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11/03/2024

ZUHEIR DOLA
Comment les enfants de Gaza résistent à la guerre : reportage photo

Zuheir Dola, Mada Masr, 9/3/2024
عربية

L’enfance dans la bande de Gaza est incroyablement brutale. Les enfants de Gaza, soumis aux bombardements et aux déplacements, sont privés d’espaces de jeu sûrs. Les jardins publics, les parcs d’attractions et les cours d’école ont été détruits par les opérations militaires en cours dans le cadre de l’épuration ethnique par Israël de quelque 2,2 millions de Palestiniens à Gaza.

L’innocence des enfants crée un besoin de distractions et de réconfort pour apaiser leurs craintes, surtout dans le contexte de l’agression israélienne sur la bande de Gaza et des déplacements qu’elle engendre. Pourtant, les enfants déplacés à Rafah n’ont pas d’autre choix que de jouer au milieu des retombées de la guerre ; les conditions pour jouer comme dans le reste du monde n’existent pas ici. Les ruines des maisons bombardées servent de toile de fond aux jeux des enfants, qui jouent avec des billes, du sable et les restes éparpillés des anciennes structures et de leur mobilier. Des vendeurs se frayent un chemin à travers les zones détruites, soignant les blessures psychologiques des enfants avec de la barbe à papa.

Dans les rares espaces ouverts parmi les tentes de Rafah, les jeunes jouent au football et au volley-ball, offrant ainsi un peu de répit par rapport aux scènes quotidiennes de déplacement. Certains enfants fabriquent des cerfs-volants avec du vieux papier pour les faire voler dans le ciel de Gaza, constamment tacheté par le bourdonnement des drones israéliens. Les enfants déplacés qui vivent dans des tentes près de la frontière égyptienne ont récupéré des balançoires dans les ruines pour s’envoler, le visage rempli de joie. Ils jouent avec des boîtes de conserve vides, y déversant l’énergie négative des tragédies de l’agression israélienne.

Des jeunes jouent au football au milieu de tentes surpeuplées à Rafah

Un enfant trouve de la joie dans son oiseau de compagnie,déplacé avec lui du nord de la bande de Gaza

Des enfants jouent aux billes au milieu de maisons bombardées

Des vendeurs de barbe à papa dans des quartiers décimés par la guerre

Les enfants exploitent le terrain de Rafah comme un immense bac à sable en lieu et place d'un terrain de jeu

Près de la frontière égyptienne, des enfants ont récupéré une balançoire dans les ruines

Des enfants jouent avec des boîtes de conserve vides à côté des tentes près de la frontière égyptienne

Des jeunes installent un terrain de volley-ball tandis qu'un garçon fait voler un cerf-volant

Des enfants rient de joie en glissant sur des dunes de sable près de la frontière égyptienne

Un jeune artiste dessine une vue des camps de Rafah

 

09/02/2024

JODI RUDOREN
L'endroit le plus charmant de Gaza a disparu

Jodi Rudoren , The Forward, 9/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Jodi Rudoren (1970), après avoir travaillé 21 ans au New York Times, est rédactrice en chef depuis 2019 de The Forward, le journal juif le plus ancien des USA. Fondé en 1897 comme quotidien socialiste en yddish, Forverts atteint un tirage de 275 000 exemplaires au début des années 1930. Devenu hebdomadaire en 1983, puis mensuel, il n'est plus imprimé depuis 2018 mais seulement électronique. Il est publié en 2 éditions, anglaise et yiddish. Les écrivains yiddish Sholem Asch, Israel Joshua Singer et Isaac Bashevis Singer y ont publié certaines de leurs œuvres et le journal a publié la traduction en yiddish du Capital de Marx en fascicules. @rudoren

« Le jour où j’ai dû décider de quitter Gaza a été le plus noir de ma vie», dit Jawdat Khoudary, un habitant de la ville de Gaza.

Rempli de plantes indigènes et importées, Alwaha,  le jardin de Jawdat Khoudary, d'une superficie de 100 000 pieds carrés [0,92 hectare], dans la ville de Gaza avant la guerre. Photo Jawdat Khoudary

La maison et le jardin de Jawdat Khoudary n’étaient pas seulement le plus bel endroit que j'aie jamais visité dans la bande de Gaza, c’était aussi l'un des lieux les plus sereins - et les plus surréalistes - que j'aie jamais vus.

Khoudary, un magnat de la construction dont la famille remonte à neuf générations à Gaza, a créé une oasis de 9 200 mètres carrés au milieu des denses labyrinthes de béton de l'enclave côtière. Des chemins en mosaïque traversaient des légions luxuriantes et colorées de plantes indigènes et importées. Des serres abritaient des dizaines de milliers de cactus minuscules provenant du monde entier qu'il essayait de cultiver de manière croisée. À l'intérieur, des colonnes ornées et des lustres entouraient ses chers livres d'histoire et ses collections d'antiquités locales.

Aujourd'hui, les vestiges de ces colonnes sont entourés de décombres, selon une vidéo que Khoudary m'a envoyée, tout le reste ayant été détruit lors de cette horrible guerre entre Israël et le Hamas.

« Vous imaginez ? Ils n'ont pas laissé une seule plante ou un seul arbre », soupire Khoudary, 64 ans, qui s'est réfugié au Caire en décembre. « Ils m'ont brisé le cœur ».

J'ai rencontré Khoudary il y a une douzaine d'années, au septième jour de la guerre de Gaza de 2012 qui, rétrospectivement, ressemble à une bagarre de cour d'école comparée aux quatre derniers mois de mort, de destruction et de déplacement.

Comme je l'ai écrit à l'époque dans le New York Times, il a vécu cette mini-guerre, au cours de laquelle les frappes aériennes israéliennes ont tué 174 Palestiniens à Gaza, d'un point de vue extraordinairement privilégié. Un garde de l'entreprise de construction de Khoudary lui apportait suffisamment de Marlboro Reds pour trois semaines, et un majordome nous servait des clémentines fraîchement cueillies pendant que nous bavardions. Il avait passé la semaine à apprendre à utiliser Facebook au plus jeune de ses cinq enfants, Hamza, alors âgé de 14 ans.

Mais même eux n'étaient pas immunisés contre le bruit des bombardements la nuit.

Khoudary avait fermé l'hôtel qu'il possédait alors, Al-Mathaf, et le musée d'antiquités adjacent qu'il avait ouvert en 2008, parce qu'ils se trouvaient dans un quartier soumis à des bombardements intensifs. Il avait interrompu les travaux sur les deux hôpitaux qu'il construisait à Gaza, mais continuait à payer ses 60 employés, m'a-t-il dit, car « nous devons montrer à la population que nous nous engageons à ses côtés ».

Deux ans plus tard, au cours de la guerre intense de 51 jours de 2014 qui a tué quelque 2 200 Palestiniens à Gaza, Khoudary, qui parle désormais couramment le facebookien, a publié sur son site des morceaux de poésie et des informations historiques pertinentes. Un nouveau port maritime ayant fait l'objet de discussions dans le cadre des pourparlers de trêve, il a parlé d'Anthedon, un port de Gaza datant du VIIe siècle avant l’ère chrétienne, qui servait de principal canal commercial entre le Moyen-Orient, l'Europe et l'Asie mineure.


Une video partagée par Jawdat Khoudary sur instagram (@jawdatkhoudary)

Jawdat était en Cisjordanie pour affaires, alors je me suis assise avec sa femme, Faten, leurs deux filles, récemment diplômées de l'Université américaine du Caire, et Hamza. Nous avons mangé des raisins verts du jardin et bu du café à la cardamome.

Une fois de plus, leur expérience des combats est loin d'être typique. L'une de leurs filles, Yasmeen, 24 ans, m'a dit qu'elle avait lu Lolita, Kafka sur le rivage, de Murakami, et un roman humoristique pakistanais, A Case of Exploding Mangoes, de Mohammed Hanif, pendant la guerre. Hamza, alors en seconde, regardait les films d'Harry Potter. Mais Yasmeen a également parlé des cauchemars qu'elle faisait après avoir vu des « combattants sans tête » dans les rues où Israël bombardait les tunnels du Hamas.

Quelques semaines avant que la guerre n'éclate, la famille avait réalisé l'un de ses rêves : exposer et vendre à Gaza les plantes grasses qu'elle cultivait avec tant de soin. Jawdat m'avait appris que le mot arabe pour cactus, sabr, signifiait également patience.

« C'est ce dont nous avons besoin à Gaza », avait-il dit en 2012, « d'être patients ». Lors de notre visite en 2014, Faten a montré son cactus préféré, un hybride de huit espèces, cultivé pendant sept ans pour être plus grand qu'elle.

« Plus ils sont grands, plus ils sont beaux », m'a-t-elle dit. « Plus vous les soignez, plus ils vous donnent ».

Khoudary n'a jamais été coincé à Gaza, comme la grande majorité de ses 2,1 millions d'habitants. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 2012, il voyageait tous les mois vers ou à travers Israël et avait visité plus de 40 pays dans le monde. Mais il était profondément attaché à Gaza - sa famille y vivait depuis plus de deux siècles - et a déclaré que l'année qu'il avait passée au Caire avait été « peut-être la pire de ma vie » en raison du mal du pays.

Aujourd'hui, il ne sait pas quand il rentrera ni s'il restera.

« Les FDI ont détruit tout Gaza, Gaza ne sera plus un endroit où vivre - maintenant, nous cherchons des opportunités commerciales en Égypte », m'a dit Khoudary lorsque nous nous sommes entretenus cette semaine.

« J'ai 64 ans. Il ne me reste plus beaucoup de temps pour la reconstruire », a-t-il ajouté à propos de la maison et du jardin qu'il avait commencé à construire sur l'exploitation d'agrumes de sa famille dans les années 1990. « Il faudra 30 ou 40 ans pour que tout redevienne comme avant ».

Khoudary, aujourd'hui grand-père de huit enfants, ne sait ni quand, ni comment, ni pourquoi sa maison a été touchée. Il l'a quittée environ quatre jours après le début de la guerre, en réponse à l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, pour s'installer dans une autre maison qu'il possède, dans la vieille ville de Gaza, parce qu'elle lui semblait plus sûre.

Mais 50 jours plus tard, sous la pression de ses enfants - âgés aujourd'hui de 24 à 34 ans, les filles étant mariées et vivant à Londres et en Allemagne, les garçons travaillant pour la plupart dans l'entreprise familiale à Gaza - la famille a utilisé le passeport égyptien de Faten pour sortir par la frontière de Rafah.

« Ce fut le jour le plus noir de ma vie que de décider de quitter Gaza », m’a dit. Khoudary.

Jusqu'à la semaine dernière. Les forces israéliennes s'étaient retirées de la zone de la ville de Gaza où se trouvait l'enceinte, la rendant accessible aux habitants de Gaza pour la première fois depuis des mois.  Un ami est allé voir la maison de Khoudary et a envoyé la vidéo de la maison en ruines.

Khoudary a indiqué que la chocolaterie que ses fils avaient ouverte à Gaza il y a deux ans avait également été détruite pendant la guerre ; ils cherchent à relancer l'activité au Caire. Il ne sait pas ce qu'il est advenu du musée des antiquités.

Il sait, comme moi, que de nombreuses personnes à Gaza souffrent bien plus que de la perte d'une entreprise ou d'une maison. Le nombre de morts palestiniens approche les 28 000 dans cette guerre que le président Joe Biden a qualifiée hier soir d' « excessive ». Des familles entières ont été décimées ; la famine se profile à l'horizon. Les pourparlers en vue d'une trêve, qui auraient pu permettre de libérer la centaine d'otages restants, ont échoué cette semaine en raison de l'insistance du Hamas à rester au pouvoir [sic].

Lorsque j'ai écrit pour la première fois sur Khoudary il y a une douzaine d'années, je l'ai appelé « l'un des hommes les plus riches de Gaza et l'un de ses rêveurs les plus audacieux ». Ses rêves sont morts dans cette guerre.

« Ils créent de la haine, Israël crée de la haine », m'a-t-il dit. « Cette guerre n'était pas dirigée contre le Hamas, mais contre l'ensemble de la population de Gaza. Tuer, détruire, c'est l'objectif principal, pour tout le peuple, sans différenciation ».

J'ai rappelé à Khoudary ce qu'il m'avait appris lors de notre première rencontre à propos du cactus et de la patience. Il semble que les deux aient disparu.

« Ils n'ont pas laissé un seul cactus », a-t-il dit. « Ils ont détruit la patience ».

On peut lire le livre  Gaza debout face à la mer, consacré par Béatrice Guelpa  à l’histoire de Jawdat Khoudary (éditions Zoé, 2009)

 

15/10/2023

MARAM HUMAID
“Est-ce que nous reviendrons ?” Pour ma famille palestinienne, l’histoire se répète

Maram Humaid, Aljazeera.com, 15/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Maram Humaid est une journaliste et une conteuse palestinienne de la bande de Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les jeunes et les dernières nouvelles. @MaramGaza

Albums de photos, lait maternisé, jouets et vêtements : c’est tout ce que nous avons pu emporter en quittant la ville de Gaza après l’ordre d’évacuation donné par Israël.

Deir El Balah, Gaza - Le huitième jour, ma famille et moi nous sommes réveillés, encore sous le choc, dans une nouvelle localité de la bande de Gaza, la ville de Deir El Balah, au sud de l’enclave.

Les scènes poignantes de la veille sont restées gravées dans nos mémoires. Aux premières heures de la journée, alors que d’intenses bombardements continuaient de secouer Gaza, des journalistes ont commencé à discuter, dans des groupes WhatsApp, de rumeurs selon lesquelles Israël aurait appelé les habitants du nord et du centre de la bande de Gaza à évacuer vers le sud.

Certains journalistes ont d’abord considéré qu’il s’agissait d’une guerre psychologique israélienne destinée à intimider les gens.


Photo du grand-père de l’auteure, dans leur maison de Deir El Balah, dans le sud de Gaza [Maram Humaid/Al Jazeera].

Pendant un bref instant, j’ai détourné mon attention des bombardements israéliens en cours autour de nous pour vérifier la crédibilité de cette nouvelle, qui avait été rapportée par certaines agences internationales. Mon anxiété s’est accrue au fur et à mesure que je me déplaçais d’une pièce à l’autre de notre maison, à la recherche d’une connexion internet stable au milieu des pannes de communication et d’électricité.

Lorsque l’internet s’est reconnecté, la nouvelle définitive est arrivée : le porte-parole de l’armée israélienne, Avichai Adraee, a officiellement annoncé l’ordre sur sa page Facebook.

Cela a provoqué des moments de confusion, d’incrédulité et de désorientation. Je me suis empressée de réveiller mon mari, mais il est resté silencieux. Craignant de déranger mes parents, qui avaient passé une nuit agitée, j’ai contacté mes frères.

La réaction immédiate de mon jeune frère a été un mélange d’interrogation et d’inquiétude : « Qu’est-ce qu’on doit faire ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Le seul mot de mon mari - soulignant l’importance de nos enfants - a dissipé ma confusion et souligné l’urgence de la situation. Les images d’enfants innocents et de nourrissons tués lors de précédents attentats à la bombe pesaient lourdement sur mon esprit.

Pourtant, la question persistait : Où irions-nous ? Nous étions confrontés à un dilemme, car la famille de mon mari avait de la famille à Nuseirat, dans le centre de Gaza, tandis que la mienne avait des relations à Deir El Balah.

Après de longues discussions, la famille de mon mari a décidé de se rendre à Nuseirat, poussée par l’insistance des mères à partir pour protéger leurs enfants.

Il est devenu évident que le bien-être des enfants était le principal facteur influençant la décision en ces temps chaotiques et périlleux.

J’ai de nouveau contacté mon frère, en insistant sur la nécessité de transférer notre famille et nos parents dans la maison de mon grand-père à Deir El Balah.

Il a accepté sans hésiter. À huit heures du matin, j’ai continué à me préparer, en regardant les nouvelles, en appelant périodiquement ma famille et en refaisant mes bagages.

Cependant, un nouveau défi est apparu : comment serions-nous tous transportés ? Je ne possédais pas de voiture et la majorité des habitants de Gaza n’avaient pas accès à des véhicules privés. La frustration et la tension ont augmenté à mesure que nous envisagions l’ampleur de la décision d’Israël de déplacer tant de personnes vers le sud.

Alors que mon mari contactait ses oncles pour assurer le transport de la famille jusqu’à Nuseirat, mon père m’a appelée pour m’informer qu’il était en route pour aller chercher ma mère et mes sœurs. Il a proposé de revenir pour nous emmener, moi, mes enfants, mon mari et le reste de la famille à Deir El Balah.

Avec un soupir de soulagement et une lueur d’espoir, j’ai ressenti une clarté croissante, l’appel de mon père marquant un tournant.

Mon mari et moi nous sommes concentrés sur l’emballage des fournitures essentielles, notamment la nourriture, l’eau, les conserves, les couches et le lait maternisé. L’incertitude nous incitait à nous préparer à l’inconnu. En plus de nos affaires, j’ai emporté un album photo, des vêtements de rechange pour nos enfants, des livres pour enfants, une couverture et une trousse de premiers secours.

Contrairement aux évacuations précédentes, mes émotions étaient distinctes, comme s’il ne s’agissait pas d’un simple départ temporaire mais d’une migration permanente. La remarque pessimiste de mon mari, selon laquelle nous ne reviendrions peut-être pas, est restée dans l’air, me faisant douter de l’incertitude du chemin à parcourir.

Alors que les événements se déroulaient rapidement autour de moi, je me suis efforcée de comprendre le paysage flou qui s’offrait à nous. À l’extérieur, j’ai vu des voisins charger leurs affaires dans des camions de transport.

Au milieu d’une discussion animée avec mon mari, notre fille Baniyas, qui s’était réveillée, nous a interrompus en posant une simple question : Pourquoi faisions-nous nos valises ? Mon mari lui a gentiment expliqué que nous devions partir en raison de la menace israélienne de bombarder notre région, et que nous allions nous rendre à Deir El Balah. Baniyas, bien que réticente, a fini par accepter, son père la rassurant en lui disant que nous espérions revenir bientôt.

Mon père, accompagné de mon frère, est arrivé pour nous transporter, mon mari, nos enfants et nos affaires à Deir El Balah. Une profonde tristesse, un sentiment d’impuissance et de confusion m’ont envahie alors que je portais notre bébé, que mon mari tenait la main de Baniyas et que mon frère aidait à porter les sacs.

Les larmes ont coulé pendant que nous descendions les escaliers, et d’innombrables pensées ont tourbillonné dans mon esprit, principalement : Reviendrons-nous ? Nos maisons seront-elles détruites ?

Je suis entrée dans la voiture le cœur lourd, et le silence nous a tous enveloppés. Je me suis assise à l’arrière, un sac à la main, à côté de Baniyas, tandis que mon mari tenait notre bébé et que mon frère s’occupait du reste de nos affaires. La route était encombrée de citoyens en quête de transport.

Des personnes munies de leurs bagages se tenaient aux intersections des rues à la recherche d’un moyen de transport, tandis que d’autres marchaient ou montaient dans des camions. Les maisons et les rues que nous avons traversées portaient les cicatrices de la dévastation causée par les frappes israéliennes.

J’ai appelé un ami en cours de route pour m’enquérir des routes les plus sûres qui n’avaient pas encore été détruites, afin de nous aider à atteindre Deir El Balah. Nous avons fini par atteindre la route de Salah Eddine, qui relie la bande de Gaza aux gouvernorats du sud.

Le long de cette route, la scène était à la fois saisissante et déchirante. Des familles, des enfants et des hommes avec leurs biens marchaient le long de la route. Une procession apparemment sans fin de véhicules, surchargés de biens et de passagers au-delà de leur capacité, allait l’avant. Le toit de ces véhicules était rempli de literie et de matelas.

Notre voyage s’est poursuivi jusqu’à l’entrée de Deir El Balah. Alors que le trajet aurait dû durer une demi-heure, il a duré une heure et demie en raison de l’état de la route.

Nous avons emprunté des rues étroites et sommes finalement arrivés à la maison de mon grand-père dans le centre de la ville.

Nous n’étions pas les seuls à y chercher refuge, nos proches s’étaient également rassemblés. Mon oncle se tenait là, accueillant tout le monde. Les maisons voisines recevaient elles aussi des personnes déplacées de la ville de Gaza.

Lorsque je suis entrée dans la maison de mon grand-père, la première chose que j’ai vue a été son portrait accroché au mur. Mon grand-père avait été déplacé pendant la Nakba de 1948 du village d’Isdud - ce qu’Israël appelle aujourd’hui Ashdod - et il est décédé en 2002 sans avoir pu réaliser son rêve de retour.

Aujourd’hui, ses petits-enfants se sont retrouvés déplacés et expulsés en 2023. La vieille maison, qui était fermée depuis des années, a ouvert ses portes pour nous accueillir en tant que réfugiés dans notre propre pays.

De l’intérieur de la maison, j’ai entendu le grondement d’une nouvelle frappe aérienne, ce qui m’a fait dire à ma mère qu’aujourd’hui, “l’histoire se répète”.