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03/01/2024

GLORIA MUÑOZ RAMIREZ
EZLN, 30 ans après le soulèvement : “La propriété doit être au peuple et commune” (sous-commandant Moisés)

Les zapatistes font la fête avec un défilé, de la danse, du théâtre et même des mariachis.

Trois décennies après le soulèvement, ils réaffirment leur lutte pour la liberté et la justice.

Gloria Muñoz Ramírez, La Jornada, Víctor Camacho (photos) 2/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 Gloria Muñoz Ramírez est journaliste au quotidien La Jornada et directrice du magazine international en ligne Desinformémonos, au Mexique.

Ocosingo, Chiapas.- Une démonstration de jeunesse musclée, un défilé militaire au rythme de Panteón Rococó et Los Ángeles Azules, une multitude de zapatistes, une assistance nationale et internationale, et un message fort : La propriété doit appartenir au peuple et être commune, et le peuple doit se gouverner lui-même, a déclaré le sous-commandant Moisés, porte-parole de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

Les célébrations ont eu lieu au caracol Dolores Hidalgo à Ocosingo, inauguré il y a tout juste trois ans.

Le chef militaire, d’origine tseltale, est un organisateur des peuples et est chargé d’expliquer les prochaines étapes de leur lutte à l’intérieur et à l’extérieur.

Les communs ont été l’expression la plus fréquemment utilisée au cours des deux jours de célébration. Pour l’expliquer, ils ont consacré des pièces de théâtre, des chants, des danses et des poèmes choraux. Un retentissant « Nous sommes seuls, comme il y a 30 ans » a rendu compte de la réalité qu’ils vivent et ressentent, mais a laissé la porte ouverte à leur appel insistant à l’organisation. « Nous invitons les frères et sœurs, s’ils veulent venir, à partager nos idées, à voir ce qui est le mieux pour la vie. Ce que nous disons, c’est que ceux qui travaillent doivent manger et que ceux qui ne travaillent pas doivent manger leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie, pour voir si cela satisfait leur besoin de faim. »

Des  milliers de personne en uniforme, vêtu·es de pantalons verts et de chemises marron, ont assisté à l’événement, qui a débuté à 22h30 dimanche.

L’esprit de paix paradoxal d’une armée qui a pris les armes pour la liberté, la démocratie et la justice était une fois de plus évident. « « Nous n’avons pas besoin de tuer les soldats et les mauvais gouvernements, mais s’ils viennent, nous nous défendrons, a expliqué Moisés, lors d’une manifestation où il n’y avait pas une seule arme, bien que des milliers de personne en uniforme portant des pantalons verts et des chemises marron, l’uniforme de la milice zapatiste.

De nombreux·ses milicien·nes appartiennent à une génération née des années après le soulèvement.

C’est à 22h30, le dernier jour de l’année, qu’a débuté la commémoration du 30e  anniversaire du soulèvement armé des peuples mayas du Chiapas. Après un défilé inhabituel, joyeux et festif, de milliers de miliciens et miliciennes zapatistes appartenant à une génération qui est certainement née 10 ans après le soulèvement, le sous-commandant Moisés a commencé son message politique en tseltal, s’adressant tout d’abord à la concentration massive de bases de soutien qui s’était déplacée vers le caracol Dolores Hidalgo, créé sur des terres récupérées et inauguré il y a seulement trois ans.

Une rangée de chaises vides a été placée à l’avant de la scène. Les absents, lisait-on sur le panneau qui les présidait. Les disparus ne sont pas là. Les prisonniers politiques ne sont pas là. Les femmes et les hommes assassinés ne sont pas là. Les jeunes hommes et femmes assassinés ne sont pas là. Les enfants assassinés ne sont pas ici. Ne sont pas là nos arrière-arrière-grands-parents, ceux qui ont combattu il y a plus de 500 ans, mais aussi nos camarades tombés au combat, qui ont fait leur devoir, a déclaré le sous-commandant Moisés, qui, il y a 30 ans, était connu comme capitaine, puis a été promu lieutenant-colonel et occupe enfin le commandement principal au sein de la structure militaire de l’EZLN.

Le discours final a été précédé d’un long programme culturel au cours duquel les enfants et les jeunes des communautés rebelles ont mis en scène l’histoire de leur autonomie par étapes et l’initiative à laquelle ils travaillent déjà : Tierra Común. No Man’s Land. À cette occasion, il n’y a pas eu de communiqué écrit, ni de présence du capitaine Marcos, qui, il y a 30 ans et pendant une longue période, a été chargé d’expliquer la parole des peuples au reste du monde, parvenant avec son propre récit à transmettre non seulement leurs motivations et leurs douleurs, mais aussi une nouvelle façon de faire de la politique qui ne suit pas la voie de la prise de pouvoir, mais celle de l’organisation. Marcos n’est apparu que quelques instants au cours de la soirée culturelle.

« Camarades des bases d’appui, nous sommes engagés maintenant. Nous sommes seuls, comme il y a 30 ans. Parce que seuls jusqu’à présent, nous avons découvert ce nouveau chemin que nous allons suivre : le chemin commun. Nous avons encore besoin que nos compañeros et compañeras du Congrès national indigène et le peuple mexicain nous montrent s’ils sont d’accord avec nous », a conclu le porte-parole zapatiste.

Pourquoi nous sommes ici

La célébration tant attendue du trentième anniversaire a été impeccablement organisée. Des centaines d’événements l’ont précédée. Les gens de l’intérieur et de l’extérieur apprennent les uns des autres et tout se déroule dans une sainte paix. On oublie parfois que ces terres de montagnes vertes et de paysages brumeux font partie d’un État contrôlé par le crime organisé, les paramilitaires et les gouvernements qui ont été à l’avant-garde de la dépossession pendant des décennies. À l’intérieur, il n’y a aucun sentiment de menace. Bien au contraire.

L’écrivain Juan Villoro, l’actrice Ofelia Medina, la productrice Berta Navarro, l’acteur Daniel Giménez Cacho, les cinéastes Valentina Leduc et Juan Carlos Rulfo, et la philosophe Fernanda Navarro marchent en souriant dans le cadre d’une fête. Ils célèbrent, comme beaucoup d’autres, 30 ans de proximité.

Les premiers à être interpellés par la lutte zapatiste sont arrivés ici : les peuples indigènes du pays. Nahuas, Purépechas, Nayeris, Binni Záa, Me’phaa, Na savi, Amuzgos, Mazatecos, Popolucos, Chinantecos, Otomíes, Mayos, Yoremes, Zoques, Totonacos et Mayas sont venus écouter en quoi consiste le travail Tierra Común. No Man’s Land.

« Nous n’avons pas besoin qu’on vienne nous donner des explications, des phrases politiques ou des ateliers sur le système. C’est aussi simple que cela et il est facile de voir comment est le système capitaliste. Ceux qui ne veulent pas le voir en sont responsables. Depuis de très nombreuses années, certains disent des décennies et d’autres des siècles, pourquoi avons-nous besoin d’un cours sur ce sujet ? C’est simplement pour voir que ce qu’il faut faire, c’est bien, c’est penser bien. C’est ce que nous devons faire », explique Moisés au micro. Derrière lui sont assis des dizaines de membres du Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène (CCRI), la plus haute autorité de toute la structure zapatiste.

« Ce que nous allons dire, nous allons le faire en commun, peut-être qu’il y a des frères, des sœurs, qui pensent autrement. Mais non. Il y a des choses qui sont communes et d’autres qui ne le sont pas. C’est pour cela que nous avons une tête, pour penser, et c’est pour cela que nous avons des yeux, pour nous rendre compte. C’est pour cela que nous avons un odorat, pour pouvoir sentir ce qui est commun et ce qui ne l’est pas », poursuit Moisés, ajoutant qu’il n’y a pas de livre ou de manuel pour ce qui est à venir et que, comme toujours, tout devra être testé dans la pratique.

Nous n’avons pas besoin de tuer, insiste le commandant militaire zapatiste, mais pour cela, il faut de l’organisation … Nous ne voulons plus de ceux qui gouvernent là-bas, parce que le capitalisme est dans le monde... personne ne va aller se battre là où tout le monde vit. C’est nous qui sommes là, là où ils sont, là où ils vivent. Puis il demande : quelqu’un croit-il que le capitalisme peut être humanisé ? Le public répond en chœur que non. Et il poursuit : « Le capitalisme ne va pas dire “je renonce à exploiter”. Personne, pas même le plus petit, ne veut arrêter de tricher, de voler et d’exploiter, et encore moins les gros. Il n’y a donc pas besoin de beaucoup d’études. Ce qu’il faut, c’est réfléchir à la manière de changer cette situation. Personne ne nous le dira, c’est nous, les hommes et les femmes, qui allons suivre cette voie et nous défendre ».

Organisation, histoire et 4T

Pendant ces deux jours, les zapatistes ont raconté les différentes étapes de l’histoire de leur autonomie, depuis la naissance des Aguascalientes en 1994, leur conversion en cinq caracoles en 2003, leur élargissement à 12, jusqu’à aujourd’hui, où ils se prononcent en faveur de la Terre Commune, sans propriétaires, et invitent même ceux qui ne sont pas zapatistes à faire partie de ce travail collectif.

« Cela n’a pas été facile, parce que le mauvais gouvernement a voulu en finir avec nous. Dans leurs médias, ils ont dit que nous, les zapatistes, nous étions rendus et que nous avions accepté leurs miettes. Mais nous ne nous sommes pas rendus. Résister, ce n’est pas seulement endurer, c’est construire », disent les jeunes dans une pièce de théâtre.

C’est au tour de la critique et de la remise en question profonde de la 4T [la “Quatrième Transformation” lancée par le président López Obrador, NdT] et de ses mégaprojets. Des trains en carton portés sur les épaules d’enfants et de jeunes représentent le Train Maya et le Train Interocéanique, récemment inaugurés par le gouvernement fédéral. Ce segment évoque les projets éoliens, les entreprises minières, les cultures transgéniques et les centrales hydroélectriques. Il est également question du crime organisé et de sa complicité avec les gouvernements.

La fête semble sans fin. Les danses se poursuivent jusqu’au petit matin. Et tout au long du 1er  janvier, il y a encore de la danse, des tournois de basket-ball et de volley-ball, des performances artistiques et des ateliers proposés par les visiteurs.

Soudain, un groupe impensable de mariachis apparaît dans la cantine communautaire. Ils chantent Las Mañanitas, car un anniversaire est célébré.