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08/03/2025

GIDEON LEVY
Des semaines plus tard, personne ne peut expliquer pourquoi les soldats israéliens ont tué un autre garçon palestinien non armé en Cisjordanie

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 7/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Alors qu’il se trouvait par hasard près d’un jardin d’enfants géré par Save the Children dans le village de Sebastia, en Cisjordanie, Ahmad Jazar, 15 ans, a été abattu par un soldat israélien. « Depuis le début de la guerre à Gaza », déclare le chef du conseil local, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens ».

Rashid et Wafa Jazar, avec un poster de leur fils Ahmad, chez eux cette semaine dans le village de Sebastia

Une photo déchirante d’Ahmad Jazar, prise la veille de son assassinat. La main de sa mère est posée sur son épaule, comme si elle s’apprêtait à le serrer dans ses bras ; tous deux sourient légèrement en regardant l’appareil photo. La photo a été prise par Mira, la sœur aînée d’Ahmad, étudiante en décoration d’intérieur âgée de 19 ans, à Naplouse, alors qu’Ahmad rendait visite à sa mère. Ahmad avait demandé à sa sœur de les prendre en photo. Personne n’imaginait que ce serait sa dernière.

Le lendemain, 19 janvier, Ahmad a été abattu par un soldat des forces de défense israéliennes à une distance de quelques dizaines de mètres, dans sa ville natale de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Il se tenait alors près de l’entrée d’un jardin d’enfants géré par l’organisation internationale Save the Children. Des images d’enfants joyeux, naïfs et colorés, ornent la clôture en pierre qui entoure le bâtiment. À côté, Ahmad, un jeune homme de 15 ans issu d’une famille pauvre, s’est effondré sur le sol, en sang, et est mort.

Trois jours plus tard, Mira a fait imprimer la photo, y a ajouté un cœur blanc et l’a placée sous le grand poster de son frère, dans le cadre d’un coin commémoratif improvisé dans le salon.

À Sebastia, près de Naplouse, les colons ont fondé une véritable terre de colonisation. C’est dans la vieille gare abandonnée de l’époque ottomane, près du village, que les membres de l’organisation Gush Emunim ont convergé durant l’été 1969 - accompagnés de trois futurs premiers ministres : Menachem Begin, Ariel Sharon et Ehud Olmert - et s’en sonr emparés.

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L’accord conclu la même année, parfois appelé « compromis de Sebastia » (qui n’était pas du tout un compromis), a laissé les colons sur place même après qu’ils étaient censés évacuer, ce qui a été le signe avant-coureur d’une entreprise de colonisation tentaculaire dans tout le Shomron, alias la Samarie. Cinquante-six ans plus tard, les FDI y tuent des enfants, dans la partie nord de la Cisjordanie.

Sebastia est le site de la ville biblique de Shomron, dont les ruines se trouvent à la périphérie du village palestinien ; l’accès à cette zone est interdit à ses habitants depuis juillet dernier. Pendant ce temps, à environ sept kilomètres de là, se profile la colonie de Shavei Shomron.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la région cette semaine, toutes les voitures palestiniennes circulant sur la route étaient bloquées par un véhicule militaire blindé garé en diagonale, afin d’ouvrir la voie à deux véhicules de colons se dirigeant vers le nord, en direction de la colonie de Homesh. Il est évident qu’ici, ce sont les seigneurs de la terre qui sont en place.

Dans son bureau, le chef du conseil du village de Sebastia, Mahmoud Azzam, nous montre des vidéos de colons attaquant son village. Il ne se passe pas un jour sans que ces maraudeurs n’attaquent ou que l’armée ne fasse une incursion, dit-il. « Depuis le début de la guerre à Gaza », ajoute-t-il, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, ils ont également commencé à mettre la main sur nos terres ».

Sebastia est un village coloré qui, dans un autre univers, serait un site touristique prospère - une combinaison d’anciennes structures en pierre et d’attractions historiques plus récentes. Les résidents locaux gèrent deux maisons d’hôtes bien tenues, mais les touristes et les pèlerins n’ont pas vraiment afflué depuis un an et demi.

07/03/2025

GIDEON LEVY
Un cauchemar palestinien dans un rêve israélien : chasse à l’homme au centre commercial

 Gideon Levy, Haaretz, 6/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Une grande catastrophe a été évitée cette semaine. Au nouveau Big Fashion Glilot, le plus grand centre commercial d’Israël et le couronnement des récentes réalisations nationales, 10 Palestiniens qui se trouvaient en Israël sans permis d’entrée ont été découverts.

Imaginez, 10 Palestiniens sans papiers dans un complexe de “loisirs et de shopping”. Des idoles dans le temple sacré israélien.


Un panneau au centre commercial Big Fashion dans le centre d’Israël, qui a été visité par 150 000 personnes lors de son ouverture vendredi. Photo Tomer Appelbaum

Les 150 000 Israéliens avides de shopping qui ont pris d’assaut le centre commercial au cours du week-end ont été exposés à un danger dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Nommez imméiatement une commission d’enquête. Les survivants de la catastrophe qui n’a pas eu lieu ont été interviewés partout et ont déclaré qu’ils n’auraient jamais imaginé qu’il y aurait des Palestiniens non autorisés dans leur nouveau centre commercial.

Après tout, ils veulent se sentir en sécurité lorsqu’ils vont manger un hamburger ou acheter une paire de baskets. Un homme de ménage sans papiers a été découvert dans un magasin Zara, et il semblerait qu’il y en ait eu un autre dans le magasin Delta.


Le centre commercial lundi. Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, à la vue de tous. Photo Tomer Appelbaum

Les “clandestins” ont été emmenés, menottés, au vu et au su de tout le monde. Les policiers des frontières, héros israéliens, les ont capturés avec le courage et la détermination qui les caractérisent. Les responsables des relations publiques des chaînes de magasins s’efforcent de limiter les dégâts et de rassurer le public : Il n’y aura plus de “clandestins” à Big Fashion.


Le centre commercial lundi. Les journalistes israéliens audacieux s’empressent de les signaler aux autorités ; ils ont alors le sentiment d’avoir rempli une mission journalistique. Photo Tomer Appelbaum

Tout le monde est invité à revenir dans un centre commercial nettoyé.

05/03/2025

DAHLIA SCHEINDLIN
Pourquoi il est impossible de célébrer pleinement le succès de “No Other Land” aux Oscars

Je crains que, tout comme l’âge d’or des documentaires sur Israël et la Palestine qui a transformé mon appréciation du genre, cela ne suffise pas. Le film n’arrêtera pas l’occupation

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 3/3/2025

 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Basel Adra et Yuval Abraham posent avec l’Oscar du meilleur film documentaire pour No Other Land lors du Governors Ball qui suit le spectacle des Oscars à la 97e cérémonie des Oscars à Hollywood, Los Angeles, Californie, dimanche soir. Photo : Mike Blake/Reuters

Lorsque j’ai appris à mon réveil que “No Other Land” avait remporté l’Oscar du meilleur film documentaire, j’étais ravie. Ravie pour les réalisateurs et pleine d’espoir que les messages émouvants de leur discours de remerciement - arrêter la guerre, rendre les otages, libérer le peuple palestinien - soient entendus par tous les Israéliens qui écoutent les nouvelles du matin. Mais il manquait encore quelque chose.

Je suis assez âgée pour me souvenir du film “Budrus”, sorti en 2009, qui raconte la lutte des Palestiniens de Cisjordanie contre la barrière de séparation. Mais le mur n’a fait que grandir, et en 2011, le documentaire “5 Broken Cameras” est apparu. Ce documentaire exquis a profondément humanisé la vie des Palestiniens sous l’occupation. Le principe d’un père qui documente son enfant mais qui est entraîné dans la politique par le biais de sa caméra était créatif, original et universel.

Ce film avait lui aussi été réalisé par un Israélien et un Palestinien (Guy Davidi et Emad Burnat). Il avait lui aussi été nominé aux Oscars, propulsant le sort des Palestiniens sous les feux de la rampe, à la vue du monde entier.

Cette situation aurait dû susciter une nouvelle vague d’indignation lorsque le réalisateur palestinien Burnat a fait l’objet de tracasseries à son entrée aux USA  pour assister à la cérémonie. Mais le film n’a pas gagné, le mur de béton qu’il a détesté et documenté a été construit, et l’occupation s’est poursuivie.

Je suis du côté de “No Other Land”. Je me sens mal à l’aise face à la violence brutale, kafkaïenne, exercée pendant toute la durée de l’occupation contre les villages palestiniens pauvres et sales de Masafer Yatta. J’ai visité les collines du sud d’Hébron, j'ai vu comment ils vivent, je me suis assise avec les enfants, j'ai regardé leurs livres scolaires et j'ai vu “No Other Land” lors d'une projection spéciale en plein air qui s'y est tenue l'année dernière..

Je suis assez fière que le coréalisateur israélien, Yuval Abraham, ait été un grand reporter d’investigation pour Local Call et +972 Magazine - un projet médiatique que j’ai aidé à fonder en 2010, avec des collègues. J’ai beaucoup écrit pour +972 Magazine et j’ai été présidente du conseil d’administration de l’ONG pendant les huit premières années (qui se sont achevées avant l’arrivée d’Abraham).

Inutile de dire que le film lui-même est excellent. Mais en le regardant, je me suis sentie troublée. Je suis déjà passée par là.

De plus, “5 Broken Cameras” est apparu dans une phase où les conflits israélo-palestiniens et israélo-arabes ont produit certains des plus superbes films documentaires que j’avais vus jusqu’alors.

Il y avait “Valse avec Bashir” en 2008, qui ne traitait pas de l’occupation des territoires palestiniens mais exposait le traumatisme et l’angoisse morale de la première guerre du Liban à travers ce qui était pour moi un style cinématographique envoûtant. “The Law in these Parts”, de 2011, reste le meilleur exposé cinématographique d’un aspect sous-estimé et pourtant omniprésent de l’occupation : le système juridique militaire d’(in)justice qui sous-tend les pratiques d’occupation les plus injustes, raconté par ceux qui l’ont construit minutieusement au fil des ans. Les recherches du film ont été si riches que les créateurs ont créé un un site ouèbe dédié, rempli de documents d’archives, qui ne laisse aucune excuse pour ne pas connaître cette colonne vertébrale essentielle de l’occupation.

Et puis il y a eu “Les gardiens”. Ce film de 2012 a fait sensation dans le monde entier. Pendant des années, des personnes extérieures m’ont demandé si le film avait marqué un tournant dans l’attitude des Israéliens à l’égard de l’occupation ou, plus généraleEment, des pratiques militaires d’Israël. La réponse était non.

Il y a près de deux ans, j’ai été bouleversé par le film documentaire “20 jours à Mariupol”.  J’étais sûre que personne ne pourrait rester indifférent à la souffrance de l’Ukraine après l’avoir vu. Un an plus tard, le film le film remporte l’Oscar tant convoité. Mais la guerre continue, le monde avance - et la vérité aussi : selon le président usaméricain Donald Trump, l’Ukraine a déclenché la guerre, Volodymyr Zelenskyy est un dictateur, et le pays pourrait être contraint de renoncer à ses ressources et à son territoire pour parvenir à la paix.

Je suis ravie pour Basel Adra et Yuval Abraham. J’espère désespérément que leur collaboration et leur amitié convaincront les gens de suspendre leur cynisme, de respecter la façon dont les gens peuvent canaliser l’injustice et la fureur qui en résulte dans l’art plutôt que dans la violence. Je ne cesserai jamais d’aimer les grands documentaires émouvants, et je prie pour que Miki Zohar, le bouffon ministre de la culture d’Israël, qui a vomi sa bile sur le film qu'il n'a pas vu, soit démasqué pour le fraudeur proto-fasciste qu'il est.

Mais je crains que, tout comme l’âge d’or des documentaires israéliens et palestiniens qui ont transformé mon appréciation du genre, cela ne suffise pas. Le film n’arrêtera pas l’occupation.

En même temps, si une seule personne change d’avis pour s’opposer à l’occupation, le film est un succès à mes yeux, bien au-delà des Oscars. 

04/03/2025

GIDEON LEVY
Et si Netanyahou avait été sur la sellette de Trump au lieu de Zelensky ?

Gideon Levy , Haaretz, 2/3/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Dans mon rêve, ce n’est pas le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui était assis dans le bureau ovale l’autre jour, mais bien le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le président usaméricain Donald Trump et le vice-président JD Vance assaillaient le premier ministre devant les caméras du monde entier, lui disant qu’en refusant de mettre fin à la guerre à Gaza, il jouait avec la Troisième Guerre mondiale.

 

Trump et Zelensky dans le bureau ovale vendredi 28 février. Photo Saul Loeb/AFP

 « Vous devez dire plus souvent merci. Vos gens sont en train de mourir. Et vous nous dites : “Je ne veux pas de cessez-le-feu”. Si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous dirais de l’accepter. Ainsi, les balles cesseront de voler et vos hommes cesseront d’être tués. Mais vous ne voulez pas de cessez-le-feu. Je veux un cessez-le-feu. Vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez les cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte. Ou bien vous faites un deal, ou bien nous, on se casse ».

Dans mon rêve, Trump a dit à Netanyahou exactement ce qu’il a dit à Zelensky. Voilà, mot pour mot, ce qu’il a à lui dire.

Mais un rêve est un rêve et le spectacle d’horreur de vendredi ne s’est pas produit avec Netanyahou. On peut supposer qu’il ne se produira jamais, même s’il le devrait. Imaginez une telle conversation. Netanyahou quitte la Maison Blanche en panique, le visage aussi cendré que celui de Zelensky, et le lendemain, il revient frapper à la porte à plusieurs reprises : Il est prêt à mettre fin à la guerre à Gaza  et à retirer immédiatement toutes les forces israéliennes de la bande de Gaza. Tous les otages sont libérés et un autre génocide est évité.

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En l’absence d’une telle conversation, Israël galope vers la reprise de la guerre. Il est difficile d’imaginer une perspective plus horrible, de penser à une guerre plus inutile, dont le deuxième chapitre sera encore plus terrifiant.

Le bizutage infligé à l’allié impuissant Zelensky, y compris les abus malveillants inhérents aux personnes de l’acabit de Trump et de Vance, n’était certainement pas sans précédent. La nouveauté, c’est qu’il s’est déroulé devant des caméras. Hormis le « Signe, chien ! » de Hosni Moubarak à Yasser Arafat lors de la signature de l’accord Gaza-Jéricho au Caire en 1994, jamais les caméras n’avaient montré un tel étalage humiliant de la puissance des seigneurs du monde, ou de ceux qui croient l’être, envers un protégé.

Il faut remercier Trump d’avoir révélé son monde intérieur, dans lequel il n’y a pas de place pour la justice, les valeurs, le droit international,  l’humanité ou la loyauté.. Seulement le pouvoir et l’argent, l’argent et le pouvoir. Mais même cette perspective est appliquée de manière sélective. La rencontre Trump-Zelensky aurait pu et dû avoir lieu avec Netanyahou également. Chaque mot prononcé par Trump à l’encontre de Zelensky est pertinent pour Netanyahou. Mais personne n’imagine un tel scénario, peut-être parce qu’aucun gisement de minerai n’a été découvert sous la Cisjordanie. Mais qu’en est-il de la Riviera à Gaza ?

Pour Netanyahou et pour Israël - qui ne comprennent que le langage de la force - il pourrait s’agir d’une conversation historique qui changerait la donne. Il est probable qu’elle n’aura pas lieu. Mais tant que nous rêvons, pourquoi ne pas rêver grand ? Énorme ? Imaginez une conversation similaire à la Maison Blanche, avec pour thème la fin de l’occupation israélienne. Dans son sillage, l’occupation prendrait fin plus rapidement que nous ne pouvons l’imaginer. En fait, le seul moyen restant de mettre fin à l’occupation est une telle conversation.


Trump et Netanyahou en conférence de presse à la Maison Blanche à Washington, le mois dernier. Photo Jim Watson/AFP

Israël n’a pas d’autres cartes pour perpétuer l’occupation que le soutien usaméricain. Des personnes sont tuées à cause de l’occupation en permanence. C’est un foyer de tension qui met le monde en danger. Aucun pays ne la soutient et aucun sujet n’unit le monde comme l’opposition à l’occupation, du moins pour la forme.

Il est difficile de comprendre quel intérêt usaméricain est servi par cette occupation, qui fait que les USA sont méprisés au même titre que leur protégé. Même en termes trumpiens, il est difficile de comprendre pourquoi une telle conversation n’a jamais eu lieu.

Dans mon rêve, Netanyahou arrive à la Maison Blanche et Trump, cet homme terrible et dangereux, le menace comme il a menacé Zelensky l’autre jour. Le lendemain matin, le démantèlement des colonies de Kiryat Arba et Kiryat Sefer en Cisjordanie commence. Malheureusement, ça n’est qu’un rêve.

03/03/2025

GIDEON LEVY
Israël “gazafie” la Cisjordanie et fait de ces Palestiniens, une fois de plus, des réfugiés

 

Après l’expulsion par Israël de 40 000 habitants des camps de réfugiés de Cisjordanie, un nouveau flot de personnes déplacées a commencé. Dans la ville d’Anabta, les abris de fortune sont remplis de familles qui ont tout perdu et qui craignent l’avenir.

Gideon Levy & Alex Levac, Haaretz, 1/3/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. L’expulsion des résidents pourrait être un processus irréversible, surtout à la lumière de la destruction totale des camps. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

 Trois hommes pas très jeunes s’entassent dans une seule pièce. Il n’y a pas de toilettes. Les rideaux sont tirés et la pièce est bondée, avec trois lits en fer qui tiennent à peine à l’intérieur. Au centre se trouve un bol de dattes, que l’on mange généralement pendant les périodes de deuil. Cette semaine, ils pleuraient la mort du frère de l’un des occupants de la pièce, un homme qui avait succombé à des blessures subies dans la bande de Gaza.

Tous trois ont des femmes et des enfants à Gaza qu’ils n’ont pas vu depuis le 7 octobre et qu’ils ne reverront peut-être jamais. Arrachés à leur famille, ils vivent désormais dans cette petite pièce, au deuxième étage d’un centre communautaire qui accueille les jeunes de la région. Ce sont des ouvriers de Gaza qui travaillaient légalement en Israël jusqu’au 7 octobre. Après cette date, Israël les a expulsés vers la Cisjordanie. C’est ici, dans la ville d’Anabta, qu’ils ont trouvé un refuge temporaire, survivant grâce à l’aide sociale.

Non loin du centre communautaire se trouve le diwan de la famille A’mar - une structure conçue à l’origine pour les fonctions familiales telles que les mariages et les jours de deuil, mais qui sert aujourd’hui de refuge improvisé. Des rideaux séparent l’espace des femmes de celui des hommes, et les toilettes se trouvent dans le couloir. Ici, 26 membres d’une famille qui a été expulsée de force de leur maison dans le camp de réfugiés de Nur Shams, ont trouvé un abri. Ils ne savent pas si leur maison a été démolie. Le père de famille, qui gagnait sa vie comme chauffeur, a perdu sa voiture lorsqu’elle a été écrasée par un véhicule militaire blindé. Aujourd’hui, il arpente le diwan, en colère, indigné, frustré. Il refuse d’endurer l’humiliation de vivre de dons - de nourriture, de vêtements, de chauffage et parfois d’argent.

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Les vents de la guerre soufflent sur le nord de la Cisjordanie. Le chef du conseil local d’Anabta déclare que des plans d’urgence sont en place pour absorber des milliers de réfugiés. Jénine a déjà été envahie par les chars et trois camps de réfugiés - Jénine, Toulkarem et Nur Shams - ont été presque entièrement dépeuplés par les forces de l’armée.


Des réfugiés gazaouis vivant actuellement dans un centre de jeunesse à Anabta, de gauche à droite, Ahmed Abu al-Hosna, Zuheir al-Hindi et Imad Moutawek, qui étaient employés dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe à Haïfa, dont ils n’ont jamais connu le nom. Photo Alex Levac

Le ministre de la défense, Israël Katz, s’est vanté cette semaine que 40 000 résidents déplacés de Cisjordanie ne pourront pas rentrer chez eux avant au moins un an. Pendant ce temps, les Forces de défense israéliennes ont démoli les infrastructures des camps, des dizaines de maisons ayant déjà été réduites à l’état de ruines. Les personnes déplacées n’auront manifestement nulle part où retourner - et l’opération ne fait que commencer. On peut supposer que la campagne s’étendra à tous les camps de réfugiés de Cisjordanie. La “gazafication” de la Cisjordanie bat son plein. Les trois camps du nord ressemblent déjà à Jabalya et personne n’est autorisé à y pénétrer.

La route de Toulkarem, qui traverse deux camps de réfugiés, a été éventrée, la rendant impraticable. Le quartier Al-Manshiyya, dans le camp de Nur Shams, a été entièrement vidé de ses 4 000 habitants. Il s’agit de descendants de réfugiés de la guerre de 1948, originaires de Manshiyya, au nord de Jaffa, contraints une nouvelle fois à l’exil, pour la deuxième, la troisième, voire la quatrième fois.

Certains d’entre eux ont été contraints de faire plusieurs arrêts avant d’arriver à Anabta. Selon Abd al-Karim Saadi, chercheur de terrain de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il ne reste que 11 personnes dans le camp de Toulkarem, toutes âgées et assiégées. Saadi sait qui sont ces personnes, mais il n’a pas pu se rendre dans le camp depuis le début de l’incursion militaire.

Le 21 janvier, l’armée a envahi le camp de Jénine, expulsé tous ses habitants et commencé à détruire les maisons et les infrastructures. Le 27 janvier, les troupes sont entrées dans le camp de Toulkarem. Le 7 février, elles ont envahi Nur Shams. Depuis lors, l’armée maintient sa présence dans les trois camps, tandis que leurs habitants restent déplacés et démunis.


Des Palestiniens quittent leurs maisons dans le camp de réfugiés de Nur Shams en février. Les trois camps du nord de la Cisjordanie ressemblent déjà à Jabalya, et personne n’est autorisé à y entrer. Photo Zain Jaafar/AFP

Les affirmations des FDI selon lesquelles les habitants “sont partis d’eux-mêmes” ont été réfutées par toutes les personnes déplacées à qui nous avons parlé, ainsi que par les organisations d’aide qui travaillent avec elles. Les récits de soldats faisant irruption dans les maisons et forçant les occupants à fuir, sans rien emporter, et les appels par haut-parleurs dans les rues, exigeant que tout le monde évacue, ne cessent d’apparaître.

Avec seulement les vêtements qu’elles portaient sur le dos, des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de chercher refuge dans d’autres communautés. Ce sont les nouveaux réfugiés, les “Gazaouis” de Cisjordanie, victimes d’un processus qui pourrait être irréversible, surtout si l’on considère la destruction totale des camps.

Anabta, relativement calme et aisé, compte 8 500 habitants. Il y a quelques décennies, j’y ai rendu visite au journaliste et caricaturiste politique israélo-usaméricain Ranan Lurie. Lurie avait été gouverneur militaire d’Anabta en 1967 et m’a raconté qu’à l’époque, c’était lui qui avait remis au chef du conseil local une lettre officielle de reddition à signer, puisque sa ville était désormais sous juridiction israélienne. Lurie se souvient que l’homme tremblait de peur. Plus tard, Lurie lui-même a vu des bus avec des plaques d’immatriculation israéliennes garés sur la route et a compris qu’il y avait un plan pour expulser les habitants de la ville au-delà du Jourdain. Il est allé jusqu’au Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, pour mettre un terme à ce plan - et a réussi à empêcher l’évacuation.

La crainte d’un transfert forcé de population n’a pas quitté Anabta depuis 1948, et cette semaine, les gens en parlaient à nouveau. Depuis cette visite à Lurie, je suis passé par là des dizaines de fois pour me rendre à Toulkarem. La route est maintenant bloquée, l’armée est partout. Dimanche dernier, les soldats ont posé des barbelés à toutes les entrées de Nur Shams, qui étaient jusqu’à présent bloquées par des tas de terre.


Un Palestinien marche sur une route détruite dans le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. Photo John Wessels/ AFP

Soufian Barakat, 54 ans, dirige le centre d’Anabta - sous les auspices d’une organisation appelée Wasel Center For Youth Development - qui accueille normalement une troupe de théâtre de jeunes, mais qui est devenu un refuge pour les réfugiés de Gaza. Barakat, qui a lui-même été emprisonné en Israël pendant 13 ans, a été le fer de lance du bénévolat et de la collecte de dons pour les réfugiés. Après le 7 octobre, 17 hommes, pour la plupart des ouvriers, se sont installés dans le centre ; neuf d’entre eux y sont encore. Nous sommes montés au deuxième étage, où les déplacés de Gaza ont trouvé refuge. Le spectacle est déchirant.

Ahmed Abu al-Hosna, 55 ans, père de neuf enfants, originaire de Jabalya, nous salue ; c’est son frère de 69 ans qui est mort cette semaine, après avoir été blessé par balle par des soldats à Gaza. Il nous montre une photo de son frère, qu’il n’a pas vu depuis 18 mois, sur son téléphone portable. Un lit plus loin, Zuheir al-Hindi, 60 ans, également père de neuf enfants, est originaire de Deir al-Balah. Il vit ici alors qu’une trentaine de personnes déplacées s’entassent dans sa maison, dans la partie centrale de Gaza. Le plus jeune occupant de la chambre, également originaire de Jabalya, est Imad Moutawek, 39 ans, père de cinq enfants. Ces trois bons gars travaillaient dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe de Haïfa, peut-être une yeshiva, dont ils n’ont jamais su le nom. L’entrepreneur bédouin qui les employait leur doit encore leur dernier salaire, mais il a disparu ; pour leur part, ils ont été expulsés vers un poste de contrôle en Cisjordanie et, de là, se sont rendus à Anabta.

Ils vont de temps en temps chercher du travail dans la région, principalement des travaux agricoles, mais ils dépendent surtout des dons.

Mohammed Khader, 38 ans, originaire de Beit Lahia, dans le nord de Gaza, vit dans l’autre pièce de cet étage. Sa femme, Yasmeen, 25 ans, et leurs quatre enfants, dont le plus jeune a 5 ans, ont survécu à la guerre ; son beau-père a été tué. La femme et les enfants de Khader ont fui vers Khan Younès, puis sont retournés à Beit Lahia après l’entrée en vigueur du récent cessez-le-feu, pour découvrir que leur maison n’existait plus. Ils vivent dans une tente sur ses ruines. Mohammed Abu Lakhia, 52 ans, père de cinq enfants et originaire de Khan Younès, habite avec Khader et a également perdu sa maison. Sa femme et ses enfants vivent désormais sous une tente à Bani Suheila, dans le sud de la bande de Gaza.



Mohammed Abu Lakhia, Anas Abu Rabi et Mohammed Khader au centre communautaire d’Anabta. Des plans d’urgence ont été mis en place pour permettre à la ville d’absorber des milliers de réfugiés. Photo Alex Levac

Le troisième occupant de cette chambre, Anas Abu Rabi, 20 ans, a quitté Gaza quelques mois avant que la guerre n’éclate pour se faire soigner d’une maladie du sang à l’hôpital Makassed de Jérusalem-Est ; il est resté bloqué ici depuis. Sa famille - ses parents, sept sœurs et un frère, originaires de Jabalya - a perdu sa maison et vit désormais sous une tente.

Assis dans son bureau, le chef du conseil d’Anabta, Thabet A’mar, explique qu’avec le Ramadan qui commence la semaine prochaine, le flux de dons aux réfugiés s’est intensifié, en particulier de la part des Arabes israéliens. Mais il est préoccupé par l’avenir. Il craint que la répression militaire ne s’intensifie, et avec elle le flot de réfugiés arrivant en ville. Des plans d’urgence ont déjà été mis en place pour loger les nouveaux arrivants dans plusieurs bâtiments publics. « Nous devons partager notre vie avec ces gens », déclare-t-il, ajoutant qu’il attend une décision du ministère palestinien de l’Éducation pour savoir s’il peut transformer les écoles en refuges, comme à Gaza. En attendant, les efforts se poursuivent pour intégrer les jeunes réfugiés dans les écoles locales.

Au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, dans un appartement pratiquement vide au sol en marbre, vivent Rukiah Uffi et sa famille, qui se sont récemment échappés du camp de Toulkarem pour se rendre à Anabta. Elle a 65 ans et a travaillé comme professeur de sciences et de mathématiques en Arabie Saoudite avant de retourner en Cisjordanie en 2000.

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Le 27 janvier, l’armée a envahi le camp, dit-elle, et les soldats ont ordonné aux résidents d’évacuer. Ils se sont d’abord installés dans la ville de Toulkarem puis à Anabta. Voyant les soldats se préparer à un long séjour près de leur camp, ils ont décidé de louer ce nouvel appartement, pour attendre la fin de la crise.



Le camp de réfugiés de Toulkarem la semaine dernière. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

Uffi vit ici avec sa propre fille et sa petite-fille, en plus de sa sœur et de sa famille - trois générations, huit personnes. Elles dorment sur des matelas posés à même le sol. Des bénévoles leur ont apporté de la nourriture et les ont aidées à subvenir à leurs autres besoins. La fille d’Uffi, Aya, une étudiante de 31 ans, raconte qu’elle a fait une fausse couche après avoir été chassée de chez elle.

Non loin de là, dans le diwan de la famille élargie d’A’mar, Jamal Khalil et sa famille ont trouvé refuge.

« Pourquoi suis-je ici ? » demande-t-il, irrité. « Pourquoi devrais-je vivre de l’assistanat ? Pourquoi ne puis-je pas être chez moi ? Les habitants d’Anabta sont des gens bien, mais je ne peux pas vivre avec l’argent des autres. J’ai travaillé toute ma vie et je n’ai jamais dépendu de personne. J’ai compris, j’ai compris. Vous [les Israéliens] avez déjà tué tous les militants armés du camp, alors pourquoi avez-vous envoyé les chars ? Et pourquoi détruisez-vous tout ? Vous vous battez contre les murs ? Les briques ? Qu’est-ce que je vous ai fait ? Pourquoi mes enfants et moi devrions-nous souffrir ? Pourquoi m’avez-vous chassé de ma maison ? Votre cible, ça n’est pas les militants. Votre but, c’est de ruiner nos vies, les vies des innocents".

Khalil a déménagé à Anabta avec sa famille immédiatement après l’invasion de Nur Shams par l’armée. Il raconte qu’une quarantaine de soldats ont fait irruption dans sa maison ; ils étaient agressifs et violents, criant et bousculant les gens pour les faire partir. Les soldats ont expulsé 26 membres de sa famille, qui n’ont pas été autorisés à emporter quoi que ce soit. Sa belle-fille n’a même pas pu prendre une boîte de lait en poudre pour son petit-fils de 9 mois. Deux jours après leur expulsion, un voisin a réussi à se faufiler dans le camp et à fermer la porte de sa maison, qui avait été forcée par les soldats. Il ne sait pas ce qui s’est passé, mais sa Mazda 5, son gagne-pain, a été écrasée par un véhicule blindé, comme beaucoup d’autres voitures.

Mohammed Sarhan, 53 ans, son gendre, se joint à notre conversation. Il dit qu’il craint qu’après avoir été expulsée du camp, sa famille ne soit maintenant expulsée vers la Jordanie. Qui va enlever la poussière des yeux de Ranan Lurie pour qu’il puisse voir ce qui se passe maintenant ?

28/02/2025

GIDEON LEVY
Lorsque la troisième Intifada éclatera, n’oubliez pas qu’Israël en aura été l’instigateur

Gideon LevyHaaretz, 27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

C’est quelque chose qui se passe pour la première fois dans l’histoire d’Israël : une guerre n’est pas encore totalement terminée qu’Israël est déjà en train d’attiser la prochaine. On nous a refusé le luxe d’un moment de respiration ou d’un peu d’illusion et d’espoir. L’horizon “diplomatique” d’Israël n’est plus que guerre après guerre, sans alternative sur la table. Pas moins de trois guerres sont à l’ordre du jour : la reprise de la guerre contre Gaza, le bombardement de l’Iran et la guerre en Cisjordanie.


Un homme porte un chat le long d’une route détruite par les forces israéliennes dans le camp de réfugiés palestiniens de Nur al-Shams, près de Toulkarem, mercredi. Photo Zain Jaafar/AFP 

La dernière d’entre elles a commencé à être alimentée au lendemain du 7 octobre 2023. Lorsque la troisième intifada éclatera, il faudra se souvenir qui l’a délibérément provoquée. Le fait de se poser en victime d’attaques meurtrières ne changera pas non plus les faits. Ni la diabolisation des “animaux humains” en Cisjordaniecongénères de ceux de Gaza.

Israël portera seul la responsabilité de la prochaine guerre en Cisjordanie. Ne dites pas que nous avons été pris par surprise ; n’osez pas dire que nous ne savions pas. Cela fait 16 mois que les choses sont écrites sur le mur, à feu et à sang, et personne n’arrête ça. C’est à peine si l’on en parle.

Ce n’est plus la Cisjordanie que nous avons connue. Les choses ont changé. L’occupation - qui n’a jamais été vraiment progressiste - est devenue plus brutale que jamais. Au lendemain du 7 octobre, Israël a effectivement emprisonné les trois millions d’habitants de la Cisjordanie. Depuis lors, au moins 150 000 personnes - pour la plupart des travailleurs assidus et dévoués - ont perdu leurs moyens de subsistance. Ils n’avaient rien à voir avec le massacre perpétré le long de la frontière de Gaza. Ils cherchaient seulement à subvenir aux besoins de leur famille. Mais Israël leur a ôté la chance d’une vie décente, qui a peu de chances de revenir. Des centaines de milliers d’entre eux ont été condamnés à une vie de misère. Les plus jeunes ne resteront pas silencieux.

Ce n’était que le début. La Cisjordanie a également été fermée de l’intérieur. Environ 900 points de contrôle - certains permanents, d’autres temporaires - ont découpé la Cisjordanie et la vie de ses habitants. Chaque trajet entre les communautés est devenu un jeu de roulette russe. Le poste de contrôle sera-t-il fermé ou ouvert ? Lorsque j’ai passé six heures à attendre au poste de contrôle de Jaba, un jeune marié se rendant à son mariage se trouvait derrière moi. Le mariage a été annulé. Les routes de Cisjordanie sont devenues vides.

Les points de contrôle ne sont qu’une partie du tableau. Quelque chose a également changé chez les soldats de l’occupation. Peut-être envient-ils leurs camarades de Gaza, ou peut-être s’agit-il simplement de l’état d’esprit qui règne actuellement au sein de l’armée israélienne. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais traité les Palestiniens comme ils le font aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de la facilité avec laquelle ils appuient sur la gâchette ou de l’utilisation d’armes jamais déployées en Cisjordanie, comme les avions de chasse et les drones meurtriers. Il s’agit surtout de la façon dont ils considèrent les Palestiniens : comme des “animaux humains”, tout comme on le leur a dit de traiter les habitants de Gaza.

Les colons et ceux qui les soutiennent se sont engouffrés dans cette brèche avec empressement. Pour eux, il s’agit d’une occasion historique de se venger. Ils veulent une guerre à grande échelle en Cisjordanie, sous le couvert de laquelle ils pourront mettre en œuvre leur grand plan d’expulsion massive. Il est effrayant de constater que c’est là le seul plan dont dispose Israël pour résoudre la question palestinienne.

Entretemps, il ne se passe pas une semaine sans qu’apparaisse un nouvel avant-poste de colons non autorisé - une simple hutte entourée de milliers de dounums volés, revendiqués pour le “pâturage”. Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau pogrom ne se produise. Ces attaques fonctionnent. Les éléments les plus faibles de la société palestinienne de Cisjordanie - les bergers - abandonnent tout simplement. Des communautés entières quittent la terre de leurs ancêtres, fuyant, terrorisées, les gangsters en kippa.

Puis c’est l’expulsion organisée des camps de réfugiés. Ne dites pas qu’il n’y a pas de plan. Il y en a un, et il est monstrueux. Il s’agit de vider tous les camps de réfugiés en Cisjordanie et de les raser. C’est la “solution” au problème des réfugiés. Elle a commencé par le démantèlement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) et se poursuit avec les bulldozers D-9. Quarante mille personnes ont déjà été expulsées, dont certaines maisons ont déjà été démolies. Les trois camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie sont aujourd’hui des terrains vagues, vidés de toute vie.

Il ne s’agit pas d’une guerre contre le terrorisme. On ne combat pas la terreur en détruisant les infrastructures hydrauliques, les réseaux électriques, les routes et les systèmes d’égouts. Il s’agit de la destruction systématique des camps de réfugiés.

Elle ne s’arrêtera pas au camp de Nur al-Shams à Toulkarem ou aux camps d’Askar et de Balata près de Naplouse. Elle se poursuivra jusqu’au camp d’Al-Fawwar, près d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

C’est ce qu’Israël est en train de faire, pour être clair. Une nakba.


02/02/2025

GIDEON LEVY
À Al Khalil, les troupes israéliennes d’occupation fouillent désormais les téléphones des Palestiniens. Tout ce qui est “interdit” provoque des abus

 

Gideon Levy Alex Levac Haaretz 1/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les témoignages ne laissent aucune place au doute : il y a une nouvelle forme de censure militaire israélienne à Al Khalil/Hébron


Ayman Jabbar, à gauche, avec son frère Omar, qui déclare : « Tout le quartier vit ça, tout le monde en fait l'expérience presque tous les jours ».

Une tâche nouvelle et originale a été ajoutée aux nombreuses missions confiées aux forces d'occupation : la censure militaire. En effet, les soldats des Forces de défense israéliennes qui se trouvent aux points de contrôle à Hébron font désormais office de censeurs.

Il y a trois semaines, nous avons relaté dans ces pages l'histoire de Fatma Jabbar, mère de sept enfants et bénévole pour l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem, qui a été soumise à des coups et à des humiliations par les troupes israéliennes à Hébron parce que son téléphone contenait un clip montrant un soldat des FDI en train de maltraiter un Palestinien à besoins spécifiques. Cette semaine, il est apparu qu'un tel abus n'était pas exceptionnel, mais qu'il s'agissait d'un comportement régulier et routinier.

Depuis quelques mois, des soldats vérifient le contenu des téléphones portables des Palestiniens qui passent par les points de contrôle pour piétons menant au quartier H2 d'Hébron, et soumettent nombre d'entre eux à des mauvais traitements. Chaque texte, image ou clip vidéo qui déplaît aux soldats entraîne immédiatement un interrogatoire, une détention et/ou des coups.

Selon Manal Jabari, chercheuse de B'Tselem sur le terrain, environ 70 % des dizaines de milliers de résidents palestiniens de ce quartier - qui abrite moins de 1 000 colons et se trouve sous contrôle militaire israélien - ont été victimes d'abus parce que leur téléphone contenait un contenu manifestement interdit.

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Les images proviennent peut-être d'un journal télévisé israélien, ou bien une image de soldats ou de colons a circulé sur les médias sociaux palestiniens, ou encore des photos d'un Palestinien armé sont devenues virales.

L'histoire d'Omar et d'Ayman Jabbar (sans lien de parenté avec Fatma), deux frères âgés respectivement de 41 et 30 ans, illustre de manière frappante la nouvelle réalité. Les deux frères sont handicapés. Ayman souffre d'une maladie musculaire dégénérative, Omar a une plaque de platine dans la jambe à la suite d'un accident. Mais les soldats ne se soucient apparemment pas le moins du monde de leur état. Omar a été malmené par les troupes à deux reprises au cours de la même semaine, début janvier, et a dû être hospitalisé. En tout état de cause, les troupes déployées à Hébron n'ont probablement jamais entendu parler des droits humains, du droit à la vie privée ou de la liberté d'expression. Et c’est certainement aussi le cas des troupes qui tiennent les points de contrôle et qui considèrent qu'elles ont le droit de faire ce qu'elles veulent aux résidents palestiniens.


Hébron, l'année dernière

Nous avons rencontré les deux frères la semaine dernière dans le bureau du Human Rights Defenders Fund à Hébron, qui se trouve au-dessus du poste de contrôle à l'entrée de la rue Shuhada, située dans le vieux marché. Deux femmes qui se trouvaient à proximité nous ont raconté qu'elles rentraient chez elles et qu'elles attendaient depuis plus d'une demi-heure de pouvoir passer. Les soldats étaient occupés à autre chose, bien sûr.

Omar Jabbar, marié et père de quatre enfants, enseigne les mathématiques à l'école primaire Al-Amari pour garçons à Hébron. Ayman gère un commerce de vêtements en ligne. Le lundi 6 janvier, Omar est rentré de l'école et a appelé son frère pour organiser leur rencontre. Ayman l'a informé qu'il était détenu au poste de contrôle du quartier d'A-Ras. Omar s'est précipité sur place et a lui aussi été placé en détention.

Omar a reçu l'ordre de mettre les mains derrière le dos, puis les soldats ont commencé à vérifier ses messages WhatsApp. De quel droit ? Par quelle autorité ? Ce sont des questions qui ne se posent pas à Hébron. Ils lui ont ordonné de s'agenouiller ; il a tenté d'expliquer qu'il avait une plaque de platine dans la jambe et qu'il ne pouvait pas vraiment le faire. Le soldat lui rétorque : « Je m'en fous complètement ».

L'instituteur a été retenu pendant deux heures pénibles sur le sol du poste de contrôle, avant d'être emmené dans un bureau, où il a été menotté et placé dans la jeep blanche de l'armée, devenue un symbole pour la population palestinienne. Nous entendons sans cesse parler de cet effrayant véhicule blanc qui emmène les gens.

Omar a été emmené dans un terrain vague et on lui a ordonné de se mettre à genoux. Un soldat a pointé un fusil sur sa tête et a menacé de l'abattre. Quelques soldats lui ont donné des coups de pied, d'autres l'ont maudit et l'ont forcé à répéter leurs cris en hébreu : « Am Yisrael chai » (le peuple d'Israël vit), « Netanyahu melech Yisrael ! » (Netanyahou, roi d'Israël) - et de maudire le Hamas. Lorsque nous lui avons demandé de répéter les malédictions, il a demandé à Jabari, la chercheuse de terrain de B'Tselem, de quitter la pièce pour qu'elle ne les entende pas.

Vers 18 h 30, les soldats ont jeté Omar à côté du poste de police de Kiryat Arba, la colonie urbaine qui jouxte Hébron, lui ont rendu son téléphone et lui ont ordonné de ne jamais rien enregistrer dessus. Son frère a été relâché avec lui.


Omar Jabbar à Hébron cette semaine

Pour sa part, Ayman raconte qu'il a quitté son domicile ce matin-là vers 9 heures et qu'il a été arrêté à A-Ras. Les troupes ont pris son téléphone et sa carte d'identité. Il a essayé de leur dire qu'il souffrait d'une maladie dégénérative, ce qui est assez visible, et leur a montré des documents à cet effet, mais en vain. Les soldats ont apparemment trouvé dans son téléphone une image d'un Palestinien armé qui a circulé sur les médias sociaux.

Les yeux bandés et menottés, Ayman a été emmené à un poste des FDI dans le quartier de Givat Harsina à Kiryat Arba. On lui a retiré sa chemise et, alors qu'il tremblait de froid, on l'a forcé à s'asseoir sur un banc en fer. Il se souvient d'avoir été poussé et d'être tombé. Au bout d'un moment, il s'est senti mal et a dit à ses ravisseurs : « Tuez-moi ». Il a commencé à perdre connaissance et lorsqu'il a demandé aux soldats de desserrer un peu les menottes, ils les ont serrées encore plus fort. Comme pour Omar, ils l'ont forcé à chanter « Am Yisrael chai » et diverses béné[malé]dictions, avant de le relâcher quelques heures plus tard près du poste de police de Kiryat Arba.

Les frères Jabbar ont eu du mal à se remettre de cette épreuve. Une semaine plus tard, le 13 janvier, vers midi, Omar et son neveu de 12 ans, Yazen, sont arrivés au poste de contrôle d'Al-Rajbi (Beit Shalom) dans le quartier H2. Braquant leurs armes sur eux, les soldats leur ont ordonné d'enlever leurs manteaux et de baisser leurs pantalons. L'enseignant a refusé, mais a dû s'exécuter après que le soldat l'a menacé de lui tirer dessus. On lui a de nouveau pris son téléphone, puis on l'a menotté. Il a été traîné sur le sol et a reçu des coups de pied, raconte-t-il. Un sac en plastique a été placé sur sa tête, de sorte qu'il pouvait à peine respirer. Entre-temps, Yazen a été relâché.

Une fois de plus, l'effrayante jeep blanche s'est arrêtée ; une fois de plus, Omar a été poussé à l'intérieur. Il se souvient d'avoir été frappé à la tête avec un talkie-walkie et d'avoir été emmené dans une pièce où des soldats parlaient à la radio ; certains passaient et lui criaient des insultes à l'encontre du Hamas, tandis que d'autres le frappaient. Vers 16h30, il a entendu une conversation avec le bureau de coordination et de liaison palestinien, au cours de laquelle les soldats ont été informés qu'il était handicapé. Il a continué à subir des violences jusqu'à l'arrivée d'un agent du service de sécurité du Shin Bet, qui lui a montré une image de son téléphone portable montrant un Palestinien tenant un fusil.

L'agent lui a demandé : « Tu sais qui c'est ? » Omar a répondu que la photo avait été prise sur un site d'information arabe et qu'elle avait circulé sur les médias sociaux palestiniens.

Il a ensuite été conduit au poste de Givat Harsina, où se trouvaient des soldats et deux colons en civil. Les colons ont commencé à le frapper, mais les soldats les ont arrêtés - et ont continué à le frapper eux-mêmes. Ils ont ensuite emmené Omar au poste de contrôle de Givat Ha'avot, à Kiryat Arba, et lui ont dit de se casser vite fait bien fait – « Je compte jusqu'à 4 et ensuite je tire », lui a aboyé un soldat.


Hébron en 2023 Photo : Moti Milrod

Omar a fait de son mieux pour s'enfuir, bien que ses mains soient encore liées et qu'il ait mal à la jambe. Entrant dans une ruelle voisine, il a donné un coup de pied à la porte d'une maison. Les occupants l'ont libéré de ses entraves et ont appelé sa famille pour qu'elle vienne le chercher et l'emmène à l'hôpital Alia, situé à proximité. Le médecin de garde, le Dr Ahmad Zayn, a écrit sur le formulaire de sortie qu'Omar souffrait d'hémorragies aux jambes et à l'estomac à la suite des coups qu'il avait reçus.

L'unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine en réponse à la question de Haaretz sur les deux événements : « Dans le cadre du protocole de contrôle de sécurité de routine, lors du passage des points de contrôle, les forces ont retardé un suspect à la suite de photos d'armes et de soldats des FDI enregistrées dans son téléphone portable. Le suspect a été convoqué pour poursuivre son interrogatoire dans un poste de police. Nous insistons sur le fait qu'à aucun moment nos forces n'ont eu recours à la violence ».

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Il est important de souligner ici que nous avons demandé au porte-parole pourquoi les deux frères Jabbar avaient été détenus, mais l'armée a choisi de ne répondre que pour un seul “suspect”.

Un chroniqueur usaméricain qui nous accompagnait le jour de notre visite a demandé à Omar quel était le but d'un tel comportement.

« L’humiliation », a-t-il répondu. « Des pressions sont exercées sur nous pour que nous quittions la ville. Tout le quartier vit cela, tout le monde en fait l'expérience presque tous les jours. Un jour, je raconterai ça à mes petits-enfants ».