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09/10/2023

Amir Tibon : “Mon père de 62 ans a combattu les terroristes du Hamas pour libérer ma famille. L’État israélien nous a laissé tomber”

Amir Tibon, Haaretz, 8/10/2023

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Amir Tibon (1989) est un journaliste israélien spécialisé dans les relations USA-Israël au quotidien Haaretz, dont il a été le correspondant à Washington, et rédacteur en chef adjoint de l’édition anglaise du quotidien. Auteur d’une biographie de Mahmoud Abbas, The Last Palestinian (Prometheus Books, 2017) @amirtibon


NdT : j’ai traduit le plus fidèlement possible ce texte, révélateur de l’état d’esprit régnant parmi les Israéliens de la “ligne de front”, vivant dans des kibboutz chargés de surveiller la frontière de Gaza, dans cette zone joliment appelée par Israël “l’enveloppe de Gaza”

Nous vivions un rêve. Le 7 octobre, nous nous sommes réveillés dans un cauchemar. Après des heures dans l’abri antibombes avec des terroristes armés de l’autre côté du mur, à 16 heures, nous avons entendu frapper à la fenêtre. “Sabba est là”, a dit ma fille, et nous avons tous éclaté en sanglots.

Terroristes du Hamas à Kfar Azza. Photo : Hassan Eslaiah

Au début, c’était juste un sifflement. Il était un peu plus de six heures du matin, et ma femme Miri a été réveillée par un son familier : un obus de mortier sur le point de tomber. Il n’y avait pas eu d’alerte préalable, mais ce son a suffi à nous faire courir vers la pièce sécurisée, qui sert également de chambre à coucher à nos filles, ici au kibboutz Nahal Oz, l’endroit d’Israël le plus proche de Gaza.

Galia, trois ans, et Carmel, un an, dormaient dans leur lit, se remettant d’une fabuleuse excursion la veille dans la région israélienne de l’“enveloppe de Gaza”, la belle partie du pays que nous appelons notre maison. Nous ne voulions pas les réveiller, mais nous avons commencé à faire nos bagages. Nous pensions qu’il s’agirait encore d’une de ces journées auxquelles nous nous sommes habitués : des voyages dans la pièce sécurisée pendant l’explosion d’une roquette, puis des voyages vers le nord pour se mettre à l’abri.

Après une heure de sirènes et d’explosions ininterrompues, nous avons entendu pour la première fois le bruit glaçant des tirs automatiques. Au début, nous l’avons entendu de loin, depuis les champs. Ensuite, le son était beaucoup plus proche, venant de la route. Enfin, nous l’avons entendu à l’intérieur même de notre quartier, près de la fenêtre de notre maison. Nous avons également entendu des cris en arabe et nous avons immédiatement compris ce qui se passait : C’était notre pire cauchemar. Des militants armés du Hamas avaient infiltré notre kibboutz et se trouvaient littéralement sur le pas de notre porte, tandis que nous étions enfermés à l’intérieur avec nos deux petites filles.

 

L’hôpital Brazilai, dans le sud d’Israël, samedi. Photo : Ilan Assayag

Miri et moi avons déménagé à Nahal Oz il y a neuf ans, juste après la guerre de Gaza de 2014. Ce qui nous a attirés dans cet endroit particulier, c’était le désir d’un peu d’aventure et de vie communautaire, ainsi qu’un peu de sionisme à l’ancienne. S’installer dans un kibboutz à la frontière de Gaza n’était pas un choix évident pour un jeune couple de Tel-Aviviens. Mais nos parents étaient fiers de notre décision, et Nahal Oz est devenu notre maison. C’est là que nous nous sommes mariés en 2016, au bord de la piscine située à quelques centaines de mètres de la barrière frontalière. Et c’est là que nous sommes retournés après un séjour de trois ans aux USA, où j’ai occupé le poste de correspondant de Haaretz à Washington.

Nous avons connu d’innombrables “alertes rouges” au cours de nos années passées au kibboutz. Nous nous sommes également familiarisés avec la menace des ballons incendiaires et la puanteur des champs en flammes. Mais ces problèmes n’étaient pas suffisamment graves pour nous faire oublier les merveilleux avantages de la vie dans un kibboutz, notamment le fait que nos petites filles se rendaient seules à la crèche et qu’elles pouvaient ensuite acheter une glace à l’épicerie locale. En ce qui nous concerne, nous vivions le rêve.

Mais nous nous sommes retrouvés confrontés à une menace d’un tout autre genre - une menace qui était censée pouvoir être évitée.

Lorsque nous avons emménagé dans le kibboutz, le mot le plus effrayant de notre lexique était “tunnel”. Mais comme le gouvernement avait investi des milliards de shekels dans un mur d’obstruction souterrain destiné à neutraliser le réseau de tunnels souterrains du Hamas, nous nous sommes permis de dormir tranquillement. Ce samedi matin, nous avons réalisé que ce mur souterrain était l’équivalent de la ligne Maginot pour notre génération et que nous étions au milieu d’un désastre de l’ampleur de la guerre du Kippour de 1973. Israël avait déversé des tonnes de béton dans la terre, alors que tout ce que le Hamas avait à faire était de franchir la clôture en surface avec ses tracteurs.

Le kibboutz Nahal Oz, 2022. Photo : Eliyahu Hershkovitz