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05/07/2025

GIDEON LEVY
Une grand-mère palestinienne se trouvait sur sa terrasse à Jérusalem-Est avec sa famille lorsque la police israélienne l’a exécutée

Gideon Levy  & Alex Levac, Haaretz , 5/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les fils de Zahia Jawda affirment que la rue était calme lorsqu’une unité de la police des frontières est passée près de leur domicile; lun des agents a tiré un seul coup de feu, la touchant au front et la tuant sur le coup.


La famille a entouré 
de parpaings l’endroit où leur matriarche est tombée , préservant les traces de sang

Le matin de sa mort, l’agneau qu’elle chérissait tant est décédé. Zahia Jawda s’occupait de cet animal depuis sa naissance, le nourrissait deux fois par jour au biberon. Mardi matin dernier, l’agneau est mort dans son enclos.

Son mari Qaid a été envahi par le chagrin en voyant l’animal mort, avant de partir à 5h30 pour son travail à Jérusalem. Il savait à quel point Zahia était attachée, corps et âme, à cet agneau. Il a appelé des proches dans la ville de Hora et leur a commandé cinq agneaux. Ils ont promis de les apporter dans la soirée. Qaid voulait atténuer la peine de Zahia après la mort de l’animal qu’elle avait tant soigné.

Les animaux sont arrivés ce soir-là. Nous les avons vus cette semaine, blottis les uns contre les autres dans le petit enclos au rez-de-chaussée de la maison des Jawda, située dans le quartier du Waqf – ou le «Quartier dEn-Bas» au pied du camp de réfugiés de Shoafat à Jérusalem-Est.

Zahia n’a pu nourrir les nouveaux agneaux qu’une seule fois. Quelques heures plus tard, un policier des frontières l’a abattue d’une balle tirée à distance, directement dans le front, alors qu’elle se trouvait sur la terrasse de sa maison. Ses enfants endeuillés doivent maintenant nourrir les agneaux.

Pour atteindre la maison des Jawda, il faut traverser l’ensemble du camp tentaculaire, où des dizaines de milliers de personnes s’entassent – un spectacle qui rappelle celui du camp de Jabaliya à Gaza avant qu’il ne soit bombardé. Amer Aruri, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, nous a guidés.

Les rues sinueuses sont étroites et en pente – le camp étant construit à flanc de colline – la circulation y est infernale et le point de contrôle permanent imposant rappelle la profondeur de l’apartheid à Jérusalem et le fait qu’elle est, pour l’éternité, une ville divisée.

Les Jawda sont à l’origine des Bédouins de Jordanie. Zahia et Qaid, respectivement âgés de 66 et 67 ans, y sont tous deux nés mais possèdent des cartes d’identité bleues (israéliennes), comme tous les habitants de Jérusalem-Est. Qaid explique qu’ils essaient d’éviter tout contact avec les habitants du quartier difficile à proximité, le camp de réfugiés lui-même.


Zahia Jawda

La maison qu’ils ont construite il y a des années ressemble presque à une maison bédouine traditionnelle: le rez-de-chaussée abrite un enclos pour animaux et un poulailler, dont les odeurs remontent jusquau toit. Qaid dit quil doit entretenir lenclos à moutons pour honorer les invités qui viennent chez eux, en leur servant de la viande de mouton.

Certaines parties du bâtiment de trois étages ne sont pas terminées; ce ne sont que des squelettes en cours de construction. Les fils du couple et leurs familles vivent dans les parties achevées. Laccès à la terrasse, où Zahia a été tuée, ne se fait pas par les escaliers mais par une rampe plutôt dangereuse.

Une scène terrible attend le visiteur: la famille a entouré de parpaings lendroit où leur matriarche est tombée, elle a préservé les traces de sang et les fragments de cerveau qui sen sont écoulés, recouverts dune bâche plastique. Ils ne veulent pas que le sang soit effacé.

Dans un autre coin de la terrasse, les derniers vêtements portés par Zahia, tachés de son sang, sont suspendus.

Qaid, qui travaille depuis des années comme contrôleur de la circulation en Israël, porte un uniforme dont il est fier et conduit un véhicule officiel stationné en bas. Il parle couramment l’hébreu. Assis dans son salon, il raconte comment Zahia a été tuée. D’une voix calme, il nous corrige: «Zahia na pas été tuée elle a été assassinée,» dit-il, éclatant en sanglots pour la première fois de notre visite, mais pas la dernière. Le couple était marié depuis 50 ans.

Ce lundi, lorsqu’on lui rend visite, il est veuf depuis six jours. Il raconte que ses filles sont en dépression depuis l’événement et qu’il ne sait plus quoi faire. Le couple a sept enfants et 50 petits-enfants, certains courant d’un étage à l’autre du bâtiment.


Qaid Jawda avec les vêtements que portait sa femme Zahia lorsqu'elle a été assassinée la semaine dernière.

Autrefois, Qaid a conduit des bus pour la compagnie Egged, puis a dirigé une équipe d’inspecteurs chez New Way. Il a aussi travaillé trois ans sur le projet de tramway de la rue Ben Yehuda à Tel-Aviv. Lorsqu’il est parti, commerçants et habitants lui ont adressé une lettre d’adieu émouvante, datée du 11 novembre 2022.

«Nous, commerçants et propriétaires sur la rue Ben Yehuda, tenons à exprimer notre reconnaissance à Qaid Jawda pour son travail dévoué. Cet homme affable aime aider et servir les passants avec une grande politesse, pour la satisfaction de tous.»

Qaid conserve cette lettre, parmi d’autres recommandations accumulées au fil de ses années de travail en Israël, dans un dossier qu’il montre fièrement.

Mardi dernier, rentrant du travail, il a dîné puis est descendu avec Zahia s’occuper des moutons. Qaid raconte que le comportement de sa femme ce soir-là était inhabituel sans en expliquer la raison: «Cest comme si elle sentait que quelque chose allait se produire. C’était étrange.»

Vers 22h, Qaid est allé se coucher: il avait une mission tôt le matin à Jérusalem avec son équipe. Après minuit, il a été réveillé par des cris épouvantables. En ouvrant la porte de la chambre, il a vu des membres de la famille crier. En demandant ce qui se passait, il a vu ses fils descendre Zahia du toit, du sang coulant de sa tête.

Qaid a immédiatement appelé le 101 pour faire venir une ambulance du Magen David Adom au checkpoint de Shoafat – aucune ambulance israélienne n’ose entrer dans le camp – expliquant que la vie de sa femme était en danger. Il est descendu dans la rue, où tout le quartier était déjà rassemblé. Ses fils ont placé leur mère dans une voiture, en route vers le checkpoint. Qaid a suivi en voiture. L’ambulance attendait et Qaid s’est frayé un chemin pour voir Zahia. Il a vu le crâne fracturé, le sang, et a compris qu’elle était morte. Il l’a embrassée.

Au checkpoint, on lui a dit que sa femme était conduite à l’hôpital Hadassah du mont Scopus. Arrivé là, on l’a dirigé vers Shaare Zedek, puis vers l’hôpital Makassed à Jérusalem-Est. Il a alors compris qu’elle avait sûrement été transférée à l’Institut médico-légal de Tel Aviv, où l’on transporte les corps, non les blessés. Il est alors rentré chez lui.

À 3h30 du matin, une importante force de la police des frontières israélienne est arrivée chez lui, armes au poing. Qaid raconte avoir interpellé le commandant: «Une minute, attendez, baissez vos armes. Personne ici ne vous fera de mal. Je vous demande, baissez vos armes.» Ils se sont exécutés.

Les pandores sont montés sur le toit, ont photographié la scène et les traces de sang sur l’escalier. «Imaginez que cest votre mère,» leur a lancé Qaid. «Je veux seulement la justice. Que le policier qui a tiré sur ma femme soit jugé. Cest tout ce que je demande. Ma femme ne reviendra pas, mais je veux que le tireur soit jugé.»


Le camp de réfugiés de Shoafat, cette semaine

Il a ensuite reçu plus de détails de ses enfants sur ce qui s’était passé. Zahia se trouvait sur le toit avec leur fille Ala, 40 ans, et quelques petits-enfants, comme chaque soir. Il fait chaud à l’intérieur mais agréable sur la terrasse; ils discutent, grignotent des graines de tournesol. Tout autour, c’était calme, lorsque, disent-ils, ils ont remarqué des soldats marchant dans la rue, à plusieurs dizaines de mètres, alors quils étaient sur le toit, en hauteur.

La police des frontières revenait d’un nouveau raid nocturne sur le camp, parmi tant d’autres, presque toujours inutiles et même dangereux – des incursions dont le but est seulement de terroriser les habitants et d’afficher la brutalité dans la «capitale unifiée» de l’État dIsraël.

Vers 0h30, l’un des agents a tiré un seul coup de feu à distance, atteignant Zahia au front. Elle s’est effondrée devant sa fille et ses petits-enfants. Selon un des fils, immédiatement après, la police des frontières a quitté les lieux.

Un porte-parole de la police israélienne a déclaré cette semaine en réponse à une question: «Des agents des unités spéciales et des combattants opérant dans le camp de Shoafat ont été pris à partie par des émeutiers leur lançant des pierres. Un agent a été blessé à la tête et conduit à lhôpital. En réponse, la force, se sentant en danger de mort, a ouvert le feu sur les fauteurs de troubles. Lincident est en cours dexamen par les services compétents.»

Cette réponse, notons-le, est totalement hors sujet. Quel est le rapport entre la femme sur le toit et le danger prétendument ressenti par les troupes? Quel est le lien entre les «jets de pierres», avérés ou non, et le tir précis qui a touché à la tête une femme innocente sur un toit situé hors du camp?

Qaid: «Je porte luniforme. Pour moi cest un honneur. Un policier qui ne respecte pas son uniforme ne devrait pas exercer. Il a détruit ma vie. Pourquoi la-t-il tuée? Pourquoi nest-il pas humain? Sil était humain, avec une mère et un père, il naurait pas fait ça. Sil avait un cœur, il naurait pas fait ça. Je nai jamais fait aucun mal à l’État. Je donne tout à l’État. Jai une grande famille dans le Néguev. Jai même un petit-fils soldat. Pendant la guerre, jai dirigé des gens vers des abris sur les sites où je travaille.

«Mon rôle de contrôleur de la circulation est de sauver la vie des Israéliens. Pourquoi mériter que ma femme soit tuée? Qua-t-elle fait? Je veux juste que ceux qui ne respectent pas luniforme ne servent pas. Quils se regardent dans le miroir et fassent leur examen de conscience. Je ne sais pas si ce policier était juif, druze ou bédouin. Je veux juste quil se regarde en face, et sache quil a tué une femme innocente de 66 ans. Une femme bonne. Une âme merveilleuse.»