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19/07/2023

BERTIL LINTNER
Wan Kuok Koi alias “Dent cassée”, boss mafieux et tête de pont de l’investissement chinois au Myanmar

Bertil Lintner , The Irrawaddy, 17/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Bertil Lintner (1953) est un journaliste, auteur et consultant stratégique suédois qui écrit sur l'Asie depuis près de quarante ans. Il a été correspondant en Birmanie (Myanmar) de la Far Eastern Economic Review, aujourd'hui disparue, et correspondant pour l'Asie du quotidien suédois Svenska Dagbladet et du quotidien danois Politiken. Il travaille actuellement comme correspondant pour Asia Times et The Irrawaddy. Bio-bibliographie @gardlunden

 Il y a moins de dix ans, Wan Kuok Koi, plus connu sous le nom de “Dent cassée”, était incarcéré dans un centre de détention de haute sécurité construit à cet effet à Coloane, l’une des deux îles qui faisaient autrefois partie de l’ancienne possession portugaise de Macao, au large de la côte de la Chine méridionale. Il avait été arrêté en mai 1998 après l’explosion d’une bombe dans un minibus appartenant à Antonio Marques Baptista, surnommé “Rambo”, le nouveau chef des forces de police du territoire portugais de l’époque. Aucune preuve de son implication dans cet attentat n’a jamais été révélée au tribunal. Au lieu de cela, il a été traduit en justice pour d’anciennes accusations liées à l’intimidation d’employés du casino Lisboa à Macao, à des prêts usuraires et à des soupçons d’appartenance à une “organisation illégale”.

Wan Kuok Koi, alias Dent cassée, sort en voiture après sa libération de prison à Macao le 1er  décembre 2012. / AFP

En clair, il s’agissait d’une triade, ces sociétés secrètes qui sont l’équivalent chinois de la mafia. Au terme d’un procès long et compliqué, où les témoins ont été frappés les uns après les autres par de soudaines crises d’amnésie et n’ont pu se souvenir de rien, il a néanmoins été condamné à 15 ans de prison et s’est vu confisquer tous ses biens en novembre 1999, un mois avant que Macao ne revienne sous l’autorité chinoise et ne devienne, comme Hong Kong, une “région administrative spéciale” (RAS) de la République populaire de Chine.

Parmi les nombreuses entreprises farfelues dont Wan a été accusé, et qui ont été rendues publiques au cours du procès, figurait un commerce d’armes au Cambodge, où il aurait cherché à vendre des roquettes, des missiles, des chars, des véhicules blindés et d’autres types d’équipements militaires dans ce pays alors ravagé par la guerre civile. Peu de gens imaginaient qu’il réapparaîtrait un jour comme ce qu’il avait toujours prétendu être : un simple “homme d’affaires de premier plan”. C’est pourtant ce qui s’est passé lorsqu’il a bénéficié d’une libération anticipée en décembre 2012. Wan avait alors passé 13 ans et 10 mois derrière les barreaux.

Mettant à profit ses anciennes relations, Wan s’est réinstallé dans le secteur des casinos à Macao et, quelques années plus tard, a lancé une crypto-monnaie appelée Dragon Coin. Il a également créé trois entités opérant depuis le Cambodge : La Hongmen History and Culture Association, le Dongmei Group, dont le siège officiel se trouve à Hong Kong, et la Palau China Hung-Mun Cultural Association, censée être basée à Palau, une nation de l’océan Pacifique.

Les désignations en disent long. Hongmen, ou Hung Mun dans le dialecte cantonais d’origine de Wan, est le nom des triades de la pègre originelle formées au XVIIIe siècle. Selon une déclaration du 9 décembre 2020 du département du Trésor usaméricain, la Hongmen History and Culture Association, en particulier, a rapidement étendu son influence à toute l’Asie du Sud-Est, d’abord au Cambodge, puis au Myanmar. Le groupe Dongmei de Wan est un investisseur majeur dans les enclaves de casinos situées près de Myawaddy, qui ont été créées après qu’une faction de l’Union nationale karen (KNU) et de son armée de libération nationale karen (KNLA) se soit séparée, ait conclu des accords de cessez-le-feu avec l’armée du Myanmar et soit devenue une force de garde-frontière (BGF).

La première de ces enclaves a été Shwe Kokko, construite sur les ruines d’une ancienne base militaire de la KNLA connue sous le nom de Kawmoorah, ou Wangkha, qui a été envahie par l’armée du Myanmar en 1995. La BGF qui a pris le contrôle officiel de l’enclave est dirigée par Saw Chit Thu, un ancien officier de la KNLA dont l’armée protège toutes les activités à Shwe Kokko. Officiellement appelé Yatai New City et localement connu sous le nom de “Chinatown”, le projet a été lancé en avril 2017 et, une fois achevé, il est censé inclure des logements de luxe, des hôtels, des centres commerciaux, des centres de commerce, des usines, des terrains de golf, des casinos et peut-être même un aéroport. Shwe Kokko a été rapidement suivi par deux autres “zones économiques spéciales” autonomes similaires près de Myawaddy, la “Huanya International City” et la “Saixigang Industrial Zone”. Le groupe Dongmei de Wan et son réseau de filiales louches sont des investisseurs majeurs dans ces projets. Wan est également connu pour être impliqué dans des projets à Mong Pawk, au sud-est du quartier général de Panghsang (Pangkham) de l’Armée unie de l’État Wa, à la frontière entre le Myanmar et la Chine.

Selon un rapport de juillet 2020 de l’Institut des USA pour la paix (USIP), « la société Dongmei elle-même semble avoir été constituée en entreprise à Hong Kong le 3 mars 2020, mais elle opère depuis Kuala Lumpur. Wan promeut le projet par le biais du WeChat public officiel de l’Association Hongmen, ainsi qu’en partenariat avec un représentant de la Huaguan Holding Company basée au Guangdong ».

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