المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

Affichage des articles dont le libellé est Guerres impérialistes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Guerres impérialistes. Afficher tous les articles

26/03/2025

MAURIZIO LAZZARATO
S’armer pour sauver le capitalisme financier !
La leçon de Rosa Luxemburg, Kalecki, Baran et Sweezy

Maurizio Lazzarato, 26/3/2025
Dessins d' Enrico Bertuccioli
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Si grande que soit une nation, si elle aime la guerre, elle périra ; si pacifique que soit le monde, s’il oublie la guerre, il sera en danger »

Wu Zi, ancien traité militaire chinois

« Quand nous parlons de système de guerre, nous entendons un système tel que celui qui est en vigueur et qui suppose que la guerre, même si elle n’est que planifiée et non combattue, est le fondement et le sommet de l’ordre politique, c’est-à-dire des relations entre les peuples et entre les hommes. Un système où la guerre n’est pas un événement mais une institution, pas une crise mais une fonction, pas une rupture mais une pierre angulaire du système, une guerre toujours décriée et exorcisée, mais jamais abandonnée comme une possibilité réelle »

Claudio Napoleoni, 1986


L’avènement de Trump est apocalyptique, au sens original du terme apocalypse, celui de révélation. Son agitation convulsive a le grand mérite de montrer la nature du capitalisme, le rapport entre la guerre, la politique et le profit, entre le capital et l’État habituellement voilé par la démocratie, les droits humains, les valeurs et la mission de la civilisation occidentale. 

La même hypocrisie est au cœur du récit construit pour légitimer les 840 milliards d’euros de réarmement que l’UE impose aux États membres par le recours à l’état d’exception. S’armer ne signifie pas, comme le dit Draghi, défendre « les valeurs qui ont fondé notre société européenne » et qui ont « garanti pendant des décennies à ses citoyens la paix, la solidarité et, avec notre allié américain, la sécurité, la souveraineté et l’indépendance », mais cela signifie sauver le capitalisme financier.

Il n’y a même pas besoin de grands discours et d’analyses documentées pour masquer l’indigence de ces récits, il a suffi d’un nouveau massacre de 400 civils palestiniens pour mettre en évidence la vérité du bavardage indécent sur l’unicité et la suprématie morale et culturelle de l’Occident.

Trump n’est pas un pacifiste, il ne fait que reconnaître la défaite stratégique de l’OTAN dans la guerre d’Ukraine, alors que les élites européennes refusent l’évidence. Pour elles, la paix signifierait le retour à l’état catastrophique auquel elles ont réduit leurs nations. La guerre doit continuer car pour elles, comme pour les démocrates et l’État profond usaméricain, c’est le moyen de sortir de la crise qui a commencé en 2008, comme ce fut le cas pour la grande crise de 1929. Trump pense pouvoir la résoudre en donnant la priorité à l’économie sans renier la violence, le chantage, l’intimidation, la guerre. Il est très probable que ni l’un ni les autres ne réussiront car ils ont un énorme problème : le capitalisme, dans sa forme financière, est en crise profonde et c’est précisément de son centre, les USA, qu’arrivent les signaux “dramatiques” pour les élites qui nous gouvernent. Au lieu de converger vers les USA, les capitaux fuient vers l’Europe. Une grande nouveauté, symptôme de grandes ruptures imprévisibles qui risquent d’être catastrophiques.

Le capital financier ne produit pas de biens, mais des bulles qui gonflent toutes aux USA et éclatent au détriment du reste du monde, se révélant être des armes de destruction massive. La finance usaméricaine aspire de la valeur (les capitaux) du monde entier, l’investit dans une bulle qui tôt ou tard éclatera, obligeant les peuples de la planète à l’austérité, au sacrifice pour payer ses échecs : d’abord la bulle internet, puis la bulle des subprimes qui a provoqué l’une des plus grandes crises financières de l’histoire du capitalisme, ouvrant la porte à la guerre. Ils ont aussi tenté la bulle du capitalisme vert qui n’a jamais décollé et enfin celle, incomparablement plus grosse, des entreprises de haute technologie. Pour colmater les brèches des désastres de la dette privée déchargée sur les dettes publiques, la Réserve fédérale et la Banque européenne ont inondé les marchés de liquidités qui, au lieu de “ruisseler” dans l’économie réelle, ont servi à alimenter la bulle des hautes technologies et le développement des fonds d’investissement, connus sous le nom de “Big Three” : Vanguard, BlackRock et State Street (le plus grand monopole de l’histoire du capitalisme, gérant 50 000 milliards de dollars, actionnaire principal de toutes les plus importantes sociétés cotées en bourse). Aujourd’hui, même cette bulle est en train de se dégonfler.

Si l’on divise par deux la capitalisation totale de la bourse de Wall Street, on est encore loin de la valeur réelle des entreprises de haute technologie, dont les actions ont été gonflées par ces mêmes fonds pour maintenir des dividendes élevés pour leurs “épargnants” (les Démocrates comptaient aussi remplacer le welfare par la finance pour tous, comme ils avaient déliré auparavant sur la maison pour tous les USAméricains).

Aujourd’hui, le festin touche à sa fin. La bulle a atteint sa limite et les valeurs chutent avec un risque réel d’effondrement. Si l’on ajoute à cela l’incertitude que la politique de Trump, représentant d’une finance qui n’est pas celle des fonds d’investissement, introduit dans un système que ces derniers avaient réussi à stabiliser avec l’aide des Démocrates, on comprend les craintes des “marchés”. Le capitalisme occidental a besoin d’une nouvelle bulle car il ne connaît rien d’autre que la reproduction de l'identique (la tentative trumpienne de reconstruire l’industrie manufacturière aux USA est vouée à un échec certain). 


L’identité parfaite de la “production” et de la destruction

L’Europe, qui dépense déjà 386 milliards d'Euros [UE : 326, RU : 60] en armements, soit 2,64 fois plus que ce que dépense la Russie [146 milliards] (l’OTAN représente 55 % des dépenses d’armement dans le monde, la Russie 5 %), a décidé d’un grand plan d’investissement de 800 milliards d’euros pour augmenter encore les dépenses militaires.

La guerre et l’Europe où sont encore actifs des réseaux politiques et économiques, des centres de pouvoir qui se réfèrent à la stratégie représentée par Biden, battue à la dernière élection présidentielle, sont l’occasion de construire une bulle basée sur l’armement pour compenser les difficultés croissantes des “marchés” usaméricains. Depuis décembre, les actions des entreprises d’armement ont déjà fait l’objet de spéculations, allant de hausse en hausse et jouant le rôle de valeur refuge pour les capitaux qui jugent la situation usaméricaine trop risquée. Au cœur de l’opération, les fonds d’investissement, qui sont aussi parmi les plus gros actionnaires des grandes entreprises d’armement. Ils détiennent des participations importantes dans Boeing, Lockheed Martin et RTX, dont ils influencent la gestion et les stratégies. En Europe, ils sont également présents dans le complexe militaro-industriel : Rheinmetall, une entreprise allemande qui produit les chars Leopard et dont le cours de l’action a augmenté de 100 % au cours des derniers mois, compte parmi ses principaux actionnaires Blackrock, la Société Générale, Vanguard, etc.. Plus grand fabricant de munitions d’Europe, Rheinmetall a dépassé le plus grand constructeur automobile du continent, Volkswagen, en termes de capitalisation, dernier signe en date de l’appétit croissant des investisseurs pour les valeurs liées à la défense.

L’Union européenne veut collecter et canaliser l’épargne continentale vers l’armement, avec des conséquences catastrophiques pour le prolétariat et une nouvelle division de l’Union. La course aux armements ne pourra pas fonctionner comme un « keynésianisme de guerre » parce que l’investissement dans les armes intervient dans une économie financiarisée et non plus industrielle. Construite avec de l’argent public, elle profitera à une petite minorité de particuliers, tout en aggravant les conditions de vie de la grande majorité de la population.

La bulle de l’armement ne pourra que produire les mêmes effets que la bulle de la haute technologie usaméricaine. Après 2008, les sommes d’argent capturées pour être investies dans la bulle high-tech n’ont jamais “ruisselé” vers le prolétariat usaméricain. Au contraire, elles ont produit une désindustrialisation croissante, des emplois déqualifiés et précaires, des bas salaires, une pauvreté endémique, la destruction du peu de welfare hérité du New Deal et la privatisation de tous les services qui s’en est suivie. C’est ce que la bulle financière européenne ne manquera pas de produire en Europe. La financiarisation conduira non seulement à la destruction complète de l’État-providence et à la privatisation définitive des services, mais aussi à la poursuite de la fragmentation politique de ce qui reste de l’Union européenne. Les dettes, contractées par chaque État séparément, devront être remboursées et il y aura d’énormes différences entre les États européens quant à leur capacité à honorer leurs dettes. 

Le vrai danger, ce ne sont pas les Russes, mais les Allemands avec leurs 500 milliards de réarmement et 500 autres milliards pour les infrastructures, des financements décisifs dans la construction de la bulle. La dernière fois qu’ils se sont réarmés, ils ont combiné des catastrophes mondiales (25 millions de morts dans la seule Russie soviétique, la solution finale, etc.), d’où la célèbre phrase de Maruriac : « J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux ». En attendant les développements ultérieurs du nationalisme et de l’extrême droite déjà à 21 % que le « Deutschland ist zurück » [L’Allemagne est retour] ne manquera pas de produire, l’Allemagne imposera aux autres pays européens son hégémonie impérialiste habituelle. Les Allemands ont rapidement abandonné le credo ordo-libéral qui n’avait pas de base économique, mais seulement politique, pour embrasser à pleine bouche la financiarisation anglo-usaméricaine, mais avec le même objectif, dominer et exploiter l’Europe. Le Financial Times parle d’une décision prise par Merz, l’homme de Blackrock, et Kukies, le ministre du Trésor venu de Goldman Sachs, avec l’aval des partis de “gauche” SPD et Die Linke, qui, comme leurs prédécesseurs en 1914, assument une fois de plus la responsabilité des carnages à venir.

Si le précédent impérialisme intérieur allemand était fondé sur l’austérité, le mercantilisme des exportations, le gel des salaires et la destruction de l’Etat-providence, celui-ci sera fondé sur la gestion d’une économie de guerre européenne hiérarchisée selon les différentiels de taux d’intérêt à payer pour rembourser la dette contractée.

Les pays déjà lourdement endettés (Italie, France, etc.) devront trouver qui achètera leurs obligations émises pour rembourser leur dette, dans un “marché” européen de plus en plus concurrentiel. Les investisseurs auront intérêt à acheter des obligations allemandes, des obligations émises par des entreprises d’armement sur lesquelles la spéculation à la hausse jouera, et des titres de la dette publique européenne, certainement plus sûrs et plus rentables que les obligations des pays surendettés. Le fameux “spread” jouera encore son rôle comme en 2011. Les milliards nécessaires pour payer les marchés ne seront pas disponibles pour l’État-providence. L’objectif stratégique de tous les gouvernements et oligarchies depuis cinquante ans, la destruction des dépenses sociales pour la reproduction du prolétariat et leur privatisation, sera atteint.

27 égoïsmes nationaux s’affronteront sans enjeu, parce que l’histoire, dont « nous sommes les seuls à savoir ce que c’est », nous a mis au pied du mur, devenus inutiles et insignifiants après des siècles de colonialisme, de guerres et de génocides. 

La course aux armements s’accompagne d’une justification martelée – « nous sommes en guerre » contre tous (Russie, Chine, Corée du Nord, Iran, BRICS) - qui ne peut être abandonnée et qui risque de se concrétiser parce que cette quantité délirante d’armes doit de toute façon « être consommée ».

La leçon de Rosa Luxemburg, Kalecki, Baran et Sweezy

Seuls les non-informés peuvent s’étonner de ce qui se passe. Tout est en fait en train de se répéter, mais dans le cadre d’un capitalisme financier et non plus industriel comme au XXe siècle.

La guerre et l’armement sont au cœur de l’économie et de la politique depuis que le capitalisme est devenu impérialiste. Ils sont aussi au cœur du processus de reproduction du capital et du prolétariat, en concurrence féroce l’un avec l’autre.  Reconstituons rapidement le cadre théorique fourni par Rosa Luxemburg, Kalecki, Baran et Sweezy, solidement ancré, contrairement aux inutiles théories critiques contemporaines, sur les catégories d’impérialisme, de monopole et de guerre, qui nous offre un miroir de la situation contemporaine.

Commençons par la crise de 1929, qui trouve son origine dans la Première Guerre mondiale et la tentative d’en sortir en activant les dépenses publiques par l’intervention de l’État. Selon Baran et Sweezy (ci-après B&S), l’inconvénient des dépenses publiques dans les années 1930 était leur volume, incapable de contrer les forces dépressives de l’économie privée. 

« Considéré comme une opération de sauvetage de l’économie américaine dans son ensemble, le New Deal a donc été un échec flagrant. Même Galbraith, le prophète de la prospérité sans engagements guerriers, a reconnu qu’au cours de la décennie 1930-1940, la “grande crise” n’a jamais pris fin ».

Ce n’est qu’avec la Seconde Guerre mondiale qu’elle a pris fin : « Puis vint la guerre, et avec la guerre vint le salut (...) les dépenses militaires ont fait ce que les dépenses sociales n’avaient pas réussi à faire », car les dépenses publiques sont passées de 17,5 milliards de dollars à 103,1 milliards de dollars.

B&S montrent que les dépenses publiques n’ont pas donné les mêmes résultats que les dépenses militaires parce qu’elles étaient limitées par un problème politique qui est toujours d’actualité. Pourquoi le New Deal et ses dépenses n’ont-ils pas atteint un objectif qui « était à portée de main, comme la guerre l’a prouvé par la suite » ? Parce que sur la nature et la composition des dépenses publiques, c’est-à-dire la reproduction du système et du prolétariat, la lutte des classes se déchaîne. 

« Compte tenu de la structure du pouvoir du capitalisme monopoliste usaméricain, l’augmentation des dépenses civiles avait presque atteint ses limites extrêmes. Les forces qui s’opposaient à une nouvelle expansion étaient trop puissantes pour être vaincues ». 

Les dépenses sociales ont concurrencé ou nui aux entreprises et aux oligarchies, les privant de leur pouvoir économique et politique. « Comme les intérêts privés contrôlent le pouvoir politique, les limites des dépenses publiques sont fixées de manière rigide, sans se soucier des besoins sociaux, aussi flagrants soient-ils ». Et ces limites s’appliquaient également aux dépenses, à la santé et à l’éducation, qui à l’époque, contrairement à aujourd’hui, n’étaient pas directement en concurrence avec les intérêts privés des oligarchies. 

La course aux armements permet d’augmenter les dépenses publiques de l’État, sans que cela se traduise par une augmentation des salaires et de la consommation du prolétariat. Comment l’argent public peut-il être dépensé pour éviter la dépression économique qu’entraîne le monopole, tout en évitant le renforcement du prolétariat ? « Par des armements, par plus d’armements, par de plus en plus d’armements ».

Michael Kalecki, travaillant sur la même période mais sur l’Allemagne nazie, parvient à élucider d’autres aspects du problème. Contre tout économisme, qui menace toujours la compréhension du capitalisme par des théories critiques même marxistes, il souligne la nature politique du cycle du capital :   « La discipline dans les usines et la stabilité politique sont plus importantes pour les capitalistes que les profits courants ».

Le cycle politique du capital, qui ne peut plus être garanti que par l’intervention de l’État, doit recourir aux dépenses d’armement et au fascisme. Pour Kalecki, le problème politique se manifeste également dans « l’orientation et les objectifs des dépenses publiques ». L’aversion pour la « subvention de la consommation de masse » est motivée par la destruction « du fondement de l’éthique capitaliste “tu gagneras ton pain à la sueur de ton front” (à moins que tu ne vives des revenus du capital) ».

Comment s’assurer que les dépenses de l’État ne se transforment pas en augmentation de l’emploi, de la consommation et des salaires, et donc en force politique du prolétariat ? L’inconvénient pour les oligarchies est surmonté avec le fascisme, car la machine d’État est alors sous le contrôle du grand capital et de la direction fasciste, avec « la concentration des dépenses de l’État sur l’armement », tandis que « la discipline d’usine et la stabilité politique sont assurées par la dissolution des syndicats et les camps de concentration. La pression politique remplace ici la pression économique du chômage ».

D’où l’immense succès des nazis auprès de la majorité des libéraux tant britanniques qu’usaméricains.

La guerre et les dépenses d’armement sont au cœur de la politique usaméricaine même après la fin de la Seconde Guerre mondiale, car une structure politique sans force armée, c’est-à-dire sans le monopole de son exercice, est inconcevable. Le volume de l’appareil militaire d’une nation dépend de sa position dans la hiérarchie mondiale de l’exploitation. « Les nations les plus importantes auront toujours les besoins les plus importants, et l’ampleur de leurs besoins (en forces armées) variera selon qu’une lutte acharnée pour la première place se déroulera ou non entre elles ». 

 Les dépenses militaires ont donc continué à croître dans le centre de l’impérialisme : « Bien entendu, la majeure partie de l’expansion des dépenses publiques a eu lieu dans le secteur militaire, qui est passé de moins de 1 % à plus de 10 % du PNB et qui a représenté environ deux tiers de l’augmentation totale des dépenses publiques depuis 1920. Cette absorption massive de l’excédent dans des préparatifs limités a été le fait central de l’histoire usaméricaine d’après-guerre » 

Kalecki souligne qu’en 1966, « plus de la moitié de la croissance du revenu national provient de la croissance des dépenses militaires ».

Or, après la guerre, le capitalisme ne pouvait plus compter sur le fascisme pour contrôler les dépenses sociales. L’économiste polonais, “élève” de Rosa Luxemburg, souligne : « L’une des fonctions fondamentales de l’hitlérisme a été de surmonter l’aversion du grand capital pour une politique anticonjoncturelle à grande échelle. La grande bourgeoisie avait donné son accord à l’abandon du laisser-faire et à l’accroissement radical du rôle de l’État dans l’économie nationale, à condition que l’appareil d’État soit sous le contrôle direct de son alliance avec la direction fasciste » et que la destination et le contenu des dépenses publiques soient déterminés par l’armement. Dans les Trente Glorieuses, sans que le fascisme n’assure l’orientation des dépenses publiques, les États et les capitalistes sont contraints au compromis politique. Les rapports de force déterminés par le siècle des révolutions obligent l’État et les capitalistes à faire des concessions qui sont de toute façon compatibles avec des profits atteignant des taux de croissance inconnus jusqu’alors. Mais même ce compromis est de trop car, malgré les profits importants, « les travailleurs deviennent alors “récalcitrants” et les “capitaines d’industrie” sont soucieux de leur “donner une leçon” ».

La contre-révolution, qui s’est développée à partir de la fin des années 1960, avait pour centre la destruction des dépenses sociales et la volonté farouche d’orienter les dépenses publiques vers les seuls et uniques intérêts des oligarchies. Le problème, depuis la République de Weimar, n’a jamais été une intervention générique de l’État dans l’économie, mais le fait que l’État avait été investi par la lutte des classes et avait été contraint de céder aux exigences des luttes ouvrières et prolétariennes.

Dans les temps “paisibles” de la guerre froide, sans l’aide du fascisme, l’explosion des dépenses militaires a besoin d’une légitimation, assurée par une propagande capable d’évoquer continuellement la menace d’une guerre imminente, d’un ennemi aux portes prêt à détruire les valeurs occidentales : « Les créateurs officieux et officiels de l’opinion publique ont la réponse toute prête : les USA doivent défendre le monde libre contre la menace d’une agression soviétique (ou chinoise)3.

Kalecki, pour la même période, précise : « Les journaux, le cinéma, les stations de radio et de télévision travaillant sous l’égide de la classe dirigeante créent une atmosphère qui favorise la militarisation de l’économie ».

Les dépenses d’armement n’ont pas seulement une fonction économique, mais aussi une fonction de production de subjectivités assujetties. En exaltant la subordination et le commandement, la guerre « contribue à la création d’une mentalité conservatrice ».

« Alors que les dépenses publiques massives en faveur de l’éducation et de la protection sociale tendent à saper la position privilégiée de l’oligarchie, les dépenses militaires font le contraire. La militarisation favorise toutes les forces réactionnaires, (...) un respect aveugle de l’autorité est déterminé ; une conduite de conformité et de soumission est enseignée et imposée ; et l’opinion contraire est considérée comme antipatriotique, voire comme une trahison ».

Le capitalisme produit un capitaliste qui, précisément en raison de la forme politique de son cycle, est un semeur de mort et de destruction, plutôt qu’un promoteur de progrès. Richard B. Russell, sénateur conservateur du Sud des USA dans les années 1960, cité par B&S, nous le dit : « Il y a quelque chose dans les préparatifs de destruction qui incite les hommes à dépenser l’argent plus inconsidérément que s’il était destiné à des fins constructives. Je ne sais pas pourquoi cela se produit, mais depuis une trentaine d’années que je siège au Sénat, je me suis rendu compte qu’en achetant des armes pour tuer, détruire, rayer des villes de la surface de la terre et éliminer de grands systèmes de transport, il y a quelque chose qui fait que les hommes ne calculent pas les dépenses aussi soigneusement qu’ils le font lorsqu’il s’agit de penser à un logement décent et à des soins de santé pour les êtres humains ».

La reproduction du capital et du prolétariat s’est politisée à travers les révolutions du XXe siècle. La lutte des classes a également engendré une opposition radicale entre la reproduction de la vie et la reproduction de sa destruction, qui n’a fait que s’approfondir depuis les années 1930.


Comment fonctionne le capitalisme 

La guerre et l’armement, pratiquement exclus de toutes les théories critiques du capitalisme, fonctionnent comme des discriminants dans l’analyse du capital et de l’État.

Il est très difficile de définir le capitalisme comme un “mode de production”, comme l’a fait Marx, parce que l’économie, la guerre, la politique, l’État, la technologie sont des éléments étroitement liés et inséparables. La “critique de l’économie” ne suffit pas à produire une théorie révolutionnaire. Dès l’avènement de l’impérialisme, un changement radical dans le fonctionnement du capitalisme et de l’Etat s’est produit, mis en évidence par Rosa Luxemburg pour qui l’accumulation a deux aspects. Le premier « concerne la production de la plus-value - dans l’usine, dans la mine, dans l’exploitation agricole - et la circulation des marchandises sur le marché. Vue sous cet angle, l’accumulation est un processus économique dont la phase la plus importante est une transaction entre le capitaliste et le salarié ». Le second aspect a pour théâtre le monde entier, une dimension mondiale irréductible au concept de “marché” et à ses lois économiques. « Ici, les méthodes employées sont la politique coloniale, le système des prêts internationaux, la politique des sphères d’intérêt, la guerre. La violence, la tromperie, l’oppression, la prédation se développent ouvertement, sans masque, et il est difficile de reconnaître les lois strictes du processus économique dans l’enchevêtrement de la violence économique et de la brutalité politique ».

La guerre n’est pas une continuation de la politique mais a toujours coexisté avec elle, comme le montre le fonctionnement du marché mondial. Ici, où la guerre, la fraude et la prédation coexistent avec l’économie, la loi de la valeur n’a jamais vraiment fonctionné. Le marché mondial est très différent de celui esquissé par Marx. Ses considérations semblent ne plus s’appliquer, ou plutôt doivent être précisées : ce n’est que dans le marché mondial que l’argent et le travail deviendraient adéquats à leur concept, faisant fructifier leur abstraction et leur universalité. Au contraire, on constate que la monnaie, forme la plus abstraite et la plus universelle du capital, est toujours la monnaie d’un État. Le dollar est la monnaie des USA et ne règne qu’en tant que tel. L’abstraction de la monnaie et son universalité (et ses automatismes) sont appropriées par une “force subjective” et sont gérées selon une stratégie qui n’est pas contenue dans la monnaie.  

Même la finance, comme la technologie, semble être l’objet d’une appropriation par des forces subjectives “nationales”, très peu universelles.  Sur le marché mondial, même le travail abstrait ne triomphe pas en tant que tel, mais rencontre d’autres formes radicalement différentes de travail (travail servile, travail d’esclave, etc.) et fait l’objet de stratégies.

L’action de Trump, ayant fait tomber le voile hypocrite du capitalisme démocratique, nous révèle le secret de l’économie : elle ne peut fonctionner qu’à partir d’une division internationale de la production et de la reproduction définie et imposée politiquement, c’est-à-dire par l’usage de la force, ce qui implique aussi la guerre. 

La volonté d’exploiter et de dominer, en gérant simultanément les relations politiques, économiques et militaires, construit une totalité qui ne peut jamais se refermer sur elle-même, mais qui reste toujours ouverte, scindée par les conflits, les guerres, les prédations. Dans cette totalité éclatée, tous les rapports de force convergent et se gouvernent eux-mêmes. Trump intervient sur l’usage des mots, mais aussi sur les théories du genre, en même temps qu’il voudrait imposer un nouveau positionnement mondial, à la fois politique et économique, des USA. Du micro au macro, une action politique à laquelle les mouvements contemporains sont loin de ne serait-ce que de penser.

La construction de la bulle financière, processus que l’on peut suivre pas à pas, se déroule de la même manière. Les acteurs impliqués dans sa production sont nombreux : l’Union européenne, les États qui doivent s’endetter, la Banque européenne d’investissement, les partis politiques, les médias et l’opinion publique, les grands fonds d’investissement (tous usaméricains) qui organisent le transport des capitaux d’une bourse à l’autre, les grandes entreprises. Ce n’est qu’après le verdict de l’affrontement/coopération entre ces centres de pouvoir que la bulle économique et ses automatismes pourront fonctionner. Il y a toute une idéologie de l’automatisme à déboulonner. Le “pilote automatique”, surtout au niveau financier, n’existe et ne fonctionne qu’après avoir été politiquement mis en place. Il n’a pas existé dans les années 1930 parce qu’il a été décidé politiquement, il fonctionne depuis la fin des années 1970, par une volonté politique explicite.

Cette multiplicité d’acteurs qui s’agitent depuis des mois est soudée par une stratégie. Il y a donc un élément subjectif qui intervient de manière fondamentale. En fait, il y en a deux. Du point de vue capitaliste, il y a une lutte féroce entre le “facteur subjectif” Trump et le “facteur subjectif” des élites qui ont été battues à l’élection présidentielle, mais qui ont encore de fortes présences dans les centres de pouvoir aux USA et en Europe. 

Mais pour que le capitalisme fonctionne, il faut aussi tenir compte d’un facteur prolétarien subjectif. Il joue un rôle décisif car soit il deviendra le porteur passif du nouveau processus de production/reproduction du capital, soit il tendra à le rejeter et à le détruire. Compte tenu de l’incapacité du prolétariat contemporain, le plus faible, le plus désorienté, le moins autonome et indépendant de l’histoire du capitalisme, la première option semble la plus probable. Mais s’il ne parvient pas à opposer sa propre stratégie aux innovations stratégiques permanentes de l’ennemi, capables de se renouveler sans cesse, nous tomberons dans une asymétrie des rapports de force qui nous ramènera au temps d’avant la Révolution française, dans un “ancien régime” nouveau/ déjà vu. [et vive le technoféodalisme !, NdT]

Lire du même auteur
Guerre ou révolution : pourquoi la paix n’est pas une alternative

06/09/2024

JEFFREY SACHS
Comment les néoconservateurs de Washington ont subverti la stabilisation financière de la Russie au début des années 1990
Aux premières loges de la guerre froide qui n’a jamais pris fin

Jeffrey Sachs, Dropsite News, 4/9/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Partisan résolu – et quelque peu ingénu – d’un capitalisme à visage humain (= keynésien) et d’un « Plan Marshall » pour l’URSS en fin de vie, Jeffrey Sachs raconte ci-dessous son aventure entre Washington, Varsovie et Moscou au début des années 1990, où il eut affaire aux redoutables néocons aux dents longues et aux griffes acérées. Un pan mal connu de l’histoire de la fin du XXème Siècle, dont on vit et subit les conséquences aujourd’hui à l’échelle planétaire.-FG

À la fin des années 1980, le président Mikhaïl Gorbatchev a donné une chance à la paix mondiale en mettant unilatéralement fin à la guerre froide. J'ai été un participant et un témoin de haut niveau de ces événements, d'abord en 1989 en tant que conseiller principal en Pologne, puis à partir de 1990 en Union soviétique, en Russie, en Estonie, en Slovénie, en Ukraine et dans plusieurs autres pays. Si les USA et la Russie se livrent aujourd'hui à une guerre chaude en Ukraine, c'est en partie parce que les USA n'ont pas pu accepter un « oui » comme réponse au début des années 1990. La paix n'était pas suffisante pour les USA ; le gouvernement usaméricain a choisi d'affirmer également sa domination mondiale, ce qui nous amène aux terribles dangers d'aujourd'hui. L'incapacité des USA, et plus généralement de l'Occident, à aider l'Union soviétique puis la Russie sur le plan économique au début des années 1990 a marqué les premières étapes de la quête malavisée de domination des USA

Winston Churchill a écrit : « À la guerre, la résolution ; à la défaite, la défiance ; à la victoire, la magnanimité ; et à la paix, la bonne volonté ». Les USA n'ont fait preuve ni de magnanimité ni de bonne volonté dans les derniers jours de l'Union soviétique et de la guerre froide. Ils ont fait preuve d'insolence et de puissance, jusqu'à aujourd'hui. Dans le domaine économique, ils l'ont fait au début des années 1990 en négligeant la crise financière urgente et à court terme à laquelle étaient confrontées l'Union soviétique de Gorbatchev (jusqu'à sa disparition en décembre 1991) et la Russie d'Eltsine. Il en est résulté une instabilité et une corruption profondes en Russie au début des années 1990, qui ont engendré un profond ressentiment à l'égard de l'Occident. Cependant, même cette grave erreur de la politique occidentale n'a pas été déterminante dans le déclenchement de la guerre chaude actuelle. À partir du milieu des années 1990, les USA ont tenté sans relâche d'étendre leur domination militaire sur l'Eurasie, dans une série d'actions qui ont finalement conduit à l'explosion d'une guerre à grande échelle en Ukraine, ce qui a eu encore plus de conséquences.

Mon orientation en tant que conseiller économique

Lorsque je suis devenu conseiller économique de la Pologne, puis de la Russie, j'avais trois convictions fondamentales, fondées sur mes études et mon expérience en tant que conseiller économique.

Ma première conviction fondamentale s'appuyait sur les idées d'économie politique de John Maynard Keynes, le plus grand économiste politique du XXe Siècle. Au début des années 1980, j'ai lu son livre éblouissant Les conséquences économiques de la paix (1919), qui est la critique dévastatrice et prémonitoire de Keynes de la dure paix du traité de Versailles après la Première Guerre mondiale. Keynes s'est insurgé contre l'imposition de réparations à l'Allemagne, qu'il considèrait comme un affront à la justice économique, un fardeau pour les économies européennes et le germe d'un futur conflit en Europe. Keynes a écrit à propos du fardeau des réparations et de l'exécution des dettes de guerre :

« Si nous visons délibérément à l'appauvrissement de l'Europe centrale, la revanche, nous pouvons le prédire, ne se fera pas attendre. Rien alors ne pourra retarder, entre les forces de réaction et les convulsions désespérées de la Révolution, la lutte finale devant laquelle s'effaceront les horreurs de la dernière guerre et qui détruira , quel que soit le vainqueur, la civilisation ne devons-nous pas rechercher quelque chose de mieux, penser que la prospérité et le bonheur d'un État créent le bonheur et la prospérité des autres ,que la solidarité des hommes n'est pas une fiction et que les nations doivent toujours traiter les autres nations comme leurs semblables? »

Keynes a bien sûr eu raison. La paix carthaginoise imposée par le traité de Versailles est revenue hanter l'Europe et le monde une génération plus tard. La leçon que j'ai tirée des années 1980 était le dicton de Churchill sur la magnanimité et la bonne volonté, ou l'avertissement de Keynes de traiter les autres nations comme des « congénères ». À l'instar de Keynes, je pense que les pays riches, puissants et victorieux ont la sagesse et l'obligation d'aider les pays pauvres, faibles et vaincus. C'est la voie de la paix et de la prospérité mutuelle. C'est pourquoi j'ai longtemps défendu l'allègement de la dette des pays les plus pauvres et j'ai fait de l'annulation de la dette une caractéristique des politiques visant à mettre fin à l'hyperinflation en Bolivie au milieu des années 1980, à l'instabilité en Pologne à la fin des années 1980 et à la grave crise économique en Union soviétique et en Russie au début des années 1990.

Ma deuxième conviction fondamentale était celle d'un social-démocrate. Pendant longtemps, j'ai été qualifié à tort de néolibéral par les médias grand public paresseux et les experts non avertis en économie, parce que je croyais que la Pologne, la Russie et les autres pays postcommunistes de la région devaient permettre aux marchés de fonctionner, et qu'ils devaient le faire rapidement pour surmonter les marchés noirs face à l'effondrement de la planification centrale. Pourtant, dès le début, j'ai toujours cru en une économie mixte selon les principes sociaux-démocrates, et non en une économie de libre marché « néolibérale ». Dans une interview accordée au New Yorker en 1989, je m'exprimais ainsi :

« Je ne suis pas particulièrement fan de la version du libre marché de Milton Friedman, de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan. Aux USA, je serais considéré comme un démocrate libéral, et le pays que j'admire le plus est la Suède. Mais que l'on essaie de créer une Suède ou une Angleterre thatchérienne, en partant de la Pologne, on va exactement dans la même direction. En effet, la Suède, l'Angleterre et les USA possèdent certaines caractéristiques fondamentales qui n'ont rien à voir avec la situation actuelle de la Pologne. Il s'agit d'économies privées, où le secteur privé représente la plus grande partie de l'économie. Il existe un système financier libre : des banques, des organisations financières indépendantes, une reconnaissance stricte de la propriété privée, des sociétés anonymes, une bourse, une monnaie forte convertible à un taux unifié. Toutes ces caractéristiques sont les mêmes, qu'il s'agisse de crèches gratuites ou de crèches privées. La Pologne part de l'extrême opposé ».

En termes pratiques, les réformes de type social-démocrate signifiaient ce qui suit. Premièrement, la stabilisation financière (mettre fin à une forte inflation, stabiliser la monnaie) doit être effectuée rapidement, selon les principes expliqués dans l'article très influent de 1982 « The Ends of Four Big Inflations » du futur lauréat du prix Nobel Thomas Sargent. Deuxièmement, le gouvernement doit rester important et actif, en particulier dans les services publics (santé, éducation), les infrastructures publiques et la protection sociale. Troisièmement, la privatisation doit être prudente, circonspecte et fondée sur la loi, afin d'éviter la corruption à grande échelle. Bien que les médias grand public m'aient souvent associé à tort à l'idée d'une « privatisation de masse » rapide par le biais de cadeaux et de bons d'achat, la privatisation de masse et la corruption qui l'accompagne sont tout le contraire de ce que j'ai réellement recommandé. Dans le cas de la Russie, comme décrit ci-dessous, je n'avais aucune responsabilité consultative concernant le programme de privatisation de la Russie.

Ma troisième conviction fondamentale était l'aspect pratique. Il faut apporter une aide réelle, pas une aide théorique. J'ai préconisé une aide financière urgente pour la Pologne, l'Union soviétique, la Russie et l'Ukraine. Le gouvernement usaméricain a tenu compte de mes conseils dans le cas de la Pologne, mais les a fermement rejetés dans le cas de l'Union soviétique de Gorbatchev et de la Russie d'Eltsine. À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi. Après tout, mes conseils avaient fonctionné en Pologne. Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai mieux compris qu'alors que je discutais du « bon » type d'économie, mes interlocuteurs au sein du gouvernement usaméricain étaient les premiers néoconservateurs. Ils ne cherchaient pas à redresser l'économie russe. Ils voulaient l'hégémonie des USA.

Premières réformes en Pologne

En 1989, j’ai été conseiller du premier gouvernement post-communiste de Pologne et j’ai contribué à l’élaboration d’une stratégie de stabilisation financière et de transformation économique. Mes recommandations en 1989 préconisaient un soutien financier occidental à grande échelle à l’économie polonaise afin d’empêcher une inflation galopante, de permettre la convertibilité de la monnaie polonaise à un taux de change stable et d’ouvrir le commerce et les investissements avec les pays de la Communauté européenne (aujourd’hui l’Union européenne). Ces recommandations ont été prises en compte par le gouvernement usaméricain, le G7 et le Fonds monétaire international.

Sur la base de mes conseils, un fonds de stabilisation du zloty d’un milliard de dollars a été créé pour soutenir la nouvelle monnaie convertible de la Pologne. La Pologne s’est vu accorder un moratoire sur le service de la dette de l’ère soviétique, puis une annulation partielle de cette dette. La communauté internationale officielle a accordé à la Pologne une aide au développement significative sous forme de subventions et de prêts.

Les résultats économiques et sociaux obtenus par la suite par la Pologne parlent d’eux-mêmes. Bien que l’économie polonaise ait connu une décennie d’effondrement dans les années 1980, la Pologne a entamé une période de croissance économique rapide au début des années 1990. La monnaie est restée stable et l’inflation faible. En 1990, le PIB par habitant de la Pologne (mesuré en termes de pouvoir d’achat) représentait 33 % de celui de l’Allemagne voisine. En 2024, il atteignait 68 % du PIB par habitant de l’Allemagne, après des décennies de croissance économique rapide.

La recherche dun Grand Marchandage pour lUnion soviétique

 Sur la base de la réussite économique de la Pologne, j’ai été contacté en 1990 par Grigori Iavlinski, conseiller économique du président Mikhail Gorbatchev, pour offrir des conseils similaires à l’Union soviétique, et en particulier pour aider à mobiliser un soutien financier pour la stabilisation économique et la transformation de l’Union soviétique. L’un des résultats de ce travail a été un projet entrepris en 1991 à la Harvard Kennedy School avec les professeurs Graham Allison, Stanley Fisher et Robert Blackwill. Nous avons proposé conjointement un « Grand Bargain » [Grand marchandage] aux USA, au G7 et à l’Union soviétique, dans lequel nous avons préconisé un soutien financier à grande échelle de la part des USA et des pays du G7 pour les réformes économiques et politiques en cours de Gorbatchev. Le rapport a été publié sous le titre Window of Opportunity : The Grand Bargain for Democracy in the Soviet Union (1er  octobre 1991).

                                                                    Etta Hulme, 1987

La proposition d’un soutien occidental à grande échelle à l’Union soviétique a été catégoriquement rejetée par les guerriers froids de la Maison Blanche. Gorbatchev s’est rendu au sommet du G7 à Londres en juillet 1991 pour demander une aide financière, mais il est reparti les mains vides. À son retour à Moscou, il est kidnappé lors de la tentative de coup d’État d’août 1991. Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, prend alors la direction effective de l’Union soviétique en crise. En décembre, sous le poids des décisions prises par la Russie et d’autres républiques soviétiques, l’Union soviétique a été dissoute avec l’émergence de 15 nations nouvellement indépendantes.

13/07/2024

JEFFREY SACHS
La déclaration de l’OTAN et la stratégie mortelle des néoconservateurs

Jeffrey D. Sachs, Common Dreams, 13/7/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Pour le bien de la sécurité des USA et de la paix mondiale, les USA devraient immédiatement abandonner la quête néoconservatrice d’hégémonie en faveur de la diplomatie et de la coexistence pacifique.

Carlos Latuff, Global Times (Chine)

 

En 1992, l’exceptionnalisme de la politique étrangère usaméricaine s’est emballé. Les USA se sont toujours considérés comme une nation exceptionnelle destinée à jouer un rôle de premier plan, et la disparition de l’Union soviétique en décembre 1991 a convaincu un groupe d’idéologues convaincus - connus sous le nom de néoconservateurs - que les USA devaient désormais régner sur le monde en tant que superpuissance unique et incontestée. Malgré les innombrables désastres de politique étrangère provoqués par les néoconservateurs, la déclaration de l’OTAN de 2024 continue de promouvoir l’agenda néoconservateur, rapprochant le monde d’une guerre nucléaire.

 

Les néoconservateurs étaient à l’origine dirigés par Richard Cheney, secrétaire à la défense en 1992. Tous les présidents depuis lors - Clinton, Bush, Obama, Trump et Biden - ont poursuivi le programme néoconservateur d’hégémonie usaméricaine, entraînant les USA dans des guerres choisies perpétuelles, notamment en Serbie, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye et en Ukraine, ainsi que dans l’expansion incessante de l’OTAN vers l’est, malgré la promesse claire faite en 1990 par les USA et l’Allemagne au président soviétique Mikhaïl Gorbatchev que l’OTAN ne bougerait pas d’un pouce vers l’est.


15/06/2024

FRANCO “BIFO” BERARDI
Désertez

Franco “Bifo” Berardi, il disertore, 15/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il semble que 32 % des Européens (UE) seraient prêts à tuer et à mourir pour défendre les frontières. C’est ce que dit un sondage publié par Gallup, mais je n’y crois pas.

« Le prix d'une tyrannie non contestée est le sang des jeunes et des braves »,  a déclaré Genocide-Joe Biden lors de la commémoration du Jour J, où les Russes manquaient à l’appel, peut-être un oubli du fait que l’Union soviétique a payé le prix de vingt-cinq millions de morts pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans son spot électoral, Ursula von den Leyden a déclaré que l’ennemi nous attaquait de l’intérieur et de l’extérieur et que, par conséquent, « NOUS SOMMES DANS UNE ÉPOQUE DE RÉARMEMENT ».

Mais selon un sondage d’opinion de Gallup International, seuls 32 % des Européens des pays membres de l’UE seraient prêts à se battre en cas de guerre.

Seulement ?

Il me semble que 32%, c’est beaucoup. Trop. Un sur trois est-il vraiment prêt à aller tuer et peut-être même mourir pour défendre les frontières et les valeurs d’une civilisation qui confisque ce que les générations passées ont gagné par des luttes sociales, qui a détruit l’environnement de la planète pour le profit d’une petite minorité ?

Est-ce qu’une personne sur trois est vraiment prête à voir son existence ruinée pour défendre... pour défendre quoi ?

La démocratie ? La démocratie qui a créé les conditions du réarmement et de la guerre atomique ?

Je ne le crois pas.

Écoutez

NdT

« Ô vous, les boutefeux
Ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu
Laissez vivre les autres
La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas
. »

Georges Brassens, Mourir pour des idées

 

 

 

31/03/2024

Pourquoi un occupant ne peut jamais gagner contre un peuple
Quand Moshe Dayan enquêtait dans les jungles du Viêt Nam

En juillet-août 1966, Moshe Dayan, le futur héros de la Guerre des Six-Jours, se rend au Viêt Nam, pour effectuer une “observation participante” de la guerre menée par l’armée US. Il en tire des conclusions logiques : les USA ne pourront jamais la gagner. L’histoire lui donnera raison. Netanyahou, Yoav Gallant en consorts feraient bien de lire ou de relire le journal du Vietnam de l’homme qui, avec un seul œil, y voyait très clair. Ci-après deux articles racontant ce “reportage” très spécial, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala
Lire aussi sur le même thème
La guerre contre Gaza vue du Vietnam. De la fraternité d’armes à la fascination pour la “nation start-up” israélienne

Moshe Dayan tire la sonnette d’alarme au Viêt Nam

Marc Leepson, Historynet, 15/9/2011

Lors d’une tournée au Viêt Nam en 1966, le légendaire chef militaire israélien est parvenu à des conclusions étonnantes sur la stratégie de guerre des USA.

Le maréchal britannique Bernard Montgomery a même déclaré à Dayan que les USAméricains avaient mis en œuvre une stratégie erronée et “insensée”

Le 12 juillet 1966, au stade Busch de St. Louis, la Ligue nationale l’emporte sur la Ligue américaine, 2 à 1, en 10 manches, lors du 37e match des étoiles de la Ligue majeure de baseball. Nancy Sinatra, séduisante dans un pull moulant, fait la couverture du numéro du 12 juillet 1966 du magazine Look. Doris Day fait un tabac au box-office avec son film The Glass Bottom Boat (Le Bateau à fond de verre). Au Viêt Nam, le grand déploiement usaméricain est en cours ; quelque 276 000 soldats US sont sur le terrain.

Ce soir-là, le président Lyndon Johnson prononce un discours télévisé national sur la politique étrangère des USA en Asie - un discours dans lequel LBJ a des mots très durs pour les communistes vietnamiens.

« Tant que les dirigeants du Nord-Vietnam croiront vraiment qu’ils peuvent prendre le contrôle du peuple du Sud-Vietnam par la force, nous ne devons pas les laisser réussir », a déclaré LBJ. Les USA, a-t-il ajouté, « mènent une guerre de détermination » au Viêt Nam. « Cela peut durer longtemps. Mais nous devons continuer jusqu’à ce que les communistes du Nord-Vietnam réalisent que le prix de l’agression est trop élevé et qu’ils acceptent un règlement pacifique ou qu’ils cessent de se battre. Quel que soit le temps que cela prendra ».
Le 12 juillet 1966 également, l’ancien chef d’état-major des forces de défense israéliennes, Moshe Dayan, le flamboyant et controversé général combattant qui avait mené l’assaut victorieux dans la péninsule du Sinaï lors de la guerre de 1956 contre l’Égypte, a pris un avion commercial à Londres pour se rendre au Sud-Vietnam. Âgé de 51 ans, Dayan avait démissionné de son poste militaire en 1958, s’était lancé dans la politique l’année suivante et avait occupé pendant cinq ans le poste de ministre de l’Agriculture de son pays. Il vient de publier en 1965 son
Journal de la campagne du Sinaï, il est député au Parlement israélien (la Knesset) et un simple citoyen désireux d’aller là où se passe l’action.

Moshe Dayan était habitué à l’action. Né en 1915 dans le premier kibboutz de ce qui était alors la Palestine, il a rejoint l’organisation paramilitaire Haganah à l’âge de 14 ans pour aider à protéger les colonies juives des attaques arabes. Pendant la révolte arabe de 1936-1939, Dayan fait partie d’une équipe d’embuscade et de patrouille travaillant pour les Britanniques. Cette force d’opérations spéciales d’élite, les Special Night Squads, a été sélectionnée et entraînée personnellement par le légendaire Orde C. Wingate, qui a plus tard commandé les Chindits pendant la Seconde Guerre mondiale en Birmanie.

En 1941, Dayan sert d’éclaireur de la Haganah pour les Britanniques et participe à l’invasion du Liban et de la Syrie tenus par Vichy. Au cours de cette campagne, le 7 juin 1941, alors qu’il fait une pause de reconnaissance en s’occupant d’une mitrailleuse sur le toit d’un poste de police capturé dans une petite ville libanaise, une balle tirée par un tireur d’élite français déchire ses jumelles. Le verre brise l’œil gauche de Dayan et lui laisse le cache-œil distinctif qu’il portera jusqu’à la fin de sa vie.

Lorsque les armées arabes entrent en Israël en 1948, Dayan est membre de l’état-major de la Haganah et travaille dans les services de renseignements sur les Arabes. Pendant la guerre d’indépendance israélienne qui s’ensuit, il combat les Syriens en Galilée, dirige un bataillon de commandos lors de raids contre Lod et Ramallah, et commande le front de Jérusalem. Dayan devient chef d’état-major des forces armées israéliennes en 1953. À ce poste, il élabore et exécute le plan d’invasion du Sinaï en 1956.

Dix ans plus tard, Dayan est impatient de participer à une nouvelle guerre. Cela faisait « dix ans que je n’avais pas participé à une bataille, dix ans que je ne m’étais pas trouvé à l’extrémité opposée d’un char, d’un canon de campagne et d’un avion d’attaque ennemis, et à l’extrémité opposée des nôtres », écrit Dayan dans ses mémoires, qui ont été publiées aux USA en 1976. « Je voulais voir par moi-même, sur place, à quoi ressemblait la guerre moderne, comment les nouvelles armes étaient maniées, comment elles se comportaient dans l’action, si elles pouvaient être adoptées pour notre propre usage ».

Dayan, qui allait asseoir sa réputation militaire en menant Israël à la victoire lors de la guerre des Six Jours en 1967, a choisi de se rendre au Viêt Nam en 1966, dit-il, parce que c’était « le meilleur, et le seul, “laboratoire” militaire de l’époque ». Dayan, qui jouit d’un bon réseau de relations, met au point un plan visant à rédiger une série d’articles de presse pour trois publications : Maariv, le principal journal israélien, le Sunday Telegraph de Londres et le Washington Post.

« Les articles traiteront de mes observations sur la situation politique dans ce pays », a déclaré Dayan aux journalistes alors qu’il quittait Londres. « Je suis également très intéressé par les combats. J’espère être affecté à une unité militaire américaine ».

Il s’est avéré que Dayan écrivait davantage sur la stratégie et la tactique militaires que sur la situation politique. Il se sentait d’autant plus à l’aise dans ce domaine qu’il avait passé la quasi-totalité de sa carrière en uniforme à se battre pour son pays. Mais Dayan, qui était également impliqué dans la politique israélienne au plus haut niveau, n’a pas ignoré la situation politique au Viêt Nam. Au cours des cinq semaines qu’il a passées dans le pays, Dayan a passé du temps sur le terrain avec plus d’une unité militaire usaméricaine et s’est plongé avec enthousiasme dans les entrailles de la guerre du Viêt Nam, comme peu de dignitaires en visite l’avaient fait ou le feraient un jour.

13/03/2024

JOE PIETTE
L’acte d’Aaron Bushnell réveille les souvenirs de la résistance de masse dans l’armée usaméricaine

Joe Piette, Workers World, 12/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’auteur, un ancien combattant contre la guerre du Vietnam, a pris la parole lors d’une veillée organisée le 3 mars à Philadelphie à la suite du sacrifice d’Aaron Bushnell, membre de l’armée de l’air en service actif, quelques jours plus tôt. Cet article est basé sur son intervention.

L’ancien combattant Joe Piette prend la parole à Clark Park, Philadelphie, lors de la veillée pour Aaron Bushnell, le 3 mars 2024. Photo : Samantha Rise

Aaron Bushnell était membre de l’armée de l’air usaméricaine. C’était mon cas il y a plus de 50 ans. J’ai été appelé sous les drapeaux en 1966 et finalement envoyé au Viêt Nam pour aider les impérialistes usaméricains à gagner de l’argent grâce à la mort de millions de personnes en Asie du Sud-Est.

Aaron Bushnell, plutôt que de participer au génocide usaméricano-israélien à Gaza, a pris la décision extrême de s’immoler dimanche dernier, le 25 février, à 13 heures, devant l’ambassade à Washington, D.C., du projet colonial US/britannique en Palestine.

Bushnell était l’un des rares membres de l’armée usaméricaine de la dernière décennie qui, à ma connaissance, ont publiquement mené un acte d’opposition à une guerre impérialiste usaméricaine. En tant qu’individu isolé profondément opposé à ce qu’on lui disait de faire, Bushnell a fait ce qu’il pensait devoir faire pour s’opposer à la guerre génocidaire usaméricano-israélienne à Gaza.

Nous espérons que son acte persuadera d’autres personnes de le suivre, non pas pour s’immoler, mais pour rejeter le statu quo et trouver des moyens puissants de s’opposer aux guerres de terreur impérialistes des USA.

La situation était différente lorsque j’étais dans l’armée de l’air. À la fin des années 1960, à une époque où les USA incorporaient encore des appelés dans les forces armées, une majorité de militaires en service actif étaient opposés à la guerre usaméricaine au Viêt Nam et ils ont agi de diverses manières pour y mettre un terme.

Certains sont passés du côté vietnamien. D’autres ont déserté en Europe ou au Canada. Beaucoup ont rejoint des groupes de GI opposés à la guerre, comme l’American Servicemen’s Union, qui comptait à elle seule des dizaines de milliers de membres. Beaucoup ont tout simplement refusé de se battre, et si un officier était assez stupide pour menacer quelqu’un pour son refus de se battre, il risquait de se faire “fragmenter. Le fait qu’un officier ou un sous-officier soit “fragmenté” signifie qu’il a été tué ou blessé lorsqu’un GI a lancé une grenade à fragmentation dans sa tente pendant qu’il dormait. Entre 1969 et 1972, le Pentagone a enregistré près de 1 000 actes de “fragmentation”.

Lisez le livre de John Catalinotto Turn the Guns Aroundou regardez le film de David Zeiger Sir! No Sir!” si vous voulez en savoir plus sur l’opposition au sein de l’armée.


 
Les Vietnamiens ont gagné en 1975

Le Pentagone a réagi à la menace d’effondrement de sa chaîne de commandement au Viêt Nam et à la résistance croissante aux USA en retirant ses troupes du maximum de 550 000 hommes prévu en 1969 et en confiant les combats à une armée fantoche composée de recrues vietnamiennes. C’est ce qu’on a appelé la “vietnamisation” de la guerre. Au début de 1973, le gouvernement usaméricain a mis fin à l’appel sous les drapeaux.

L’armée fantoche s’est effondrée en 1975 et le peuple vietnamien a gagné la guerre contre les impérialistes usaméricains cette année-là lors de la libération de Saigon. Oui, applaudissez !

Après cette défaite, le département de la guerre des USA, connu sous le nom de Pentagone, a remplacé l’appel sous les drapeaux par des forces armées composées uniquement d’engagés.

Comment les USA peuvent-ils mener leurs guerres et occupations constantes dans le monde entier, dans plus de 750 bases militaires réparties dans plus de 80 pays, avec des forces armées composées de volontaires ?

Externalisation de la guerre

Il y a un appel d’air économique, ce qui explique pourquoi Aaron Bushnell s’est engagé dans l’armée de l’air. En outre, de nombreuses tâches et compétences militaires sont désormais confiées à des entrepreneurs privés et non plus à des militaires. Outre les quelque 1,4 million de militaires en service actif et les 813 000 réservistes, il y a 762 000 employés civils fédéraux équivalents à temps plein et environ 600 000 sous-traitants à temps plein. Cela fait un total de près de 4 millions de personnes, toutes sous la direction du ministère de la guerre, pour un coût de près de 1 000 milliards de dollars - plus de 1 000 si l’on compte les coûts des guerres passées, les intérêts et l’aide militaire à l’étranger.

Mais je veux parler de la manière dont les troupes usaméricaines sont motivées pour tuer des gens.

Tuer un autre être humain n’est pas naturel. Ce n’est tout simplement pas normal. Tuer quelqu’un vous perturbe l’esprit - c’est pourquoi cela conduit souvent au syndrome de stress post-traumatique (SSPT) - une affection courante chez les anciens combattants - et à de nombreuses dépendances et suicides.

Les généraux et les politiciens capitalistes se fichent éperdument de la souffrance des GI. Tout ce qui les intéresse, c’est de disposer de forces armées efficaces et agressives, capables de vaincre et d’occuper tout pays refusant d’être exploité pour les profits des grandes entreprises.

Le Pentagone s’appuie sur le racisme, le sexisme, le classisme et d’autres pratiques discriminatoires pour créer un contraste entre nous, les GI des USA, et eux (le peuple du pays ciblé) afin d’amener ses troupes à obéir aux ordres de tuer. Une forte propagande, des instructions constamment répétées et d’autres méthodes d’entraînement visant à manipuler l’esprit créent des soldats prêts à suivre les ordres et à tuer.

Cet endoctrinement vise à créer la réaction suivante : « Dites-moi qui est l’ennemi, et je me lancerai à sa poursuite avec toutes les armes que vous me fournirez ». Mais l’endoctrinement n’a qu’une portée limitée. C’est ce que les généraux ont appris au Viêt Nam qui les a persuadés de passer à une armée professionnelle.

Corps armés d’oppresseurs

L’esprit de corps est très important pour les chefs d’une armée professionnelle. L’esprit de corps est une expression française que le dictionnaire définit comme « l’esprit commun existant chez les membres d’un groupe, inspirant l’enthousiasme, le dévouement et une grande considération pour l’honneur du groupe ».

C’est à ces corps que Karl Marx, V. I. Lénine et d’autres communistes et révolutionnaires faisaient référence lorsqu’ils parlaient de l’État bourgeois, de sa police et de son armée permanente - les corps spéciaux d’hommes armés (ou de n’importe quel sexe aujourd’hui) placés au-dessus de la société et qui s’en éloignent pour protéger et combattre pour les riches dirigeants qui se trouvent au sommet de la société capitaliste.

Une fois que vous êtes en uniforme, l’esprit de corps signifie que vos compagnons de troupe sont des personnes (noires, brunes ou blanches) avec lesquelles vous passez vos journées, avec lesquelles vous vous entraînez, avec lesquelles vous sortez boire un verre. Ils sont votre famille, vos camarades, des personnes que vous êtes prêt à protéger et pour lesquelles vous êtes prêt à mourir. Si le groupe se sent menacé, le groupe dans son ensemble, lourdement armé, se défendra.

Cette dynamique de groupe extrême, en tant qu’outil des riches et des puissants, crée une machine de combat légère et efficace qui, lorsqu’elle est lâchée dans des lieux hostiles, peut entraîner la mort de centaines de milliers de personnes (le plus souvent des personnes de couleur) et des catastrophes comme celles de Wounded Knee aux USA, My Lai au Viêt Nam et le massacre de la farine qui a eu lieu il y a quelques jours à Gaza.

L’esprit de corps conduit à l’idée que si les soldats (ou les flics) se sentent menacés, ils peuvent riposter à volonté à l’ennemi pour se défendre. Combien de personnes de couleur ont été tuées par des flics - flics soutenus par la Cour suprême des USA - avec l’excuse : « j’étais justifié, parce que je me sentais menacé ».

C’est également ce qu’ont déclaré les Sturmtruppen des forces d’occupation israéliennes – « Nous nous sommes sentis menacés » - pour expliquer pourquoi ils ont massacré la foule affamée des Palestiniens le 29 février.

L’armée usaméricaine adore distribuer des récompenses - médailles d’honneur, Purple Hearts, étoiles de bronze, etc. La quasi-totalité d’entre elles sont décernées à des soldats qui se sont protégés les uns les autres. D’innombrables films ont été tournés sur la façon dont de soi-disant braves soldats ont défendu leurs compagnons d’armes en infériorité numérique contre l’ennemi maléfique. Chacun de ces films est de la propagande impérialiste.

Les personnes avec lesquelles nous devrions nous sentir solidaires ne sont pas les troupes usaméricaines présentées par les médias comme innocentes et ne faisant que se défendre, mais les personnes qui défendent leur pays contre l’impérialisme usaméricain. 

 Rue Aaron Bushnell, Ariha/Jéricho, Palestine occupée
“Nous ne le connaissions pas et il ne nous connaissait pas. Il n'y avait aucun lien social, économique ou politique entre nous. Ce que nous partageons, c'est l'amour de la liberté et le désir de nous opposer à ces attaques [contre Gaza]”(Abdul Karim Sidr,le maire, 10/3/2024) 

Les peuples opprimés ont le droit de résister

Les Vietnamiens, les Irakiens, les Cubains, les Palestiniens, les Africains - au Soudan, au Congo, au Niger - les Coréens, les Philippins, les peuples du monde entier n’ont-ils pas le droit de se défendre contre l’occupation et l’exploitation impérialistes ?

J’espère que l’acte de Bushnell aura des répercussions au sein de l’armée et que d’autres soldats, marins, marines et membres de l’armée de l’air commenceront à remettre en question leurs ordres de déploiement. J’espère que cela brisera un peu l’esprit de corps.

Maidan Al Sabaïn (Place des 70 jours), Sanaa, Yémen, 1/3/2024

Le gouvernement usaméricain est l’ennemi des peuples du monde. Les USA n’envoient jamais, jamais, jamais, jamais, leurs militaires quelque part pour le bien des travailleurs de quelque pays que ce soit. Les troupes sont envoyées dans l’intérêt des entreprises qui dirigent les USA.

Comme l’a dit Aaron Bushnell - avant qu’il ne puisse plus rien dire – « Liberté pour la Palestine ! ». À cela, j’aimerais ajouter : « Liberté pour les travailleurs partout dans le monde où le capitalisme et l’impérialisme les exploitent et les oppriment.

Le pouvoir au peuple, de la Palestine à Philadelphie !

 


Joe Piette, Philadelphie, est un postier à la retraite militant, ancien combattant contre la guerre du Vietnam. @pastpostal65