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16/09/2023

GIDEON LEVY
Le garçon palestinien dont le village a été détruit s’est transformé en véritable combattant de la liberté

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 15/9/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Nasser Nawaj’ah a vu sa famille expulsée de son village, qui a été démoli, et a assisté au meurtre d’un berger par un colon. Après avoir choisi la voie de la résistance non violente, il est devenu chercheur de terrain pour B’Tselem et a reçu le prix Truth to Power [“Dire la vérité aux puissants”] du New Israel Fund [ONG “liberal” créée en 1979 aux USA].

Nasser Nawaj’ah avec son prix du New Israel Fund : “J’étais à la croisée des chemins : la violence contre l’occupation ou la voie de la non-violence. Dieu merci, j’ai choisi la seconde voie”.

 

Voilà à quoi ressemble un véritable résistant au régime, qui se bat pour les droits humains et la démocratie avec un courage féroce et qui est prêt à payer un prix personnel élevé pour sa lutte. Dans la réalité israélienne, tel devrait être le modèle d’un véritable combattant de la liberté : un Palestinien de souche né dans une grotte prise de force par les colons, qui ont expulsé sa famille ; un berger qui a été exposé pendant des années à la violence des colons, qui a vu de ses propres yeux un voisin s’occupant de ses moutons assassiné par un colon.

 

Une personne qui a consacré sa vie d’adulte à une lutte déterminée et sans compromis pour les droits de sa nation, dans la région la plus dure du pays, dont les habitants ne bénéficient d’aucune protection - ni de la part des autorités d’occupation, ni de la part des colons en maraude, qui sont particulièrement violents dans cette région. Une personne qui a payé un prix personnel et risqué sa vie pour sa lutte, ayant été arrêtée au moins huit fois par les autorités d’occupation, et jugée deux fois. Une personne dont les seules armes sont le stylo et l’appareil photo, qui a décidé dans sa jeunesse de renoncer à la lutte armée dans laquelle les circonstances de sa vie auraient pu facilement l’entraîner, s’engageant plutôt sur la voie de la non-violence, qui, sous l’occupation israélienne, est parfois bien plus dangereuse.

 

C’est un combattant qui a appris à faire la distinction entre les bons et les mauvais Israéliens, ceux qui sont violents et ceux qui recherchent le bien ; il a travaillé pendant de nombreuses années dans une organisation israélienne de défense des droits humains en tant que chercheur sur le terrain et il croit au pouvoir de la vérité d’exercer une influence lorsqu’elle est mise en lumière. Il vit dans une cabane au toit de tôle surmontée d’un ordre de démolition, élève sa petite fille, atteinte d’une infirmité motrice cérébrale, dans des conditions difficiles, et pourtant il travaille sans relâche pour se documenter, aider les autres et lutter contre l’incroyable injustice qui tourbillonne autour de lui.

 

La semaine dernière, sa vie a pris un tournant dramatique. Dans une décision impressionnante et extraordinaire, le New Israel Fund a décidé de décerner le prix le plus élevé dans le domaine des droits humains en Israël - 100 000 shekels (= 25 000 €]) - à un Palestinien des territoires qui est un véritable résistant au régime.

 

Nasser Nawaj’ah, chercheur de B’Tselem dans les collines du sud d’Hébron, résident du village de Susya, né à Khirbet Susya, dont les habitants ont été dépossédés, est devenu le premier lauréat du prix William S. Goldman Truth to Power. Le prix est décerné, explique le NIF, « à des activistes publics qui travaillent sans crainte contre des systèmes puissants et qui luttent contre la discrimination, l’inégalité ou l’injustice, et qui ont payé un prix social, public ou personnel pour cela ».

 

Nasser Nawaj’ah avec son père la semaine dernière.

 Nawaj’ah, qui est l’incarnation même de ces qualités, a bien entendu été empêché d’assister à la cérémonie de remise des prix le 4 septembre à Tel Aviv. Malgré les efforts du NIF, l’establishment de la défense a refusé d’autoriser Nawaj’ah à entrer en Israël - il est “refusé pour des raisons de sécurité”, une véritable bombe à retardement de la non-violence - et la cérémonie a donc eu lieu en son absence, et le récipiendaire du prix a dû remercier les présentateurs par Zoom, alors qu’il n’était qu’à une heure et demie d’eux en voiture. S’il fallait une preuve supplémentaire qu’il est un candidat digne du prix, ce serait celle-là.

 

La “rue Kaplan” (le centre des manifestations du mouvement de protestation israélien à Tel Aviv)  de Nawaj’ah est active dans toute la région de Masafer Yatta, une zone située dans les collines du sud de l’Hébron et comprenant plusieurs villages palestiniens. Il s’agit également de la terrifiante zone de tir 918, déclarée comme telle par les forces de défense israéliennes afin de déposséder les Palestiniens qui y résident depuis des générations et de nettoyer la région de leur présence. Autour et à l’intérieur de la zone des collines du sud d’Hébron se trouvent d’innombrables avant-postes de colons, aussi violents qu’illégaux, qui bénéficient bien sûr de l’immunité coloniale, qui sont toujours au-dessus de tout soupçon.

 

12/08/2022

GIDEON LEVY
Pourquoi le militant palestinien Nasser Nawajah a subi un raid de l'armée israélienne et 14 heures de détention

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 12/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une importante force de l'armée israaélienne a fait une descente dans le village du militant palestinien des droits humains Nasser Nawajah. Il a été emmené menotté et les yeux bandés en détention pendant 14 heures, tout cela pour un entretien de 15 minutes avec un agent du Shin Bet qui lui a conseillé de modérer son comportement.

Nawajah montre comment il a été arrêté. Le "capitaine" du Shin Bet l'a averti de ne pas ennuyer l'armée ou de "franchir les lignes rouges", mais n'a pas pu exiger que l'activiste cesse de documenter les événements.

N'y a-t-il vraiment pas d'arrestations à caractère politique en Israël ? Se produisent-elles uniquement en Syrie et en Russie ? Est-il possible qu'un militant des droits humains de Cisjordanie ait été placé en détention uniquement pour l'empêcher de documenter l'invasion d'un village palestinien par un groupe de colons ? Ce qui est arrivé samedi soir dernier à Nasser Nawajah, militant des droits humains et chercheur sur le terrain pour B'Tselem et Haqel - deux organisations israéliennes de défense des droits humains - ne peut être décrit que comme une arrestation politique.

Aucune autre description ne correspond à ce que le service de sécurité Shin Bet et les Forces de défense israéliennes, son sous-traitant pour les arrestations et les enlèvements, ont fait à ce jeune homme impressionnant et déterminé du village de Susya, dans les collines du sud d'Hébron. L'envoi de dizaines de soldats à son domicile tard dans la nuit, sa détention totalement injustifiée pendant 14 heures, menotté et les yeux bandés, le soldat qui l'a photographié pour avoir la photo d'un "terroriste", le traitement abusif et humiliant qu'il a subi - tout cela pour une très courte conversation avec le "capitaine Yassin", l'agent régional du Shin Bet.

« Pourquoi ne m'ont-ils pas convoqué par téléphone ? » demande Nawajah, le lendemain de sa libération inconditionnelle. Pourquoi ? Parce que Nawajah est un résistant non violent à l'occupation qui se présente n'importe où et n'importe quand dans les collines du sud d'Hébron et ailleurs en Cisjordanie, là où il y a des épisodes de violence des colons ou lorsque l'administration civile démolit des maisons. Il est toujours là, il filme et documente les événements pour B'Tselem et Haqel.

C'est précisément ce que le Shin Bet veut empêcher. À cette fin, un militant palestinien peut être enlevé chez lui, sans mandat, bousculé durant une nuit et une journée, laissé en détention par l'armée pendant des heures - puis relâché comme si de rien n'était.

Lundi dernier, lors de notre visite, au lendemain de la libération de Nawajah, les gens avaient afflué chez lui. Personne, dit-il, pas même lui, ne savait au moment de son arrestation combien de temps il serait détenu et de quoi il serait faussement accusé cette fois-ci, le samedi 6 août. La première fois qu'il a été détenu, suite à l'accusation diffamatoire concoctée par la journaliste israélienne Ilana Dayan et le cinéaste Omri Assenheim, dans le cadre d'une collaboration honteuse entre l'organisation de droite Ad Kan et l'émission télévisée d'investigation "Fact" de Dayan, c'était en janvier 2016. Il a été maintenu en détention pendant près de deux semaines avant d'être libéré - sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui. La détention au début de ce mois a été plus courte, et tout aussi dépourvue de motifs.

Nawajah est âgé de 40 ans, père de quatre enfants, originaire de l'ancienne Susya (Susya al-Qadima), dont les habitants palestiniens ont été expulsés en 1986 pour que leur village puisse être cédé à des colons. Les villageois ont alors été contraints de s'installer sur des terres privées, à environ un kilomètre de là, où ils ont créé une nouvelle communauté, également appelée Susya.

Nawajah n'a été scolarisé que pendant huit ans, après avoir été blessé par une munition non explosée laissée dans un champ alors qu'il se rendait à l'école dans la ville de Yatta. C'était une marche de cinq kilomètres, et il avait dû la faire tous les jours, sous la pluie et au soleil. Aujourd'hui, il regrette d'avoir abandonné l'école. « Si j'avais eu un diplôme, je serais allé beaucoup plus loin dans la vie », dit-il.


Nasser Nawajah

À 14 ans, il commence à faire des petits boulots en Israël. Le pire de tous, dit-il, était de gaver les oies dans deux mochavim [colonies coopératives juives « socialistes », NdT], Azaria et Ben Zakai. Après avoir pris conscience de l'ampleur de la souffrance qu'il infligeait aux oies, il a rêvé de devenir vétérinaire pour expier ses crimes contre ces créatures. Cela ne s'est pas produit : son affection et sa compassion pour les animaux demeurent, mais à un moment donné, il décide de transformer l'idée de protéger les animaux en une mission de défense des droits humains.

Cela s'est produit après le meurtre de Yair Har Sinai, de la colonie juive de Susya, en 2001. Les colons ont appréhendé Nawajah et un autre jeune homme de son village et les ont remis au Shin Bet et à l'armée. Il avait 17 ans à l'époque, et a enduré une nuit d'interrogatoires et de passages à tabac avant d'être relâché à l'aube.

De retour dans son village, il découvre à son grand étonnement qu'il n'existe plus. « Je monte sur la colline et je ne vois pas de village. Où est le village ? J'ai cru que j'avais perdu la tête à cause des interrogatoires. J'étais mal en point, j'étais en état de choc à cause d'eux - et il n'y a pas de village. Je me suis rapproché et j'ai vu des tas de tiges métalliques et de plastique déchiré, et des murs démolis. Mon village s'était transformé en un tas de ruines. L'armée était arrivée à 6 heures du matin et avait tout démoli ».