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12/05/2021

Après la décroissance

Gianfranco Laccone, Comune-Info, 27/4/2021

Traduit par Vanessa De Pizzol

Gianfranco Laccone (Bari, 1953) est un agronome italien, expert en économie, en politiques agricoles et environnementales et en droits des consommateurs.

« Il n’y a rien de pire qu’une société de croissance sans croissance »
Serge Latouche

En ces mois de pandémie et de quarantaine, il m’est arrivé de relire de nombreux livres et articles : pour donner un sens à la situation que nous vivons et réunir des éléments en mesure de reconstruire les origines du désastre actuel qui, avec le temps qui passe, apparaissent de plus en plus corrélés à des comportements erronés vis-à-vis de nos semblables, des autres animaux, de la nature. Ainsi, des années plus tard, il arrive de mieux saisir la profondeur de certaines analyses en mesure d’éclairer l’obscurité du présent. Les mots repris en ouverture sont l’incipit d’un entretien donné il y a désormais huit ans par Serge Latouche, le théoricien de la décroissance, auquel faisaient suite des propos qui aujourd’hui prennent le sens d’une dénonciation lucide et presque prophétique : « Ce que nous sommes en train de vivre est la crise d’une société qui voudrait continuer à croître, mais qui n’y arrive pas, […] qui génère une austérité imposée, un chômage atteignant des niveaux incroyables, une crise très grave des finances publiques, et, avec elle, l’épuisement des ressources pour financer ce qui garantissait un minimum de qualité de vie dans une société capitaliste (santé, culture, éducation, etc.) » [1]

Ces propos semblent avoir été écrits hier, et non il y a dix ans. À l’époque, tandis qu’on chantait les louanges de la société 4.0 qui transformerait nos vies, certains pressentaient déjà le désastre que nous vivons aujourd’hui. L’entretien évoquait une transition semblable à celle que nous sommes en train de vivre, efficacement résumée dans le titre « Fin de course » : « …il me semble que le scénario d’une transformation lente et progressive est peu probable. Moi je n’y crois pas. La situation dans laquelle nous sommes est évidente depuis au moins cinquante ans : si nous datons les premiers pas de la critique écologique en 1962, avec la sortie du livre de Rachel Carlson Silent spring [2], tout était déjà suffisamment clair alors… Dans les faits, la force, la capacité de résistance du système est tellement forte que seul l’effondrement peut ouvrir la voie à une issue. Une fois arrivés là, quelle sera donc l’issue ? C’est toute la question. Ce sera « l’écosocialisme » ou bien « la barbarie ». À présent nous sommes plus ou moins arrivés à l’heure de vérité ».

Donc ce que nous vivons est un parcours que certain.e.s spécialistes avaient prévu, auquel nous aurions dû nous préparer depuis longtemps et sur lequel plusieurs courants de pensée réfléchissent encore aujourd’hui. En revanche, la plupart des gens l’abordent naïvement, comme ceux qui pensent pouvoir traverser le désert en emportant une simple bouteille d’eau.

Si nous avions perdu moins de temps à polémiquer sur l’idée de décroissance, souvent moquée parce que tournée vers la recherche d’une « décroissance heureuse », si nous avions accepté l’idée de devoir modifier substantiellement les bases de notre façon de vivre, nous serions moins démunis face à une situation qui semble être sans issue. Et cela depuis une année d’exhortations (« tout ira bien ! ») et l’utilisation inutilement surabondante de termes tels durabilité, résilience, économie circulaire, proposant l’idée d’une reprise générale succédant à la pandémie, sans failles ni défauts.

J’éviterai toute polémique ou tentative d’explication de la décroissance et je considérerai ce fait évident : le monde décroît, inexorablement et globalement, au-delà de toutes les bonnes intentions. Dans les vingt premières années de ce millénaire, nous avons assisté aux tentatives les plus variées pour relever l’économie de la planète, qui a continué à décroître uniquement virtuellement à travers les spéculations en bourse et les artifices financiers. La « bulle spéculative des produits dérivés » [3] née en 2008, continue encore de produire ses effets : chaque fois que l’on tente de retrouver un rythme de croissance égal à celui des « trente glorieuses » [4], ponctuellement un évènement se produit, considéré comme imprévu, qui renvoie tout au début, comme dans un « jeu de l’oie ».