Affichage des articles dont le libellé est Nettoyage ethnique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Nettoyage ethnique. Afficher tous les articles

04/03/2025

GIDEON LEVY
Et si Netanyahou avait été sur la sellette de Trump au lieu de Zelensky ?

Gideon Levy , Haaretz, 2/3/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Dans mon rêve, ce n’est pas le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui était assis dans le bureau ovale l’autre jour, mais bien le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le président usaméricain Donald Trump et le vice-président JD Vance assaillaient le premier ministre devant les caméras du monde entier, lui disant qu’en refusant de mettre fin à la guerre à Gaza, il jouait avec la Troisième Guerre mondiale.

 

Trump et Zelensky dans le bureau ovale vendredi 28 février. Photo Saul Loeb/AFP

 « Vous devez dire plus souvent merci. Vos gens sont en train de mourir. Et vous nous dites : “Je ne veux pas de cessez-le-feu”. Si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous dirais de l’accepter. Ainsi, les balles cesseront de voler et vos hommes cesseront d’être tués. Mais vous ne voulez pas de cessez-le-feu. Je veux un cessez-le-feu. Vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez les cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte. Ou bien vous faites un deal, ou bien nous, on se casse ».

Dans mon rêve, Trump a dit à Netanyahou exactement ce qu’il a dit à Zelensky. Voilà, mot pour mot, ce qu’il a à lui dire.

Mais un rêve est un rêve et le spectacle d’horreur de vendredi ne s’est pas produit avec Netanyahou. On peut supposer qu’il ne se produira jamais, même s’il le devrait. Imaginez une telle conversation. Netanyahou quitte la Maison Blanche en panique, le visage aussi cendré que celui de Zelensky, et le lendemain, il revient frapper à la porte à plusieurs reprises : Il est prêt à mettre fin à la guerre à Gaza  et à retirer immédiatement toutes les forces israéliennes de la bande de Gaza. Tous les otages sont libérés et un autre génocide est évité.

Haut du formulaire

En l’absence d’une telle conversation, Israël galope vers la reprise de la guerre. Il est difficile d’imaginer une perspective plus horrible, de penser à une guerre plus inutile, dont le deuxième chapitre sera encore plus terrifiant.

Le bizutage infligé à l’allié impuissant Zelensky, y compris les abus malveillants inhérents aux personnes de l’acabit de Trump et de Vance, n’était certainement pas sans précédent. La nouveauté, c’est qu’il s’est déroulé devant des caméras. Hormis le « Signe, chien ! » de Hosni Moubarak à Yasser Arafat lors de la signature de l’accord Gaza-Jéricho au Caire en 1994, jamais les caméras n’avaient montré un tel étalage humiliant de la puissance des seigneurs du monde, ou de ceux qui croient l’être, envers un protégé.

Il faut remercier Trump d’avoir révélé son monde intérieur, dans lequel il n’y a pas de place pour la justice, les valeurs, le droit international,  l’humanité ou la loyauté.. Seulement le pouvoir et l’argent, l’argent et le pouvoir. Mais même cette perspective est appliquée de manière sélective. La rencontre Trump-Zelensky aurait pu et dû avoir lieu avec Netanyahou également. Chaque mot prononcé par Trump à l’encontre de Zelensky est pertinent pour Netanyahou. Mais personne n’imagine un tel scénario, peut-être parce qu’aucun gisement de minerai n’a été découvert sous la Cisjordanie. Mais qu’en est-il de la Riviera à Gaza ?

Pour Netanyahou et pour Israël - qui ne comprennent que le langage de la force - il pourrait s’agir d’une conversation historique qui changerait la donne. Il est probable qu’elle n’aura pas lieu. Mais tant que nous rêvons, pourquoi ne pas rêver grand ? Énorme ? Imaginez une conversation similaire à la Maison Blanche, avec pour thème la fin de l’occupation israélienne. Dans son sillage, l’occupation prendrait fin plus rapidement que nous ne pouvons l’imaginer. En fait, le seul moyen restant de mettre fin à l’occupation est une telle conversation.


Trump et Netanyahou en conférence de presse à la Maison Blanche à Washington, le mois dernier. Photo Jim Watson/AFP

Israël n’a pas d’autres cartes pour perpétuer l’occupation que le soutien usaméricain. Des personnes sont tuées à cause de l’occupation en permanence. C’est un foyer de tension qui met le monde en danger. Aucun pays ne la soutient et aucun sujet n’unit le monde comme l’opposition à l’occupation, du moins pour la forme.

Il est difficile de comprendre quel intérêt usaméricain est servi par cette occupation, qui fait que les USA sont méprisés au même titre que leur protégé. Même en termes trumpiens, il est difficile de comprendre pourquoi une telle conversation n’a jamais eu lieu.

Dans mon rêve, Netanyahou arrive à la Maison Blanche et Trump, cet homme terrible et dangereux, le menace comme il a menacé Zelensky l’autre jour. Le lendemain matin, le démantèlement des colonies de Kiryat Arba et Kiryat Sefer en Cisjordanie commence. Malheureusement, ça n’est qu’un rêve.

03/03/2025

GIDEON LEVY
Israël “gazafie” la Cisjordanie et fait de ces Palestiniens, une fois de plus, des réfugiés

 

Après l’expulsion par Israël de 40 000 habitants des camps de réfugiés de Cisjordanie, un nouveau flot de personnes déplacées a commencé. Dans la ville d’Anabta, les abris de fortune sont remplis de familles qui ont tout perdu et qui craignent l’avenir.

Gideon Levy & Alex Levac, Haaretz, 1/3/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. L’expulsion des résidents pourrait être un processus irréversible, surtout à la lumière de la destruction totale des camps. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

 Trois hommes pas très jeunes s’entassent dans une seule pièce. Il n’y a pas de toilettes. Les rideaux sont tirés et la pièce est bondée, avec trois lits en fer qui tiennent à peine à l’intérieur. Au centre se trouve un bol de dattes, que l’on mange généralement pendant les périodes de deuil. Cette semaine, ils pleuraient la mort du frère de l’un des occupants de la pièce, un homme qui avait succombé à des blessures subies dans la bande de Gaza.

Tous trois ont des femmes et des enfants à Gaza qu’ils n’ont pas vu depuis le 7 octobre et qu’ils ne reverront peut-être jamais. Arrachés à leur famille, ils vivent désormais dans cette petite pièce, au deuxième étage d’un centre communautaire qui accueille les jeunes de la région. Ce sont des ouvriers de Gaza qui travaillaient légalement en Israël jusqu’au 7 octobre. Après cette date, Israël les a expulsés vers la Cisjordanie. C’est ici, dans la ville d’Anabta, qu’ils ont trouvé un refuge temporaire, survivant grâce à l’aide sociale.

Non loin du centre communautaire se trouve le diwan de la famille A’mar - une structure conçue à l’origine pour les fonctions familiales telles que les mariages et les jours de deuil, mais qui sert aujourd’hui de refuge improvisé. Des rideaux séparent l’espace des femmes de celui des hommes, et les toilettes se trouvent dans le couloir. Ici, 26 membres d’une famille qui a été expulsée de force de leur maison dans le camp de réfugiés de Nur Shams, ont trouvé un abri. Ils ne savent pas si leur maison a été démolie. Le père de famille, qui gagnait sa vie comme chauffeur, a perdu sa voiture lorsqu’elle a été écrasée par un véhicule militaire blindé. Aujourd’hui, il arpente le diwan, en colère, indigné, frustré. Il refuse d’endurer l’humiliation de vivre de dons - de nourriture, de vêtements, de chauffage et parfois d’argent.

Bas du formulaire

Les vents de la guerre soufflent sur le nord de la Cisjordanie. Le chef du conseil local d’Anabta déclare que des plans d’urgence sont en place pour absorber des milliers de réfugiés. Jénine a déjà été envahie par les chars et trois camps de réfugiés - Jénine, Toulkarem et Nur Shams - ont été presque entièrement dépeuplés par les forces de l’armée.


Des réfugiés gazaouis vivant actuellement dans un centre de jeunesse à Anabta, de gauche à droite, Ahmed Abu al-Hosna, Zuheir al-Hindi et Imad Moutawek, qui étaient employés dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe à Haïfa, dont ils n’ont jamais connu le nom. Photo Alex Levac

Le ministre de la défense, Israël Katz, s’est vanté cette semaine que 40 000 résidents déplacés de Cisjordanie ne pourront pas rentrer chez eux avant au moins un an. Pendant ce temps, les Forces de défense israéliennes ont démoli les infrastructures des camps, des dizaines de maisons ayant déjà été réduites à l’état de ruines. Les personnes déplacées n’auront manifestement nulle part où retourner - et l’opération ne fait que commencer. On peut supposer que la campagne s’étendra à tous les camps de réfugiés de Cisjordanie. La “gazafication” de la Cisjordanie bat son plein. Les trois camps du nord ressemblent déjà à Jabalya et personne n’est autorisé à y pénétrer.

La route de Toulkarem, qui traverse deux camps de réfugiés, a été éventrée, la rendant impraticable. Le quartier Al-Manshiyya, dans le camp de Nur Shams, a été entièrement vidé de ses 4 000 habitants. Il s’agit de descendants de réfugiés de la guerre de 1948, originaires de Manshiyya, au nord de Jaffa, contraints une nouvelle fois à l’exil, pour la deuxième, la troisième, voire la quatrième fois.

Certains d’entre eux ont été contraints de faire plusieurs arrêts avant d’arriver à Anabta. Selon Abd al-Karim Saadi, chercheur de terrain de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il ne reste que 11 personnes dans le camp de Toulkarem, toutes âgées et assiégées. Saadi sait qui sont ces personnes, mais il n’a pas pu se rendre dans le camp depuis le début de l’incursion militaire.

Le 21 janvier, l’armée a envahi le camp de Jénine, expulsé tous ses habitants et commencé à détruire les maisons et les infrastructures. Le 27 janvier, les troupes sont entrées dans le camp de Toulkarem. Le 7 février, elles ont envahi Nur Shams. Depuis lors, l’armée maintient sa présence dans les trois camps, tandis que leurs habitants restent déplacés et démunis.


Des Palestiniens quittent leurs maisons dans le camp de réfugiés de Nur Shams en février. Les trois camps du nord de la Cisjordanie ressemblent déjà à Jabalya, et personne n’est autorisé à y entrer. Photo Zain Jaafar/AFP

Les affirmations des FDI selon lesquelles les habitants “sont partis d’eux-mêmes” ont été réfutées par toutes les personnes déplacées à qui nous avons parlé, ainsi que par les organisations d’aide qui travaillent avec elles. Les récits de soldats faisant irruption dans les maisons et forçant les occupants à fuir, sans rien emporter, et les appels par haut-parleurs dans les rues, exigeant que tout le monde évacue, ne cessent d’apparaître.

Avec seulement les vêtements qu’elles portaient sur le dos, des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de chercher refuge dans d’autres communautés. Ce sont les nouveaux réfugiés, les “Gazaouis” de Cisjordanie, victimes d’un processus qui pourrait être irréversible, surtout si l’on considère la destruction totale des camps.

Anabta, relativement calme et aisé, compte 8 500 habitants. Il y a quelques décennies, j’y ai rendu visite au journaliste et caricaturiste politique israélo-usaméricain Ranan Lurie. Lurie avait été gouverneur militaire d’Anabta en 1967 et m’a raconté qu’à l’époque, c’était lui qui avait remis au chef du conseil local une lettre officielle de reddition à signer, puisque sa ville était désormais sous juridiction israélienne. Lurie se souvient que l’homme tremblait de peur. Plus tard, Lurie lui-même a vu des bus avec des plaques d’immatriculation israéliennes garés sur la route et a compris qu’il y avait un plan pour expulser les habitants de la ville au-delà du Jourdain. Il est allé jusqu’au Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, pour mettre un terme à ce plan - et a réussi à empêcher l’évacuation.

La crainte d’un transfert forcé de population n’a pas quitté Anabta depuis 1948, et cette semaine, les gens en parlaient à nouveau. Depuis cette visite à Lurie, je suis passé par là des dizaines de fois pour me rendre à Toulkarem. La route est maintenant bloquée, l’armée est partout. Dimanche dernier, les soldats ont posé des barbelés à toutes les entrées de Nur Shams, qui étaient jusqu’à présent bloquées par des tas de terre.


Un Palestinien marche sur une route détruite dans le camp de réfugiés de Jénine cette semaine. Photo John Wessels/ AFP

Soufian Barakat, 54 ans, dirige le centre d’Anabta - sous les auspices d’une organisation appelée Wasel Center For Youth Development - qui accueille normalement une troupe de théâtre de jeunes, mais qui est devenu un refuge pour les réfugiés de Gaza. Barakat, qui a lui-même été emprisonné en Israël pendant 13 ans, a été le fer de lance du bénévolat et de la collecte de dons pour les réfugiés. Après le 7 octobre, 17 hommes, pour la plupart des ouvriers, se sont installés dans le centre ; neuf d’entre eux y sont encore. Nous sommes montés au deuxième étage, où les déplacés de Gaza ont trouvé refuge. Le spectacle est déchirant.

Ahmed Abu al-Hosna, 55 ans, père de neuf enfants, originaire de Jabalya, nous salue ; c’est son frère de 69 ans qui est mort cette semaine, après avoir été blessé par balle par des soldats à Gaza. Il nous montre une photo de son frère, qu’il n’a pas vu depuis 18 mois, sur son téléphone portable. Un lit plus loin, Zuheir al-Hindi, 60 ans, également père de neuf enfants, est originaire de Deir al-Balah. Il vit ici alors qu’une trentaine de personnes déplacées s’entassent dans sa maison, dans la partie centrale de Gaza. Le plus jeune occupant de la chambre, également originaire de Jabalya, est Imad Moutawek, 39 ans, père de cinq enfants. Ces trois bons gars travaillaient dans la cuisine d’une école juive ultra-orthodoxe de Haïfa, peut-être une yeshiva, dont ils n’ont jamais su le nom. L’entrepreneur bédouin qui les employait leur doit encore leur dernier salaire, mais il a disparu ; pour leur part, ils ont été expulsés vers un poste de contrôle en Cisjordanie et, de là, se sont rendus à Anabta.

Ils vont de temps en temps chercher du travail dans la région, principalement des travaux agricoles, mais ils dépendent surtout des dons.

Mohammed Khader, 38 ans, originaire de Beit Lahia, dans le nord de Gaza, vit dans l’autre pièce de cet étage. Sa femme, Yasmeen, 25 ans, et leurs quatre enfants, dont le plus jeune a 5 ans, ont survécu à la guerre ; son beau-père a été tué. La femme et les enfants de Khader ont fui vers Khan Younès, puis sont retournés à Beit Lahia après l’entrée en vigueur du récent cessez-le-feu, pour découvrir que leur maison n’existait plus. Ils vivent dans une tente sur ses ruines. Mohammed Abu Lakhia, 52 ans, père de cinq enfants et originaire de Khan Younès, habite avec Khader et a également perdu sa maison. Sa femme et ses enfants vivent désormais sous une tente à Bani Suheila, dans le sud de la bande de Gaza.



Mohammed Abu Lakhia, Anas Abu Rabi et Mohammed Khader au centre communautaire d’Anabta. Des plans d’urgence ont été mis en place pour permettre à la ville d’absorber des milliers de réfugiés. Photo Alex Levac

Le troisième occupant de cette chambre, Anas Abu Rabi, 20 ans, a quitté Gaza quelques mois avant que la guerre n’éclate pour se faire soigner d’une maladie du sang à l’hôpital Makassed de Jérusalem-Est ; il est resté bloqué ici depuis. Sa famille - ses parents, sept sœurs et un frère, originaires de Jabalya - a perdu sa maison et vit désormais sous une tente.

Assis dans son bureau, le chef du conseil d’Anabta, Thabet A’mar, explique qu’avec le Ramadan qui commence la semaine prochaine, le flux de dons aux réfugiés s’est intensifié, en particulier de la part des Arabes israéliens. Mais il est préoccupé par l’avenir. Il craint que la répression militaire ne s’intensifie, et avec elle le flot de réfugiés arrivant en ville. Des plans d’urgence ont déjà été mis en place pour loger les nouveaux arrivants dans plusieurs bâtiments publics. « Nous devons partager notre vie avec ces gens », déclare-t-il, ajoutant qu’il attend une décision du ministère palestinien de l’Éducation pour savoir s’il peut transformer les écoles en refuges, comme à Gaza. En attendant, les efforts se poursuivent pour intégrer les jeunes réfugiés dans les écoles locales.

Au rez-de-chaussée d’un nouvel immeuble, dans un appartement pratiquement vide au sol en marbre, vivent Rukiah Uffi et sa famille, qui se sont récemment échappés du camp de Toulkarem pour se rendre à Anabta. Elle a 65 ans et a travaillé comme professeur de sciences et de mathématiques en Arabie Saoudite avant de retourner en Cisjordanie en 2000.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Le 27 janvier, l’armée a envahi le camp, dit-elle, et les soldats ont ordonné aux résidents d’évacuer. Ils se sont d’abord installés dans la ville de Toulkarem puis à Anabta. Voyant les soldats se préparer à un long séjour près de leur camp, ils ont décidé de louer ce nouvel appartement, pour attendre la fin de la crise.



Le camp de réfugiés de Toulkarem la semaine dernière. Photo Jaafar Ashtiyeh/AFP

Uffi vit ici avec sa propre fille et sa petite-fille, en plus de sa sœur et de sa famille - trois générations, huit personnes. Elles dorment sur des matelas posés à même le sol. Des bénévoles leur ont apporté de la nourriture et les ont aidées à subvenir à leurs autres besoins. La fille d’Uffi, Aya, une étudiante de 31 ans, raconte qu’elle a fait une fausse couche après avoir été chassée de chez elle.

Non loin de là, dans le diwan de la famille élargie d’A’mar, Jamal Khalil et sa famille ont trouvé refuge.

« Pourquoi suis-je ici ? » demande-t-il, irrité. « Pourquoi devrais-je vivre de l’assistanat ? Pourquoi ne puis-je pas être chez moi ? Les habitants d’Anabta sont des gens bien, mais je ne peux pas vivre avec l’argent des autres. J’ai travaillé toute ma vie et je n’ai jamais dépendu de personne. J’ai compris, j’ai compris. Vous [les Israéliens] avez déjà tué tous les militants armés du camp, alors pourquoi avez-vous envoyé les chars ? Et pourquoi détruisez-vous tout ? Vous vous battez contre les murs ? Les briques ? Qu’est-ce que je vous ai fait ? Pourquoi mes enfants et moi devrions-nous souffrir ? Pourquoi m’avez-vous chassé de ma maison ? Votre cible, ça n’est pas les militants. Votre but, c’est de ruiner nos vies, les vies des innocents".

Khalil a déménagé à Anabta avec sa famille immédiatement après l’invasion de Nur Shams par l’armée. Il raconte qu’une quarantaine de soldats ont fait irruption dans sa maison ; ils étaient agressifs et violents, criant et bousculant les gens pour les faire partir. Les soldats ont expulsé 26 membres de sa famille, qui n’ont pas été autorisés à emporter quoi que ce soit. Sa belle-fille n’a même pas pu prendre une boîte de lait en poudre pour son petit-fils de 9 mois. Deux jours après leur expulsion, un voisin a réussi à se faufiler dans le camp et à fermer la porte de sa maison, qui avait été forcée par les soldats. Il ne sait pas ce qui s’est passé, mais sa Mazda 5, son gagne-pain, a été écrasée par un véhicule blindé, comme beaucoup d’autres voitures.

Mohammed Sarhan, 53 ans, son gendre, se joint à notre conversation. Il dit qu’il craint qu’après avoir été expulsée du camp, sa famille ne soit maintenant expulsée vers la Jordanie. Qui va enlever la poussière des yeux de Ranan Lurie pour qu’il puisse voir ce qui se passe maintenant ?

28/02/2025

GIDEON LEVY
Lorsque la troisième Intifada éclatera, n’oubliez pas qu’Israël en aura été l’instigateur

Gideon LevyHaaretz, 27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

C’est quelque chose qui se passe pour la première fois dans l’histoire d’Israël : une guerre n’est pas encore totalement terminée qu’Israël est déjà en train d’attiser la prochaine. On nous a refusé le luxe d’un moment de respiration ou d’un peu d’illusion et d’espoir. L’horizon “diplomatique” d’Israël n’est plus que guerre après guerre, sans alternative sur la table. Pas moins de trois guerres sont à l’ordre du jour : la reprise de la guerre contre Gaza, le bombardement de l’Iran et la guerre en Cisjordanie.


Un homme porte un chat le long d’une route détruite par les forces israéliennes dans le camp de réfugiés palestiniens de Nur al-Shams, près de Toulkarem, mercredi. Photo Zain Jaafar/AFP 

La dernière d’entre elles a commencé à être alimentée au lendemain du 7 octobre 2023. Lorsque la troisième intifada éclatera, il faudra se souvenir qui l’a délibérément provoquée. Le fait de se poser en victime d’attaques meurtrières ne changera pas non plus les faits. Ni la diabolisation des “animaux humains” en Cisjordaniecongénères de ceux de Gaza.

Israël portera seul la responsabilité de la prochaine guerre en Cisjordanie. Ne dites pas que nous avons été pris par surprise ; n’osez pas dire que nous ne savions pas. Cela fait 16 mois que les choses sont écrites sur le mur, à feu et à sang, et personne n’arrête ça. C’est à peine si l’on en parle.

Ce n’est plus la Cisjordanie que nous avons connue. Les choses ont changé. L’occupation - qui n’a jamais été vraiment progressiste - est devenue plus brutale que jamais. Au lendemain du 7 octobre, Israël a effectivement emprisonné les trois millions d’habitants de la Cisjordanie. Depuis lors, au moins 150 000 personnes - pour la plupart des travailleurs assidus et dévoués - ont perdu leurs moyens de subsistance. Ils n’avaient rien à voir avec le massacre perpétré le long de la frontière de Gaza. Ils cherchaient seulement à subvenir aux besoins de leur famille. Mais Israël leur a ôté la chance d’une vie décente, qui a peu de chances de revenir. Des centaines de milliers d’entre eux ont été condamnés à une vie de misère. Les plus jeunes ne resteront pas silencieux.

Ce n’était que le début. La Cisjordanie a également été fermée de l’intérieur. Environ 900 points de contrôle - certains permanents, d’autres temporaires - ont découpé la Cisjordanie et la vie de ses habitants. Chaque trajet entre les communautés est devenu un jeu de roulette russe. Le poste de contrôle sera-t-il fermé ou ouvert ? Lorsque j’ai passé six heures à attendre au poste de contrôle de Jaba, un jeune marié se rendant à son mariage se trouvait derrière moi. Le mariage a été annulé. Les routes de Cisjordanie sont devenues vides.

Les points de contrôle ne sont qu’une partie du tableau. Quelque chose a également changé chez les soldats de l’occupation. Peut-être envient-ils leurs camarades de Gaza, ou peut-être s’agit-il simplement de l’état d’esprit qui règne actuellement au sein de l’armée israélienne. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais traité les Palestiniens comme ils le font aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de la facilité avec laquelle ils appuient sur la gâchette ou de l’utilisation d’armes jamais déployées en Cisjordanie, comme les avions de chasse et les drones meurtriers. Il s’agit surtout de la façon dont ils considèrent les Palestiniens : comme des “animaux humains”, tout comme on le leur a dit de traiter les habitants de Gaza.

Les colons et ceux qui les soutiennent se sont engouffrés dans cette brèche avec empressement. Pour eux, il s’agit d’une occasion historique de se venger. Ils veulent une guerre à grande échelle en Cisjordanie, sous le couvert de laquelle ils pourront mettre en œuvre leur grand plan d’expulsion massive. Il est effrayant de constater que c’est là le seul plan dont dispose Israël pour résoudre la question palestinienne.

Entretemps, il ne se passe pas une semaine sans qu’apparaisse un nouvel avant-poste de colons non autorisé - une simple hutte entourée de milliers de dounums volés, revendiqués pour le “pâturage”. Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau pogrom ne se produise. Ces attaques fonctionnent. Les éléments les plus faibles de la société palestinienne de Cisjordanie - les bergers - abandonnent tout simplement. Des communautés entières quittent la terre de leurs ancêtres, fuyant, terrorisées, les gangsters en kippa.

Puis c’est l’expulsion organisée des camps de réfugiés. Ne dites pas qu’il n’y a pas de plan. Il y en a un, et il est monstrueux. Il s’agit de vider tous les camps de réfugiés en Cisjordanie et de les raser. C’est la “solution” au problème des réfugiés. Elle a commencé par le démantèlement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) et se poursuit avec les bulldozers D-9. Quarante mille personnes ont déjà été expulsées, dont certaines maisons ont déjà été démolies. Les trois camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie sont aujourd’hui des terrains vagues, vidés de toute vie.

Il ne s’agit pas d’une guerre contre le terrorisme. On ne combat pas la terreur en détruisant les infrastructures hydrauliques, les réseaux électriques, les routes et les systèmes d’égouts. Il s’agit de la destruction systématique des camps de réfugiés.

Elle ne s’arrêtera pas au camp de Nur al-Shams à Toulkarem ou aux camps d’Askar et de Balata près de Naplouse. Elle se poursuivra jusqu’au camp d’Al-Fawwar, près d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

C’est ce qu’Israël est en train de faire, pour être clair. Une nakba.


10/02/2025

FRED KAPLAN
Le plan de Trump pour Gaza est l’une des choses les plus dingues que j’aie jamais entendues

Fred KaplanSlate, 4/2/2024
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Lors d’une conférence de presse mardi soir 4 février, Donald Trump a tenu les propos les plus foldingues sur le Moyen-Orient qu’un président usaméricain ait jamais prononcés dans l’histoire.

Il a proposé non seulement que les quelque 2 millions de Palestiniens de Gaza quittent leur patrie - parce que, a-t-il dit, c’est “un trou à rats” et qu’il en sera toujours ainsi - mais aussi que les USA s’en emparent, la “possèdent” (il a lâché cette expression à plusieurs reprises) et la transforment en “Riviera du Moyen-Orient”.

Oui, il a vraiment dit ça.


Le peuple palestinien, que Mister Trump veut expulser de la vieille Gaza, sera-t-il autorisé à revenir vivre dans le nouveau pays des merveilles qu’il envisage ? Eh bien, a répondu Mister Trump, ce sera “une ville internationale”, avec des gens du “monde entier” qui viendront y vivre. Peut-être aussi des Palestiniens, mais en attendant, pendant que les USAméricains reconstruisent le “site de démolition” de Gaza, ces personnes seront accueillies par la Jordanie et l’Égypte.

Oui, a-t-il reconnu, les dirigeants jordaniens et égyptiens insistent sur le fait qu’ils ne veulent pas participer à ce déplacement forcé ; ils ne veulent certainement pas de l’instabilité qu’entraînerait l’arrivée de près de 2 millions de réfugiés palestiniens dans leurs propres villes surpeuplées. Mais Mister Trump est convaincu que ces pays “ouvriront leurs cœurs” et créeront des lieux chaleureux et pacifiques où les réfugiés pourront vivre leur vie loin de la violence que le Hamas leur a imposée.

Ou bien, a imaginé Mister Trump, les Palestiniens pourraient être réinstallés dans “un, deux, trois, quatre, cinq, sept, huit, douze sites, ou un grand site” - peu importe, tant qu’ils “vivent dans le confort et la paix ... Nous ferons en sorte que quelque chose de vraiment spectaculaire puisse être fait”.

Il ne s’agissait pas de remarques spontanées et irréfléchies. Mister Trump a répété ces propos à plusieurs reprises. Il a déclaré qu’il y pensait depuis un certain temps. Il a dit qu’il avait proposé l’idée à des dirigeants de la région qui l’ont trouvée “merveilleuse”. (Il n’a pas identifié les personnes qui l’ont fait marcher, si tant est que quelqu’un ait dit ça).

Il a fait ces déclarations lors d’une conférence de presse aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, après que les deux hommes se sont entretenus en privé pendant plus d’une heure. Un journaliste a demandé à Netanyahou ce qu’il pensait de l’idée de Mister Trump. Il a semblé aussi surpris que tout le monde, même s’il s’est efforcé d’être poli.

L’objectif d’Israël, a souligné le Premier ministre, est de s’assurer que Gaza ne représente plus jamais une menace pour lui. « Le président Trump porte cette question à un niveau bien plus élevé », a-t-il déclaré. « Il envisage un avenir différent pour ce terrain. ... Il a une idée différente, et cela vaut la peine d’y prêter attention. ... Cela vaut la peine de poursuivre dans cette voie ».

Euh, euh...

07/02/2025

MICHELLE GOLDBERG
Le Deal sur Gaza de Trump : des crimes de guerre en échange d’un terrain pieds dans l’eau

Michelle GoldbergThe New York Times, 7/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Goldberg est chroniqueuse de la rubrique Opinion du Times depuis 2017. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages sur la politique, la religion et les droits des femmes, et a fait partie d’une équipe qui a remporté un prix Pulitzer pour le service public en 2018 pour avoir dénoncé le harcèlement sexuel sur les lieux de travail.

Lorsque Donald Trump, s’exprimant aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, a annoncé cette semaine que les USA prendraient le contrôle de Gaza et réinstalleraient « définitivement » sa population ailleurs, peu de politiciens usaméricains l’ont pris au sérieux.


Une plage dans la bande de Gaza. Photo Eyad Baba/AFP — Getty Images

 Après tout, Trump a déjà proféré des menaces impérialistes trollesques contre le Groenland, le Canada et le Panama, mais jusqu’à présent, il ne semble pas prêt à étayer ses fanfaronnades par la force militaire. Et si certaines parties de sa base frissonnent d’excitation à l’idée d’un renouveau national par la conquête, dans l’ensemble du pays, les nouvelles campagnes de construction nationale suscitent peu d’intérêt.

Dans les jours qui ont suivi la proposition grotesque du président, ses conseillers et alliés ont, comme à leur habitude, tenté de la réorienter vers une voie plus sensée. Le secrétaire d’État, Marco Rubio, par exemple, a prétendu que Trump avait simplement fait une offre généreuse pour aider Gaza à se reconstruire. Israël, cependant, a compris la portée considérable des propos de Trump. Les USA n’ont évidemment pas l’intention de construire une Riviera moyen-orientale à la frontière israélienne. Ce qu’il a fait, cependant, c’est accorder à Israël une nouvelle licence extraordinaire pour écraser les Palestiniens à Gaza, et peut-être aussi en Cisjordanie.

06/02/2025

Le “plan” de Trump pour Gaza : le monde entier est contre, à part la Bande à Bibi

La bombe lancée mardi par Trump aux côtés de Netanyahou pourrait bien s’avérer n’être qu’un pétard mouillé. De toute évidence, des capitales arabes à Washington, tout le monde est contre son “plan” de faire de Gaza un Mar-a-Lago bis une fois vidé de ses habitants, déportés dans le Sinaï égyptien ou dans le désert de Jordanie. Ci-dessous 4 articles du quotidien émirati The National, possédé par Cheikh Mansour bin Zayed bin Sultan Al Nahyan, vice-président et frère du président des Émirats Arabes Unis - qui est tout sauf révolutionnaire -, traduits par Fausto GiudiceTlaxcala

Kenny Tosh, Nigeria

 Gaza est à jamais palestinienne, disent à Donald Trump ses habitants fatigués de la guerre

Les habitants de Gaza qualifient de « fantasmes » les propositions du président concernant le contrôle de l’enclave par les USA.

Nagham Mohanna, The National, 5/2/2025

Les habitants de Gaza se sont montrés défiants mercredi face à toute tentative de les déplacer de l’enclave, affirmant que les projets du président US Donald Trump de prendre le contrôle et de redévelopper le territoire étaient des « fantaisies » vouées à l’échec.

Le président a fait une annonce surprise mardi aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou: les USA « prendront le contrôle » de Gaza et enverront des troupes si nécessaire, dans un pivot étonnant de la politique usaméricaine qui pourrait remodeler le Moyen-Orient.

« Nous allons la développer, créer des milliers et des milliers d’emplois, et ce sera quelque chose dont tout le Moyen-Orient pourra être très fier », a déclaré Trump lors d’une conférence de presse à Washington. Il n’a pas précisé si les Palestiniens seraient autorisés à retourner à Gaza, mais a déclaré que « les gens du monde » seraient les bienvenus.

Il n’est pas clair si Trump poursuivra son idée ou si ses remarques étaient une stratégie de négociation.


De nombreux habitants de Gaza ont réagi avec incrédulité à sa proposition, déclarant à The National que l’histoire avait prouvé que le territoire resterait palestinien et que ce sont les habitants de Gaza qui le reconstruiraient.

05/12/2024

GIDEON LEVY
Même l'ancien chef de l'armée israélienne mérite un peu de pitié



Une femme palestinienne déplacée transporte son chat de Beit Lahia à Jabalya, à Gaza, mercredi.

Gideon Levy, Haaretz,  5/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


La haine de Benjamin Netanyahou fait des merveilles.
Elle rend les gens fous. Son effet est alchimique, transformant des personnes responsables de crimes de guerre en opposants aux crimes de guerre. Néanmoins, il faut les accueillir, quelles que soient leurs motivations. Quiconque découvre soudain la vérité sur ce qu'Israël fait aux Palestiniens et ose le dénoncer publiquement apporte une contribution importante à la lutte désespérée contre l'apartheid et l'occupation.
Même Moshe Ya'alon devrait être félicité pour ses remarques sur le nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Lorsque l'ancien chef d'état-major et ministre de la Défense, faucon par excellence, parle de nettoyage ethnique, c'est sensationnel. Il n'est pas facile de le qualifier de traître, mais la machine de propagande s'y emploie déjà.

Moshe Ya'alon lors d'une manifestation devant la résidence privée du premier ministre, en octobre. Photo Yair Gil

Mais Israël n'a pas besoin d'eux : même le président Isaac Herzog et le président de l'opposition Yair Lapid ont été mis à contribution pour insister sur le fait qu'aucune expulsion n'était en cours à Gaza. Nettoyage ethnique ? De quoi vous parlez ?
En fait, des centaines de milliers de personnes sont poussées dans des convois interminables de personnes déplacées et des ministres déclarent qu'ils ne retourneront jamais dans leurs maisons, qui ont été systématiquement détruites, de toute façon - mais il n'y a pas de nettoyage ethnique. Le sang, c’est de l'eau et les ruines un mirage.
Que ce soit parce qu'il n'a rien à perdre politiquement, parce que son dégoût de Netanyahou l'a rendu fou ou parce qu'il est réellement choqué par ce qui se passe à Gaza, le bref acte de bravoure de Ya'alon n'est allé qu'à mi-chemin.
Il a rapidement précisé qu'il n'accusait pas les militaires de nettoyage ethnique. Les ministres Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ainsi que l'activiste de droite Daniella Weiss sont les coupables. L'expulsion est de leur fait, pas de celui de l'armée.
Il a même écrit que « le gouvernement a le droit de décider d'évacuer les Arabes de Gaza et de la coloniser avec des Juifs ». Ya'alon est le dernier des vieux de la vieille, dont les valeurs n'ont pas changé : le gouvernement a le droit de commettre des crimes contre l'humanité.

Une femme porte le corps de son enfant tué lors d'une frappe israélienne sur le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Photo : Eyad Baba/AFP


Il en est ainsi pour quelqu'un dont la carrière a été fondée sur des crimes de guerre et des violations du droit international. Un homme qui a été commandant de la division de Judée et Samarie et chef du commandement central de l'armée - des fonctions dont l'objectif est de préserver et de renforcer une occupation qui est criminelle à la base - puis chef d'état-major et ministre de la défense d'une armée d'occupation ne peut pas se libérer de son passé.
Cela ne change pas, même lorsqu'il ose dire que « Tsahal n'est pas l'armée la plus morale aujourd'hui ». Soudain, Tsahal a chuté dans le classement moral de Ya'alon. Mais cela signifie qu'elle était la plus morale jusqu'à ce que Smotrich et Ben-Gvir arrivent et changent la donne. Quelle honte !

Des Palestiniens, déplacés de Beit Lahia, arrivent à Jabalya mercredi. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

En 2015, alors que Ya'alon était ministre de la Défense, il a interdit les activités de l'ONG Breaking the Silence dans l'armée. Cela signifie que les soldats n'étaient plus autorisés à entendre les récits de crimes de guerre de leurs pairs. De là à l'épuration ethnique, le chemin est court. Ya'alon, qui admet que le nettoyage ethnique existe, accuse l'extrême droite. Non, Ya'alon, l'armée n'est pas innocente. Pas un instant.


Le ministre des finances Bezalel Smotrich s'exprime lors d'une conférence en octobre, destinée à encourager la colonisation future de la bande de Gaza, Photo Tomer Appelbaum

Les Smotrich poussent au crime, mais l'armée exécute allègrement, sans hésiter, sans poser de questions, des ordres contraires à l'éthique. Mais ce n'est pas seulement le cas aujourd'hui ou hier. Cela s'est produit sous le commandement de Yaalon lors de l'opération « Bouclier défensif » de 2002, et avant et après.
Il est vrai que l'ampleur des crimes a atteint cette fois-ci des niveaux sans précédent depuis au moins la première Nakba. Mais l'essence morale, qui veut que nous soyons autorisés à faire tout ce qu’on veut aux Palestiniens, est la même. Ya'alon leur a fait n'importe quoi, même sans Smotrich, et les militaires leur ont fait n'importe quoi avant Netanyahou.

Une enseignante donne un cours à des enfants dans une salle de classe très endommagée à Khan Younès. Photo Bashar Taleb/AFP

Vous ne pouvez plus prétendre qu'il n'y a pas moyen de séparer la responsabilité des dirigeants civils de celle des militaires. C'est un refuge pour les personnes qui se mentent bêtement à elles-mêmes et aux autres. Lorsque des soldats maltraitent régulièrement des Palestiniens innocents à Hébron, comme l'a révélé un récent rapport de B'Tselem, et que des commandants militaires le permettent, c'est toute l'armée qui est responsable, et pas seulement Smotrich. Et qui procède à l'expulsion que Ya'alon a découverte ? Les soldats.
Dieu est miséricordieux envers ceux qui se repentent. Ya'alon a reconnu une partie de sa culpabilité et a nié le reste, et c'est pourquoi on lui pardonnera un peu. Ses mains resteront tachées du sang de l'occupation, à moins qu'il ne trouve le courage de comprendre que tout ça n'a pas commencé avec Smotrich.

24/08/2024

ARI SHAVIT
La survie du plus fort, un entretien avec Benny Morris (2004)
Une plongée dans la psycopathie sioniste


 Ari Shavit, Haaretz, 8/1/2004
Traduit et présenté par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Ari Shavit (Rehovot, 1957) a été journaliste au quotidien Haaretz de 1995 à 2016, quand il a quitté le journal suite à des accusations de harcèlement sexuel de la part d’une consœur usaméricaine rencontrée à Los Angeles. Il lui a présenté des excuses publiques et privées et a disparu de la vie publique pendant 2 ans. En 2018, dans un entretien avec la juriste Orit Kamir, auteure de la loi isrélienne sur le harcèlement sexuel, il déclare : « J’ai réalisé que j’avais été aveugle au pouvoir que j’avais en tant qu’homme blanc privilégié ». Il est l’auteur du livre à succès Ma terre promise (JC Lattès, 2015)

Benny Morris (Kibboutz Ein HaHoresh, 1948) est un historiographe israélien qui a ouvert la voie à ceux qu’il a appelé les « nouveaux historiens » israéliens, lesquels ont, chacun à sa manière, remis en cause par leurs travaux le narratif sioniste. À la différence d’Ilan Pappé -contraint à l’exil en Grande-Bretagne en 2007 -, et avec lequel il a polémiqué sur la nature exacte de la Nakba de 1948, Morris est resté sioniste, malgré la longue liste de crimes commis par les sionistes tout au long de l’histoire de l’État d’Israël, qu’il a étudié et en partie mis au jour. Son itinéraire et son discours sont emblématiques de l’implosion de la gauche israélienne, qui s’est fait hara kiri depuis un bon quart de siècle, retournant “à la maison”. De lui on peut lire en français Victimes : Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste (Complexe/INHTP, 2003, 852 pp.) [voir à la fin de l’article]. L’entretien ci-dessous a fait sensation lors de sa parution il y a 20 ans et apporte une perspective effrayante sur le génocide en cours à Gaza. Ce que dit Morris en 2004, Netanayahou & Co. le font en 2024. Plongée dans la psychopathie sioniste, qui n’a fait que s’aggraver depuis lors. Accrochez-vous, ça va secouer !

Benny Morris affirme qu’il a toujours été sioniste. Les gens se sont trompés en le qualifiant de post-sioniste, en pensant que son étude historique sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens avait pour but d’affaiblir l’entreprise sioniste. C’est absurde, dit Morris, c’est totalement infondé. Certains lecteurs ont simplement mal lu le livre. Ils ne l’ont pas lu avec le même détachement, la même neutralité morale que celui qui l’a écrit. Ils sont donc arrivés à la conclusion erronée que lorsque Morris décrit les actes les plus cruels perpétrés par le mouvement sioniste en 1948, il les condamne, que lorsqu’il décrit les opérations d’expulsion à grande échelle, il les dénonce. Ils ne concevaient pas que le grand documenteur des péchés du sionisme s’identifie en fait à ces péchés. Qu’il pense que certains d’entre eux, au moins, étaient inévitables.

Il y a deux ans, des voix différentes ont commencé à se faire entendre. L’historien considéré comme un gauchiste radical a soudain affirmé qu’Israël n’avait personne à qui parler. Le chercheur accusé de haïr Israël (et boycotté par l’establishment universitaire israélien) a commencé à publier des articles en faveur d’Israël dans le journal britannique The Guardian.

Alors que le citoyen Morris s’est avéré être une colombe pas tout à fait blanche comme neige, l’historien Morris a continué à travailler sur la traduction en hébreu de son énorme ouvrage « Righteous Victims : A History of the Zionist-Arab Conflict, 1881-2001 », écrit dans l’ancien style de la recherche de la paix. Dans le même temps, l’historien Morris a achevé la nouvelle version de son livre sur le problème des réfugiés, qui va renforcer les mains de ceux qui abominent Israël. Ainsi, au cours des deux dernières années, le citoyen Morris et l’historien Morris ont travaillé comme s’il n’y avait aucun lien entre eux, comme si l’un essayait de sauver ce que l’autre s’obstinait à éradiquer.

Les deux livres paraîtront le mois prochain. Le livre sur l’histoire du conflit sioniste-arabe sera publié en hébreu par Am Oved à Tel Aviv, tandis que Cambridge University Press publiera « The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited » (il a été publié à l’origine, chez CUP, en 1987). Ce livre décrit avec une précision effrayante les atrocités de la Nakba. Morris n’est-il pas effrayé par les implications politiques actuelles de son étude historique ? Ne craint-il pas d’avoir contribué à faire d’Israël un État presque paria ? Après quelques instants de dérobade, Morris admet que oui. Parfois, il est vraiment effrayé. Parfois, il se demande ce qu’il a fait.

Il est petit, rondouillard et très intense. Fils d’immigrants anglais, il est né au kibboutz Ein Hahoresh et a été membre du mouvement de jeunesse de gauche Hashomer Hatza’ir. Dans le passé, il a été journaliste au Jerusalem Post et a refusé de faire son service militaire dans les territoires occupés depuis 1967. Il est aujourd’hui professeur d’histoire à l’université Ben-Gourion du Néguev, à Be’er Sheva. Mais assis dans son fauteuil, dans son appartement de Jérusalem, il n’endosse pas le costume de l’universitaire prudent. Loin de là : Morris crache ses mots, rapidement et énergiquement, débordant parfois sur l’anglais. Il ne réfléchit pas à deux fois avant de lancer les déclarations les plus tranchantes et les plus choquantes, qui sont loin d’être politiquement correctes. Il décrit avec désinvolture des crimes de guerre horribles, peint des visions apocalyptiques le sourire aux lèvres. Il donne à l’observateur le sentiment que cet individu agité, qui a ouvert de ses propres mains la boîte de Pandore sioniste, a encore du mal à faire face à ce qu’il y a trouvé, à gérer les contradictions internes qui sont son lot et notre lot à tous.

Viol, massacre, transfert

Benny Morris, la nouvelle version de votre livre sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens doit être publiée dans le mois qui vient. Qui sera le moins satisfait de ce livre : les Israéliens ou les Palestiniens ?

« Le livre révisé est une arme à double tranchant. Il s’appuie sur de nombreux documents qui n’étaient pas à ma disposition lorsque j’ai écrit le livre original, la plupart d’entre eux provenant des archives des forces de défense israéliennes. Ces nouveaux documents montrent que les massacres perpétrés par les Israéliens ont été beaucoup plus nombreux que je ne l’avais pensé. À ma grande surprise, il y a également eu de nombreux cas de viols. Au cours des mois d’avril et de mai 1948, des unités de la Haganah [la force de “défense” d’avant la création de l’État, précurseur des FDI] ont reçu des ordres opérationnels indiquant explicitement qu’elles devaient déraciner les villageois, les expulser et détruire les villages eux-mêmes.

« En même temps, il s’est avéré qu’il y avait une série d’ordres émis par le Haut Comité arabe et par les niveaux intermédiaires palestiniens pour retirer les enfants, les femmes et les personnes âgées des villages. Ainsi, d’une part, le livre renforce l’accusation portée contre la partie sioniste, mais d’autre part, il prouve également que beaucoup de ceux qui ont quitté les villages l’ont fait avec l’encouragement de la direction palestinienne elle-même. »

Selon vos nouvelles conclusions, combien de cas de viols israéliens ont été recensés en 1948 ?

« Une douzaine. À Acre, quatre soldats ont violé une jeune fille et l’ont assassinée, ainsi que son père. À Jaffa, des soldats de la brigade Kiryati ont violé une fille et tenté d’en violer plusieurs autres. À Hunin, en Galilée, deux filles ont été violées puis assassinées. Il y a eu un ou deux cas de viol à Tantura, au sud de Haïfa. Il y a eu un cas de viol à Qula, dans le centre du pays. Dans le village d’Abu Shusha, près du kibboutz Gezer [dans la région de Ramle], il y avait quatre prisonnières, dont l’une a été violée à plusieurs reprises. Et il y a eu d’autres cas. En général, plus d’un soldat était impliqué. En général, il y avait une ou deux filles palestiniennes. Dans une grande partie des cas, l’acte s’est terminé par un meurtre. Étant donné que ni les victimes ni les violeurs n’aimaient rapporter ces événements, nous devons supposer que la douzaine de cas de viols qui ont été rapportés et que j’ai trouvés ne représentent pas toute l’histoire. Ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg ».

Selon vos conclusions, combien d’actes de massacre israéliens ont été perpétrés en 1948 ?

« Vingt-quatre. Dans certains cas, quatre ou cinq personnes ont été exécutées, dans d’autres, le nombre était de 70, 80, 100. Il y a également eu beaucoup d’exécutions arbitraires. Deux vieillards sont aperçus en train de marcher dans un champ - ils sont abattus. Une femme est trouvée dans un village abandonné - elle est abattue. Il y a des cas comme celui du village de Dawayima [dans la région d’Hébron], où une colonne est entrée dans le village avec tous les fusils et a tué tout ce qui bougeait.

« Les cas les plus graves sont ceux de Saliha (70-80 tués), Deir Yassin (100-110), Lod (250), Dawayima (des centaines) et peut-être Abu Shusha (70). Il n’y a pas de preuve sans équivoque d’un massacre à grande échelle à Tantura, mais des crimes de guerre y ont été perpétrés [cela fera l’objet d’une polémique avec Ilan Pappé, qui avait soutenu le travail d’enquête de Teddy Katz, NdT]. A Jaffa, il y a eu un massacre dont on ne savait rien jusqu’à présent. Il en va de même à Arab al Muwassi, dans le nord. Environ la moitié des actes de massacre ont été commis dans le cadre de l’opération Hiram [dans le nord, en octobre 1948] : à Safsaf, Saliha, Jish, Eilaboun, Arab al Muwasi, Deir al Asad, Majdal Krum, Sasa. Lors de l’opération Hiram, il y a eu une concentration inhabituellement élevée d’exécutions de personnes contre un mur ou à côté d’un puits, de manière ordonnée.

« Ce n’est pas un hasard. C’est un modèle. Apparemment, les différents officiers qui ont participé à l’opération ont compris que l’ordre d’expulsion qu’ils avaient reçu leur permettait d’accomplir ces actes afin d’encourager la population à prendre la route. Le fait est que personne n’a été puni pour ces actes de meurtre. Ben-Gourion a étouffé l’affaire. Il a couvert les officiers qui ont commis les massacres ».

Ce que vous me dites ici, comme si c’était en passant, c’est que dans l’opération Hiram, il y avait un ordre d’expulsion complet et explicite. Est-ce exact ?

« Oui. L’une des révélations du livre est que le 31 octobre 1948, le commandant du front nord, Moshe Carmel, a ordonné par écrit à ses unités d’accélérer l’expulsion de la population arabe. Carmel a pris cette mesure immédiatement après une visite de Ben-Gourion au Commandement du Nord à Nazareth. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cet ordre émane de Ben-Gourion. Tout comme l’ordre d’expulsion de la ville de Lod, signé par Yitzhak Rabin, a été émis immédiatement après la visite de Ben-Gourion au quartier général de l’opération Dani [juillet 1948]. »

Êtes-vous en train de dire que Ben-Gourion était personnellement responsable d’une politique délibérée et systématique d’expulsion massive ?

« A partir d’avril 1948, Ben-Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre explicite écrit de sa part, il n’y a pas de politique globale ordonnée, mais il y a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée du transfert est dans l’air. L’ensemble des dirigeants comprend qu’il s’agit de l’idée. Le corps des officiers comprend ce qu’on attend d’eux. Sous Ben-Gourion, un consensus sur le transfert est créé ».

Ben-Gourion était un « transfériste » ?

« Bien sûr. Ben-Gourion était un transfériste. Il avait compris qu’il ne pouvait y avoir d’État juif avec une minorité arabe importante et hostile en son sein. Un tel État n’existerait pas. Il n’aurait pas pu exister.

Je ne vous entends pas le condamner.

« Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, un État n’aurait pas vu le jour. Cela doit être clair. Il est impossible de l’éluder. Sans le déracinement des Palestiniens, un État juif n’aurait pas vu le jour ici ».

Quand le nettoyage ethnique est justifié

Benny Morris, depuis des décennies, vous faites des recherches sur la face cachée du sionisme. Vous êtes un expert des atrocités commises en 1948. En fin de compte, justifiez-vous tout cela ? Êtes-vous un défenseur du transfert de 1948 ?

« Il n’y a aucune justification pour les actes de viol. Rien ne justifie les actes de massacre. Ce sont des crimes de guerre. Mais dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 aient été des crimes de guerre. On ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs. Il faut se salir les mains ».

Nous parlons du meurtre de milliers de personnes, de la destruction d’une société entière.

« Une société qui veut vous tuer vous oblige à la détruire. Quand on a le choix entre détruire ou être détruit, il vaut mieux détruire. »

Le calme avec lequel vous dites cela a quelque chose d’effrayant.

« Si vous vous attendiez à ce que j’éclate en sanglots, je suis désolé de vous décevoir. Je ne le ferai pas. »

Ainsi, lorsque les commandants de l’opération Dani observent la longue et terrible colonne des 50 000 personnes expulsées de Lod qui se dirigent vers l’est, vous vous tenez à leurs côtés ? Vous les justifiez ?

« Je les comprends tout à fait. Je comprends leurs motivations. Je ne pense pas qu’ils aient eu de remords de conscience, et à leur place, je n’aurais pas eu de remords de conscience. Sans cet acte, ils n’auraient pas gagné la guerre et l’État n’aurait pas vu le jour. »

Vous ne les condamnez pas moralement ?

« Non.

Ils ont perpétré un nettoyage ethnique.

« Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le narratif du XXIe  siècle, mais quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide - l’anéantissement de votre peuple - je préfère le nettoyage ethnique. »

Et c’était la situation en 1948 ?

« C’était la situation. C’est ce à quoi le sionisme a été confronté. Un État juif n’aurait pas vu le jour sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. Il fallait nettoyer l’arrière-pays, les zones frontalières et les routes principales. Il fallait nettoyer les villages d’où l’on tirait sur nos convois et nos campements ».

Le terme « nettoyer » est terrible.

« Je sais que cela ne sonne pas bien, mais c’est le terme qu’ils utilisaient à l’époque. Je l’ai adopté à partir de tous les documents de 1948 dans lesquels je suis plongé ».

Ce que vous dites est difficile à écouter et à digérer. Vous semblez avoir le cœur dur.