25/11/2025

La dernière escalade au Liban sert les intérêts de Netanyahou et bénéficie de l’appui de Trump

 

Amos Harel, Haaretz, 24/11/2025
Traduit par Tlaxcala

Washington déploie un immense effort pour forger une nouvelle réalité au Liban et estime peut-être qu’une démonstration de sérieux de la part d’Israël peut sortir les négociations de l’impasse. Mais les attaques israéliennes sont également liées à d’autres fronts – et semblent viser à détourner l’attention des échecs de Netanyahou.


L’opération d’assassinat au cœur de Beyrouth dimanche a constitué l’action israélienne la plus brutale au Liban depuis l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu il y a un an. Après des semaines de menaces, l’armée de l’air a tué Haytham Ali Tabatabai, qualifié de chef d’état-major du Hezbollah. La plupart des dirigeants de l’organisation, à commencer par l’ancien secrétaire général Hassan Nasrallah, ont été tués lors de la guerre de l’automne dernier.

« Cessez-le-feu » est un terme relatif. Dans la pratique, Israël a repris ses attaques presque dès le premier jour, visant principalement des opérateurs du Hezbollah et des systèmes d’armes déployés au sud du fleuve Litani. Au cours de l’année écoulée, près de 400 personnes ont été tuées dans les frappes israéliennes au Liban. La plupart étaient des combattants du Hezbollah, mais lors d’une frappe inhabituelle la semaine dernière, visant une cible militaire du Hamas dans le camp de réfugiés d’Aïn El Heloueh près de Sidon, 14 Palestiniens ont été tués.

Haret Hreik, 23 novembre : après l'assassinat ciblé israélien. Photo Ibrahim AMRO / AFP


Les frappes israéliennes visent les efforts du Hezbollah pour redéployer des hommes armés et une infrastructure militaire dans la zone que l’organisation était censée évacuer en vertu de l’accord de cessez-le-feu. Mais en coulisses, d’autres considérations semblent également entrer en jeu.

Jusqu’à cet été, un certain optimisme régnait à Jérusalem et à Beyrouth quant à la situation au Liban. L’impression était que le nouveau gouvernement libanais et l’actuelle direction de l’armée libanaise étaient prêts à affronter le Hezbollah et déterminés à poursuivre son désarmement, un effort renforcé par les succès d’Israël durant la guerre.

Mais ces derniers mois, les évaluations sont devenues plus pessimistes. Les efforts de l’armée libanaise ont cessé, et le Hezbollah a accéléré ses tentatives de se réarmer des deux côtés du Litani. En réponse, Israël a intensifié ses attaques, même si le Hezbollah s’est jusqu’à présent abstenu de toute attaque contre Israël.

Tabatabai est l’un des derniers membres vétérans de la direction militaire du Hezbollah, parmi les rares à avoir survécu à la guerre de l’an dernier. La décision de tuer un homme aussi haut placé signale qu’Israël est prêt à prendre des risques, même si cela implique de rompre le cessez-le-feu avec plusieurs jours d’affrontements militaires.

Le rapport de forces entre les deux parties n’est plus le même qu’il y a plus d’un an. Nasrallah et la plupart des dirigeants militaires du Hezbollah ne sont plus en vie, les stocks de roquettes de l’organisation ont diminué et son moral de combat semble également en baisse. Néanmoins, il existe un risque de représailles du Hezbollah.

Netanyahou n’aurait vraisemblablement pas pris ce risque sans l’appui total deTrump. Les USAméricains déploient de grands efforts pour convaincre les deux parties d’avancer vers un plan pour une nouvelle réalité au Liban ; peut-être, si le processus diplomatique est effectivement enlisé, ont-ils estimé qu’un exemple létal de la détermination d’Israël était nécessaire.

Les développements de dimanche au Liban sont également liés à ce qui se passe sur d’autres fronts. En Syrie, l’administration Trump tente de promouvoir un accord de normalisation avec Israël, mais se heurte à des objections de Netanyahou. En outre, Israël s’inquiète du déploiement militaire du Hamas dans les régions de Tyr et Sidon. Ce déploiement pourrait être utilisé par le Hamas pour exercer une contre-pression alors que les USAméricains tentent de faire respecter le cessez-le-feu dans la bande de Gaza.

Mais, comme souvent avec Netanyahou, il est impossible d’ignorer l’utilité politique de ces actions pour lui. Ce n’est pas un hasard s’il a ravivé les tensions avec le gouvernement syrien par une visite provocatrice du côté syrien du Golan la semaine dernière. L’opération à Beyrouth ne semble pas non plus étrangère à ce type de calculs, et il en va de même pour les frictions régulières à Gaza.

Le fait que des foyers de tension plus ou moins intenses brûlent sur plusieurs fronts aide Netanyahou à contrôler la conversation publique et à créer l’état d’esprit qu’il souhaite pour la prochaine campagne électorale. Cela lui fournit également une multitude d’excuses pour retarder encore son procès pénal.

Il peut continuer à affirmer avoir tiré les leçons de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et que c’est pour cette raison qu’il adopte une ligne agressive et combative. Mais en pratique, ses décisions ne semblent pas motivées uniquement par des considérations de sécurité.

Une bombe pour l’état-major de Tsahal

Dans les heures qui ont précédé et suivi la frappe de Beyrouth, le chef d’état-major de Tsahal Eyal Zamir était absorbé par un autre dossier : une série de mesures de commandement visant des officiers supérieurs de Tsahal, dans le contexte des conclusions du comité Turgeman sur les défaillances du 7 octobre. Le comité, présidé par le général de division (rés.) Sami Turgeman, a examiné les principaux briefings militaires et évalué leur qualité. Son rapport, déposé début novembre, comprend des recommandations générales et explicites, ainsi que des recommandations personnelles contre plus de dix officiers impliqués dans la prise de décision dans les jours précédant l’attaque du Hamas sur le Néguev occidental et le jour du massacre.

Turgeman a déposé une bombe dans le bureau de Zamir, étant donné que des mesures de commandement ne faisaient pas officiellement partie du mandat du comité. Zamir n’était pas initialement désireux de traiter ce dossier, compte tenu du poids que la guerre fait peser sur Tsahal et des cicatrices laissées par les massacres. Il est difficile pour le chef d’état-major de sortir indemne de cet épisode. Beaucoup d’officiers estiment avoir été lésés. Inversement, des familles endeuillées ne seront pas satisfaites des mesures prises, et le Conseil du 7 octobre, qui regroupe des centaines d’entre elles, est fondé à exiger une commission d’enquête d’État indépendante.

Les mesures annoncées dimanche soir ont finalement été assez sévères : suspension du service de réserve pour trois généraux majors en instance de retraite, et réprimandes de commandement pour trois autres toujours en service. Des mesures similaires – suspension de la réserve, réprimandes de commandement et même renvoi du service actif – ont été prises contre plusieurs autres officiers supérieurs, du grade de lieutenant-colonel à celui de général de brigade, au sein du renseignement militaire et du commandement sud.

Les décisions correspondent de très près aux recommandations de Turgeman. En revanche, la décision de Zamir de se concentrer sur la responsabilité des officiers en poste le 7 octobre a empêché la prise de mesures contre le général de division Eliezer Toledano, qui était commandant du sud jusqu’à trois mois avant le déclenchement de la guerre. Toledano, comme la plupart des autres impliqués, avait déjà pris sa retraite durant la guerre.

La principale difficulté de Zamir depuis des mois concerne le chef du renseignement militaire, le général de division Shlomi Binder. La brigade opérationnelle qu’il commandait le 7 octobre était partie prenante dans l’échec de Tsahal à se préparer et à répondre efficacement à l’invasion du Hamas dans le Néguev occidental. Mais en tant que chef du renseignement militaire, Binder est très apprécié de Zamir et essentiel pour ses orientations futures, après avoir excellé dans la direction du renseignement militaire durant les guerres au Liban et en Iran.

Zamir n’a pas de candidat adéquat pour succéder à Binder s’il devait traduire la réprimande en un départ immédiat, ou si Netanyahou et le ministre de la Défense Israel Katz tentaient de pousser à sa sortie. Il a finalement été décidé que Binder recevrait une réprimande de commandement et ne resterait pas dans Tsahal à l’issue de son mandat à la tête du renseignement militaire. Ce compromis lui permettra d’aller au bout de son mandat.

Prendre des mesures sévères contre les responsables constitue une étape bienvenue au regard de la gravité de la défaillance, même si elle intervient très tard – plus de deux ans après le massacre. Si Zamir souhaite tenter de reconstruire la confiance du public israélien envers l’armée, fortement ébranlée, il doit accomplir cette étape, l’une des deux essentielles. L’autre consiste à ouvrir un véritable processus de mise en œuvre des leçons de la guerre, un processus qui n’a jamais réellement commencé.

Mais d’un point de vue politique, il n’est pas encore clair si Zamir a réussi. En apparence, Netanyahou a de bonnes raisons d’être satisfait : le feu est de nouveau dirigé contre Tsahal, et il prend soin de n’exprimer aucun sentiment de responsabilité ou de culpabilité pour le massacre qui s’est produit sous sa surveillance de premier ministre quasi-éternel.

Peut-être que la différence flagrante entre les mesures tardives prises contre les officiers, d’une part, et la conduite de Netanyahou, de l’autre, intensifiera à nouveau la demande d’établissement d’une commission d’enquête d’État comme enjeu central de la prochaine campagne électorale. L’opposition commence effectivement à concentrer son attention sur cette injustice accablante.

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