, a vu le jour dans les rangs de la droite en Palestine mandataire à la fin des années 1920. Ses fondateurs et dirigeants, qui étaient passés à droite du mouvement travailliste, ne voyaient pas l’intérêt pour le révisionnisme de fonctionner comme un parti d’opposition et soutenaient l’aspiration de Jabotinsky à diriger l’Organisation sioniste.

Dans le même temps, les membres les plus virulents s’opposent à Jabotinsky dans deux contextes liés : ils insistent pour que la Grande-Bretagne soit considérée comme un occupant étranger dans le pays et demandent qu’une révolte soit lancée contre les autorités du Mandat.

Ils s’opposent également à l’engagement manifeste du leader du Tzohar de contrebalancer son propre caractère national agressif par une approche libérale et humaniste. Le fascisme a envoûté ces cercles. Il leur a montré comment une force politique pouvait prendre de l’ampleur, entraîner les masses dans son sillage, prendre le contrôle des institutions d’un État, développer un régime autoritaire et vaincre les partis ouvriers.

Abba Ahiméir est l’une des personnalités du Yichouv - la communauté juive d’avant 1948 en Palestine mandataire - qui a franchi la ligne de démarcation entre la gauche et la droite. Sa répulsion à l’égard de la démocratie était déjà apparente au moment où il est passé des travaillistes au révisionnisme. Pour lui, le parlement jacassant est obsolète, tout comme le libéralisme et les droits humains, qu’il qualifie d’“indulgences”.

Ahiméir exprime explicitement son désir d’un régime tyrannique - une « dictature nationale » - et entreprend de manière démonstrative et avec détermination d’instiller le principe d’une direction fasciste dans le mouvement. Qualifiant Jabotinsky de “Duce” et de “notre Duce”, il tente dans l’un de ses articles de l’encourager, bien que son parti ne constitue qu’une minorité au sein du mouvement sioniste.

La rupture entre Jabotinsky et les maximalistes de son mouvement se produit un mois avant l’assassinat de Haim Arlosoroff.

« L’esprit du Duce ne doit pas faiblir » , écrit Ahiméir, même si « seule une poignée s’est rassemblée sous sa bannière . C’est ainsi que va le monde, la minorité doit gouverner la majorité. Elle régnera vraiment, par la force des armes ou par la force de sa foi » Il exhorte le “Duce hébraïque” à « organiser ici les quelques personnes capables de se conformer à sa discipline » et appelle à la formation d’une force efficace, baptisée « Garde nationale ».

Le groupe maximaliste est une force montante qui attire un nombre croissant de membres de la jeune génération de droite. En 1930, il bénéficie du soutien de la majorité des révisionnistes de la Palestine mandataire. Un an plus tard, ses dirigeants fondent Brit Ha’birionim (Association des Voyous), une organisation indépendante qui n’est pas subordonnée au Parti révisionniste, plus modéré. Par la suite, ils publient un journal qui exprime leurs opinions anti-establishment, nommé Ha’am, qui évolue en Hazit Ha’am (Front national).

À ce stade, d’une part, une alliance existe entre Jabotinsky et les radicaux de son mouvement, basée sur leur désir commun de provoquer le départ des révisionnistes de l’Organisation sioniste, tandis que d’autre part, les différences conceptuelles entre eux remontent à la surface. La question de l’attitude à l’égard de la Grande-Bretagne n’est pas encore au cœur de l’affrontement. La principale controverse portait en fait sur l’influence du fascisme : la droite sioniste serait-elle nationale-libérale ou nationale-intégriste, c’est-à-dire fasciste ?

En avril 1932, lors de la conférence de Tzohar à Tel Aviv, Ahiméir déclare que c’est un désastre que le sionisme « ait été éduqué et développé en accord avec le point de vue libéral ». La demande d’extraire le révisionnisme du « marécage libéral » - aujourd’hui, le terme serait « progressiste » - s’intensifie à l’approche du congrès mondial du mouvement, à l’été de cette année-là. Un certain nombre de délégués souhaitaient que l’accent soit mis sur les aspects fascistes de la droite sioniste. L’un d’entre eux, Leone Carpi, a fait un salut fasciste en entrant dans la salle, ce qui a suscité une réaction similaire de la part de certains délégués. Au cours de son discours, qui portait sur les « affinités entre le fascisme et le révisionnisme », il s’est écrié : « Messieurs, nous avons un leader qui a tout ce qu’il faut pour devenir un dictateur ».

Au congrès, Jabotinsky tente de se frayer un chemin entre les modérés et les maximalistes. Cependant, l’ambiance radicale qui règne ne lui laisse pas d’autre choix que d’émettre un message ferme : « Dans le monde d’aujourd’hui, en particulier parmi la jeune génération, le rêve d’un dictateur est devenu une épidémie. Je saisis cette occasion pour réaffirmer que je suis un ennemi implacable de ce rêve ». Il ajoute : « Je ne travaillerai jamais avec des gens qui sont prêts à subordonner leur opinion à la mienne... Je tiens absolument à la structure démocratique de notre mouvement. »

Le leader de Tzohar a pris note de la force croissante des cercles radicaux en Europe et de leur succès à attirer une partie de la jeune génération. Il souligne qu’il « méprise l’hitlérisme sous toutes ses formes ». Cependant, une demi-année plus tard, lorsque les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne, le conflit interne au sein de son mouvement s’est aggravé : les idées explicitement anti-démocratiques du maximalisme révisionniste ont désormais une nouvelle source d’inspiration.

Adolf Hitler, qui avait réussi à transformer un parti d’opposition marginal en une force montante, constituait un nouvel exemple de leadership dynamique et déterminé qui n’hésitait pas à recourir à tous les moyens et qui, par conséquent, réussissait, selon les termes de Yehoshua Heschel Yeivin, membre influent de Tzohar, à construire la « formidable nouvelle Allemagne ».

À ce stade, en 1932, l’antisémitisme nazi n’était pas perçu par Ahiméir et ses associés comme une raison suffisante pour déplorer le nazisme en tant que phénomène général. Le journal du mouvement, Hazit Ha’am, cite l’avocat Zvi Eliahu Cohen, un maximaliste : « S’il n’y avait pas l’antisémitisme d’Hitler, nous n’aurions pas d’objection à sa doctrine. Hitler a sauvé l’Allemagne ». Dans un autre article, publié quelques semaines après l’accession d’Hitler au pouvoir, le journal écrit : « Les sociaux-démocrates de tous bords pensent que le mouvement hitlérien est une coquille vide. Et nous pensons qu’il y a une coquille mais qu’il y a aussi quelque chose à l’intérieur. Il faut se débarrasser de la coquille antisémite, mais pas de l’intérieur antimarxiste ».

À l’arrière-plan, on trouve une lutte mondiale - en tout cas européenne - entre la gauche et la droite, et une confrontation parallèle, de plus en plus dure, dans les rangs sionistes et dans le Yichouv. La violence et une lutte agressive contre le Tzohar se manifestaient également au sein du mouvement travailliste. Le zèle de chaque camp alimente celui de ses rivaux. Les dirigeants de Brit Ha’birionim, observant comment la gauche avait été vaincue en Italie et en Allemagne, espéraient que le tour du révisionnisme révolutionnaire dans le sionisme était maintenant venu pour balayer dans son sillage la rue juive des notions cosmopolites et socialistes.

Jabotinsky lui-même a donné un coup de pouce à la tendance radicale. En mars 1933, frustré par son échec prolongé à persuader les modérés de son mouvement de se retirer de l’Organisation sioniste, il décide de dissoudre les institutions du parti et de s’en faire le chef suprême. Il le fait la veille de l’adoption en Allemagne de la loi d’habilitation, par laquelle Hitler subordonne le Reichstag à son gouvernement.

Les maximalistes se réjouissent de la dissolution des institutions du mouvement révisionniste, dont les positions sont modérées. Ils espèrent que Jabotinsky a enfin décidé d’adopter le principe de direction autoritaire qui était leur idéal depuis quelques années. Ahiméir déclare qu’il s’agit d’une nouvelle étape révolutionnaire dans les annales du sionisme, une étape qui caractérise les mouvements d’orientation nationale dans lesquels les cercles radicaux triomphent après avoir choisi de rompre leurs liens avec la « congrégation du mal », c’est-à-dire les cadres démocratiques défaillants. Parmi les noms prestigieux cités par Ahiméir dans l’article où il loue la démarche radicale de Jabotinsky, on trouve Mussolini et Hitler.

Le 1er mars 1933, Ahiméir est explicite dans les remarques qu’il fait lors d’une réunion à Rosh Pina du mouvement de jeunesse révisionniste, les Escadrons de mobilisation du Betar. « Nous nous trouvons dans une vaste mer de mapaïsme [en référence au parti dominant du Yichouv, dirigé par Ben-Gourion] et nous sommes influencés par lui. La tâche primordiale de notre mouvement devrait être ja, brechen ! [ce qui signifie en yiddish « oui, rompre » et fait référence à un article bien connu de Jabotinsky datant de l’année précédente] avec la gauche et l’Organisation sioniste. Les escouades du Betar ne doivent pas être un faux-semblant, mais de véritables escouades Betari qui ressembleront à celles d’Hitler, de Mussolini ou de Lénine en termes d’empressement à accomplir leur tâche ».

À cette époque, Jabotinsky encourageait un boycott résolu d’Hitler. Il s’oppose à l’accord de transfert que l’Agence juive a signé avec les représentants du gouvernement nazi, qui permet aux Juifs fuyant l’Allemagne de transférer une partie de leurs biens en Palestine. Selon lui, le raisonnement qui sous-tend cet accord constitue une grave entorse à l’idéologie démocratique révisionniste et une position intolérable à l’égard de l’intérêt juif.

Craignant que l’approche d’Ahiméir et de son camp n’inflige des dommages irréversibles à l’image de son parti, il lance un appel « pour arrêter cette folie ». Il n’hésite pas non plus à utiliser des invectives féroces pour fustiger la tendance à adopter des éléments du nazisme, les qualifiant d’“abomination”, d’“ignorance” et d’“hystérie répugnante”. Si le langage utilisé dans Hazit Ha’am par les auteurs de Brit Ha’birionim ne change pas, il avertit qu’il exigerait leur expulsion du parti et qu’il romprait ses liens personnels avec eux.


Abba Ahiméir, menotté, amené au tribunal de Jérusalem, 1933. Il est accusé d’avoir participé à l’assassinat de Haim Arlosoroff. Photo Institut Jabotinsky

La rupture entre Jabotinsky et les maximalistes de son mouvement se produit un mois avant l’assassinat de Haim Arlosoroff, un leader sioniste socialiste du Yichouv. Apparemment, les messages tranchants ont incité Ahiméir et ses associés à affirmer leur opposition au régime nazi, qui avait également commencé à prendre des mesures initiales contre les Juifs d’Allemagne. Brit Ha’birionim a organisé un certain nombre d’actions symboliques contre le consulat allemand dans le pays et a lancé une campagne, qui a parfois glissé vers l’incitation, contre l’accord de transfert et son architecte, Haim Arlosoroff. Les invectives contre Arlosoroff se poursuivent dans les jours qui précèdent son assassinat, en juin 1933, sur le bord de mer de Tel Aviv.

Ahiméir est arrêté et accusé d’être impliqué dans le meurtre. Il est jugé, ainsi que deux membres du mouvement révisionniste, Avraham Stavsky et Zvi Rosenblatt, mais tous trois sont finalement acquittés par le tribunal britannique. Néanmoins, ce meurtre a entaché le mouvement révisionniste d’une réputation permanente de fascisme et de violence politique.

L’inquiétude de Jabotinsky, exprimée quelques semaines plus tôt, concernant les dommages éventuels causés au mouvement par les louanges de Brit Ha’birionim envers le nazisme, s’était maintenant concrétisée, mais elle venait d’une autre direction. Les messages publiés dans Hazit Ha’am ont suscité la méfiance de la gauche à l’égard des militants du groupe d’Ahiméir. La conviction des dirigeants du mouvement travailliste et de nombre de ses membres que le motif du meurtre était politique était sincère, mais on ne peut ignorer que ce point de vue résultait en partie d’un désir de régler leurs propres comptes politiques.

Le printemps et l’été 1933 sont marqués par une intense lutte publique dans le Yichouv, avant les élections des délégués au 18e  congrès sioniste, prévues pour le mois de juillet. Contrairement à l’opinion dominante, les recherches actuelles ne permettent pas d’affirmer que l’assassinat d’Arlosoroff a eu un impact considérable sur les élections. Les partis ouvriers ont récolté le fruit d’un travail intensif entrepris par le biais d’un système organisé qui était déjà en place et qui a été activé de manière opportune et intelligente au moment opportun.



Haim Arlosoroff, leader sioniste socialiste du Yichouv, est assassiné en juin 1933 sur le bord de mer de Tel Aviv.

Le mouvement révisionniste, en revanche, récolte les fruits pourris de la lutte interne qui le déchire. Sa structure organisationnelle se désagrège à la veille même de cette épreuve cruciale, du fait de la rupture que lui impose Jabotinsky en dissolvant ses institutions et en éloignant les dirigeants du courant modéré. Quant aux relations entre la droite et la gauche dans le sionisme, leur exacerbation à la suite de l’assassinat d’Arlosoroff a donné le coup de grâce au départ des révisionnistes de l’Organisation sioniste.

Comment s’est déroulée la lutte sur le caractère du mouvement révisionniste ? L’élan de l’activité d’Ahiméir est ralenti par l’hostilité qui suit son arrestation, ainsi que par sa prétention à devenir une figure politique dominante. Les accusations d’activités illégales portées contre les membres du Tzohar et le procès qui s’ensuit réduisent la tension interne dans les rangs du révisionnisme.

Jabotinsky travaille vigoureusement à la défense des accusés. Le journal de prison d’Ahiméir est rempli de gratitude et d’admiration pour le leader qu’il venait à peine de défier.

Vers la fin de l’année 1934, cependant, la lutte interne semble sur le point d’éclater à nouveau. A ce stade, au milieu de la confrontation amère et violente entre la droite et la gauche dans le Yichouv et dans le mouvement sioniste, Ben-Gourion et Jabotinsky tiennent des discussions intensives à Londres et, pendant plus d’un an, formulent une série d’accords qui visent à apporter une réconciliation interne au sein du mouvement sioniste.

Ahiméir est amèrement déçu d’apprendre que Jabotinsky tente de parvenir à un modus vivendi avec Ben-Gourion. Dans son journal, il décrit les accords entre les deux hommes comme une tentative de ce dernier de se débarrasser de la droite en lui donnant le baiser de la mort. Il critique Jabotinsky pour être tombé dans ce piège, l’attribuant à la noblesse du leader révisionniste, à sa tendance à la paix et peut-être aussi à « son désir de s’attirer des faveurs ».

En fin de compte, l’accord entre Ben-Gourion et Jabotinsky n’est pas appliqué. Des éléments éminents de la gauche, dont la conscience du danger inhérent au fascisme juif avait été renforcée par l’assassinat d’Arlosoroff, rejetèrent l’accord et en provoquèrent l’abandon. Une fois de plus, les relations entre Jabotinsky et Ahiméir s’enveniment. L’ouverture même de Jabotinsky à un rapprochement avec la gauche incite Ahiméir à envisager pour la première fois la possibilité de quitter le mouvement révisionniste et de le déborder en créant un nouveau mouvement.

Un parti semi-fasciste est-il réellement sur le point d’être créé au sein du mouvement sioniste en Terre d’Israël ? Cette possibilité peut être considérée comme une rêvasserie de l’auteur du journal, bien qu’Ahiméir soit entré dans les détails. Il propose un nom pour le nouveau mouvement qu’il va créer avec ses associés maximalistes - « Hazit Ha’am », le « Front du Peuple » - faisant écho au nom du journal qu’il avait été contraint de fermer sur l’ordre des cercles libéraux de Tzohar ; et il expose également ce qu’il propose comme programme de base du nouveau parti : il s’appuiera sur un sionisme politique qui s’efforcera d’établir un État juif dans les frontières de la « Terre d’Israël du roi David ».

Le dénouement de cette étape de la lutte entre le libéralisme et le fascisme dans la droite sioniste se produit quelques mois après la sortie de prison d’Ahiméir en août 1935. Lors d’une visite en Pologne, il reçoit un accueil ému et admiratif de la part des sections du mouvement dans ce pays. S’adressant au quatrième congrès du Betar-Pologne, qui se tient à Varsovie en juin 1936, il reproche au Tzohar d’avoir manqué une occasion historique de renouveler son élan, dans le sillage de ce qu’il appelle l’“accusation de meurtre rituel” qui a suivi l’assassinat d’Arlosoroff.

« À notre époque cruelle », déclara aux Betaris celui qui venait de passer deux années difficiles en prison, « le plus important est d’apprendre à haïr - au milieu de la pitié pour le peuple - ceux qui s’inclinent devant le Moloch rouge et les traîtres ». Jabotinsky ne tarde pas à s’opposer à cette approche. « La haine », souligne-t-il, est « le mot le plus laid que la langue humaine sache prononcer », ajoutant : "Le Betar ne sait pas haïr. Betar ne sait qu’aimer".

Si la visite d’Ahiméir en Pologne avait pour but d’examiner les perspectives de renouvellement du programme de Brit Ha’birionim, elle n’y a pas réussi. Elle peut être considérée comme la dernière corde à son arc en tant que leader politique dans la pratique. Abattu par les épreuves de son emprisonnement, Ahiméir retourna dans la Palestine mandataire et se tourna vers l’intérieur pour reconstruire sa vie, sa famille, son ego usé, et mourut en 1962, à l’âge de 65 ans. Le défi antidémocratique lancé à Jabotinsky s’est largement estompé dans les années qui ont suivi. Pendant quelques années, les opinions semi-fascistes resteront l’apanage de franges étroites de la droite. [avant de prospérer au siècle suivant, NdT]


08/10/2023

HILO GLAZER
Après une décennie passée dans les cercles les plus radicaux de l’extrême droite israélienne, Idan Yaron est prêt à tout déballer

Hilo Glazer, Haaretz, 6/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT

L’auteur de cet article, tout comme 99,99% des journalistes israéliens et occidentaux utilise systématiquement le qualificatif de “terroriste” pour désigner les militants et combattants palestiniens et jamais pour désigner les auteurs de crimes sionistes. N’étant pas d’accord avec cette désignation, je la remplace donc par des termes plus objectifs.

L’universitaire Idan Yaron a pénétré la droite radicale israélienne, gagnant la confiance de ses dirigeants, assistant à leurs réunions et même à un pogrom. Il publie aujourd’hui un livre sur l’héritage kahaniste qu’ils perpétuent.

Idan Yaron : « J’ai pris le café avec des gens qui avaient du sang sur les mains, des gens qui avaient commis des crimes graves, parce qu’à mon avis, il est hors de question qu’il y ait un tabou dans le monde universitaire quand il s’agit de certains domaines de la connaissance ». Photo : Sraya Diamant

Le signal du pogrom a été donné quelques heures seulement après une opération de guérilla menée le 21 juin dans une station-service près de la colonie d’Eli, en Cisjordanie, au cours de laquelle quatre Israéliens ont été tués et quatre autres blessés. La cible de ceux qui voulaient prendre des mesures de représailles était le village palestinien voisin de Luban Al Sharqiya. Un grand nombre de jeunes hommes sont arrivés, non seulement du noyau dur de la “jeunesse des collines” de la colonie de Yitzhar, mais aussi des étudiants des yeshivas et des kollels (yeshivas pour hommes mariés) de la région.

Parmi les dizaines de manifestants qui se dirigeaient vers le village et incendiaient les champs en chemin, il était difficile de rater Idan Yaron, un sociologue et anthropologue social qui, à 69 ans, était beaucoup plus âgé que ceux qui l’entouraient.  Yaron, qui mène des recherches approfondies sur l’extrême droite en Israël, en particulier sur le mouvement créé par le rabbin ultranationaliste d’origine usaméricaine Meir Kahane, s’est retrouvé mêlé à la foule en colère.

« J’ai assisté à l’incident avec eux de la manière la plus directe, tout en filmant tout, au grand dam de certains jeunes », raconte aujourd’hui Yaron. « Bien entendu, je n’ai pris part à aucune activité violente ».

Quelqu’un a-t-il tenté d’empêcher les actes de violence ?

« Il y avait des forces [de sécurité], même si elles n’étaient pas nombreuses, dont des soldats, des agents de la police aux frontières et d’autres policiers. Mais elles ne sont pas intervenues de manière particulièrement énergique, si ce n’est en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant en l’air lorsque de jeunes Palestiniens du village se sont approchés. Des dizaines d’yeux ont vu ce qui se passait là-bas ».

Avez-vous envisagé d’intervenir vous-même ?

« J’ai décidé de dépasser la question immédiate de la prévention d’une injustice - et brûler des champs ou l’atelier de menuiserie d’un Palestinien innocent est une injustice absolue à mes yeux - et je me suis demandé si j’étais prêt à dépasser ma limite : infliger une violence réelle ou un dommage physique à une autre personne. Dans l’affirmative, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’empêcher. Mais dans cette situation particulière, j’ai pensé que ma vocation m’obligeait à surmonter le sentiment d’injustice qui prenait forme sous mes yeux, afin d’être présent dans les événements et de les faire connaître en temps voulu. Tendre un miroir, générer un discours et à travers lui, peut-être plus tard, façonner une réalité différente et cohérente avec mes valeurs ».

Lorsque les flammes se sont éteintes, les résultats du carnage sont apparus clairement : cinq des habitants de Luban al-Sharqiya avaient été blessés par des tirs à balles réelles. Une dizaine de maisons avaient été dégradées, des vitrines de commerces avaient été brisées, de vastes terres agricoles avaient été incendiées et une trentaine de véhicules brûlés. L’un d’entre eux, d’ailleurs, était la voiture de Yaron, qu’il avait garée à l’orée du village. En découvrant cela, le chercheur s’est demandé s’il n’était pas allé trop loin en s’accrochant à l’idée d’être un observateur participatif. « La voiture était foutue », dit-il. « Les vitres, les rétroviseurs, les phares, l’extérieur était sérieusement endommagé, tout était cassé. Mais comme le moteur n’était pas endommagé, j’ai réussi à rentrer chez moi ».

Idan Yaron n’était pas présent ce jour-là par hasard. Au cours des dix dernières années, il a tissé des liens, dont certains sont devenus de véritables amitiés, avec des activistes de premier plan parmi les jeunes des collines, dont certains sont des disciples de Meir Kahane. En effet, Yaron est devenu un visage familier dans les cercles d’extrême droite et a acquis un accès quasi total au groupe le plus dur des disciples du défunt rabbin. Par exemple, Yaron a assisté l’année dernière à une cérémonie commémorative en l’honneur d’Eden Natan-Zada, soldat déserteur et auteur d’une fusillade en 2005 qui a tué quatre personnes et en a blessé beaucoup d’autres dans la ville arabe israélienne de Shfaram. Natan-Zada a ensuite été battu à mort. Yaron s’est également joint aux dirigeants du mouvement lorsqu’ils se sont rendus sur les lieux ensanglantés d’attaques palestiniennes, et il était présent lors des événements commémorant le massacre, en 1994, de 29 fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches à Hébron, qui se sont déroulés sur la tombe du “juste et héroïque” Baruch Goldstein, l’auteur de ce massacre.

Cérémonie commémorative en 2020 pour Baruch Goldstein, qui a tué 29 fidèles musulmans à Hébron en 1994. Idan Yaron a assisté à l’événement annuel cette année.  Photo fournier par  Idan Yaron

29/07/2023

MICHELE GIORGIO
Quand Sinéad O’Connor qualifiait Itamar Ben Gvir de “bon à rien”

Michele Giorgio, il manifesto, 28/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En 1997, la jeune, talentueuse et célèbre Sinéad O’Connor devait se produire à Jérusalem lors d’un festival organisé par des femmes israéliennes et palestiniennes intitulé “Deux capitales, deux États”. La musicienne et chanteuse irlandaise avait dû renoncer à ce concert en raison des menaces de mort proférées par le Front idéologique, une organisation d’extrême droite dirigée par un jeune Israélien, Itamar Ben Gvir. « Des groupes juifs d’extrême droite ont menacé de nous tuer, moi et mon groupe. Je ne suis pas prête à mourir pour les conneries de quelqu’un d’autre, ni à mettre mon groupe en danger, alors nous n’y sommes pas allése, avait expliqué O’Connor.

Ben Gvir n’a pas assumé la responsabilité des menaces. Cependant, il s’est vanté à la radio israélienne d’avoir, d’une manière ou d’une autre, provoqué l’annulation du concert dans le cadre d’un événement qui, a-t-il expliqué, était perçu comme une attaque contre le contrôle exercé par Israël sur l’ensemble de Jérusalem, y compris la zone arabe revendiquée par les Palestiniens comme la capitale de leur futur État indépendant. O’Connor a réagi en publiant une déclaration à l’Associated Press dans laquelle il accusait Ben Gvir de « n’avoir rien fait de bon dans la vie » et l’admonestait en disant que « Dieu ne récompense pas ceux qui sèment la terreur parmi les enfants du monde ».

L’article du journal Haaretz sur l’affrontement entre Itamar Ben Gvir et Sinéad O’Connor

Mercredi, l’artiste irlandaise qui a fait chanter au monde entier Nothing Compares 2 U est morte, laissant ses nombreux fans consternés. En revanche, l’extrémiste Itamar Ben Gvir, inconnu il y a vingt-six ans, est aujourd’hui ministre de la Sécurité nationale, l’un des postes les plus importants du gouvernement de l’État juif. Hier matin, sans même tenir compte des assurances données par le président israélien Herzog quant au respect du statu quo des lieux saints de Jérusalem, Ben Gvir a de nouveau pénétré sur l’Esplanade des Mosquées de Jérusalem à l’occasion de Tisha B’Av, le jour de la commémoration de la destruction du Temple juif. Il s’agit de la troisième “visite” de Ben Gvir sur le site depuis que le Premier ministre Benyamin Netanyahou a remporté les élections en novembre dernier. Et comme les précédentes, elle n’avait pas un but touristique. « C’est l’endroit le plus important pour le peuple d’Israël. Nous devons revenir et montrer notre autorité... En ce jour, en ce lieu, nous devons nous rappeler que nous sommes tous frères. Nous sommes le même peuple. Lorsqu’un terroriste regarde par la fenêtre, il ne peut pas nous distinguer », a déclaré le ministre - décrit comme un suprémaciste même par de nombreux Israéliens - en référence aux manifestations de masse, dont la dernière a eu lieu la nuit dernière, qui se déroulent en Israël contre la réforme judiciaire voulue par le gouvernement d’extrême droite religieuse au pouvoir. Quelques heures avant les revendications de Ben Gvir sur l’Esplanade des Mosquées (considérée par la tradition juive comme le site du Temple), un jeune Palestinien de 14 ans, Faris Abu Samra, a été tué lors d’une fusillade déclenchée par un raid de l’armée israélienne dans la ville de Qalqiliya (Cisjordanie). Cela porte à 202 le nombre de Palestiniens tués cette année par des soldats et des colons israéliens, dont 37 adolescents et enfants et 11 femmes.

Amit Halevi, député du Likoud, Yitzhak Wasserlauf, ministre du développement du Néguev et de la Galilée, et le rabbin Shimshon Elboim, du groupe du Mont du Temple, ont participé à la marche de Ben Gvir. Le ministère palestinien des affaires étrangères a vivement protesté : « Le gouvernement israélien soutient officiellement les raids et les agressions contre la mosquée Al Aqsa et les tentatives visant à modifier le statu quo... Netanyahou porte la responsabilité directe de cette provocation ». Des protestations ont également été émises par la Jordanie, l’Égypte et les USA. En représailles, un groupe affilié au Hamas a revendiqué le lancement d’une roquette artisanale depuis Jénine en direction d’une colonie israélienne.

21/06/2023

OFER ADERET
Révélations sur les efforts de la milice sioniste Lehi (Groupe Stern) pour convaincre les nazis de l’aider dans son combat pour un “État juif totalitaire”

Ofer Aderet, Haaretz, 21/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Haganah a interrogé des membres du Lehi* en 1942 - et les transcriptions récemment publiées mettent en lumière un chapitre sombre de l’histoire de la milice d’extrême droite : « Stern a dit qu’en temps de guerre, il n’y a pas de place pour les sentiments ».

Avraham “Yair” Stern, chef de la milice du Lehi, et les documents récemment révélés. Montage photo : Aron Ehrlich

En 1942, des combattants de la Haganah ont enlevé Efraim Zetler, membre de la milice du Lehi, devant la maison de son père à Kfar Sava. « Ils l’ont conduit en voiture pendant une heure... en le tenant, en lui bandant les yeux et en lui liant les jambes », a raconté son père plus tard. « En chemin, ils ont changé de voiture, puis l’ont emmené dans un verger et dans une usine d’emballage où ils l’ont assis sur des cartons vides, les yeux bandés ». Au cours des vingt jours suivants, Zelter, âgé de 18 ans, a été interrogé sur son rôle dans le groupe extrémiste, dirigé par Avraham "Yair" Stern, qui sera tué par les Britanniques plus tard dans l’année.

Les transcriptions de l’interrogatoire de Zetler, qui ont été rendues publiques le mois dernier par les archives de l’État d’Israël, contiennent des informations sur un chapitre sombre de l’histoire de Lehi, à savoir ses liens avec l’Allemagne nazie.

« Nous communiquerons avec toute puissance militaire prête à aider à l’établissement du royaume d’Israël, même s’il s’agit de l’Allemagne », déclare Zetler aux interrogateurs stupéfaits. « La seule condition est que nous recevions des armes, afin de pouvoir nous rebeller contre les Anglais », a-t-il ajouté.

« Si l’Allemagne accepte de nous aider à combattre l’ennemi numéro 1, les Anglais, nous ferons équipe avec elle »,  a-t-il poursuivi en disant à propos de l’Allemagne : « Ce n’est pas un ennemi des Juifs en Israël » : Le Lehi coopérerait avec elle si elle aidait les clandestins à « obtenir cette terre ».

« Nous devons nous battre contre les Anglais... Je crois que c’est la voie à suivre. L’Angleterre est notre ennemi" » a-t-il ajouté.


Combattants de la Haganah dans la forêt Balfour [créée par des colons sionistes en 1928]. Photo : Zoltan Kluger / GPO

L’interrogatoire de Zetler a eu lieu environ deux semaines après la conférence de Wannsee à Berlin, au cours de laquelle les responsables nazis ont discuté de la mise en œuvre de la solution finale. Quatre-vingt-un ans plus tard, il est encore difficile de comprendre comment les Juifs de la Terre d’Israël ont pu croire à l’enrôlement de l’Allemagne nazie dans la lutte pour “libérer la patrie” de la tutelle britannique.

L’idée avait été évoquée pour la première fois deux ans plus tôt par Stern, le chef du Lehi qui prônait une résistance violente à la domination britannique. Son point de vue contrastait avec celui de la majorité du Yishuv, qui avait abandonné la lutte contre les Britanniques lorsque la Seconde Guerre mondiale avait éclaté pour se joindre à la lutte contre leur ennemi commun, l’Allemagne nazie.

« Une stratégie kasher qui se solde par un échec est mauvaise ; une stratégie “erronée” qui se solde par une victoire est la plus strictement kasher de toutes », expliquait Stern.

Un pacte avec le Reich allemand

Fin 1940, des agents du Lehi rencontrent un fonctionnaire du ministère allemand des Affaires étrangères à Beyrouth. Le document qu’ils présentent propose, entre autres, une coopération entre la milice juive et les nazis. Il propose la « participation active du Lehi à la guerre aux côtés de l’Allemagne », citant un “partenariat d’intérêts” entre « la vision allemande du monde et les véritables aspirations nationales du peuple juif ».

Le document précise également que « la création de l’État juif historique sur une base nationale totalitaire, dans une relation d’alliance avec le Reich allemand, est compatible avec la préservation de la puissance allemande ».

Les nazis ne prennent pas la peine de répondre. À l’époque, ils préfèrent Haj Amin al-Husseini, le mufti palestinien de Jérusalem, qui s’est réfugié en Allemagne pour fuir les Britanniques et tente d’enrôler les Arabes dans le soutien à Hitler. Haj Amin espérait que le chef allemand les aiderait à chasser les Britanniques.

Efraim Zetler : «  Nous communiquerons avec toute puissance militaire prête à aider à l’établissement du royaume d’Israël, même s’il s’agit de l’Allemagne ». Photo : Lehi Heritage Association

Contrairement aux nazis, la Haganah était très intéressée par les tentatives du Lehi de se lier d’amitié avec l’Allemagne. Deux dossiers des archives de la Haganah, intitulés « L’Irgoun et le Lehi avec les puissances de l’Axe (Seconde Guerre mondiale) » ont été rendus publics le mois dernier.

« Vous ne vous souciez pas du fait que l’ensemble du Yishuv [communauté juive de la Palestine mandataire], à l’exception de votre bande, s’oppose à votre façon de faire ? », demande l’interrogateur, ce à quoi Zetler répond : « Le Yishuv a-t-il jamais voulu connaître notre philosophie ? Il est facile de nous traiter d’assassins ». Il ajoute qu’il considère Stern comme un “prophète”.

Zetler était le frère cadet de Yehoshua, l’un des principaux responsables des opérations du Lehi. Après que la Haganah a terminé son enquête, il a été libéré, mais a ensuite été arrêté par les Britanniques et envoyé dans des camps d’internement au Soudan, en Érythrée et au Kenya. Après la création de l’État d’Israël, il est revenu, s’est engagé dans les Forces de défense israéliennes et a participé à la guerre d’indépendance. En 1950, il a été tué par une mine terrestre.

À peu près au même moment où Efraim a été interrogé, un autre membre de la milice, Yaakov Hershman, a également été kidnappé par la Haganah et interrogé dans un verger. Il fut interrogé sur les valeurs idéologiques fondamentales du Lehi, comme il l’avait entendu de Stern. « Nation, pays, patrie et alliés », répondit-il.


Yaakov Hershman : « Le but de l’organisation est de régner ». Photo : Lehi Heritage Association

Un interrogateur lui a alors demandé ce qu’il entendait par “alliés”, ce à quoi Hershman a répondu : « Des forces extérieures qui sont prêtes à nous aider à résoudre par la force des armes la question des Juifs en Terre d’Israël ». Lorsqu’on lui a demandé de préciser, il a expliqué : « Le but de l’organisation est de régner. Les Britanniques règnent aujourd’hui.... Qui aurait certainement intérêt à ce que l’Angleterre ne soit plus là ? ». Il a ensuite cité ceux qui pourraient l’aider, parmi lesquels “l’Axe”.

À ce moment-là, l’interrogateur a demandé à Hershman : « Cela ne signifie-t-il pas que [Stern] vous prépare à jouer le rôle de Quisling en Terre d’Israël ? » Il faisait référence à Vidkun Quisling, le premier ministre norvégien pendant l’occupation allemande, qui a collaboré avec les occupants nazis. Son nom est devenu un synonyme de “collaborateur” ou de “traître”.

Hershman a répondu : « Peut-être ».

L’interrogateur continue sur sa lancée. « Comment expliquez-vous que vous puissiez accepter cette idéologie ? C’est difficile à comprendre. Une personne prépare les juifs, les sionistes, à la venue de l’ennemi numéro 1 du peuple juif, à entrer en contact avec cet ennemi et à recevoir de lui le pouvoir de gouverner ? »

Hershman répond : « Ce sont des hommes dévoués à une idée qu’ils pensent être juste. Ils considèrent que la prise du pouvoir est le moyen de résoudre la question juive de la manière qu’ils pensent être la bonne, par la force des armes... peu importe la manière dont ils utilisent cette force ».

Flirt avec l’Axe

Yaacov Poliakov, fondateur et officier supérieur du Lehi, a raconté à ses interrogateurs de la Haganah une réunion qu’il avait eue avec Stern. « Stern nous a parlé de la question des relations... Il voulait lancer des appels d’offres... et il nous a dit que nous devrions tendre la main, sous certaines conditions, aux pays étrangers.... pour qu’ils donnent de l’argent et des armes aux Juifs ».

Yaacov Poliakov, fondateur et officier supérieur de la milice Lehi. Photo : Lehi Heritage Association

Selon Poliakov, Stern « a donné un exemple de la guerre précédente » - la Première Guerre mondiale - en disant que « les Juifs se sont battus pour l’Angleterre et, dans le même temps, quelqu’un négociait avec l’Allemagne au cas où elle gagnerait ».

Poliakov a cité une réunion avec Stern. « Nous l’avons bombardé de questions : S’il y a des pays que vous avez à l’esprit, ce sont bien l’Allemagne et l’Italie, qui persécutent les Juifs. Il nous a répondu qu’en temps de guerre, il n’y avait pas de place pour les sentiments : Il faut travailler avec ceux qui donnent de l’argent et des armes. ...Il a également dit que la plupart des Juifs travaillaient avec les Anglais, pourquoi ne pas passer un accord avec un pays ennemi de l’Angleterre, et au cas où [l’Allemagne] gagnerait, tout se passerait bien ».

Poliakov a ajouté que la milice de l’Irgoun avait également envisagé de coopérer avec l’Allemagne nazie. Il a affirmé que Ya’akov Meridor, commandant de l’Irgoun de 1941 à 1943 et plus tard membre de la Knesset et ministre du Likoud, lui avait dit : « Nous avons nous-mêmes essayé - nous avons commencé. Nous avons perdu nos liens avec l’Allemagne. Nous ne voyons rien de mal à entretenir des relations avec l’Axe. Si cela peut nous apporter l’indépendance, nous sommes prêts à passer un accord avec le diable en personne ». Même l’“élite” de l’Irgoun avait “flirté avec l’Axe”, a déclaré Poliakov à ses interrogateurs.


Place du Lehi à Petah Tikva, avec le salut de la milice. Photo : Dr. Avishai Teicher

Les nazis n’étaient pas les seuls partenaires que la droite sioniste de la Palestine mandataire avait recherchés pendant la Seconde Guerre mondiale. L’un des documents récemment sortis des dossiers de la Haganah s’intitule “Sur l’orientation italienne”.

On peut y lire : « Un homme a été informé par ses connaissances du parti révisionniste [de Jabotinsky, ancêtre du Likoud, NdT] qu’il existe un courant au sein du parti qui veut renforcer les liens avec les Italiens, parce que la victoire du fascisme est garantie, de sorte que nous devons nous préparer à la possibilité d’une coopération avec l’Italie plus tard. Ils envisagent de faire la différence entre Hitler et Mussolini dans ce domaine ».

Le document, qui n’est pas signé et ne contient pas d’autres détails, affirme que les principaux partisans de cette croyance étaient le poète et futur député du Hérout, Uri Zvi Greenberg, et Abba Ahimeir, l’un des leaders idéologiques de la droite. Le document affirme également que Zvi Mareseh, qui était responsable des finances du Lehi, a déclaré “lors d’une fête privée” que « ce ne serait pas terrible si les Italiens occupaient le pays. Nous pouvons conclure un accord avec eux ».

Un autre membre du Lehi interrogé par la Haganah était Menachem Berger, qui devint plus tard le chef de l’Association du Barreau d’Israël. Au cours de son interrogatoire, il a déclaré que “plusieurs amis” avaient parlé “de contacts avec l’Axe”, parmi lesquels Stern lui-même et Yitzhak Shamir, un membre du Lehi qui devint plus tard premier ministre d’Israël. Cependant, Berger a déclaré que lorsqu’il a montré de l’intérêt pour cette question, on lui a répondu : « Il ne s’est rien passé, sauf une tentative de contact qui a échoué ».

NdT

*Le Lehi (acronyme hébreu pour Lohamei Herut Israel, “Combattants pour la liberté d’Israël”, baptisé par les Britanniques The Stern Gang (La bande à Stern/Le Groupe Stern) fut un groupe paramilitaire sioniste actif entre 1940 et 1948. Auteur de nombreux attentats contre les Britanniques et les Palestiniens, il fut dissous en 1948 par le jeune État israélien pour avoir assassiné le comte Folke Bernadotte, médiateur spécial des Nations Unies en Palestine et le colonel français Sérot, chef des observateurs des Nations Unies. Après la mort de son premier dirigeant Avraham “Yair” Stern en février 1942, l’organisation fut dirigée par un triumvirat : Yitzhak Shamir, futur Premier ministre israélien, Israël Eldad et Nathan Yalin Mor. La nouvelle direction réorienta l’idéologie de l’organisation dans un sens se voulant “anti-impérialiste” et en soutien de l’Union soviétique. La milice se transforma en un éphémère “Parti des combattants” qui eut un député à la Knesset. Après sa dissolution, une partie des membres rejoignit le parti Hérout, certains comme Nathan Yalin Mor, le Parti communiste. Yitzhak Shamir ira, lui, au Mossad, puis au Hérout, avant de devenir Premier ministre. Le tireur du commando ayant assassiné Bernadotte, Yehoshua Cohen, deviendra le garde du corps personnel de Ben Gourion après le retrait de celui-ci de la vie politique dans le kibboutz de Sde Boker. En 1980 Le gouvernement de Menahem Begin a institué le ruban des anciens du Lehi, qui peut être attribué officiellement à tous les anciens membres qui souhaitent le porter. On peut le trouver en vente sur ebay pour 200 $ ou 160 £…