Affichage des articles dont le libellé est Colons juifs. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Colons juifs. Afficher tous les articles

11/07/2025

GIDEON LEVY
Les raids à domicile et les violences s’intensifient : à Al Khalil/Hébron, le transfert “volontaire ” des Palestiniens bat son plein

Alors que la guerre fait rage, les invasions des maisons palestiniennes dans la vieille ville d’Hébron/Al Khalil par les colons et les soldats israéliens deviennent de plus en plus fréquentes et violentes.

Gideon Levy  & Alex Levac (photos), Haaretz , 11/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Naramin al-Hadad avec ses petits-enfants. Il y a quelques semaines, des soldats sont venus chez elle, lui ont montré une photo de son fils Nasim, âgé de 7 ans, puis l’ont emmené avec eux. Ils l’ont relâché une demi-heure plus tard, terrifié.

La place du marché est déserte, comme le dit la chanson emblématique d’une autre vieille ville, celle de Jérusalem [Jerusalem of Gold - Yerushalayim shel Zahav, Naomi Shemer, 1967]. Le principal marché de Hébron est presque entièrement désert depuis des années. Pour comprendre pourquoi, il suffit de lever les yeux : suspendus aux grilles métalliques installées par les Palestiniens au-dessus des étals pour les protéger des colons, des sacs poubelles remplis d’ordures et d’excréments que ces derniers jettent sur les visiteurs.

Les maisons des colons du quartier juif d’Hébron surplombent le marché désert et jouxtent celui-ci. De l’autre côté du poste de contrôle, dans ce quartier, il ne reste plus un seul magasin ou étal palestinien. Plus loin, la partie encore ouverte du marché était également à moitié déserte cette semaine. Les produits sont abondants et les étals colorés sont ouverts, mais il y a peu de clients.

Les Palestiniens n’ont pas d’argent, dans une ville qui était autrefois le centre économique de la Cisjordanie jusqu’à ce que la guerre éclate dans la bande de Gaza. Vous voulez savoir pourquoi ? Regardez sa porte d’entrée principale. Elle a été cadenassée cette semaine. Une ville de 250 000 habitants est fermée. Quelqu’un peut-il trouver quelque chose de comparable sur la planète ?

Bas du formulaire

Des soldats israéliens surveillent l’entrée principale d’Hébron. Parfois, ils ouvrent le portail, parfois non. On ne sait jamais quand il sera déverrouillé. Lundi dernier, lorsque nous nous y sommes rendus, ils ne l’ont pas ouvert. Il existe des itinéraires alternatifs, certains sinueux et vallonnés, mais il est impossible de vivre ainsi. C’est précisément pour cette raison que le portail est fermé : parce qu’il est impossible de vivre ainsi. Il n’y a aucune autre raison que la volonté des Forces de défense israéliennes de maltraiter les habitants, ce qu’elles font de manière encore plus violente depuis le 7 octobre, afin de les pousser au désespoir – et peut-être même à la fuite. Définitivement.

En effet, peut-être qu’un petit nombre choisira finalement de partir, réalisant ainsi le rêve de certains de leurs voisins juifs. Pour sa part, l’armée israélienne coopère activement à ces plans diaboliques, travaillant main dans la main avec les colons pour parvenir au transfert de population tant souhaité. Sous le couvert de la guerre dans la bande de Gaza, les exactions se sont également multipliées et sont désormais presque totalement incontrôlées.

Cela n’est nulle part plus évident que dans la zone H2, qui est sous contrôle israélien et comprend la colonie juive de la ville, ainsi que les quartiers anciens qui l’entourent. Ici, le transfert n’est pas progressif, il est galopant. Les seuls Palestiniens encore visibles ici sont ceux qui n’ont pas les moyens de quitter cette vie infernale, sous la terreur des colons et de l’armée, dans l’un des centres de l’apartheid en Cisjordanie. On trouve ici d’anciens bâtiments en pierre, ornés d’arcades, dans un quartier qui pourrait être un trésor culturel, un site patrimonial, mais qui est abandonné, à moitié en ruine, jonché des ordures des colons et de leurs graffitis ultranationalistes haineux.



Les maisons des colons dans la vieille ville d’Hébron surplombent le marché

Après nous être garés – il y a désormais beaucoup de place dans ce marché désert – nous entrons dans une cage d’escalier étroite et sombre. À travers les fenêtres grillagées, on aperçoit des tas d’ordures ; derrière, les institutions des colons : Beit Hadassah, le centre d’études religieuses Yona Menachem Rennart et le bâtiment du Fonds Joseph Safra. Les maisons des colons sont à portée de main. Il suffit de tendre le bras.

Nous sommes dans la rue Shalalah, qui est en partie sous contrôle palestinien. Le vieux bâtiment en pierre dans lequel nous sommes entrés a été rénové ces dernières années par le Comité palestinien pour la réhabilitation d’Al Khalil, et il est impossible de ne pas admirer sa beauté, malgré les conditions déprimantes qui l’entourent. Situé à quelques dizaines de mètres du poste de contrôle menant au quartier juif, il s’agit d’une structure étroite de trois étages qui abrite cinq familles. La famille élargie Abou Haya – parents, enfants et petits-enfants, dont 15 jeunes et tout-petits – reste ici en raison du loyer modique.

Après avoir croisé une foule d’enfants, nous montons au troisième étage, dans l’appartement de Mahmoud Abou Haya et de sa femme, Naramin al-Hadad. Mahmoud a 46 ans, Naramin 42, et ils ont cinq enfants, dont certains ont déjà fondé leur propre famille. Naramin avait 15 ans lorsqu’elle s’est mariée, raconte-t-elle avec le sourire.

Le père de famille, qui travaillait autrefois dans le bâtiment à Ashkelon, est au chômage depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023. Naramin cuisine à la maison et vend ses plats aux habitants du quartier. C’est actuellement la seule source de revenus de la famille. Avant la guerre, elle était également bénévole au sein de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Avec une caméra fournie par l’ONG dans le cadre de son projet « Camera Project », elle documentait ce qui se passait dans la région. Mais Naramin n’ose plus participer au projet. Il est beaucoup trop dangereux d’avoir une caméra ici. La dernière fois qu’elle l’a utilisée, la seule fois depuis le début de la guerre, c’était il y a environ cinq mois, lorsqu’elle a filmé un incendie allumé par des colons sur le toit du marché. Il y a environ un mois et demi, des soldats sont venus à l’appartement, ont montré à Naramin une photo de son fils Nasim, âgé de 7 ans, puis sont repartis avec lui. Ils l’ont relâché, terrifié, environ une demi-heure plus tard.

Les raids nocturnes contre les habitations palestiniennes se sont multipliés au cours des 21 derniers mois. D’une fréquence moyenne d’une fois par mois, l’armée fait désormais irruption dans leurs maisons au moins une fois par semaine, selon Naramin, presque toujours au cœur de la nuit.

Aucun Israélien ne connaît une réalité dans laquelle, pendant des années, à tout moment, il ou elle se réveille en sursaut à la vue et au bruit de dizaines de soldats armés et masqués qui envahissent son domicile, parfois accompagnés de chiens, puis poussent tous les occupants hébétés, y compris les enfants terrifiés, dans une seule pièce. Dans certains cas, les envahisseurs procèdent à des passages à tabac et à des fouilles violentes des lieux, laissant derrière eux une traînée de destruction ; dans tous les cas, ils profèrent des insultes et des humiliations.

Dans le passé, ces incursions semblaient avoir un objectif précis : l’arrestation d’un suspect, la recherche de matériel de combat. Mais depuis le début de la guerre, on a l’impression que ces raids ont pour seul but de semer la peur et la panique, et d’empoisonner la vie des Palestiniens. Ils ne semblent avoir aucune autre raison d’être.



Maher Abou Haya sur la terrasse de sa maison, avec Beit Hadassah en arrière-plan, cette semaine. Des caméras de sécurité l’ont filmé se tenant dans la rue, lorsque soudainement des soldats sont apparus et ont fait irruption dans la maison.

Le dernier incident impliquant la famille Abou Haya s’est produit il y a une semaine. Jeudi dernier, aux premières heures du jour, Maher, le fils de Naramin, âgé de 24 ans, marié à Aisha, 18 ans, et père de deux jeunes enfants, a quitté le domicile familial, mais est revenu après avoir vu des soldats s’approcher de la porte d’entrée.

Les caméras de sécurité installées par la famille à l’entrée montrent Maher debout innocemment dans la rue et les soldats apparaissant soudainement. Ils lui ont ordonné de les faire entrer et de les guider à travers le bâtiment. Maher les a conduits à l’autre entrée, qui mène à l’appartement de son frère, Maharan, 23 ans, marié et père d’un bébé de 6 semaines, afin de ne pas réveiller tous les autres enfants du bâtiment, qui sont nombreux.

Mais Maher a reçu l’ordre de réveiller tout le monde et de rassembler tous les occupants de chaque étage dans une seule pièce. Les soldats n’ont donné aucune explication sur les raisons de cette opération. Maharan venait juste d’essayer d’endormir sa petite fille lorsque les soldats ont fait irruption. Maher a frappé à la porte de l’appartement de ses parents et les a réveillés. Son oncle, Hamed, 35 ans, a été tiré hors du lit ; bien qu’on ait expliqué aux soldats qu’il se remettait d’une opération du dos, il a été saisi à la gorge et traîné hors de son appartement.

Les trois familles du troisième étage étaient regroupées dans le petit salon où nous avons été reçus cette semaine. Naramin se souvient qu’elle s’inquiétait de ce qui se passait aux étages inférieurs. Ils entendaient Maher crier, comme s’il était en train d’être battu.



La maison de la famille après le départ des soldats. Photo de la famille.

Un soldat a déchiré le rideau à l’entrée du salon de Naramin, puis ses camarades ont brisé les objets en verre dans le buffet. Sans raison. Les enfants se sont mis à pleurer. Naramin a voulu ouvrir une fenêtre, car on étouffait à l’intérieur, mais un soldat, plus jeune que la plupart de ses fils, l’en a empêchée.

Le lendemain, Manal al-Ja’bri, chercheuse de terrain pour B’Tselem, a recueilli le témoignage de la femme de Maharan. Elle a raconté que son bébé pleurait et qu’elle voulait l’allaiter, mais que les soldats l’en empêchaient. Les demandes d’eau ont également été refusées.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Au bout d’environ une heure, les soldats ont ordonné à Naramin et aux autres membres de sa famille de se rendre dans un autre appartement du même immeuble. Le sol était jonché d’éclats de verre et elle avait peur pour ses enfants qui étaient pieds nus. Elle a ensuite entendu des bruits de vaisselle qu’on brisait dans son appartement. Les soldats ont également jeté le ventilateur par terre et l’ont cassé.

Ja’bri affirme avoir déjà recensé une dizaine de cas similaires de destruction gratuite dans la même zone, peuplée de Palestiniens défavorisés sur le plan économique.

Quel était l’objectif du raid de la semaine dernière ? Voici la réponse donnée cette semaine par le porte-parole de l’armée israélienne : « Le 2 juillet 2025, l’armée israélienne a mené une opération dans la ville de Hébron, qui est [sous la supervision de] la brigade de Judée, à la suite d’informations fournies par les services de renseignement. L’opération s’est déroulée sans incident particulier et nous n’avons pas connaissance d’allégations de destruction de biens. »



Le marché fermé d’Hébron. Les Palestiniens qui y restent n’ont pas les moyens de quitter cette vie infernale, dans l’un des centres de l’apartheid de Cisjordanie.

Vers 2 heures du matin, le silence s’est abattu sur l’immeuble. Naramin a osé jeter un œil dehors pour voir si les soldats étaient partis ; ils étaient partis sans prévenir les occupants. Qui s’en souciait ? Les Palestiniens pouvaient rester où ils étaient jusqu’au matin. Maher était couvert de bleus, mais il n’a pas voulu dire à sa mère ce que les soldats lui avaient fait. Les trois voitures de la famille avaient été forcées ; les clés ont été retrouvées dans la benne à ordures.

Alors qu’on nous servait le café, la famille a découvert que le verre qui recouvrait la table était également fissuré. Ont-ils l’intention de partir ? Naramrin bondit comme si elle avait été mordue par un serpent et répond par un « Non » court et définitif.

La semaine dernière, quatre familles ont quitté le quartier voisin de Tel Rumeida. Elles n’en pouvaient plus. Au total, Ja’bri, la chercheuse, estime qu’au moins dix familles ont quitté le quartier depuis le début de la guerre. La semaine dernière, selon les habitants, il n’y avait apparemment aucun problème de sécurité sur lequel enquêter, et à Tel Rumeida – où les Palestiniens ne sont autorisés à entrer avec aucun type de véhicule, pas même une ambulance – un véhicule commercial a été autorisé à entrer afin d’évacuer les biens des familles qui sont parties. Certaines fins justifient apparemment tous les moyens.

Nous sommes ensuite montés sur la terrasse pour admirer la vue. Des bâtiments anciens en pierre étaient construits à flanc de colline. Mais la terrasse était étouffée de toutes parts par les constructions des colons.

13/07/2024

Le général de division Yehuda Fuchs, génocidaire à visage humain


Ci-dessous, 2 articles sur le général de division Yehuda Fuchs (54 ans), qui vient de se démettre de son poste de commandant en chef des forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie, qu’il occupait depuis 2021. Auparavant, il avait commandé la Division de Gaza depuis 2016 et été deuxième attaché militaire à Washington depuis 2019. Les journalistes décortiquent le discours de départ à la retraite de cet éminent représentant de l’“armée la plus morale du monde”, qui va sans doute se lancer en politique dans l’“unique démocratie (génocidaire) du Moyen-Orient”. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Le commandant en chef d’Israël en Cisjordanie n’est pas un “moraliste” : il n’est qu’un hypocrite de plus

Gideon Levy, Haaretz, 11/7/2024

 

Comme tout ce qui concerne l’armée israélienne, les généraux peuvent être divisés en trois groupes. Le plus grand est celui des individus sans visage dont les noms, et encore moins les opinions, sont inconnus de la plupart des Israéliens. Ils gravissent les échelons, prennent leur retraite, vont travailler pour une entreprise de défense et c’est tout. Les deux autres sont des groupes minoritaires : d’une part les droitiers, les colons, les religieux, les militants et d’autre part  les “moralistes”, les “gauchistes”, ceux qui “tirent puis pleurent”* et se retirent avec une réprimande retentissante. C’est généralement le pire groupe et le plus hypocrite, et c’est celui auquel appartient le chef sortant du commandement central de Tsahal, le général de division Yehuda Fuchs.

 

Le commandant du Commandement central, le général Yehuda Fuchs, en mai. Photo : unité du porte-parole de Tsahal

 

Au cours de sa mission de trois ans, Fuchs a été érigé en ennemi des colons, soi-disant. Le groupe le plus cynique et le plus extorqueur de la société israélienne, qui pourrait apprendre aux ultra-orthodoxes une ou deux choses sur le chantage, connaît son travail : les colons attaquent pour terroriser. Quiconque a des doutes sur la véritable attitude de Fuchs à l’égard des colons ferait bien d’écouter son discours de départ à la retraite. 

 

À l’en croire, la grande majorité des colons sont des citoyens respectueux de la loi. Il n’y a rien à ajouter à propos de Fuchs. Pas un seul colon ne respecte la loi, et encore moins le droit international - qui, comme c’est étrange, s’applique aussi à Israël - et la plupart d’entre eux sont fiers de leurs émeutiers, qui réalisent le “miracle” de la ministre Orit Strock*. Fuchs était un ami des colons, comme tous les chefs du Commandement central, de Rehavam Ze’evi (1968-72) à lui-même, tous esclaves soumis du « peuple des collines ».

 

Mais le chef du commandement central est avant tout l’assujettisseur de la population palestinienne. Le mandat de Fuchs en Cisjordanie a été l’un des plus cruels pour les Palestiniens. C’est toujours le cas avec les généraux éclairés. Fuchs laisse derrière lui une Cisjordanie en ruines - exsangue, écrasée, sans emploi, menaçant d’exploser, obstruée et pauvre comme elle ne l’a jamais été depuis la seconde Intifada.

 

Aucun officier de principe ne peut être responsable d’une telle cruauté - même si Ben Caspit***, un authentique représentant du centre militariste et ultranationaliste qu’il croit éclairé, écrit sur X : « Fuchs est un officier de principe avec des valeurs, un patriote israélien, qui n’a pas fui les questions difficiles. ... Merci, Yehuda ».

 

09/09/2023

GIDEON LEVY
Loin des yeux du monde, un incroyable transfert de population est en cours en Cisjordanie

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 9/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Terrorisés par les colons, les bergers palestiniens de Cisjordanie sont contraints de quitter les villages où ils vivent depuis des décennies. La semaine dernière, c’était au tour d’Al-Baqa’a

Réfugiés d’Al-Baqa’a dans leur nouveau lieu de survie, à cinq kilomètres de là

Dans la vallée, il ne reste plus que de la terre noire et brûlée, souvenir de ce qui était, jusqu’à la semaine dernière, un lieu d’habitation humaine. Il y a aussi une bergerie, que les habitants bannis ont laissée derrière eux en guise de souvenir ou peut-être aussi dans l’espoir de jours meilleurs, lorsqu’ils pourront retourner sur leurs terres - une perspective qui semble bien lointaine à l’heure actuelle.

Sur le sol noirci se dressent deux tentes présages de malheur, ainsi qu’une camionnette et un tracteur, tous appartenant aux seigneurs de la terre : les colons qui ont envahi cette communauté de bergers et terrorisé ses habitants jour et nuit jusqu’à ce que, vendredi dernier, la dernière des familles, qui vivait ici depuis plus de 40 ans, prenne la route du désert à la recherche d’un nouveau lieu d’habitation. Elles ne pouvaient plus supporter les attaques et les raids des colons, leur façon éhontée de faire paître les troupeaux sur les terres des Palestiniens, leur intimidation des enfants des bergers, les menaces, les vols et les agressions. Même le soumoud - la résilience - vanté par les Palestiniens a ses limites.

Communauté après communauté, les bergers bédouins, la population la plus faible et la plus démunie de Cisjordanie, quittent la terre qu’ils habitent depuis des décennies, ne pouvant plus supporter la violence des colons, qui s’est fortement accrue ces derniers mois. Loin des yeux des Israéliens et de la communauté internationale, un incroyable transfert systématique de population est en cours - il s’agit en fait d’un nettoyage ethnique de vastes zones dans le sud des collines d’Hébron, dans la vallée du Jourdain et, désormais, dans le cœur de la Cisjordanie.

En juillet, nous avons assisté au départ de la famille Abu Awwad de son village, Khirbet Widady, après qu’elle en eut été chassée par les tactiques d’intimidation des colons de Havat Meitarim. Et un mois auparavant, nous avons accompagné 200 membres de familles qui vivaient à Aïn Samiya et qui ont dû fuir pour sauver leur vie sous le harcèlement violent des colons des avant-postes non autorisés près de la colonie de Kochav Hashahar.

Mohammed Melihat. Pendant des générations, sa famille a vécu à Al-Baqa’a, mais sa vie et ses biens étant en jeu, elle a été contrainte, comme d’autres Bédouins, de céder, de se rendre et d’abandonner sa maison

Cette semaine, nous sommes arrivés à Al-Baqa’a, une étendue aride au pied des montagnes désertiques qui bordent la vallée du Jourdain. Les quelque 60 membres de cette communauté ont été contraints de laisser derrière eux la terre sur laquelle ils vivaient depuis 40 ans, et avec elle leurs souvenirs, avant de se disperser dans le paysage désertique. La mainmise des colons ne fait pas que priver les gens de leurs biens, elle déchire aussi des communautés habituées à vivre ensemble depuis des générations.

La terre - qui, dans ce cas, appartient aux habitants du village palestinien de Deir Dibwan, situé au sommet d’une colline - est rocailleuse, desséchée et pratiquement inaccessible. L’épuration ethnique dans cette région se poursuit à un rythme soutenu. La région doit être exempte d’Arabes, aussi “pure” que possible - une condition qui est plus facilement atteinte lorsque des communautés de bergers bédouins sont impliquées.

Nous rencontrons le chef de la communauté d’Al-Baqa’a, Mohammed Melihat, 59 ans, sur le nouveau site où ses deux fils ont installé leur maison, à environ cinq kilomètres au sud de l’endroit où ils vivaient auparavant, au milieu de nulle part.

Les deux fils ont planté ici cinq tentes en lambeaux. Un chien et un coq s’abritent sous le conteneur d’eau, essayant de survivre dans la chaleur torride de l’été. Les membres de la famille élargie ont emménagé ici le 7 juillet ; depuis, ils ont reçu trois ordres d’expulsion de l’unité de l’administration “civile” du gouvernement militaire. La date limite de départ est fixée au 20 septembre.

Un panneau solaire à Al-Baqa’a cette semaine

Melihat a six fils et une fille ; deux des fils, Ismail, 23 ans, et son frère aîné, Ali, 28 ans, sont venus s’installer ici avec leur famille. Leur père loge chez un ami dans le village de Ramun, au nord d’Al-Baqa’a, mais il aide ses fils à établir leur nouvel “avant-poste” sur un terrain privé qu’ils ont reçu des habitants de Deir Dibwan. Sur les 600 moutons que comptait la famille à l’origine, il n’en reste plus que 150.

Al-Baqa’a était leur lieu de vie depuis 1980. Les 25 premières familles qui s’y sont installées se sont progressivement dispersées à la suite des ordres de démolition émis par les autorités israéliennes et de la violence exercée par les colons israéliens. Ces dernières années, il ne restait plus que 12 familles, dont 30 enfants, qui ont commencé à se disperser dans tous les sens. Seuls les Melihat se sont retrouvés sur le nouveau site que nous visitons.

Il est inconcevable qu’un être humain puisse vivre dans cette région inhospitalière, montagneuse et aride, sans eau courante ni électricité, sans route d’accès, sans école ni dispensaire en vue. Dans un pays bien géré, cette région deviendrait un site du patrimoine : « C’est ainsi que les bergers vivaient il y a des siècles ». On y amènerait les écoliers pour qu’ils découvrent cette merveille. Mais en Israël, ce n’est qu’une cible supplémentaire de la cupidité des colons et de leur soif insatiable de terrains.

Le pire, c’est que ces gens n’ont aucune protection contre leurs oppresseurs. Rien du tout. Ni de la police, ni de l’armée, ni de l’administration “civile”, ni de l’Autorité palestinienne. Leur vie et leurs biens étant en jeu, ils ont été contraints de céder, de se rendre et d’abandonner leur maison. Sans défense, la famille Melihat n’a eu d’autre choix que de suivre le mouvement.

Un garçon à Al-Baqa’a

Depuis 2000, la vie à Al-Baqa’a était devenue impossible. Les colons, apparemment soutenus par les soldats et parfois même avec leur participation active, ont fait de leur vie un enfer. Des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes ont été lancés dans les tentes, des abreuvoirs et des moutons ont été volés. Au début, les maraudeurs venaient de l’avant-poste de Mitzpeh Hagit, dirigé par un colon nommé Gil. Selon Mohammed, l’agence humanitaire des Nations unies OCHA a tout documenté. Patrick Kingsley, chef du bureau du New York Times pour Israël et les territoires occupés, arrive pendant que nous nous entretenons avec lui au cours de notre visite cette semaine. Lui et son journal s’intéressent beaucoup plus au sort de la population que la plupart des médias israéliens.

En septembre 2019, un colon du nom de Neria Ben Pazi a envahi une zone près de Ramun, ce qui a aggravé les problèmes des habitants. Quelques mois auparavant, Ben Pazi avait commencé à faire paître ses moutons sur des terres appartenant à des Bédouins. Il a été expulsé à deux reprises par l’administration “civile”, mais est revenu à chaque fois quelques heures plus tard, grâce à ce que l’on peut interpréter comme le consentement tacite et l’inaction des autorités israéliennes. L’affaire était entendue.

 Arik Aschermann : “JE SUIS INVISIBLE parce que vous refusez de me voir”

Selon le rabbin Arik Ascherman, directeur de l’ONG Torat Tzedek - Torah of Justice, qui a passé de nombreux jours et nuits ces derniers mois à protéger les habitants d’Al-Baqa’a de la violence des colons, Ben Pazi est le “champion” des avant-postes de colons. Il en a déjà établi quatre ; certains de ses fils vivent avec lui.

Les colons ont commencé à voler des biens et du matériel agricole aux bergers, y compris des pièces détachées pour les tracteurs. Au début, dit Ascherman, ils étaient prudents, mais après l’arrivée du gouvernement actuel, ils ont perdu toute retenue et la violence est devenue plus brutale. Les résidents locaux ont demandé la protection de l’administration “civile” et l’un de ses représentants, le “capitaine Fares”, leur a dit de rester en contact en cas de problème. Il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait des problèmes, mais il est inutile d’envisager de déposer une plainte.

Au cours des derniers mois, les actions des colons contre les bergers bédouins misérables ont été documentées par Iyad Hadad, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Les colons ont empêché les camions-citernes des bergers d’atteindre la communauté et ont amené leurs propres troupeaux aux abreuvoirs des bédouins pour qu’ils s’y abreuvent. À une occasion, ils ont également brûlé une tente. Résultat : Quelque 4 000 dounams (400 hectares) de terres ont été vidés de leurs Palestiniens et confisqués par les avant-postes.

Le 10 juillet, la plupart des familles ont quitté Al-Baqa’a, seules deux sont restées sur place. L’une d’entre elles, la famille de Mustafa Arara, a rapidement plié bagage après que son fils de 7 ans a été blessé par un colon. La deuxième famille, celle de Musa Arara, est partie une semaine plus tard, après la disparition des 13 abreuvoirs : Ascherman a vu les conteneurs être emportés par un tracteur appartenant aux colons.

La famille de Musa a déménagé pour le moment dans la région du Wadi Qelt, qui prend sa source près de Jérusalem et se jette dans la mer Morte ; Mustafa et sa famille ont déménagé dans la région de Jab’a, dans le centre de la Cisjordanie. Trois autres familles vivent près de Taibe, au nord-est de Jérusalem. Le tissu même de leur vie familiale, culturelle et sociale a été déchiré.

Où allons-nous aller ? La question de Mohammed Melihat est engloutie dans l’immensité du désert. « S’ils viennent tout démolir ici, où irai-je ? », demande-t-il encore, en vain. Ses ancêtres de la tribu Kaabneh - qu’Israël a expulsée des collines du sud d’Hébron en 1948 et dont les terres ont été intégrées à l’État d’Israël - se sont posé la même question.

« Imaginez ce que c’est », dit Melihat, « de quitter un village dans lequel vous avez vécu la majeure partie de votre vie et où vos enfants sont nés ».

13/07/2023

GIDEON LEVY
Le système judiciaire pourri et raciste d’Israël “libère” Jérusalem
La judaïsation du Quartier musulman avance

Gideon Levy, Haaretz, 13/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors, maudits colons, vous avez dormi comment dans la maison du quartier musulman de Jérusalem que vous avez convoitée et volée à un couple âgé et malade qui en avait été chassé ? À quoi a ressemblé votre première nuit entre les anciens murs ?

Nora Sub Laban (à droite) réagit après l’expulsion de sa famille de sa maison à Jérusalem-Est pour faire place à des colons juifs, mardi. Photo : Olivier Fitoussi

Qu’est-ce que ça fait d’entrer dans une maison qui a sauvegardé 70 ans de souvenirs d’une famille, des souvenirs qui ne sont pas les vôtres ? Qu’est-ce que ça fait d’entrer, comme en 1948, dans les maisons des expulsés, avec les casseroles qui mijotent encore sur le gaz et les vêtements dans les placards ? Quel effet ça fait-il d’envahir la maison de quelqu’un d’autre ? Et qu’est-ce que ça fait de voir des policiers traîner un vieil homme hors de sa maison pour débarrasser la propriété pillée pour vous ?

Avez-vous vu les graffitis sur les murs, “Nous reviendrons” et “La Palestine sera libre” ? Je vois que vous avez déjà accroché le drapeau israélien à la fenêtre, comme un voleur qui s’empresse de changer les plaques d’immatriculation de la voiture qu’il a volée pour dissimuler des preuves. Maintenant, la maison est juive pour toujours et à jamais. Elle est maintenant à vous, grâce au célèbre système judiciaire israélien, qui est corrompu, pourri et raciste lorsqu’il s’agit des droits de votre nation. Comment les juges de Jérusalem ont-ils résolu la contradiction insoluble entre le sort des biens juifs d’avant 1948 et le sort des biens palestiniens ? Existe-t-il une autre façon de décrire le verdict que celle d’une véritable réponse d’apartheid ?

Comment avez-vous dormi la nuit, maudits colons ? Et comment dormirez-vous dans les nuits à venir ? Penserez-vous, ne serait-ce qu’un instant, au sort de Mustafa Sub Laban, un Palestinien poli de 74 ans, qui a servi dans la police israélienne et qui, aujourd’hui, dans sa vieillesse, est sans abri, s’entassant dans la maison de son fils à Shoafat ? Et le sort de son impressionnante épouse, Nora Gheith Sub Laban, née dans cette maison il y a 68 ans et hospitalisée mardi ? Avez-vous pris la peine de les regarder dans les yeux ? Leur image se dresse-t-elle devant vous ? On ne peut que souhaiter que l’image de leur expulsion de leur maison vous hante dans vos cauchemars jusqu’à la fin de vos jours. Que leur image surgisse devant vous chaque soir lorsque vous mettez vos enfants au lit.

Mais cela n’arrivera pas. Pour vous, ils ne sont pas des êtres humains, ils sont moins qu’humains - ils ne sont pas juifs. Et cette honte a été autorisée par le système judiciaire.

Avez-vous entendu parler de la parabole “la brebis du pauvre” ? Peut-être pourriez-vous ouvrir le livre de Samuel, chapitre 12, et la lire ? Vous êtes des Juifs religieux, n’est-ce pas ? L’image de l’un d’entre vous, un colon trafiquant portant une énorme kippa et une barbe, installant des haut-parleurs dans la maison, un sourire diabolique de triomphe étalé sur son visage, un officier de police à ses côtés, est comme un millier de mots d’accusation. Ahmad Sub Laban, le fils du couple expulsé, m’a raconté hier que l’homme barbu avait l’habitude de harceler la famille avec de la musique juive assourdissante diffusée par le grand haut-parleur qu’il transportait.

La nation israélienne a de nouveau gagné mardi, cette fois une victoire particulièrement glorieuse, une victoire sur un vieux couple. Les familles Sharabi, Wormser et Friedman, qui vivent déjà dans l’ancien bâtiment situé au cœur du quartier musulman, seront rejointes par une autre famille qui loue la propriété au Kollel Galicia trust. S’ils entrent dans l’appartement aujourd’hui, ils pourront encore manger le ragoût de riz et de poulet que la fille du couple avait préparé pour ses parents et qui se trouve dans le réfrigérateur, sur l’étagère du haut. Ce plat a été préparé en milieu de semaine et peut encore être mangé. Tous les biens de la famille sont encore dans l’appartement, à l’exception des albums de photos de famille qu’elle a emportés avec elle.

Entre-temps, la serrure de l’entrée principale a été changée et la famille n’a plus accès à ce qui a été sa maison, où le couple vivait en tant que locataire protégé. Une fois de plus, il est apparu que les Palestiniens ne bénéficient d’aucune protection, pas même en tant que locataires.

« Cette maison restera une prison jusqu’à ce que nous revenions », m’a dit Nora avec tristesse il y a environ un mois, dans sa maison. Mardi, le jour où la protestation israélienne [contre la réforme judiciaire, NdT] a remporté un nouveau succès impressionnant, où des voix rauques ont crié “démocratie” et “honte” aux quatre coins du pays, cette honte a eu lieu à Jérusalem. Nora et Mustafa n’y vivent plus. Le quartier musulman sera juif et Israël sera un État d’apartheid, officiellement aussi.

 

08/07/2023

GIDEON LEVY
Des colons juifs envahissent des terres privées, leurs propriétaires palestiniens sont arrêtés : un nouvel avant-poste illégal est né dans les collines du sud d’Hébron

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 8/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des bergers des collines du sud d’Hébron ont été choqués de découvrir qu’une tente avait été plantée par des colons sur un terrain dont l’accès leur était interdit. Quatre frères dont la famille est propriétaire du terrain ont été arrêtés - et les colons sont toujours là.

Jihad Abu Sabha, dont les fils ont été arrêtés. Selon l’avocate Mishriqi-Assad, environ 600 dunams [= 60 ha] de sa région ont été repris grâce aux "fuites des avant-postes".

Un berger s’est réveillé à 5 heures du matin le premier jour de l’Aïd El Adha, la fête du sacrifice, à la fin de la semaine dernière, et a emmené son troupeau de moutons paître sur le sol aride et rocailleux des collines du sud d’Hébron. En 2006, le chef du commandement central de l’armée avait émis un ordre interdisant l’entrée des Israéliens sur cette bande de terre, qui appartient à la famille du berger et à d’autres familles. Le jeune berger s’occupait tranquillement de son troupeau lorsque son père lui a téléphoné, paniqué : des voisins avaient vu une tente bleue - apparemment montée pendant la nuit par des colons sur ces terres privées - non loin du puits où ils puisent l’eau pour leurs moutons. Les intrus y avaient également amené un troupeau de 30 moutons.

Stupéfait, le berger a rapidement appelé les membres de sa famille et d’autres personnes qui possèdent des terres à cet endroit. Les colons, armés de fusils, les ont attaqués à coups de poing, de pierres et de crosse. La police et l’armée ont mis du temps à arriver - et lorsqu’elles sont finalement arrivées, les soldats ont placé le berger et ses trois frères en garde à vue, en suivant les instructions de l’un des colons, qui leur a dit qui arrêter.

Et les envahisseurs ? Surprise, surprise : non seulement aucun d’entre eux n’a été arrêté, mais la tente est toujours debout, et les colons et leurs moutons sont toujours là, eux aussi. Bientôt, on peut le supposer, il y aura encore un nouvel avant-poste de colons.

Telle est la vie dans le pays de la suprématie des colons : le désordre total, en particulier dans les collines reculées du sud d’Hébron. La victime devient le coupable et le coupable devient le procureur et le vainqueur dans chaque lutte. C’est le système actuel, partout où c’est possible : envahir par la force, apporter quelques moutons, et vite fait bien fait, vous avez une “ferme”. Le gouvernement et l’armée ne dégagent plus rien. C’est ainsi qu’un autre avant-poste est né dans les collines du sud d’Hébron, aux côtés de ses trois prédécesseurs hors-la-loi - Havat Talia, Mitzpeh Yair et Susya.

Et le berger, sa famille et les autres propriétaires terriens, tous résidents du hameau d’Imneizil [à 17 km au sud-ouest d’Al Khalil] ? Ils essaieront de saisir la justice, mais dans ce pays de non-droit, où même un ordre donné par le général commandant la région est ignoré par les voyous colons, à quoi peut bien servir un tribunal ? Il faut dire adieu à la terre.


Jihad Abu Sabha

Désespoir dans les collines du sud d’Hébron. Désespoir lors de notre visite lundi dernier, lorsque les forces de défense israéliennes ont envahi le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, et en ont démoli certaines parties. Les habitants des collines, désemparés, étaient de tout cœur avec ceux qu’ils considéraient comme des héros dans le camp de Jénine. En effet, certains ne quittaient pas la télévision du matin au soir, fascinés par les images déchirantes diffusées en temps réel. Mais leurs cœurs étaient également tournés vers les quatre frères qui avaient été arrêtés.

Le désespoir dans les collines du sud d’Hébron est palpable parmi les nombreuses et faibles communautés de bergers, plus vulnérables que jamais aux abus physiques et matériels selon le bon vouloir des colons, dont l’objectif est transparent et manifeste : prendre le contrôle du plus grand nombre de terres possible afin d’expulser le plus grand nombre d’habitants de ce territoire difficile, la patrie de ces Palestiniens et de leurs ancêtres.

Lundi, chez lui à Imneizil, le berger Jihad Abu Sabha - né en 1967, l’année de l’occupation - est désemparé à l’idée que ses quatre fils restent en détention. Le téléphone ne cesse de sonner, avec des appels d’avocats et d’activistes qui veulent lui donner des nouvelles. Dimanche, le tribunal militaire de la prison d’Ofer avait ordonné leur libération, mais la police a rapidement fait appel de la décision et, le lendemain, ils n’avaient toujours pas été libérés.

Quatre frères qui ont tenté de défendre leur terre ont été attaqués par des colons et incarcérés, tandis que les colons qui empiètent sur le territoire demeurent sur une terre qui leur est interdite par la loi. Et tout cela le jour de la fête musulmane la plus sacrée. Imaginez que votre terre soit envahie par des étrangers le jour de Yom Kippour. Peut-être les envahisseurs ont-ils planifié leur pillage pour ce jour précis, ou peut-être n’ont-ils jamais entendu parler de l’Aïd El Adha.

Abu Sabha est le père de 11 enfants. Les personnes arrêtées sont ses quatre fils aînés : Ibrahim, 36 ans ; Mohammed, 30 ans ; Mahmoud, 26 ans ; et Yusuf, 23 ans. Deux d’entre eux sont mariés et les deux plus jeunes doivent se marier le mois prochain. Mahmoud garde les moutons de la famille, ses trois frères ont des permis pour travailler en Israël comme plâtriers et ouvriers du bâtiment. Leur père craint que ces permis ne soient annulés parce que les colons ont volé leurs terres - c’est la forme de justice habituelle dans ces régions. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas pu célébrer l’Aïd El Adha.


L’avant-poste de Mitzpeh Yair dans les collines du sud d’Hébron. Photo : Moti Milrod

Lorsque Jihad Abu Sabha s’est présenté au poste de police de Kiryat Arba, une colonie urbaine jouxtant Hébron, dans l’espoir de déposer une plainte contre les colons qui avaient attaqué ses fils, l’officier à l’entrée lui a dit : « Hé, vous n’avez pas un jour férié aujourd’hui ? » Ce à quoi Abu Sabha a répondu : « Vous nous avez tout gâché. Maintenant, nous faisons la fête entre la police, l’armée et les colons ». L’officier n’a accepté de prendre la plainte que le lendemain.

C’est le mercredi 28 juin que Mahmoud a emmené le troupeau au pâturage. Peu après, son père a reçu un appel téléphonique d’un membre de la famille Abu Kabirna, qui vit à côté de Havat Talia : « Je vois une tente bleue à côté du puits sur votre terrain ». Le père a immédiatement appelé son fils, mais Mahmoud a dit qu’il était encore dans le wadi et qu’il n’était pas encore arrivé au sommet de la colline, où se trouve le puits, et qu’il ne pouvait donc rien voir. Abu Sabha a appelé la police de Kiryat Arba, et des policiers sont arrivés au poste de contrôle de Metzudat Yehuda pour l’accueillir. Mahmoud a alors appelé son père pour l’informer qu’une dizaine de colons armés se trouvaient sur leurs terres et qu’ils essayaient de le chasser par la force.

Un officier de police a dit à Abu Sabha que lui et sa famille n’étaient pas autorisés à se rendre dans le champ sans une escorte de l’armée, mais l’armée a mis des heures à arriver. Abu Sabha s’est dirigé vers ses terres, craignant pour le sort de son fils. Il a appelé les familles Nawajeh, Harnat, Rashid et Samirat, des voisins qui possèdent également des terres dans la même zone. Dans le passé, il n’y a pas eu beaucoup d’incidents avec les colons dans cette zone, ce qui a conduit à l’émission de l’ordre du commandement central.

Abu Sabha est arrivé sur le site accompagné de 10 à 15 voisins. Il a dit aux jeunes de se garer à distance et est allé parler aux colons, dont certains qu’il connaît pour les avoir déjà affrontés, notamment les propriétaires de la ferme Talia, Yedidya et Bezalel Talia. Il a demandé : « Pourquoi êtes-vous ici ? » et a reçu la réponse habituelle : « C’est notre terre ». À un moment donné, les Palestiniens ont commencé à démonter la tente des colons, ce qui a déclenché des affrontements. L’une des personnes accompagnant Abu Sabha, Mohammed Ali Rashid, 25 ans, a été blessée après avoir reçu un coup de crosse et une pierre dans le dos. Il a passé une nuit à l’hôpital.

L’armée est arrivée, se souvient Abu Sabha, et les soldats ont alors arrêté tous ceux que Yedidya Talia leur a demandé de mettre en détention. Ils ont également arrêté deux volontaires - une Italienne et un Israélien - venus aider les Palestiniens à protéger leurs biens. Ceux-là ont ensuite été relâchés. Puis la police des frontières est arrivée et a ordonné à tous les habitants de quitter leurs terres.


Jihad Abu Sabha avec ses fils

Quelques jours plus tard, l’avocate Qamar Mishriqi-Assad, co-directrice de l’ONG Haqel : In Defense of Human Rights, qui accompagne depuis de nombreuses années la lutte des habitants des collines du sud d’Hébron pour conserver leurs terres, a envoyé une lettre urgente à l’administration civile et à la police d’Hébron. Après avoir relaté les événements du 28 juin, elle écrit : « Cet événement n’est pas isolé. Il est indissociable des événements qui vous ont été rapportés la semaine dernière, qui se sont déroulés ces derniers jours, menés par des militants d’extrême droite d’Im Tirtzu [une organisation sioniste de droite] et des colons de l’avant-poste de Havat Talia, alors que dans tous les cas les soldats déployés dans le secteur refusent de manière flagrante d’intervenir pour mettre fin aux attaques des colons contre les résidents. Si les structures sur le site ne sont pas enlevées et que l’ordre de fermeture 3/06 n’est pas appliqué, les résidents n’auront d’autre choix que de recourir à des mesures juridiques urgentes contre l’outrage au tribunal et la violation de vos engagements envers la Haute Cour de justice ».

Les Palestiniens en question sont entourés par la redoutable zone de tir 918, qui les empêche d’accéder à une grande partie de leurs terres, dont certaines sont les mêmes que celles sur lesquelles les colons se sont installés. Une autre partie de leur propriété a été expropriée pour construire une route de patrouille vers les colonies et pour ériger le point de contrôle de Metzudat Yehuda. Selon l’avocate Mishriqi-Assad, une zone d’environ 600 dunams (= 60 ha) dans les collines du sud d’Hébron a été progressivement occupée par des avant-postes - elle parle de “fuite des avant-postes”. Dans sa lettre à l’administration civile, outre la demande d’enlèvement immédiat de la tente, elle a demandé un rapport de la police israélienne sur les mesures d’enquête prises à la suite des violences commises par les colons au cours de l’incident, y compris des informations indiquant si les colons armés avaient été convoqués pour être interrogés. À ce jour, elle n’a reçu aucune réponse.

Une vidéo prise ce mercredi-là montre une dizaine de colons, dont certains sont masqués, fusils en bandoulière, se promenant comme des seigneurs et maîtres. Les Palestiniens semblent hésiter à les approcher.

Le jour de l’incident, l’unité du porte-parole de l’IDF a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Des frictions se sont développées plus tôt dans la journée entre des citoyens israéliens et un certain nombre de Palestiniens et d’activistes israéliens dans les collines du sud de l’Hébron. Une unité de l’IDF est arrivée sur le site afin de mettre fin aux troubles. Sept suspects ont été arrêtés, suite à l’usage de la violence et de la résistance physique, et un certain nombre d’appareils photo et de téléphones portables sur lesquels du matériel d’incrimination [sic] a été trouvé, ont été confisqués et transférés pour suivi par les forces de sécurité ».

Cette semaine, nous avons observé le site de l’incident à distance, en compagnie de Nasser Nawajah, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Il nous a demandé de ne pas nous approcher, par crainte des colons. Nous pouvions voir la tente bleue sur la colline, avec les véhicules des envahisseurs à côté. À droite se trouvait Havat Talia, à gauche Mitzpeh Yair, et Susya était derrière, avec les avant-postes qu’ils ont déjà créés. Les colons ont déplacé la tente de son emplacement d’origine sur le toit de la grotte vers le puits, à quelques dizaines de mètres, alors qu’ils n’ont aucune autorité ni aucun droit d’être là. Ni sur le toit, ni à côté du puits. Trop craintifs pour s’approcher, les bergers n’avaient aucun moyen de puiser de l’eau pour leurs moutons.

Le porte-parole du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires n’a pas répondu à l’heure où nous mettons sous presse, mais Haaretz a appris que mardi soir, les quatre frères Abu Sabha ont été libérés sous caution.