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23/03/2024

GIDEON LEVY
Ofer, le Guantanamo israélien : Munther Amira témoigne

 Gideon Levy &  Alex Levac (photos), Haaretz, 23/3/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Violences, humiliations, surpopulation effroyable, cellules froides et stériles, entraves pendant des jours. Un Palestinien qui a passé trois mois en détention administrative israélienne pendant la guerre de Gaza décrit son expérience de la prison d’Ofer.

Munther Amira, chez lui dans le camp d’Aida cette semaine, après sa libération de la prison d’Ofer. « J’avais déjà été à Ofer, mais ça n’avait jamais été comme ça ».

Munther Amira a été libéré de “Guantanamo”. Il avait déjà été arrêté à plusieurs reprises par le passé, mais ce qu’il a vécu lors de son incarcération dans une prison israélienne pendant la guerre de Gaza ne ressemble à rien de ce qu’il a pu vivre auparavant. Un ami qui a passé 10 ans dans une prison israélienne lui a dit que l’impact de sa propre incarcération au cours des trois derniers mois équivalait à 10 ans de prison en temps “normal”.

Le témoignage détaillé qu’Amira nous a livré cette semaine dans sa maison du camp de réfugiés d’Aida, à Bethléem, était choquant. Il a exprimé son calvaire avec son corps, s’agenouillant à plusieurs reprises sur le sol, décrivant les choses dans les moindres détails, sans aucun sentiment, jusqu’à ce que les mots deviennent insupportables. Il était impossible de continuer à écouter ces descriptions atroces.

Mais il semblait avoir attendu l’occasion de raconter ce qu’il avait enduré dans une prison israélienne au cours des derniers mois. Les descriptions se succédaient sans interruption - horreur sur horreur, humiliation sur humiliation - à mesure qu’il décrivait l’enfer qu’il avait vécu, dans un anglais courant entrecoupé de termes hébraïques relatifs à la prison. En trois mois, il a perdu 33 kilos.

Deux grandes photos trônent dans son salon. L’une représente son ami Nasser Abu Srour, emprisonné depuis 32 ans pour le meurtre d’un agent du service de sécurité du Shin Bet ; l’autre le représente le jour de sa libération, il y a exactement deux semaines. Cette semaine, Amira est apparu physiquement et mentalement résilient, semblant être une personne différente de celle qu’il était le jour de sa sortie de prison.

Amira chez lui cette semaine. Ce qu’il a vécu lors de son incarcération dans une prison israélienne pendant la guerre dans la bande de Gaza est différent de tout ce qu’il a connu dans le passé.

Amira a 53 ans, il est marié et père de cinq enfants. Il est né dans ce camp de réfugiés, dont la population comprend les descendants des habitants de 27 villages palestiniens détruits. Il a conçu la grande clé du retour qui est accrochée à la porte d’entrée du camp et qui porte l’inscription « Pas à vendre ». Amira est un militant politique qui croit en la lutte non violente, un principe qu’il défend toujours, même après le nombre considérable de morts à Gaza pendant la guerre, souligne-t-il. Membre du Fatah, il travaille au Bureau des colonies et de la clôture de l’Autorité palestinienne et est diplômé de la faculté des sciences sociales de l’université de Bethléem.

18 décembre 2023, 1 heure du matin. Bruits sourds. Amira regarde par la fenêtre et voit des soldats israéliens frapper son jeune frère Karim, âgé de 40 ans. Les soldats traînent Karim au deuxième étage, dans l’appartement d’Amira, et le jettent à terre au milieu du salon. Amira affirme que son frère s’est évanoui. Karim est le directeur administratif du service de cardiologie de l’hôpital Al-Jumaya al-Arabiya de Bethléem, et il n’est pas habitué à ce genre de violence.

17/07/2023

BLANCHE PETRICH
Mexique : selon des experts, les archives de Tlaxcoaque vont changer notre regard sur la guerre sale
On en trouvera probablement dans trois dépôts récemment ouverts

Blanche Petrich, La Jornada, 15/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a deux décennies, le ministère de la Défense nationale et le Centre de renseignement et de sécurité nationale (CISEN), aujourd’hui disparu, ont remis aux Archives générales de la nation les fonds documentaires des années de la “guerre sale”. Bien qu’incomplets et fragmentés, ils peuvent être consultés par toute personne qui en fait la demande. Mais pour reconstituer l’ensemble du puzzle de la répression de cette période - en particulier entre 1965 et 1990 - il manque une pièce maîtresse : les archives de l’ancienne police de la capitale, la police secrète ou Division des enquêtes et de la prévention de la délinquance (DIPD).

La zone du centre de détention souterrain de Tlaxcoaque a perduré même après sa fermeture, suite à la dissolution de la DIPD ordonnée par Miguel de la Madrid lors de son entrée en fonction en 1982. Photo Alfredo Domínguez

Après de multiples demandes de renseignements et d’ouverture, ils avaient été considérés comme perdus ou détruits. Jusqu’à présent. Cela pourrait bientôt changer, affirme Carlos Pérez Ricart, l’un des quatre experts du Mécanisme de clarification historique ((Mecanismo para la Verdad y el Esclarecimiento Histórico, MEH).

Suite à la signature d’un accord entre le bureau du procureur général de Mexico et la Commission pour l’accès à la vérité, la clarification historique et la promotion de la justice, l’accès a été ouvert au début de ce mois à trois dépôts d’archives, un de la police et deux du bureau du procureur général lui-même.

Les chercheurs n’ont été admis que lundi dernier. « Si les archives de Tlaxcoaque sont là - ce qui est possible -, cela changera la façon dont nous avons perçu l’ère répressive au Mexique jusqu’à aujourd’hui, en particulier entre les années 1970 et 1980. Elle a toujours été étudiée d’un point de vue national, mais ce sont des organes infranationaux qui ont perpétré les violations les plus graves du droit humanitaire. Et c’est précisément dans ce qui était alors le district fédéral que les acteurs les plus répressifs du XXe siècle ont opéré, pire encore que les agents et les chefs de la direction fédérale de la sécurité ».

Lieu où les serpents regardent

En náhuatl [la langue des Aztèques], Tlaxcoaque signifie lieu où les serpents regardent.

Le livre Historia de las policías en México, de Pérez Ricart et du chercheur du MEH Daniel Herrera Rangel, montre comment, depuis l’époque des Services secrets de la police du District fédéral, fondés dans les années de la présidence de Lázaro Cárdenas [1934-1940], jusqu’à l’année de leur dissolution formelle en 1986, tous les commandants des forces de police étaient des généraux de l’armée.

16/07/2023

BLANCHE PETRICH
Mexique : à Tlaxcoaque, on torturait aussi des enfants et des adolescents pendant la Guerre sale

Blanche Petrich, La Jornada, 14/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Blanche Petrich (Mexico, 1952) est une journaliste mexicaine qui travaille principalement pour le quotidien La Jornada. Elle a notamment couvert les conflits armés en Amérique centrale et en Irak.

Mexico. María del Carmen Alonso Acevedo, 57 ans, se souvient du jour où elle a été arrêtée par la police de la Direction des enquêtes pour la prévention du crime et emmenée aux basses-fosses de Tlaxcoaque*. Ce jour-là, sa sœur aînée fêtait ses 15 ans et sa mère était allée la voir au Tutelar de Menores [centre de détention de mineurs] pour lui apporter un gâteau et des chuchulucos [friandises]. Maricarmen avait 12 ans et “par mimétisme et rébellion”, elle s’était elle aussi lancée dans l’aventure de la rue, des bandes d’enfants, du vol pour manger et “enfin... pour nos drogues”.

À cet âge, cette enfant des rues a appris ce qu’étaient la torture et l’emprisonnement illégal, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle sait que ce qu’elle a subi constitue une violation flagrante de ses droits humains.

Les caractéristiques les plus extrêmes de la police de la capitale qui opérait sous les ordres des généraux Luis Cueto et Raúl Mendiolea, Arturo “El Negro” Durazo et Francisco Sahagún Baca, n’excluaient pas les enfants parmi leurs victimes.

Arturo "El Negro" Durazo Moreno (1918-2000) a été chef du département de la police et de la circulation du district fédéral pendant les six années du mandat du président José López Portillo. Il a acquis une grande notoriété au début des années 1980, lorsque certaines de ses propriétés millionnaires ont été révélées et, surtout, grâce à la publication du livre Lo negro del "Negro" Durazo, écrit par l’un de ses anciens adjoints, José González González. Arrêté en 1984, il a passé huit ans en prison avant d’être libéré pour des raisons de santé et de “bonne conduite”. Il est mort dans son lit à Acapulco

Ni les jeunes, pour le simple fait d’avoir les cheveux longs ou d’avoir un joint de marijuana dans la rue. C’est ce qu’a vécu Luis Manuel Serrano Díaz, à l’âge de 17 ans. Il a été arrêté dans le quartier Insurgentes Mixcoac, à quelques rues de chez lui, avec ses frères. À l’intérieur de leur vocho [coccinelle volkswagen], ils étaient en train de faire la bringue.

Serrano est un artiste visuel qui dirige l’atelier de collage à la prison de Santa Martha Acatitla, Las Liternas de Santa Martha. Son cas ne s’est pas aggravé. Les jeunes ont été libérés quelques heures plus tard. La jeune Maricarmen, en revanche, n’a pas eu cette chance.

Environ 40 enfants

« Et ne croyez pas que nous n’étions que quelques-uns. Le jour où ils m’ont emmené, j’ai vu une quarantaine d’enfants. Les garçons étaient appelés ‘los pelones’ (les tondus) parce qu’ils les rasaient. Pas les filles : ils versaient simplement le ciment que nous inhalions dans nos cheveux. Ensuite, nous devions nous raser les cheveux nous aussi ».

Elle n’a rien oublié de ces huit jours passés dans les caves de Tlaxcoaque. « Ils m’ont attrapée dans la TAPO [gare routière de l’Est]. Je faisais la manche. Quelqu’un m’a demandé de garder un panier de gâteaux et c’est là qu’ils m’ont attrapée. Ils ont dit que je transportais de la marijuana, mais ce n’était pas le cas. Dès qu’ils nous ont fait monter dans la camionnette, une de ces camionnettes blanches sur lesquelles était écrit “Prévention sociale”, ils ont commencé à nous toucher partout. Et ça les faisait rire. Une fois à l’intérieur, ils nous ont donné des baffés partout. Et ils nous ont arrosés d’eau glacée ».

Il y a quelques jours, alors qu’elle se promenait dans la rue Corregidora, dans le centre historique, elle a vu une affiche à moitié effacée sur le mur. Sous le titre “La mémoire raconte l’histoire”, on peut lire un appel à ceux qui veulent partager leurs témoignages sur les graves violations des droits humains commises à Tlaxcoaque entre 1957 et 1989.

« Oh, maintenant ils le font. Ils se sont même souvenus de nous », se dit-elle. Pour elle, cet appel à faire partie de l’histoire de la ville a été l’une de ses plus grandes revendications. « J’ai toujours pensé que ce que nous, les enfants, avons vécu dans cet endroit épouvantable devait être connu. Eh bien, voyons si ça va être le cas maintenant ».

Elle a fini de décoller l’affiche, l’a pliée soigneusement et l’a mise dans son sac de courses. Dès qu’elle a pu, elle a cherché l’adresse indiquée dans le quartier boboïsé de Hipódromo Condesa, la Casa Refugio Citlaltépetl (CRC) - désignée par le Mecanismo para el Esclarecimiento Histórico (MEH, Mécanisme de clarification historique) pour recevoir les témoignages des victimes - et s’est inscrite pour témoigner. Devant la directrice du CRC, María Cortina, elle déplie l’affiche et demande : “C’est ici ?”

18/09/2022

AVIGDOR FELDMAN
Je pensais avoir mis un terme à la torture par le Shin Bet. Je m’étais trompé

Avigdor Feldman, Haaretz, 16/9/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Avigdor Feldman (Tel Aviv, 1948), est un avocat spécialisé dans les droits et humains en Israël. Il est le fondateur de l'Association pour les droits civils en Israël (ACRI) ainsi qu'un membre fondateur de B'Tselem. Il a notamment défendu Mordechai Vanunu. https://www.facebook.com/avigdor.feldman

 

Pendant des années, j'étais fier que mes collègues juristes et moi-même ayons réussi à éliminer la possibilité d'obtenir des aveux par la torture. Mais il s'avère que nous nous étions trompés.


Entre 23 h 53 le 17 décembre 2015 et 6 h 50 le 18 décembre 2015, il a été fait usage pendant des “périodes fixes et brèves” de moyens dits spéciaux, appliqués avec une précision scientifique, sur le corps d'Amiram Ben-Uliel. Ben-Uliel avait été reconnu coupable en mai 2020 de trois chefs d'accusation de meurtre et de deux chefs d'accusation de tentative de meurtre dans l'attaque de 2015 contre la famille Dawabsheh alors qu'elle dormait chez elle dans le village de Douma, en Cisjordanie.

 

En tant que l'un des avocats dans l'appel soumis par Ben-Uliel, qui a été rejeté au début du mois par la Cour suprême, il m'est interdit de décrire les moyens spéciaux réels. Les instructions d'utilisation desdits moyens apparaissent sur une page imprimée, définissant des termes qui n'ont pas besoin d'être définis - le tout dans un langage laconique, concis et bureaucratique qui ne tolère aucune ironie ou ambivalence, évitant la conscience de soi comme la peste.

 

À en juger par la formulation du texte et sa cadence, le mode d'emploi a été rédigé par une intelligence artificielle pas très sophistiquée, qui a été formée à la lecture du mode d'emploi d'un vieil aspirateur et qui, sur commande, présente des directives précises pour appliquer la douleur sans se sentir coupable.

 

On m'a interdit de copier le mode d'emploi, ou de le garder dans mon bureau pour y jeter un coup d'œil chaque fois que je commençais à penser que j'avais rêvé ce que j'avais vu et que je doutais de l'existence d'un tel morceau de papier, portant le sceau officiel du tribunal du district central avec "P/1" noté à la main dans son coin droit (ce qui signifie pièce à conviction n° 1). Je voulais revenir à P/1 pour m'assurer qu'il était bien réel et non le fruit de l'imagination débridée de quelqu'un qui a lu trop de livres sur les juges de régimes aberrants.

 

Pour pouvoir relire P/1, on m'a conduit dans une pièce sans fenêtre dans les bureaux du parquet du district. Un avocat affable, qui n'avait probablement jamais regardé la pièce en question, avait reçu l'ordre de s'assurer que l'avocat de la défense ne copierait pas, ne photographierait pas, ne plierait pas P/1, ne le déchirerait pas en morceaux et ne le mettrait pas dans sa bouche pour le mâcher et l'avaler.

 

Chacun des moyens spéciaux mentionnés ci-dessus est une surprise totale pour l'internaute et le lecteur. Tous les moyens de ce type qui ont été rassemblés - sans doute par une équipe d'experts comprenant des enquêteurs chevronnés, des physiologues et des médecins qui s'occupent de l'esprit et du corps - existaient, jusqu'à la récente décision, loin de la main de l'autorité, loin du poing ou de la paume ouverte qui s'abat sur l'interrogé. Loin des protections que l'on considère comme allant de soi et qui font partie de l'agenda existentiel de toute personne vivant dans un État démocratique et juif.

 

Nous nous sommes habitués à penser que le corps humain et le royaume de la douleur qui y réside échappent au contrôle des autorités. Aujourd'hui, la Cour suprême a fixé la limite de cette protection jusqu'à 36 heures après la mise en œuvre des moyens de douleur. En d'autres termes, la Cour a décidé qu'un aveu fait 36 heures ou plus après la mise en œuvre du moyen de douleur est fait librement et est donc recevable pour être utilisé contre un inculpé. 

 

Trente-six heures suffisent pour faire tomber dans l'oubli et effacer tout souvenir du moyen, et le libre arbitre envahit alors la chair frémissante. Amiram s'est levé et a déclaré : « Je suis ici un homme libre, mon statut d'être humain qui m'a été enlevé par la force, par une main serrée en poing, m'a été rendu ». 

 

En 1999, la Cour suprême, siégeant en formation élargie, a statué que lors de l'interrogatoire d'un suspect terroriste, le service de sécurité Shin Bet n'est pas autorisé à utiliser des moyens de pression physique extrême. À cette époque, les moyens dits spéciaux sont sortis de leur boîte et la Haute Cour a interdit diverses méthodes de torture telles que le “secouage” (impliquant une violence dirigée vers la partie supérieure du corps de telle sorte que le cerveau heurte le crâne) ; la technique du “shabah” [prisonnier en hébreu, NdT] (nommée d'après son utilisation sur les Palestiniens entrés illégalement en Israël et comprenant la flexion douloureuse du dos de la personne, l'utilisation d'une musique assourdissante, etc.) et ce qu’ils appellent « l’accroupissement de grenouille ».

 

Ces méthodes constituent-elles les moyens spéciaux mis en œuvre dans le cas de Ben-Uliel ? Je ne suis pas en mesure de le confirmer ou de l'infirmer. Ce qui a été publié en 1999 est aujourd'hui un secret d'Etat, gardé encore plus rigoureusement que les secrets nucléaires d'Israël et les activités de l'Institut de recherche biologique. À l'époque, je représentais, avec mes collègues, les pétitionnaires contre la torture. Parfois, lorsque je me suis lassé de la profession que je m'étais imposée, je me suis souvenu de ce jugement et je me suis dit : Ils ne peuvent pas m'enlever l'abolition de l'accroupissement de la grenouille.

 

Bien, c'est ce que j'ai dit.

 

À une époque où la frontière entre l'imagination et la réalité s'estompe, la question s'est posée de savoir si un jugement a effectivement été rendu pour annuler l'utilisation de ces méthodes d'interrogatoire. Quiconque parcourt le site ouèbe bien conçu du Shin Bet en langue anglaise découvrira, à sa grande surprise, ce qui suit dans la section “Patrimoine” : « À la suite de l'affaire Nafsu [où des moyens de torture excessifs ont été utilisés pour extorquer des aveux à un officier de renseignement de l'armée, en 1980], le gouvernement israélien a nommé une commission d'enquête chargée d'examiner les méthodes et procédures d'interrogatoire de l'AIS [Agence israélienne de sécurité, Shin Bet]. Moshe Landau, un juge de la Cour suprême à la retraite, a été nommé président de la commission d'enquête. La commission a publié ses conclusions en octobre 1987, et a précisé qu'il était interdit d'utiliser une pression physique inacceptable lors des interrogatoires, sauf dans des cas extraordinaires où l'utilisation d'une pression physique modérée était autorisée, et seulement avec une permission spéciale. La commission a établi des règlements et des procédures pour la supervision des méthodes d'interrogatoire de l’AIS. Depuis lors, la supervision des interrogatoires a été renforcée, et les principes concernant les méthodes autorisées et interdites ont été inculqués aux interrogateurs ».

 

Les mensonges fusent. Les moyens de contrôle n'ont pas été augmentés, les recommandations douteuses de la commission Landau ont été annulées par la Cour suprême, et les pressions physiques modérées ne sont soumises à aucune autorisation spéciale. Entretemps, la disposition de l'article 277 du code pénal prévoyant une peine de trois ans d'emprisonnement pour un fonctionnaire qui extorque des aveux par la violence, n'a pas été effacée des livres de loi.

 

Ce n'est pas si terrible, disent les juges, pas de chocs électriques, pas d'arrachage d'ongles, pas de waterboarding [simulacre de noyade] à la Guantanamo, il ne s'agit que de s'accroupir, de se courber et d’encaisser des décibels - pourquoi en faire tout un plat ?

Jean Améry, lui, en fait tout un plat dans son livre Par-delà le crime et le châtiment, Essai pour surmonter l'insurmontable  : « Quand on parle de torture, il faut se garder d'exagérer. Ce qui m'a été infligé (...) n'était de loin pas la pire forme de torture (...) Et pourtant, 22 ans après qu'elle s’est produite (...) j'ose affirmer que la torture est l'événement le plus horrible qu'un être humain puisse garder en lui (...) Au premier coup, [la] confiance dans le monde s'effondre.

L'autre personne, en face de laquelle j'existe physiquement dans le monde, et avec laquelle je peux exister tant qu'elle ne touche pas la surface de ma peau comme frontière, m'impose sa propre corporéité au premier coup. Il est sur moi et me détruit ainsi. C'est comme un viol, un acte sexuel sans le consentement de l'un des deux partenaires ».

 

Les tribunaux israéliens ne donnent que 36 heures à la douleur du détenu pour se dissiper. Pendant 30 ans, Jean Améry n'a pas réussi à effacer le souvenir de la torture “légère” qu'il a subie - jusqu'à ce qu'elle prenne le dessus et qu'il mette fin à ses jours.