Dr. Rim Mansour Sultan al- Attrache, Sabahelkheyr.com, n° 142, 25/7/2025
Original arabe
فكر سلطان الأطرش: من أرشيفه
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
سلطان الأطرش: شعلة
الثورة السورية الكبرى
Sultan
al-Atrash : La flamme inextenguible de la Syrie
Durant un quart de siècle, j’ai travaillé à éditer les archives de Sultan al- Attrache, publiées à Beyrouth.
Sultan al- Attrache déclara alors aux
journalistes allemands :
« Les Français ne cherchent pas sincèrement la
paix dans leurs négociations... Ils veulent simplement nous distraire en
attendant l’arrivée de leurs nouvelles troupes…
Nous n’acceptons rien d’autre que l’indépendance totale et l’unité de la Syrie, avec l’établissement d’un gouvernement national constitutionnel. Le mandat de l’État mandataire doit se limiter à une assistance technique et administrative via des conseillers qualifiés, conformément au Pacte de la Société des Nations de 1919. »
Refusant toute division confessionnelle du pays. Il proclamait clairement les objectifs de la révolution : l’unité du territoire syrien, côte et intérieur (Le Levant), et l’indépendance totale, comme déclaré dans son manifeste « Aux armes ».
Il refusa une offre royale du roi George V en 1927 : un château à Jérusalem et une pension mensuelle à vie. Il répondit : « Notre bonheur réside dans l’indépendance de notre patrie, son unité et la liberté de notre peuple, avec le retrait des troupes étrangères. »
Autour de lui se rassemblèrent les pauvres, les patriotes.
La révolution de 1925 ne fut pas seulement un acte militaire spectaculaire, mais une initiative de refus et de résistance. Les envahisseurs ne doivent jamais se sentir en paix, quelle que soit la durée de leur occupation…
Quand le roi Fayçal quitta Damas, contraint par l’ultimatum du général Gouraud, Sultan dépêcha Hamad al-Barbour pour le convaincre de rejoindre le Djebel et y lancer une résistance armée, pour préserver la légitimité du pouvoir national. »
Une gifle au colon français et un rejet clair du confessionnalisme.
Sultan al- Attrache comprit l’importance
des médias pour la cause nationale syrienne. Ainsi, le 15 octobre 1925, il
adressa une lettre en arabe et en anglais au rédacteur du journal britannique The
Times, pour informer l’opinion publique européenne des véritables raisons
de la Révolution syrienne, que les Français tentaient de dissimuler afin
d’induire l’Europe en erreur. Il y dénonça les atrocités françaises, comme le
bombardement des femmes venues puiser de l’eau et le meurtre d’enfants. Les
révolutionnaires, quant à eux, respectaient les conventions internationales
dans le traitement des prisonniers et avaient renvoyé les femmes d’officiers
français à leurs familles saines et sauves depuis Soueïda.
Les archives de Sultan al- Attrache apportent
une contribution inédite à l’histoire du Levant. On y apprend par exemple que
la révolution dura 12 ans. Sa période d’exil et de refuge fut marquée par de
nombreuses prises de positions politiques qui influencèrent les négociations
diplomatiques jusqu’au retrait total des troupes françaises le 17 avril 1946.
Il est à noter que de nombreux combattants de la Révolution syrienne
participèrent ensuite à la révolte palestinienne, comme le martyr Saïd al-’Ass
(1936).
Sultan fut nommé commandant en chef de la
révolution lors de la conférence de Rimat al-Fukhour (23 août 1925), après sa
victoire contre la campagne du général Michaud à la bataille d’al-Mazraa. Le
docteur Chahbandar prit en charge les affaires politiques de la révolution et
en devint le porte-parole officiel. Toutefois, Sultan traçait les grandes
lignes politiques, fixait les orientations, et planifiait les opérations
militaires en coordination avec les commandants locaux.
Il existait un lien entre la Révolution
syrienne et celle de l’émir Abdelkrim al-Khattabi au Maroc. La révolution du
Rif allégea la pression sur la Syrie jusqu’à la reddition d’al-Khattabi, après
quoi beaucoup de Marocains enrôlés dans l’armée française rejoignirent la
révolution syrienne contre les Français.
Les révolutionnaires avaient mis en place une
organisation ingénieuse : un quart des hommes de chaque village était mobilisé
avec des provisions suffisantes pour la durée de service fixée par le commandant
en chef. Une fois leur mission terminée, ils étaient remplacés par un second
quart, et ainsi de suite, pendant que ceux restés au village assuraient les
travaux agricoles au nom de tous.
En exil, Sultan appelait à l’unité, à dépasser
les clivages partisans pour le bien commun, convaincu que la cause syrienne
représentait le noyau de l’unité arabe. Dans ses lettres (1930), il insistait
sur son indépendance vis-à-vis des partis et sa volonté de poursuivre la
révolution pour une Syrie unie et libre.
Les politiques le consultaient même durant son
exil de dix ans. Il présida la Conférence du Désert en octobre 1929, en
présence de nombreuses figures nationalistes. Six décisions majeures y furent
prises, dont la condamnation de la suspension de l’Assemblée constituante
syrienne, la dénonciation des propos du Haut-commissaire français Henri Ponsot
ignorant la cause nationale, le rejet des résolutions
du 16ème Congrès sioniste de Zurich, et la
demande adressée au ministère britannique du Travail d’annuler la Déclaration
Balfour, en reconnaissant les droits nationaux des Arabes.
Cet homme, qui comprit tôt les ambitions
coloniales en Orient, refusa tout poste politique après l’indépendance syrienne
(1946), tout comme toute compensation financière. Il répétait aux dirigeants
arabes :
« Préservez l’indépendance pour laquelle nous avons
sacrifié nos vies pour lui. »
Il craignait sans cesse le retour des
convoitises coloniales. Sa dernière volonté, publiée, en témoigne : il est le
seul révolutionnaire syrien à avoir laissé un testament politique.
Il avait planifié une grande campagne vers la
région de Balan, au pied du Mont Hermon, une autre pour soutenir les
révolutionnaires de la Ghouta de Damas, et une troisième vers le Hauran. La
révolution s’étendit vers le nord avec Fawzi al-Qawuqji, qui demandait qu’on
lui envoie armes et hommes depuis le Djebel Druze.
Il n’abandonna jamais le slogan :
« La religion pour Dieu, la patrie pour tous ».
Une archive de la Bibliothèque nationale de
Damas rapporte que le consul britannique au Levant écrivit à son ministère : «
Sultan al-Attrache est incorruptible. »
La chercheuse française Lenka
Bokova a dit à mon père Mansour al-Attrache : « Sans cette forte personnalité, la Grande
Révolution syrienne n’aurait pas vu le jour. »
Voici un extrait d’un article de Mansour al-Attrache, « L’initiative dans l’histoire » :
« Il faut distinguer les initiateurs des suiveurs dans le déroulement de l’histoire. L’initiateur accomplit son rôle en allumant la mèche de l’événement majeur. Le suiveur, bien qu’important, arrive plus tard…
La révolution de 1925 ne fut pas seulement un acte militaire spectaculaire, mais une initiative de refus et de résistance. Les envahisseurs ne doivent jamais se sentir en paix, quelle que soit la durée de leur occupation…
Quand le roi Fayçal quitta Damas, contraint par l’ultimatum du général Gouraud, Sultan dépêcha Hamad al-Barbour pour le convaincre de rejoindre le Djebel et y lancer une résistance armée, pour préserver la légitimité du pouvoir national. »
Sultan al-Attrache, conscient de son rôle,
s’opposa aussi au sionisme, rejetant toute négociation avec les sionistes. Il
faisait parvenir clandestinement des armes à la révolution palestinienne de
1936, avec le combattant Chékib Wahhab, depuis Karak. Il fut l’un des cinq
leaders syriens à refuser toute forme de dialogue avec le sionisme.
Adib Chichakli lança une campagne militaire
brutale contre Soueïda, croyant pouvoir asseoir son pouvoir. Environ 100 civils
furent tués, soit un martyr pour 500 habitants. La maison de Sultan fut
vandalisée. Il quitta alors sa demeure pour éviter le bain de sang, déclarant :
« Je refuse de brandir les armes contre l’armée
syrienne. Ce sont mes fils ! »
Il partit à pied dans la neige depuis Qrayya
vers la Jordanie. Il avait alors 66 ans. À la frontière, les autorités
jordaniennes lui envoyèrent une voiture portant le drapeau britannique, qu’il
refusa malgré le danger. Elles lui envoyèrent alors un autre véhicule, arborant
cette fois le drapeau jordanien : il accepta et entra ainsi en Jordanie, où il
resta jusqu’à la chute de Chichakli. Même dans les circonstances les plus
difficiles, Sultan Pacha n’a pas recours aux étrangers.
Il revint alors triomphant à Qrayya.
Quand les gens vinrent le féliciter de la mort
de Chichakli, il répondit :
« Je n’ai plus rien à voir avec lui depuis
qu’il a quitté le pouvoir. Son assassinat est un acte isolé. Nous ne nous
vengeons pas et ne nous réjouissons pas de la mort ! »
Trois leçons majeures que nous enseigna Sultan
al-Attrache.
Il ne renonça jamais au slogan de la révolution
:
« La religion pour Dieu, la patrie pour tous ».
Il écrivait à son frère Zeid, commandant la
campagne du Ballan : « Protégez les chrétiens. Ne laissez personne leur faire
de mal. Assurez leur sécurité, leur vie, leurs biens. Empêchez toute agression
à leur encontre. Nous sommes tous enfants d’une même patrie, tous des Arabes
syriens à égalité. »
Je conclus avec une pensée de Sultan al-Attrache,
écrite en 1961 :
« Ils disent que nous avons cueilli le fruit de notre lutte, le fruit de cet arbre que nous avons nourri de notre sang. Non ! Ce fruit n’est pas encore mûr.Notre lutte n’en est encore qu’au stade de la floraison. Nous ne voulons pas en cueillir les fruits tant que nous ne sommes pas unis en tant qu’Arabes.Fils de la Révolution et enfants du désert, nous nous sommes voués à être les offrandes sacrées sur l’autel de l’arabisme.Cet arbre ne portera pas de fruit tant qu’il restera infesté de parasites destructeurs.Il ne portera pas de fruit tant que la voix de la liberté ne s’élèvera pas de Palestine, et que les ambitions coloniales ne seront pas écartées d’Irak, d’Égypte et de Transjordanie.Alors, seulement, que vienne le fruit mûr, savoureux, symbole des générations qui ont porté la flamme de la civilisation, flamme qui ne s’éteindra plus ».