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02/02/2025

GIDEON LEVY
À Al Khalil, les troupes israéliennes d’occupation fouillent désormais les téléphones des Palestiniens. Tout ce qui est “interdit” provoque des abus

 

Gideon Levy Alex Levac Haaretz 1/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les témoignages ne laissent aucune place au doute : il y a une nouvelle forme de censure militaire israélienne à Al Khalil/Hébron


Ayman Jabbar, à gauche, avec son frère Omar, qui déclare : « Tout le quartier vit ça, tout le monde en fait l'expérience presque tous les jours ».

Une tâche nouvelle et originale a été ajoutée aux nombreuses missions confiées aux forces d'occupation : la censure militaire. En effet, les soldats des Forces de défense israéliennes qui se trouvent aux points de contrôle à Hébron font désormais office de censeurs.

Il y a trois semaines, nous avons relaté dans ces pages l'histoire de Fatma Jabbar, mère de sept enfants et bénévole pour l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem, qui a été soumise à des coups et à des humiliations par les troupes israéliennes à Hébron parce que son téléphone contenait un clip montrant un soldat des FDI en train de maltraiter un Palestinien à besoins spécifiques. Cette semaine, il est apparu qu'un tel abus n'était pas exceptionnel, mais qu'il s'agissait d'un comportement régulier et routinier.

Depuis quelques mois, des soldats vérifient le contenu des téléphones portables des Palestiniens qui passent par les points de contrôle pour piétons menant au quartier H2 d'Hébron, et soumettent nombre d'entre eux à des mauvais traitements. Chaque texte, image ou clip vidéo qui déplaît aux soldats entraîne immédiatement un interrogatoire, une détention et/ou des coups.

Selon Manal Jabari, chercheuse de B'Tselem sur le terrain, environ 70 % des dizaines de milliers de résidents palestiniens de ce quartier - qui abrite moins de 1 000 colons et se trouve sous contrôle militaire israélien - ont été victimes d'abus parce que leur téléphone contenait un contenu manifestement interdit.

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Les images proviennent peut-être d'un journal télévisé israélien, ou bien une image de soldats ou de colons a circulé sur les médias sociaux palestiniens, ou encore des photos d'un Palestinien armé sont devenues virales.

L'histoire d'Omar et d'Ayman Jabbar (sans lien de parenté avec Fatma), deux frères âgés respectivement de 41 et 30 ans, illustre de manière frappante la nouvelle réalité. Les deux frères sont handicapés. Ayman souffre d'une maladie musculaire dégénérative, Omar a une plaque de platine dans la jambe à la suite d'un accident. Mais les soldats ne se soucient apparemment pas le moins du monde de leur état. Omar a été malmené par les troupes à deux reprises au cours de la même semaine, début janvier, et a dû être hospitalisé. En tout état de cause, les troupes déployées à Hébron n'ont probablement jamais entendu parler des droits humains, du droit à la vie privée ou de la liberté d'expression. Et c’est certainement aussi le cas des troupes qui tiennent les points de contrôle et qui considèrent qu'elles ont le droit de faire ce qu'elles veulent aux résidents palestiniens.


Hébron, l'année dernière

Nous avons rencontré les deux frères la semaine dernière dans le bureau du Human Rights Defenders Fund à Hébron, qui se trouve au-dessus du poste de contrôle à l'entrée de la rue Shuhada, située dans le vieux marché. Deux femmes qui se trouvaient à proximité nous ont raconté qu'elles rentraient chez elles et qu'elles attendaient depuis plus d'une demi-heure de pouvoir passer. Les soldats étaient occupés à autre chose, bien sûr.

Omar Jabbar, marié et père de quatre enfants, enseigne les mathématiques à l'école primaire Al-Amari pour garçons à Hébron. Ayman gère un commerce de vêtements en ligne. Le lundi 6 janvier, Omar est rentré de l'école et a appelé son frère pour organiser leur rencontre. Ayman l'a informé qu'il était détenu au poste de contrôle du quartier d'A-Ras. Omar s'est précipité sur place et a lui aussi été placé en détention.

Omar a reçu l'ordre de mettre les mains derrière le dos, puis les soldats ont commencé à vérifier ses messages WhatsApp. De quel droit ? Par quelle autorité ? Ce sont des questions qui ne se posent pas à Hébron. Ils lui ont ordonné de s'agenouiller ; il a tenté d'expliquer qu'il avait une plaque de platine dans la jambe et qu'il ne pouvait pas vraiment le faire. Le soldat lui rétorque : « Je m'en fous complètement ».

L'instituteur a été retenu pendant deux heures pénibles sur le sol du poste de contrôle, avant d'être emmené dans un bureau, où il a été menotté et placé dans la jeep blanche de l'armée, devenue un symbole pour la population palestinienne. Nous entendons sans cesse parler de cet effrayant véhicule blanc qui emmène les gens.

Omar a été emmené dans un terrain vague et on lui a ordonné de se mettre à genoux. Un soldat a pointé un fusil sur sa tête et a menacé de l'abattre. Quelques soldats lui ont donné des coups de pied, d'autres l'ont maudit et l'ont forcé à répéter leurs cris en hébreu : « Am Yisrael chai » (le peuple d'Israël vit), « Netanyahu melech Yisrael ! » (Netanyahou, roi d'Israël) - et de maudire le Hamas. Lorsque nous lui avons demandé de répéter les malédictions, il a demandé à Jabari, la chercheuse de terrain de B'Tselem, de quitter la pièce pour qu'elle ne les entende pas.

Vers 18 h 30, les soldats ont jeté Omar à côté du poste de police de Kiryat Arba, la colonie urbaine qui jouxte Hébron, lui ont rendu son téléphone et lui ont ordonné de ne jamais rien enregistrer dessus. Son frère a été relâché avec lui.


Omar Jabbar à Hébron cette semaine

Pour sa part, Ayman raconte qu'il a quitté son domicile ce matin-là vers 9 heures et qu'il a été arrêté à A-Ras. Les troupes ont pris son téléphone et sa carte d'identité. Il a essayé de leur dire qu'il souffrait d'une maladie dégénérative, ce qui est assez visible, et leur a montré des documents à cet effet, mais en vain. Les soldats ont apparemment trouvé dans son téléphone une image d'un Palestinien armé qui a circulé sur les médias sociaux.

Les yeux bandés et menottés, Ayman a été emmené à un poste des FDI dans le quartier de Givat Harsina à Kiryat Arba. On lui a retiré sa chemise et, alors qu'il tremblait de froid, on l'a forcé à s'asseoir sur un banc en fer. Il se souvient d'avoir été poussé et d'être tombé. Au bout d'un moment, il s'est senti mal et a dit à ses ravisseurs : « Tuez-moi ». Il a commencé à perdre connaissance et lorsqu'il a demandé aux soldats de desserrer un peu les menottes, ils les ont serrées encore plus fort. Comme pour Omar, ils l'ont forcé à chanter « Am Yisrael chai » et diverses béné[malé]dictions, avant de le relâcher quelques heures plus tard près du poste de police de Kiryat Arba.

Les frères Jabbar ont eu du mal à se remettre de cette épreuve. Une semaine plus tard, le 13 janvier, vers midi, Omar et son neveu de 12 ans, Yazen, sont arrivés au poste de contrôle d'Al-Rajbi (Beit Shalom) dans le quartier H2. Braquant leurs armes sur eux, les soldats leur ont ordonné d'enlever leurs manteaux et de baisser leurs pantalons. L'enseignant a refusé, mais a dû s'exécuter après que le soldat l'a menacé de lui tirer dessus. On lui a de nouveau pris son téléphone, puis on l'a menotté. Il a été traîné sur le sol et a reçu des coups de pied, raconte-t-il. Un sac en plastique a été placé sur sa tête, de sorte qu'il pouvait à peine respirer. Entre-temps, Yazen a été relâché.

Une fois de plus, l'effrayante jeep blanche s'est arrêtée ; une fois de plus, Omar a été poussé à l'intérieur. Il se souvient d'avoir été frappé à la tête avec un talkie-walkie et d'avoir été emmené dans une pièce où des soldats parlaient à la radio ; certains passaient et lui criaient des insultes à l'encontre du Hamas, tandis que d'autres le frappaient. Vers 16h30, il a entendu une conversation avec le bureau de coordination et de liaison palestinien, au cours de laquelle les soldats ont été informés qu'il était handicapé. Il a continué à subir des violences jusqu'à l'arrivée d'un agent du service de sécurité du Shin Bet, qui lui a montré une image de son téléphone portable montrant un Palestinien tenant un fusil.

L'agent lui a demandé : « Tu sais qui c'est ? » Omar a répondu que la photo avait été prise sur un site d'information arabe et qu'elle avait circulé sur les médias sociaux palestiniens.

Il a ensuite été conduit au poste de Givat Harsina, où se trouvaient des soldats et deux colons en civil. Les colons ont commencé à le frapper, mais les soldats les ont arrêtés - et ont continué à le frapper eux-mêmes. Ils ont ensuite emmené Omar au poste de contrôle de Givat Ha'avot, à Kiryat Arba, et lui ont dit de se casser vite fait bien fait – « Je compte jusqu'à 4 et ensuite je tire », lui a aboyé un soldat.


Hébron en 2023 Photo : Moti Milrod

Omar a fait de son mieux pour s'enfuir, bien que ses mains soient encore liées et qu'il ait mal à la jambe. Entrant dans une ruelle voisine, il a donné un coup de pied à la porte d'une maison. Les occupants l'ont libéré de ses entraves et ont appelé sa famille pour qu'elle vienne le chercher et l'emmène à l'hôpital Alia, situé à proximité. Le médecin de garde, le Dr Ahmad Zayn, a écrit sur le formulaire de sortie qu'Omar souffrait d'hémorragies aux jambes et à l'estomac à la suite des coups qu'il avait reçus.

L'unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine en réponse à la question de Haaretz sur les deux événements : « Dans le cadre du protocole de contrôle de sécurité de routine, lors du passage des points de contrôle, les forces ont retardé un suspect à la suite de photos d'armes et de soldats des FDI enregistrées dans son téléphone portable. Le suspect a été convoqué pour poursuivre son interrogatoire dans un poste de police. Nous insistons sur le fait qu'à aucun moment nos forces n'ont eu recours à la violence ».

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Il est important de souligner ici que nous avons demandé au porte-parole pourquoi les deux frères Jabbar avaient été détenus, mais l'armée a choisi de ne répondre que pour un seul “suspect”.

Un chroniqueur usaméricain qui nous accompagnait le jour de notre visite a demandé à Omar quel était le but d'un tel comportement.

« L’humiliation », a-t-il répondu. « Des pressions sont exercées sur nous pour que nous quittions la ville. Tout le quartier vit cela, tout le monde en fait l'expérience presque tous les jours. Un jour, je raconterai ça à mes petits-enfants ».

25/01/2025

GIDEON LEVY
Khalida Jarrar : lorsque cette otage a été libérée cette semaine, (presque) tout le monde en Israël s’en est foutu

Après avoir été détenue cinq fois, dont quatre sans même avoir été jugée, Khalida Jarrar, députée palestinienne chevronnée, a été libérée de sa prison israélienne dans le cadre de la première étape de l’accord sur les otages. Khalida Jarrar a elle aussi été prise en otage ; elle a été arrachée de force à son domicile et emprisonnée sans aucune charge.

Jarrar, après sa libération cette semaine. Photo Alex Levac

Gideon Levy  & Alex Levac, Haaretz , 24/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Deux images postées ensemble sur les réseaux sociaux cette semaine racontent toute l’histoire : L’une concerne la libération de l’ancienne prisonnière Khalida Jarrar, dans la banlieue de Ramallah, tôt lundi matin ; l’autre concerne les trois femmes otages israéliennes qui ont été libérées dans la bande de Gaza la veille au soir.

Face à l’émotion et à la joie émanant de l’image des trois Israéliennes, Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, la photo de la Palestinienne libérée est déchirante. Les images affichées d’elle avant sa dernière incarcération de 13 mois racontaient également l’histoire d’une femme qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Certaines connaissances ne la reconnaissaient même pas sur la photo de cette semaine.

La couverture médiatique a également raconté l’histoire : c’était pratiquement un festival de libération pour les otages israéliennes, avec une couverture interminable en direct ici et à l’étranger, des images fixes et vidéo de joie et d’allégresse - comparée à la sombre libération de Jarrar, aux petites heures d’un matin glacial, non loin d’une prison de Cisjordanie, qui n’a suscité pratiquement aucun intérêt de la part des médias locaux et une maigre couverture de la part des médias internationaux.

Mme Jarrar, qui fêtera ses 62 ans le mois prochain, a été libérée après avoir été jetée en prison, en détention administrative, c’est-à-dire sans procès, comme lors de quatre des cinq incarcérations précédentes qu’elle avait subies. Mais quiconque a suivi le sort de cette combattante palestinienne déterminée - la première prisonnière palestinienne, une prisonnière politique à tous égards - qui n’a jamais été condamnée pour avoir perpétré une quelconque violence, n’a pu s’empêcher de remarquer les différences : Jarrar n’avait jamais eu l’air aussi bouleversée après sa libération. Les changements illégaux et inhumains apportés aux conditions de détention des Palestiniens arrêtés ou détenus après le 7 octobre, et sous la direction du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, ont laissé leur marque sur elle, comme sur chaque détenu·e palestinien·ne dans un établissement israélien.

Khalida Jarrar à sa libération après 13 mois de détention dans une prison israélienne. L’ombre d’elle-même. Photo Leo Correa/ AP

Khalida Jarrar a elle aussi été une otage. Elle a été arrachée de force à son domicile et emprisonnée sans qu’aucune charge ou accusation n’ait été formellement retenue contre elle, si ce n’est le fait d’être Palestinienne et opposante au régime d’occupation. La lutte pour sa libération a été menée à une échelle limitée ; il est inutile de songer à la comparer aux campagnes mondiales visant à accélérer la libération de nos otages. Les présidents usaméricains et les grands d’Europe n’ont jamais rencontré le mari de Jarrar ; la fille du couple n’a jamais été invitée à s’adresser au Conseil de sécurité des Nations unies pour réclamer la libération de la prisonnière. Dans le cas des otages comme dans celui de Jarrar, la Croix-Rouge internationale n’a pas été autorisée à rendre visite aux otages, pas plus que leurs familles, bien entendu. Aujourd’hui, avec la libération de Jarrar dans le cadre de la première étape de l’accord sur les otages - ainsi que celle de 89 autres prisonniers palestiniens, dont une grande majorité de femmes - certains pourraient tenter de comparer les conditions d’incarcération dans les tunnels du Hamas à Gaza à celles des cellules humides des prisons de Neve Tirtza et de Damon.

Une demi-journée après sa libération, Jarrar semblait déjà rajeunie, comme si elle était presque redevenue elle-même malgré les tourments qu’elle avait endurés. Lundi en fin d’après-midi, un flot de Palestiniens a afflué dans la vaste salle de banquet de l’église catholique de la vieille ville de Ramallah pour saluer Jarrar à l’occasion de sa liberté retrouvée. Elle se tenait à l’entrée de la salle avec son mari, Ghassan, et, portant un masque chirurgical en raison de sa santé fragile, elle a embrassé et serré la main des milliers de personnes présentes. Toutes les personnes présentes étaient envahies par l’excitation et la joie.

Tous ceux qui se sont déchaînés cette semaine contre le député Ayman Odeh (Hadash-Ta’al), pour avoir osé exprimer sa joie à l’occasion de la libération des otages des deux camps, sont contaminés par le fascisme : il est à la fois permis et nécessaire de se réjouir de la libération de Jarrar, sans que cela n’affecte le moins du monde la joie que procure la libération de Gonen, Damari et Steinbrecher. Elle et elles méritent bien la liberté qu’elles ont retrouvée. Leur joie devrait être une expérience humaine transcendante.

La salle de Ramallah m’a fait penser à une autre salle, celle d’une église protestante de Ramallah, où, il y a trois ans et demi, Ghassan Jarrar était le seul parent présent aux funérailles de l’une de ses deux filles, Suha, décédée subitement à l’âge de 31 ans. Ce jour-là, des milliers de personnes sont venues présenter leurs condoléances au père endeuillé, mais Israël n’a pas autorisé la mère, Khalida, qui était également en prison à l’époque, à assister aux funérailles. À l’époque, Ben-Gvir n’était pas encore sur la photo : c’est le représentant du camp supposé éclairé, Omer Bar-Lev (travailliste), ministre de la sécurité publique (comme on appelait alors ce portefeuille), qui a empêché Jarrar d’être présente.

En effet, au cours de chacune de ses cinq incarcérations, un membre de la famille proche de Jarrar est décédé, et elle n’a été autorisée à accompagner aucun d’entre eux dans son dernier voyage. Dans l’église catholique, cette semaine, l’atmosphère était radicalement différente de ces occasions : il y avait enfin une vraie joie, même si elle était contenue et teintée de douleur. Jarrar était de nouveau chez elle.

Dans un coin de la salle, alors que la foule s’agite, Ghassan décrit ce que sa femme a subi, alors même qu’elle continue à serrer des mains au milieu d’une scène qui ressemble à une sorte de réception de la fête de l’indépendance. Ancien prisonnier lui-même, il a accompagné les luttes et les incarcérations de sa femme avec un amour et un soutien sans bornes, et il avait l’air d’un jeune marié le jour de ses noces. Tout son corps rayonnait de bonheur, même si sa femme faisait preuve d’une certaine retenue.

Khalida Jarrar a été placée en détention le 26 décembre 2023, deux mois après le début de l’offensive terrestre dans la bande de Gaza, dans le cadre des arrestations massives et indiscriminées auxquelles Israël procédait également en Cisjordanie. Son interrogatoire a été bref. Après tout, qu’y avait-il de plus à demander après tous les interrogatoires précédents ? Jarrar, qui a été légalement élue à l’Assemblée législative palestinienne et n’a jamais été condamnée pour autre chose que « l’appartenance à une association illégale » - sous un régime où toute association palestinienne est illégale - a de nouveau été enlevée à son domicile de Ramallah.

Elle a d’abord été incarcérée à la prison de Damon, avec d’autres femmes détenues pour des raisons de sécurité, mais le 12 août 2024, l’administration pénitentiaire a décidé de la punir, d’abord sans aucune explication, en la plaçant à l’isolement, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Pour cela, elle a été transférée à Neve Tirtza, qui héberge des femmes criminelles, et non des détenues de sécurité.

Ghassan, qui est presque devenu avocat à la suite des nombreuses arrestations de sa femme, a expliqué à l’époque qu’avant d’imposer l’isolement, la loi exige qu’une audience soit organisée pour le détenu afin qu’il puisse se défendre. L’audience de Khalida n’a eu lieu que le 19 septembre, soit 37 jours après qu’elle a été coupée du monde, ce qui n’est pas tout à fait conforme au protocole. Selon l’explication donnée ce jour-là, quelques détenues avaient témoigné qu’elle avait tenté de les pousser à se rebeller contre les autorités pénitentiaires. D’où l’isolement.

Les conditions : une cellule de 2,5 x 1,5 mètres, un lit en béton avec un mince matelas, une couverture et demie, selon Ghassan, pour lutter contre le froid hivernal ; des toilettes sans porte, pas d’eau la majeure partie de la journée, pas d’ouverture, pas même une fente. À un moment donné, Ghassan nous a dit que l’avocate de Khalida lui avait dit que sa femme malade s’allongeait souvent à côté de la porte, essayant de respirer un peu d’air frais à travers l’espace étroit entre la porte et le sol.


Ghassan, le mari de Khalida Jarrar, à droite, avec son frère. Photo Alex Levac

« Je n’ai pas d’air à respirer », a dit Khalida à son avocate - un commentaire qui a pris une certaine importance mythologique, devenant un hashtag sur les médias sociaux palestiniens. [lire ici]

Ghassan a raconté qu’au début, Khalida n’avait pas de matériel de nettoyage à utiliser pour nettoyer la cellule, qui puait. Elle n’a reçu une brosse à cheveux qu’il y a quelques semaines et n’a pas toujours reçu ses médicaments contre la tension artérielle, le diabète et l’anémie. Bien qu’elle ait été autorisée, après une courte période, à se rendre dans une cour de prison vide pendant 45 minutes par jour, il lui était interdit d’entrer en contact avec qui que ce soit. Il en a été ainsi jusqu’à sa libération cette semaine - près de cinq mois de coupure totale avec le monde.

Cette semaine, tard dans la nuit, sur la place de Beitunia, Khalida et Ghassan ont été réunis. La vidéo de leur première étreinte est aussi émouvante que les clips de nos otages libérés avec leurs familles. Il pleure, elle est plus calme. Elle a ensuite été examinée à l’hôpital gouvernemental de Ramallah - comme nos captives l’ont été au centre médical de Sheba -, a été libérée peu après, puis convoquée de nouveau en urgence en raison des résultats de l’un des tests ; elle a finalement été libérée à l’aube.

Le couple s’est d’abord rendu au cimetière, où Khalida a déposé une rose rouge sur la tombe de sa fille Suha. Ils se sont également rendus sur la tombe d’un autre membre de leur famille, qu’ils avaient élevé comme un fils et qui est également décédé jeune. Elles se sont ensuite rendues dans un salon de beauté ouvert spécialement pour Khalida - les salons de Ramallah sont fermés le lundi. Lorsqu’ils sont arrivés à l’église, Khalida avait été virtuellement transformée, ses cheveux étant à nouveau teints en noir.

Lorsqu’on lui demande depuis combien de temps ils sont mariés, Ghassan répond « un mois ». « Je respire Khalida et je vis Khalida. Et lorsqu’elle est arrêtée, mon temps s’arrête », explique-t-il. C’est ce qu’il ressent, après 40 ans de mariage, de lutte et de séparation. « Chaque année, je l’aime de plus en plus », murmure-t-il. En mai, il prévoit de se rendre au Canada pour voir leur autre fille, Yafa, puis de la ramener à Ramallah pour rendre visite à sa petite-fille, Suha, âgée de presque deux ans et demi et nommée d’après sa tante. Pour sa part, Khalida n’a pas le droit de quitter la Cisjordanie : elle est trop dangereuse.

Y aura-t-il une sixième arrestation ? Ghassan : « Je ne la laisserai pas continuer. Je suis inquiet pour son bien-être. Nous avions convenu de ne jamais intervenir dans les activités de l’autre, mais cette fois-ci, j’userai de mon influence. »


23/01/2025

GIDEON LEVY
Les embouteillages en Cisjordanie sont la victoire de Smotrich
Scènes de la vie quotidienne en Cisjordanie occupée au temps des pogroms et du cessez-le-feu à Gaza

Ramallah est distante de Tel Aviv de 62 km. Lundi dernier, le voyage a duré six heures

Gideon Levy  Haaretz , 23/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Cette semaine, j’ai été un sous-homme. Seulement pour une (longue) soirée, mais quand même, une expérience sous-humaine.

Véhicules au point de contrôle israélien d’Atara près de Ramallah en Cisjordanie, mercredi. Photo: Zain Jaafar/AFP


Lundi, je me suis rendu à Ramallah avec Alex Levac pour rencontrer Khalida Jarrar, membre du Conseil législatif palestinien, qui a été libérée cette nuit-là dans le cadre de l’accord sur les otages. Ce matin-là, nous nous étions rendus à Hébron pour couvrir un autre sujet et, à l’entrée de la ville, nous avons rencontré d’énormes embouteillages. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’une coïncidence.

Des voyageurs attendent dans leurs véhicules au poste de contrôle israélien d’Atara, près de Ramallah, en Cisjordanie, mercredi.Photo  Zain Jaafar/AFP

Dans l’après-midi, nous nous sommes rendus à Ramallah. Après avoir rencontré Mme Jarrar lors de la cérémonie d’accueil organisée en son honneur, nous sommes retournés à Tel-Aviv.

De la vieille ville de Ramallah au poste de contrôle de Qalandiya, la circulation s’est déroulée à son rythme habituel, cinq kilomètres à l’heure les bons jours. Au bout d’une heure, nous avons atteint Qalandiya et tourné à l’est vers le point de contrôle de Hizme, à trois ou quatre kilomètres de là.

Un croissant de lune rouge s’élevait dans le ciel et nous pensions être à Tel Aviv dans une heure ou une heure et demie. Après un court trajet, la circulation s’est soudainement arrêtée. Un petit retard, pensions-nous, ce n’est pas trop grave. Il était environ 18 heures. L’embouteillage a rapidement pris de l’ampleur. C’était l’heure à laquelle les gens rentrent du travail.

Pendant les six heures qui ont suivi, nous avons été condamnés à attendre dans une file interminable de voitures palestiniennes - il n’y a pas de colons sur cette route - et à attendre. Nous sommes rentrés à la maison à 1h30 du matin.

Les premières heures se sont écoulées tant bien que mal. La barrière de séparation placée au milieu de la route à la suite d’un accident de la circulation survenu ici en 2012 - au cours duquel six enfants palestiniens et un enseignant ont été tués, et des dizaines d’autres blessés dans un bus - nous a conduits dans un cul-de-sac, sans possibilité de revenir en arrière, ni de faire demi-tour.

Il y avait une ambulance, des parents se précipitant vers leurs enfants, sans aucune exception pour les passagers d’une jeep décorée de fleurs, transportant un marié à son mariage.


Les services de secours palestiniens en 2012, après un accident mortel à l’extérieur de la ville de Ramallah, en Cisjordanie. Photo Reuters

À l’horizon, nous pouvions voir les feux jaunes clignotants d’une jeep de l’armée. Plus loin sur la route, des soldats se trouvaient au poste de contrôle, non loin de la colonie de Geva Binyamin.

D’habitude, ce poste de contrôle n’est pas gardé. Il ne s’agit pas d’un point d’entrée en Israël, mais les soldats ne laissent passer aucune voiture. Au bout de deux heures, peut-être trois, qui compte, ils ont commencé à autoriser les voitures à avancer.


Voici la procédure : un conducteur entrant dans la zone du point de contrôle devait éteindre son moteur et ses feux. Un soldat bien protégé et chaudement vêtu s’approchait de la voiture pour vérifier les papiers d’identité.


Il prenait le document de côté et vérifiait les détails sur un ordinateur. Parfois, les passagers ont été priés de sortir de la voiture. À une occasion, les soldats ont utilisé du gaz lacrymogène. Lorsqu’une camionnette commerciale a soudainement franchi le poste de contrôle à toute vitesse, phares éteints, les soldats n’ont rien fait ; peut-être ne l’ont-ils pas remarquée, ce qui nous a évité les coups de feu et la fermeture du poste de contrôle.


Nous avons calculé une moyenne de cinq minutes par voiture, avec une pause entre les voitures, peut-être pour donner aux soldats une chance de retourner jouer avec leurs téléphones portables. Il y a quelques années, nous avions vu une ambulance palestinienne attendre une demi-heure pendant que des soldats jouaient au backgammon. Les temps ont changé, maintenant ils jouent sur leurs téléphones portables. Des dizaines de voitures nous précédaient, des centaines nous suivaient.


Pendant ce temps, des rapports sur les pogroms dans les villages de Jinsafut et d’Al Funduq ont commencé à arriver, et des dizaines de nouveaux points de contrôle ont été érigés à travers la Cisjordanie.

 
Une prisonnière palestinienne libérée dans le cadre de léchange de prisonniers, à Ramallah, en Cisjordanie, lundi. Photo Ammar Awad/Reuters

C’était un autre coût de l’accord sur les otages : des pogroms sous les auspices de l’armée, avec des dizaines de nouveaux points de contrôle instantanés, tout cela dans le but d’apaiser Bezalel Smotrich et ses gangs et d’empêcher les Palestiniens de profiter de la libération de leurs propres otages.

Nous sommes restés six heures sur place, plus longtemps qu’un vol pour Londres. Si la rage qui régnait cette nuit-là à ce poste de contrôle ne conduit pas l’un des conducteurs au terrorisme, alors les Palestiniens font partie des nations les plus modérées, les plus tolérantes et les plus non violentes.


Lorsque notre tour est enfin arrivé, alors que les soldats nous aboyaient des ordres en arabe, une femme soldat est soudainement sortie du poste de soldats, a replié la barrière et a demandé à ses camarades de partir. Elles se disent probablement que leur service militaire est « plein de sens ». Il est un peu plus de minuit. Le croissant de lune rouge était devenue blanc.




05/01/2025

Le “mualem”de la police israélienne en Cisjordanie de nouveau arrêté pour entrave à l’enquête sur ses agissements


Josh Breiner, Haaretz, 2/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le commandant Avishai Mualem [le bien nommé : son patronyme signifie “patron” en arabe, NdT] doit répondre de plusieurs chefs d’accusation, dont la divulgation d’informations classifiées au ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, des tentatives de corruption et l’obstruction à une enquête sur ses agissements.

Le général AvishaI Mualem au tribunal de première instance de Jérusalem, jeudi . Photo: Olivier Fitoussi

Un officier supérieur du commandement de la police israélienne en Cisjordanie, soupçonné d’avoir divulgué des informations classifiées au ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, a été arrêté à nouveau jeudi, soupçonné d’entrave à l’enquête et d’abus de position.

Les autorités soupçonnent le commandant Avishai Mualem, officier supérieur du district de Judée et Samarie de la police, d’avoir demandé à l’un de ses subordonnés, alors qu’il était suspendu de ses fonctions, d’extraire des documents des systèmes de la police et de les lui remettre afin de l’aider dans sa défense.


Le chef de la police israélienne en Cisjordanie, Avishai Mualem, au centre, l’année dernière à Jérusalem. Photo: Olivier Fitoussi.

L’unité du ministère de la Justice chargée d’enquêter sur les fautes de la police demandera sa libération sous conditions restrictives au tribunal de première instance de Jérusalem jeudi.

Mualem est soupçonné de multiples infractions pénales, notamment de ne pas avoir empêché un crime, d’avoir tenté de recevoir un pot-de-vin, d’avoir fraudé et d’avoir commis un abus de confiance.

Il a été arrêté en décembre, soupçonné d’avoir ignoré des informations sur le terrorisme juif en échange d’une promotion de Ben-Gvir au grade de général de brigade.

Mualem aurait également transmis des informations classifiées au bureau de Ben-Gvir. Dans le cadre de l’enquête, le commissaire de l’administration pénitentiaire israélienne, Kobi Yaakobi, a été arrêté pour obstruction à l’enquête.


Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et le chef de l’administration pénitentiaire Kobi Yaakobi lors d’un événement à Tel Aviv en décembre 2024. Photo : Moti Milrod

Yaakobi aurait informé Mualem d’une enquête secrète en cours à son sujet, un détail découvert grâce aux écoutes téléphoniques de Mualem. Yaakobi a depuis été de nouveau interrogé, mais il conserve son rôle de chef des prisons.

Mercredi, Haaretz a rapporté que Mualem est également soupçonné d’avoir tenté d’accepter un pot-de-vin de la part d’une personne souhaitant obtenir de l’aide pour faire avancer ses dossiers au sein de la police.

Le suspect aurait proposé de transférer des milliers de shekels à la femme de Mualem, dont l’entreprise est confrontée à des difficultés financières, en échange de l’aide de Mualem profitant de ses fonctions.

Les autorités soupçonnent Mualem d’avoir ignoré des informations sur un projet de crime ayant des implications en matière de sécurité dans le cadre de cet arrangement, mais l’affaire n’a pas abouti et Mualem n’a pas aidé l’individu.


13/09/2024

GIDEON LEVY
Quand Tsahal dit “Mort aux instigateurs” : c’est ainsi qu’une manifestante usaméricaine est tuée

Gideon Levy, Haaretz, 12/9/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Tsahal est redevenue l’armée la plus morale du monde. Quatre jours seulement se sont écoulés depuis que ses soldats ont tué la militante usaméricain des droits humains  Ayşenur*  Ezgi Eygi, avant que l’enquête approfondie lancée par l’armée ne s’achève, aboutissant à la conclusion absolutoire que « la civile a été touchée par les tirs non ciblés et non intentionnels d’une force des FDI qui visait un instigateur clé ». Des tirs non ciblés et non intentionnels qui visaient... Vous avez compris ? J’en doute.

L’endroit où  Ayşenur  Ezgi Eygi a été tuée, en Cisjordanie, dimanche. Photo Ammar Awad/Reuters

Pendant que le porte-parole des FDI descendait le long d’une corde dans un shoiw montrant le tunnel dans lequel six otages avaient été exécutés, pour montrer au monde les terribles conditions dans lesquelles ils avaient été détenus (quand nous emmèneront-ils à la base militaire de Sde Teiman pour nous montrer les conditions choquantes de détention des Palestiniens menottés et kidnappés ?), des soldats de sa propre unité mettaient au point l’explication alambiquée pour l’homicide volontaire d’une femme innocente.

Rassemblement devant l’hôpital Rafidia pour protester contre l’assassinat d’ Ayşenur Ezgi Eygi, 26 ans, le 8 septembre 2024, à Naplouse. Photo Issam Rimawi/Anadolu Ajansi 

Il est inutile de préciser que cette enquête approfondie n’avait pour but que d’apaiser les USAméricains, dont le président s’était dit « troublé » par l’assassinat d’une citoyenne de son pays. Ne vous inquiétez pas, l’annonce contournée de l’armée suffit à apaiser les inquiétudes présidentielles. La dernière chose qui dérange la Maison Blanche, c’est l’assassinat d’une militante qui s’identifie aux Palestiniens. Ceux qui auraient dû être troublés par cette explication sont ceux qui ne s’intéressaient pas à toute l’histoire au départ : les Israéliens. Le porte-parole des FDI a déclaré : mort aux instigateurs. Des soldats ont tiré sur un instigateur pour l’exécuter, touchant par erreur une autre instigatrice. Ce sont des choses qui arrivent. En d’autres termes : un changement radical des règles d’engagement, désormais officiellement déclaré.

 

Funérailles d’ Ayşenur à Naplouse, lundi 9 septembre 2024 

 

Si, par le passé, il était nécessaire de prouver la présence d’un danger, il suffit désormais de discerner l’instigation. Et qui est au juste un instigateur ? Quelqu’un qui appelle à la libération du peuple palestinien lors d’une manifestation? Quelqu’un qui demande le démantèlement de l’avant-poste provocateur d’Evyatar ? Quelqu’un qui manifeste pour ses droits sur sa terre ? En d’autres termes : lorsque les soldats de Tsahal discerneront une instigation, ils tireront désormais pour tuer l’instigateur, sur ordre.

Comment disions-nous ? L’armée la plus morale du monde. Il est fort douteux que le porte-parole de l’armée russe oserait admettre que son armée tire pour tuer les instigateurs.

Pour les soldats de l’armée de propagande du porte-parole Daniel Hagari, l’« instigation », quoi que ça signifie, est une raison d’exécuter quelqu’un. Tout ce qui reste à prouver, c’est la mauvaise maîtrise du tir des soldats, qui visaient un incitateur (le « principal ») mais en ont touché une autre. Rien n’est plus facile que de qualifier la touriste usaméricaine d’instigatrice : elle était en faveur de la justice pour les Palestiniens. Les procédures seront affinées et les soldats seront envoyés au stand de tir pour s’entraîner davantage. Veuillez vérifier les passeports avant la prochaine exécution. Il vaut mieux ne pas frapper les USAméricains. Personne n’enquêtera sur l’assassinat d’une jeune Palestinienne de 13 ans [Banya Laboum] le même jour, dans un village voisin. Personne ne s’émeut de cette affaire. Peut-être qu’elle aussi instiguait alors qu’elle se tenait à sa fenêtre ?

Un soldat tire pendant une manifestation et un manifestant est tué. Quoi de plus normal ? Mais notre collègue Jonathan Pollak, qui se trouvait dans le village lors de la fusillade, affirme que les soldats ont tiré sur l’activiste 20 minutes après la fin des affrontements. Si c’est le cas, il s’agit d’un meurtre de sang-froid. C’était la première et dernière manifestation d’ Ayşenur.

Mais ce qui devrait vraiment nous préoccuper, c’est le sous-texte de l’annonce du porte-parole de l’IDF : L’instigation est une cause d’exécution. Mais l’instigation a plusieurs visages. Si un appel à la liberté des Palestiniens est une instigation passible de la peine de mort, on s’engage sur une pente glissante. Pourquoi la police n’est-elle pas autorisée à tuer les instigateurs des manifestations de la rue Kaplan ? Et que dire des plus grands instigateurs au sein du gouvernement et des médias, qui appellent à « raser » Gaza ou à « tondre la pelouse », estimant que les habitants de cette région méritent tous de mourir. Snipers, ouvrez le feu. Vous y êtes autorisés par Hagari.

NdT
* Ayşenur [= Aychènour] : graphie turque de l’arabe
أأيشنور, “lumière de vie”


-Je suis Américaine
-Moi aussi
Mohammed Sabaaneh

08/09/2024

GIDEON LEVY
La société israélienne a vraiment sombré dans la cruauté, la violence et l’apathie : il suffit de nous regarder

Gideon Levy, Haaretz, 8/9/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Vendredi 6 septembre, 11 enterrements ont eu lieu dans le camp de réfugiés de Jénine. Huit des personnes décédées étaient des résidents du camp qui ont été tués par l’armée israélienne ; trois sont morts de causes naturelles. Aucun d’entre eux n’a pu être enterré au cours des dix jours précédents, en raison de l’opération brutale des Forces de défense israéliennes dans le camp. Les corps de cinq autres personnes ont été saisis par l’armée pour ses besoins.



Photos Nasser Nasser/AP

Vendredi matin, les FDI ont quitté le camp, après avoir mené à bien la mission qui a reçu le nom sadique d’Opération Camp d’été, et les habitants ont commencé à retourner dans ce qui restait de leurs maisons après le camping de l’armée. Ils étaient en état de choc.

Un homme a déclaré samedi que les images étaient encore pires que les scènes de destruction après l ‘opération Bouclier défensif de 2002 et que le comportement des soldats pendant ces dix jours terribles avait été plus violent et vicieux que jamais. L’esprit de la guerre à Gaza est devenu le zeitgeist de l’armée.

Mon interlocuteur, Jamal Zubeidi - qui avait déjà perdu neuf membres de sa famille dans la lutte palestinienne, dont deux de ses fils, et qui a perdu la semaine dernière Hamudi, le fils de son neveu Zakaria Zabeidi - est retourné une fois de plus dans une maison en ruine, comme en 2002. Pendant les dix jours de l’opération, il s’est caché dans la maison de sa fille, dans la montagne. Environ deux tiers des quelque 12 000 résidents du camp ont été évacués, conduits en colonnes de réfugiés sous la supervision des soldats, comme à Gaza.

 Alors que les habitants de Jénine enterraient leurs morts, les soldats ont tiré sur une jeune fille de 13 ans et l’ont tuée. Banya Laboum est morte dans sa maison du village de Qaryout, dont les habitants ont tenté de se défendre après que des colons ont mis le feu à leurs champs. Les colons font une émeute, l’armée arrive - et tue curieusement des Palestiniens. Les médias appellent ces incidents des « confrontations ». La victime d’un viol affronte son violeur, la victime d’un vol son voleur. Dans la folie de l’occupation, l’agresseur est la victime et la victime est l’agresseur.


À peu près au même moment, non loin de Qaryout, dans le village de Beita, des soldats ont tué une manifestante - une militante usaméricain des droits humains qui était également citoyenne turque.  Ayşenur Ezgi Eygi a reçu une balle dans la tête lors d’une manifestation contre la colonie sauvage d’Evyatar, construite sur les terres du village et qui a déjà coûté la vie à au moins sept Palestiniens.

La Maison Blanche s’est déclarée « profondément troublée par cette mort tragique ». Mais il ne s’agit pas d’une « mort tragique ». Jonathan Pollak, un journaliste de Haaretz, a déclaré avoir vu les soldats sur un toit : « J’ai vu les soldats tirer. J’ai vu les soldats tirer... Je les ai vus viser », ajoutant qu’à ce moment-là, il n’y avait pas d’affrontements actifs. Quant à la « profonde perturbation » à la Maison Blanche, elle passera rapidement.

Le président Joe Biden n’a pas appelé la famille de la femme, comme il a appelé la famille Goldberg-Polin ; Ezgi Eygi n’a pas non plus été déclaré héroïne usaméricaine, comme l’a été Hersh Goldberg-Polin, qui avait été enlevé et exécuté.


Samedi, Josh Breiner a publié une vidéo filmée dans la prison de Megiddo le matin des meurtres criminels, dans laquelle des dizaines de Palestiniens sont allongés sur le sol - prostrés, à moitié nus, les poignets liés dans le dos - tandis que des gardes israéliens passent devant eux ; l’un d’eux tient un chien policier qui passe à quelques centimètres des visages des détenus, aboyant vicieusement.

Le drapeau israélien flotte au-dessus de ce spectacle honteux - un cadeau à Itamar Ben-Gvir. L’administration pénitentiaire israélienne a rassuré la poignée d’observateurs indignés : « C’est un exercice de routine ». C’est de la routine. Un divertissement ordinaire de l’administration pénitentiaire, une cérémonie de Shabbat pour les gardiens sadiques.

Tout cela s’est passé un vendredi, un jour ordinaire. Israël a baillé. Il a été beaucoup plus bouleversé par l’ arrestation (exaspérante) d’une jeune femme juive qui avait jeté une poignée de sable sur Ben-Gvir en goguette familiale sur la plage de Tel Aviv que par la fusillade mortelle d’une femme non juive qui était motivée par des principes au même titre que la jeune femme de Tel-Aviv.

Dans les ruines du camp de réfugiés de Jénine, Jamal Zubeidi tente de mesurer l’étendue des dégâts subis par sa maison, dont les soldats ont jeté le contenu dans la rue. Il n’y avait plus d’électricité dans le camp et l’obscurité s’est abattue sur lui. Au cours de nos longues années d’amitié, je n’avais jamais entendu Zubeidi parler avec autant de désespoir. « Ils reviendront et nous reviendrons. Une nouvelle génération arrivera. Cela ne s’arrêtera pas là », a-t-il déclaré avec lassitude.

Regardez ce qui s’est passé vendredi dans le camp de réfugiés de Jénine, à Qaryout, à Beita et dans la prison de Megiddo - et peut-être nous verrez-vous, enfin.


 

 

01/09/2024

GIDEON LEVY
Depuis 11 mois, la botte d’Israël appuie de manière impitoyable sur la nuque de la Cisjordanie, et vous voudriez que les Palestiniens se laissent faire ? Normal qu’il y ait de la “terror”*

Gideon Levy, Haaretz, 1/9/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Surprise, surprise ! La résistance palestinienne violente en Cisjordanie relève la tête. Les monstres humains se sont réveillés de leur sommeil et ont commencé à exploser. Les kamikazes sont de retour et les nombreux experts israéliens ont une explication savante : c’est l’argent iranien. Sans lui, la Cisjordanie serait calme. Avec cet argent, les gens sont prêts à se suicider juste pour mettre la main dessus. C’est la pieuvre iranienne qui est en cause.


Des soldats israéliens près d’un véhicule militaire lors d’un raid israélien dans le camp de Nour Chams à Tulkarem, en Cisjordanie, jeudi 29 août. Photo : Mohamad Torokman/Reuters

Comme c’est facile de tout attribuer à l’Iran. Les Israéliens adorent ça. Il y a un diable, il est iranien et il est responsable de tout. Il y a peut-être de l’argent iranien, peut-être pas, mais l’intensification de la lutte est l’évolution la plus prévisible et la plus compréhensible, compte tenu de ce qui s’est passé en Cisjordanie au cours des 11 mois de la guerre de Gaza. La seule surprise est que cela ne se soit pas produit plus tôt.

Au cours des 11 mois de guerre, Israël a déchiré la Cisjordanie, comme il le fait actuellement avec les routes de Tulkarem et de Jénine ; il n’en reste rien. C’est la période la plus difficile que les Palestiniens aient connue depuis l’opération “Bouclier défensif” en 2002, d’autant plus difficile qu’elle se déroule à l’ombre d’une autre attaque, plus barbare, à Gaza. Contrairement à l’opération “Bouclier défensif”, l’assaut actuel n’a ni raison ni justification. Israël a exploité la guerre à Gaza pour mettre le souk en Cisjordanie. La réponse a été tardive, mais elle est maintenant arrivée.

Cette fois-ci, l’assaut israélien s’appuie sur deux armes : l’armée, le Shin Bet et la police des frontières d’une part, et les milices de colons violentes d’autre part. Les deux armes sont coordonnées ; elles ne se gênent pas l’une l’autre. Elles se fondent parfois l’une dans l’autre, lorsque les Sturmtruppen des avant-postes revêtent des uniformes - ce sont les « équipes d’intervention d’urgence », qui légitiment tous les pogroms. L’armée se garde bien d’intervenir, que ce soit lors de petits ou de grands incidents.

Dans ce contexte, une déclaration d’une source militaire de haut rang qui a mis en garde contre la violence des colons au cours du week-end a exprimé un culot inouï. « La terreur juive porte gravement atteinte à la sécurité en Cisjordanie », a déclaré cette source, dont les forces auraient pu et dû mettre fin à la terreur juive il y a longtemps. Il n’y a pas eu un seul pogrom auquel les soldats n’ont pas assisté et n’ont rien fait pour l’arrêter. Parfois, ils y participent - et l’officier supérieur ose le déplorer.

Le 7 octobre n’a pas été seulement un jour de calamité pour nous Israéliens, il l’a été aussi pour les Palestiniens. Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’Israël a fait dans la bande de Gaza, mais il ne s’est pas arrêté non plus en Cisjordanie, avec l’encouragement des membres du cabinet kahaniste et le silence du premier ministre, des autres ministres et de l’opinion publique.

Ces dernières semaines, j’ai visité Jénine, Tulkarem, Qalqilyah, Ramallah et Hébron. Rien ne ressemble à la réalité du 6 octobre, même si la Cisjordanie n’a joué aucun rôle dans l’attaque du 7 octobre. Le 8 octobre, trois millions de Palestiniens se sont réveillés dans une nouvelle réalité, sans que la précédente ait été humaine ou légitime. Avec la passion de la vengeance et de la saisie d’opportunités, la botte israélienne a écrasé sans pitié la nuque de la Cisjordanie.

Des dizaines de milliers d’hectares ont été expropriés et spoliés au cours de ces mois ; il ne reste plus guère de colline en Cisjordanie sans drapeau israélien ou sans avant-poste qui sera un jour une ville. Les barrages routiers sont également revenus en force. Il est impossible de se déplacer d’un endroit à l’autre en Cisjordanie sans les rencontrer et y poireauter, humilié, pendant des heures. Il est impossible de planifier quoi que ce soit dans une réalité où au moins 150 000 personnes ont perdu leurs moyens de subsistance, après que le travail en Israël leur a été complètement interdit. Tout le monde a été pénalisé pour le 7 octobre. Onze mois sans salaire laissent des traces. À quoi vous attendiez-vous ?

Il y a maintenant un nouveau venu : le drone. À l’ombre de la guerre, l’armée de l’air a commencé à tirer sur la Cisjordanie, densément peuplée. Selon les chiffres de l’ONU, 630 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le début de la guerre, dont 140 dans 50 frappes aériennes. Ce qui est autorisé à Gaza l’est désormais en Cisjordanie. Les soldats ont intériorisé ce fait et leur comportement à l’égard des Palestiniens a changé en conséquence. Si nous ne sommes pas à Gaza, comportons-nous au moins comme si nous y étions. Demandez à n’importe quel Palestinien ce qu’il a vécu. Le désespoir n’a jamais été aussi grand.

Et après tout ça, il ne devrait pas y avoir de terror ?

NdT

*Terrorisme se dit en hébreu israélien moderne « טרור » [« terror »]. C’est le terme généralement utilisé pour qualifier tout acte de résistance palestinien, armé ou non.


“Armes palestiniennes saisies en Cisjordanie et à Gaza”, un dessin de 1988 d’Etta Hulme (1923-2014)