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05/11/2021

DAVID STAVROU
Ahmed Bouchikhi, la victime oubliée de l'un des plus grands fiascos du Mossad
Quand l’Opération « Colère de Dieu » dérapa

David Stavrou, Haaretz, 29/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

David Stavrou est un journaliste israélien vivant à Stockholm qui collabore régulièrement au quotidien israélien Haaretz. Ces dernières années, il a couvert une variété de questions suédoises, scandinaves et mondiales et a également écrit deux livres. Le plus récent raconte l'histoire de la diaspora israélienne en Europe et a été publié par l'éditeur israélien Pardes en janvier 2021. Stavrou est également enseignant et guide agréé de Stockholm.

Le meurtre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 72 et la campagne de vengeance israélienne qui a suivi ont donné lieu à de nombreux livres et films. Mais dans tous ces ouvrages, un personnage reste anonyme : Ahmed Bouchikhi.

Ahmed Bouchikhi. « De tous les pays qu'il a visités, c'est en Norvège qu'il a trouvé son bonheur. Et il y est resté, car c'est là qu'il a rencontré sa femme. Son bonheur est aussi devenu son désastre », raconte son frère. Photo : NTB SCANPIX MAG via AFP

Un matin de septembre 1994, peu après que le musicien français Jalloul "Chico" Bouchikhi s’est séparé des Gipsy Kings, le groupe de flamenco-pop à succès qu'il a fondé, il reçoit un appel téléphonique inattendu. Au bout du fil, une représentante de l'UNESCO qui semble désemparée. L'organisation culturelle des Nations unies organisait un concert spécial pour marquer le premier anniversaire de la signature des accords d'Oslo, en présence du ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Peres et du président de l'OLP Yasser Arafat - avec la participation des Gipsy Kings, disait-elle. Mais voilà qu'à la onzième heure, alors que 24 000 billets avaient été vendus, ils ont été informés que le groupe avait manqué son vol pour Oslo. Bouchikhi accepterait-il de se produire à leur place avec son nouveau groupe, Chico & the Gypsies, pour éviter un fiasco ?

« J'ai dit oui. Je suis arrivé avec mes musiciens, nous avons informé le public que les Gipsy Kings ne pouvaient pas venir, mais que j'étais leur fondateur. Nous avons joué 'Bamboleo' et d'autres tubes du groupe, et ce fut un grand succès », se souvient Bouchikhi. « À la fin, Peres et Arafat sont montés sur scène et m'ont félicité. Je leur ai serré la main. Mes frères, qui vivaient à Paris et étaient venus pour le concert, ont pris des photos de l'événement ».

Cette apparition a lancé Bouchikhi, aujourd'hui âgé de 67 ans, sur une voie qu'il n'avait jamais imaginée pour lui-même. Il a été nommé envoyé de l'UNESCO pour la paix en 1996, agissant en tant qu'ambassadeur de bonne volonté et promouvant des messages de tolérance et de paix lors de ses spectacles. Mais si aujourd'hui il regarde son passé avec émotion, presque incrédule, comme "l'histoire d'un destin particulier", ce n'est pas parce que les Gipsy Kings ont raté leur vol et qu'il les a remplacés. C'est parce que, à l'insu de toutes les personnes impliquées à l'époque - ni l'UNESCO, ni Peres, ni Arafat, ni ceux qui étaient censés assurer leur sécurité - le destin ou le hasard avait placé les deux leaders sur une scène avec un musicien dont le frère avait été assassiné par erreur par des agents des services secrets israéliens parce qu'ils le prenaient pour un terroriste palestinien.

Chico Bouchikhi, musicien et envoyé de l'UNESCO. « Un incroyable coup du sort m'a conduit à comparaître devant deux responsables du meurtre de mon frère : Shimon Peres et Yasser Arafat ». Photo : Malte Ossowski/Sven Simon/dpa Picture Alliance via AFP

Compte tenu du fait que cette histoire concernait une organisation israélienne pour laquelle le secret est primordial, l'incident de 1973, connu sous le nom d'"affaire de Lillehammer", est très bien connu et bien documenté. Quiconque a parcouru des ouvrages tels que "Every Spy a Prince" (1990) de Yossi Melman et Dan Raviv ; "Lillehammer : Open Case", de Noam Nachman-Tepper (2020, hébreu) ; "The Quest for the Red Prince", de Michael Bar-Zohar et Eitan Haber (1984), ou bien d'autres, connaît le meurtre scandaleux d'Ahmed Bouchikhi. Serveur innocent, Bouchikhi a été abattu à Lillehammer, en Norvège, par des agents du Mossad qui l'avaient identifié, à tort, comme Ali Hassan Salameh, l'une des figures de proue de l'organisation Septembre noir, qui a perpétré le massacre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972 [une partie des athlètes ont sans doute été tués par la police allemande à Fürstenfeldbruck, NdT].