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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

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14/09/2023

OLEG YASINSKY
Les larmes de crocodile à l’occasion du cinquantenaire du coup d’État militaire au Chili

Oleg Yasinsky, Politika, 11/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le grand écrivain portugais José Saramago, en visite au Chili quelques années après le retour à une démocratie timide et craintive, toujours sous la tutelle de Pinochet, avait déclaré :

“Ici, les morts ne sont pas morts et les vivants ne sont pas vivants.”

Chaque année, quand arrivait le mois de septembre, quand des milliers de bougies étaient allumées dans tous les coins du Chili pour rendre hommage aux disparus, je repensais à cette phrase qui, à mon avis, expliquait mieux ce qui se passait dans le pays que des centaines de livres d’analyse et de critique sociale, bons ou mauvais.

En traversant une fois le désert d’Atacama, nous nous sommes perdus parmi ses énormes étoiles et distances tracées sur les routes infinies qui, comme des aiguilles, traversent le paysage aride peint il y a des millions d’années par des fleuves préhistoriques et des fonds marins qui n’existent plus.

Ce sont des lieux qui ressemblent à un décor spécialement créé pour l’apparition de vaisseaux extraterrestres, de dinosaures ou de tout autre fruit de notre pauvre imagination.

Dessin de Carlos Ayress Moreno, 1974



Dessin d’Enrique Olivares Aguirre

Nous sommes arrivés à un endroit qui n’existait pas sur les cartes. Il s’agissait de l’ancienne salpêtrière de Chacabuco, qui a cessé d’exister au début du siècle dernier et qui, en 1973, a été transformée par la dictature en le plus grand camp de concentration du pays.

Il n’y avait là qu’une seule personne, un ancien prisonnier politique. Il était devenu le gardien de la mémoire de cette cité fantôme. Lorsque les militaires se sont retirés, ils ont fait sauter les installations et les traces de leurs crimes. Puis, année après année, des pilleurs sont revenus pour voler tout ce qui était vendable dans les maisons et les baraquements abandonnés derrière les barbelés qui subsistaient.

Notre interlocuteur était retourné au cœur du désert pour s’occuper de ce qui restait de sa mémoire et de celle de son pays. Il nous a montré la rue Karl Marx, comme les prisonniers politiques appelaient l’allée principale entre les baraquements où ils vivaient.

Il nous a raconté la rumeur qui s’est répandue parmi eux après la première observation d’“OVNI”, qui abondaient dans ces cieux. « Ce sont les Russes qui sont venus nous sauver », disaient-ils. Et tant d’autres anecdotes de l’époque. Je suis retourné le voir plusieurs fois par la suite. Il était toujours seul, de plus en plus triste, de plus en plus vieux et alcoolique, jusqu’à ce qu’il meure dans un abandon total.

Le désert chilien est une machine à remonter le temps. En tant qu’endroit le plus sec de la planète, il conserve les vestiges du passé, où ce qui s’est passé il y a un siècle est indiscernable de ce qui s’est passé hier. Les corps des personnes tuées par la dictature sont également trop bien conservés. Sur les cadavres momifiés, on peut voir, après plusieurs décennies, non seulement les impacts de balles, mais aussi les traces des tortures les plus sauvages.

Le nouvel État chilien, gouverné par les socialistes et les démocrates-chrétiens, réconciliés pendant la dictature par amour du pouvoir, ne s’est jamais préoccupé de préserver l’histoire et la mémoire de ces temps passés, mais a voulu renforcer l’“image du pays” basée sur le modèle social hérité du pinochetisme et abandonner au plus vite son statut de “tiers-monde” latino-américain pour faire partie du “monde développ”".

27/07/2022

OLEG YASINSKY
Volodymyr Chemerys, le mouton noir de la politique ukrainienne, arrêté à Kiev

Oleg Yasinsky, Pressenza, 21/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Oleg Yasinsky (Kiev, 1967) est un journaliste indépendant vivant actuellement à Moscou. Il a longtemps vécu au Chili. https://t.me/olegyasynsky

 

 

ACTUALISATION DU 28 JUILLET 

L'interrogatoire du 26 juillet s'est "bien passé". Chemerys a été convoqué pour un nouvel interrogatoire le 30 août en qualité de "témoin". Chemerys a fait valoir qu'il a eu une côte cassée lors de son interpellation et qu'il va porter plainte à ce sujet. L'ironie de l'affaire est que les articles de la constitution invoqués pour le poursuive ont été rédigés par lui. Chemerys est libre mais est en danger : il a reçu de nombreuses menaces de groupes paramilitaires.-FG

Ces mots sont pour un ami et un collègue dont la vie est en danger. Dans le paysage politique ukrainien, de plus en plus pauvre, décadent et prévisible entre tant de marionnettes et tant de fanatiques, il reste peu de personnes politiques. Les flammes qui s'élèvent aujourd'hui sur le pays éclairent, plus clairement que jamais, la terre noire brûlée, sans idées, sans pensée, sans regard, un territoire qui, bien avant cette guerre, était dépouillé de toute possibilité d'avenir, généreusement ensemencé des seules graines empoisonnées de la haine nationaliste.

Au milieu de ce paysage désolé, malgré et contre toutes les lois de la logique et de la nature, de grandes personnes survivent et leur grandeur n'est que celle de cette époque foireuse. Les moutons noirs qui sont en fait les éléphants ou les baleines qui font vivre le monde. Le nom de l'un d'entre eux est Volodymyr (en ukrainien) ou Vladimir (en russe, selon votre préférence) Chemerys. En pensant à lui, je me souviens toujours de cette chanson de Silvio Rodriguez sur le mouton noir :

« ...C'est le même mouton sombre qui, la nuit, ne se voit pas
sous les rayons de la lune.
C'est le même qui est coincé dans les ravins.
C'est le même que le prêtre a maudit avant-hier… »

La première fois que je l'ai vu sur un écran de télévision à Kiev, en octobre 1990, il était l'un des principaux leaders étudiants, protagonistes de la « révolution sur le sol de granit », un vaste mouvement d'étudiants ukrainiens qui, parmi leurs diverses revendications, demandaient de nouvelles élections parlementaires, le service militaire des Ukrainiens uniquement sur le territoire de l'Ukraine, une nouvelle constitution, le report de la ratification de l'adhésion de l'Ukraine à l'URSS jusqu'à ce qu'elle devienne « un État constitutionnel indépendant, politiquement et économiquement stable », et la démission du Premier ministre.

La chute du premier ministre et l'acceptation par le gouvernement de la plupart de leurs exigences ont été un événement décisif pour la proclamation de l'indépendance de l'Ukraine en moins d'un an.

Volodymyr était mince, il faisait partie de la centaine d'étudiants qui ont mené une grève de la faim de 15 jours dans des tentes sur la place centrale de Kiev, alors que le mot « Maidan » n'était pas encore connu du monde. Je me souviens d'une organisation exemplaire de la sécurité lors de la manifestation. Parmi les manifestants, il y avait des personnes chargées de prévenir toute expression violente, elles étaient très disciplinées et gardaient un contact informel permanent avec la police qui ne voulait pas non plus réprimer.

Pendant les trois semaines de marches quotidiennes, avec des centaines de milliers de participants, il n'y a pas eu un seul acte de violence. Comme une grande partie de notre génération à l'époque, il a été déçu par le deux poids-deux mesures du socialisme bureaucratique, il a cru aux valeurs de la démocratie libérale, il a partagé son grand idéalisme avec l'énorme naïveté si typique de notre société sans tradition de débat politique.

Il s'agissait d'un vaste mouvement démocratique nationaliste (encore assez démocratique et pas très nationaliste), très inclusif et qui croyait beaucoup aux niaiseries populaires de l'époque, à savoir qu'il pouvait y avoir une convergence entre le meilleur du socialisme et du capitalisme pour progresser en tant que société. Malgré notre ignorance totale du monde réel, au milieu de ces mouvements, nous avons eu des discussions assez intéressantes et profondes. La politique ne nous semblait pas encore être quelque chose de sale, encore moins un business, nous pensions que c'était une affaire d'idéalistes et de révolutionnaires. Nous n'avions aucune idée de quoi que ce soit.

Je l'ai retrouvé pour la deuxième fois une quinzaine d'années plus tard. Je vivais déjà au Chili et lorsque, très occasionnellement, je me rendais en Ukraine, mes amis gauchistes m'invitaient à parler de l'Amérique latine, car il y avait toujours beaucoup d'intérêt et peu d'informations directes.

Je me souviens que nous l'avons fait une fois au siège de l'Institut Respublica, fondé et dirigé par lui. C'était un étrange projet de construction d'une pensée civique ouverte à tous (quand c'était encore possible). Des communistes, des anarchistes, des trotskistes et des nationalistes ukrainiens ont participé à notre conversation sur l'Amérique latine. Nous avons discuté de divers sujets pendant des heures. Il était encore possible de se parler et, malgré les désaccords très nets, presque sur tout, et les moqueries politiques entre nous tous, nous nous serrions encore la main et pouvions aller boire un verre ensemble pour continuer la discussion. On m'a beaucoup interrogé sur les zapatistes. Lorsque nous sommes restés seuls un moment avec Volodymyr, il m'a parlé de son admiration de toujours pour la révolution cubaine, les sandinistes et Allende. C'était la gauche en laquelle il croyait. L'Ukraine était encore un endroit très paisible et les guerres semblaient concerner d'autres mondes exotiques et lointains.