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24/08/2023

4 enseignements à tirer des élections en Équateur et au Guatemala

Simon Romero (Mexico), Genevieve Glatsky (Bogotá) et Jody García (Ciudad de Guatemala), The New York Times, 21/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Les outsiders ont surperformé, soulignant la volatilité de la politique latino-américaine. Les candidats appelant à s'inspirer de la répression de la criminalité au Salvador n’ont pas obtenu de bons résultats.

Au Guatemala, le progressiste Bernardo Arévalo, qui lutte contre la corruption, a remporté une victoire écrasante sur une ancienne première dame, portant un coup à l’establishment politique conservateur. Photo : Daniele Volpe pour le New York Times

L’Équateur et le Guatemala ont organisé dimanche 20 août des élections qui ont mis en lumière des tendances primordiales dans toute l’Amérique latine, notamment les campagnes de lutte contre la corruption, l’importance croissante des jeunes électeurs et les appels à s’inspirer de la répression de la criminalité au Salvador.

En Équateur, où l’assassinat ce mois-ci du candidat à la présidence Fernando Villavicencio a assombri la campagne, Luisa González, une femme de gauche bien établie, sera opposée à Daniel Noboa, le rejeton d’une famille bien nantie connue pour son empire bananier, lors d’un second tour.

Au Guatemala, le progressiste Bernardo Arévalo, qui lutte contre la corruption, a remporté une victoire écrasante sur l’ancienne première dame, Sandra Torres, portant un coup à l’establishment politique conservateur du pays.

Alors que l’érosion de l’État de droit et l’emprise croissante des gangs de trafiquants de drogue dans différentes régions d’Amérique latine suscitent de vives inquiétudes, les scrutins ont été suivis de près, à la recherche de signes annonciateurs du sens de leurs résultats.

En voici les principaux enseignements.

Le président du Salvador, Nayib Bukele, s’est attaqué à la violence des gangs en procédant à des arrestations massives qui ont frappé des milliers d’innocents.  Photo : Brittainy Newman pour le New York Times

La criminalité n’était pas la seule préoccupation des électeurs

L’Équateur et le Guatemala sont chacun confrontés à une série de défis différents et, bien qu’il soit difficile d’exagérer la difficulté de gouverner efficacement dans ces deux pays, les nouveaux dirigeants devront s’efforcer de contrôler le crime organisé et de créer des opportunités économiques pour que leurs citoyens restent chez eux au lieu d’émigrer.

La star du moment sur la scène politique latino-américaine est le président populiste conservateur du Salvador, Nayib Bukele, qui a réussi à utiliser des tactiques dures pour réprimer la violence des gangs, y compris des arrestations massives qui ont frappé des milliers d’innocents et l’érosion des libertés civiles. Mais les espoirs de voir les adeptes de l’évangile de Bukele sur la criminalité remporter la victoire se sont évanouis en Équateur et au Guatemala.

« Il est remarquable que, dans les deux cas, les admirateurs inconditionnels de la politique dure de Nayib Bukele à l’égard des gangs criminels au Salvador n’aient pas obtenu de bons résultats », dit Michael Shifter, chercheur principal au Dialogue interaméricain, un organisme de recherche basé à Washington.

 Malgré le choc provoqué par l’assassinat de Villavicencio, les candidats explicitement “anti-crime” en Équateur  se sont partagé les voix. Jan Topić, qui s’est aligné de près sur Bukele, a obtenu des résultats médiocres malgré sa montée dans les sondages après l’assassinat de Villavicencio.

« Il a mené une campagne très axée sur la sécurité », dit Risa Grais-Targow, directrice pour l’Amérique latine de l’Eurasia Group, à propos de Topić. « Mais les électeurs ont d’autres préoccupations, notamment en matière d’économie ».

De même, au Guatemala, où l’on craignait de plus en plus un glissement vers un régime autoritaire, la promesse de Mme Torres de mettre en place une politique à la Bukele n’a pas eu beaucoup de succès. Au contraire, l’ancienne première dame a été mise sur la défensive par son rival parce qu’elle avait été assignée à résidence dans le cadre d’accusations de financement illicite de campagnes électorales.

Les mesures prises par l’autorité électorale guatémaltèque pour disqualifier purement et simplement les candidats considérés comme menaçant l’ordre établi ont également influé sur le résultat.

L’un des candidats écartés de la course avant le premier tour de juin était Carlos Pineda, un outsider qui disait vouloir reproduire la répression de la criminalité menée par Bukele. La disqualification de Pineda et d’autres candidats a ouvert la voie à Arévalo, un autre outsider, même si ses propositions pour lutter contre la criminalité sont plus nuancées.

Les candidats guatémaltèques ont essayé de capitaliser sur le soutien des jeunes. Photo : Daniele Volpe pour le New York Times

Les jeunes électeurs façonnent les élections.

Dans une large mesure, les résultats électoraux en Équateur et au Guatemala ont dépendu des choix des jeunes électeurs. En Équateur, Noboa, 35 ans, homme d’affaires et nouveau venu en politique, était dans le creux de la vague il y a quelques semaines à peine.

Mais en s’appuyant sur le soutien des jeunes tout en se présentant comme un outsider, il s’est hissé de manière inattendue au second tour avec environ 24 % des voix. (Son père, Álvaro Noboa, l’un des hommes les plus riches d’Équateur, s’était présenté sans succès à cinq reprises aux élections présidentielles).

Au Guatemala, le pays le plus peuplé d’Amérique centrale, Bernardo Arévalo, 64 ans, a également bénéficié du soutien des jeunes, en particulier dans les villes, qui ont été attirés par ses appels à mettre fin à la persécution politique des militants des droits humains, des écologistes, des journalistes, des procureurs et des juges.

Arévalo a également adopté une position plus modérée sur les questions sociales. Tout en affirmant qu’il ne chercherait pas à légaliser l’avortement ou le mariage homosexuel, il a précisé que son gouvernement n’autoriserait pas la discrimination à l’encontre des personnes en raison de leur orientation sexuelle.

Cette position, quelque peu inédite au Guatemala, contraste fortement avec celle de Mme Torres, qui a choisi un pasteur évangélique comme colistier et qui a utilisé une insulte anti-gay lors de la campagne pour désigner les partisans d’Arévalo [“tous efféminés et une bande de huecos” équivalent guatémaltèque de “pédés”].

Luisa González affrontera Daniel Noboa au second tour le 15 octobre  en Équateur . Photo: Johanna Alarcón pour le New York Times

La gauche prend des directions diverses.

Le Guatemala et l’Équateur offrent des visions très contrastées de la gauche en Amérique latine.

En effet, dans le paysage politique traditionnellement conservateur du Guatemala, Arévalo, qui critique les gouvernements de gauche comme celui du Nicaragua, est souvent décrit comme un progressiste. En ce sens, il ressemble davantage à Gabriel Borić, le jeune président modéré du Chili, qu’aux exaltés d’autres pays de la région.

Le parti d’Arévalo, Movimiento Semilla (Mouvement Semence), qui s’est coalisé après les manifestations contre la corruption en 2015, ne ressemble à aucun autre parti au Guatemala au cours des dernières décennies. Semilla a attiré l’attention en menant une campagne austère et fondée sur des principes, en affichant clairement ses sources de financement, contrairement au financement opaque qui prévaut dans les autres partis. Une autre source d’inspiration pour Semilla est le Frente Amplio (Front large) de l’Uruguay, un parti modéré et démocratique de centre-gauche.

“Arévalo est un démocrate pur et dur”, dit Will Freeman, chargé d’études sur l’Amérique latine au Council on Foreign Relations (Conseil des relations extérieures).

Luisa González, en revanche, est issue d’une autre partie de la gauche latino-américaine, caractérisée dans le cas de l’Équateur par la mise à l’épreuve des freins et des contrepoids démocratiques, opine Mister Freeman. Elle soutient Rafael Correa, un ancien président équatorien qui reste une force dominante dans la politique du pays bien qu’il ait quitté le pouvoir depuis six ans.

Correa, qui vit en Belgique après avoir fui une condamnation à huit ans de prison pour violation des règles de financement des campagnes électorales, conserve une base solide qui oscille entre 20 et 30 % de l’électorat.

Ce soutien est en grande partie dû à la “nostalgie de ce moment de bien-être qui existait sous l’ère Correa”, dit Caroline Ávila, analyste politique en Équateur.

Arévalo a obtenu plus de voix que tout autre candidat au Guatemala depuis le rétablissement de la démocratie dans le pays en 1985. Photo: Daniele Volpe pour le New York Times

Des résultats imprévisibles

Les élections en Équateur et au Guatemala ont mis en évidence une tendance régionale plus large : l’incertitude et la volatilité de la politique en Amérique latine.

Dans les deux pays, les sondages n’ont pas permis de saisir les évolutions cruciales. En Équateur, où Topić semblait pouvoir tirer parti des retombées de l’assassinat de Villavicencio, c’est Noboa qui a réussi à se qualifier pour le second tour.

Au Guatemala, Arévalo, un candidat professeur qui lit parfois ses discours et n’a pas le talent oratoire de ses rivaux, était considéré comme non menaçant par l’establishment - jusqu’à ce qu’il se qualifie pour le second tour.

Aujourd’hui, avec sa victoire écrasante, il a obtenu plus de voix que n’importe quel autre candidat depuis le rétablissement de la démocratie au Guatemala en 1985.

C’est un scénario que même de nombreux membres de son parti n’avaient pas vu venir.