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13/01/2022

INSORGENZE
L'opération Ombres rouges se perd dans le brouillard : la Cour d’Appel de Paris reporte l’examen des demandes d’extradition de 9 réfugiés italiens

 

Insorgenze.net, 13/1/2022
Traduit par Sancha P. Anzo

Les audiences pour les 9 réfugiés italiens arrêtés en France en avril 2021 et qui ont comparu hier devant la Cour d'appel de Paris ont été reportées entre fin mars et fin avril. Le report des audiences a été accordé pour permettre l'examen des informations supplémentaires sur les demandes d'extradition envoyées par l'Italie. Selon les avocats de la défense, ces documents sont encore incomplets.

Les couloirs légendaires du sous-sol du palais de justice de Paris, officiellement appelé « la souricière »

Malgré les mesures anti-COVID, la salle d'audience était bondée comme pour les grandes occasions : des dizaines d'avocats du SAF, le Syndicat des Avocats de France, et de nombreux membres de la LDH, Ligue des Droits de l'Homme, ont témoigné du profond malaise et de la préoccupation qui traversent les secteurs de la société française les plus attentifs à la défense des droits face au risque de remise en cause de la politique d'accueil menée par la France depuis au moins quatre décennies à l'égard des réfugiés italiens persécutés par la justice pour les événements du conflit politique et social des années 70. Une participation qui a surpris la magistrate de liaison italienne à Paris, Roberta Collidà.

Les juges de la Chambre ont fixé le calendrier des prochaines audiences : l'ancien membre des Brigades Rouges Enzo Calvitti a été convoqué pour le 23 mars, le même jour où sera discutée la position de l'ancien membre dirigeant de Lotta Continua, Giorgio Pietrostefani, à condition que son état physique précaire le permette. Pour l'ex-BR Giovanni Alimonti et pour l'ex-membre de l'organisation des Noyaux Armés pour le contre-pouvoir territorial, Narciso Manenti, la nouvelle audience a été fixée au 30 mars ; pour les ex-BR Roberta Cappelli et Marina Petrella, la nouvelle audience est prévue pour le 6 avril. L'audition de l'ancien militant de Rosso Raffaele Ventura, impliqué dans la fusillade de Via De Amicis à Milan, a été fixée au 13 avril, ainsi que celle de l'ancien membre de la colonne milanaise Walter Alasia, des BR Sergio Tornaghi. L'ancien militant des Prolétaires armés pour le communisme Luigi Bergamin, et l'ancien brigadiste Maurizio Di Marzio, ont été convoqués pour le 20 avril,. Pour Di Marzio, la Chambre attend toujours le complément d'information demandé en novembre, entre-temps le mandat d'arrêt européen émis par l'Italie à son encontre a été rejeté mais la procédure d'extradition est toujours en cours. Quant à la position de Luigi Bergamin, les juges français attendent la décision de la Cour de cassation en février prochain pour voir si la prescription décidée par la Cour d'appel de Milan sera confirmée.

« Nous avons du mal à comprendre comment il est possible que pour des dossiers qui auraient dû être préparés depuis longtemps, nous ne soyons pas en mesure d'avoir tous les documents », a déclaré à Adnkronos Irène Terrel, l'avocate française de sept des dix réfugiés détenus en France.

09/05/2021

La rafle : histoire, mémoire, politique et justice
Entretien avec Enzo Traverso sur l’Opération « Ombres rouges »

Par Andrea Brazzoduro, Zapruder, 7/5/2021

Traduit par Fausto Giudice

Vu le caractère obscène des réactions qui ont accompagné l'indigne rafle de réfugiés italiens à Paris, le 28 avril 2021, nous avons demandé à Enzo Traverso – l'un des principaux historiens du monde contemporain -de raisonner ensemble sur la « saison conflictuelle » entre histoire, mémoire, politique et justice. Parmi ces termes, la statue du commandeur est en fait l'histoire, c'est-à-dire le travail de compréhension des événements du passé. Comment l'arrestation d'une poignée d'hommes et de femmes aux cheveux blancs devrait-elle permettre à l'Italie de « faire les comptes avec l'Histoire » – quand ce n’est pas carrément avec le XXème siècle – comme ils l'ont écrit certains ? D'une part, ces ex-militants politiques sont traités comme des criminels de droit commun, selon les diktats d'une idéologie présentiste des plus frustes et incultes. D’autre part on convoque (abusivement) toute la panoplie des memory studies pour imposer un récit du traumatisme, fondé sur le paradigme victimaire. Sur quoi se base l’affirmation que, dans la société italienne, il y aurait une plaie ouverte à l'égard des années 70 ? Comme en France pour l'occupation de l'Algérie, il semble plutôt que l’on ait à faire à une utilisation politique explicite de l'histoire, qui n'a rien à voir avec les processus sociaux réels d’élaboration mémorielle.

Autour de ces thèmes,  à  partir de la « rafle parisienne », nous avons interviewé Enzo Traverso pour essayer d'aller au-delà du monologue collectif qui fait rage dans le débat public.


 
Des femmes et des hommes aux cheveux gris, entre 60 et 78 ans, transférés en menottes, à l'aube, dans les chambres de sécurité de l'anti-terrorisme. « Ombres rouges » est le nom choisi pour la rafle où, le 28 avril, 2021, ont été arrêtés 7 anciens militants de la gauche révolutionnaire réfugiés en France depuis des années, et accusés par la justice italienne d'une série de crimes qui vont de l'association subversive au meurtre commis, selon l’accusation, entre 1972 et 1982. S’agit-il d’« en finir avec la XXème Siècle », comme l’écrit le quotidien Repubblica ?

Le XXème Siècle a fini dans le lointain 1989, lorsque le mur de Berlin est tombé et que la Guerre froide s'est achevée. Depuis, le monde a changé, et avec lui de l'Italie, qui n'est pas plus celle d’il y a 32 ans. À bien des égards, c'est encore pire : ce que les médias définissent généralement comme la “deuxième” et la “troisième” république nous fait regretter la première, créée par des hommes et des femmes qui ont combattu le fascisme et ont créé un nouveau pays. L'héritage du XXème siècle, toutefois, reste écrasant, et beaucoup de maux structurels continuent de peser sur notre pays. Il suffit de penser de la mafia, à la question du Midi, au racisme, et à la corruption. Certains se sont aggravés, comme le chômage des jeunes et le racisme post-colonial, beaucoup plus fort depuis que le pays est devenu une terre d'immigration. Au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, l'Italie est entrée dans la part la plus riche du monde occidental; depuis une trentaine d’années trente ans, elle s’en éloigne : elle connaît un constant déclin démographique, mais ne veut pas intégrer les immigrés, en leur refusant la citoyenneté, même à ceux de la deuxième génération; son élite vieillit, mais les jeunes restent exclus, et la péninsule connaît une diaspora intellectuelle impressionnante, similaire à celle des pays du Sud; les élites économiques se sont considérablement enrichies, sans produire de développement. Repubblica est l'un des miroirs les plus fidèles, car c’est désormais le PDG de Fiat qui annonce publiquement la nomination des directeurs de ce quotidien. « En finir avec le XXème Siècle », ce serait affronter ce nœud de problèmes. Pour Repubblica, il semble plutôt que ce soit le sens de l'extradition de Marina Petrella, Giorgio Pietrostefani et quelques autres réfugiés.