Uri Misgav, Haaretz, 23/2/2024
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Le général de division ER David Elkana Ivry, né en 1934, a été vice-président de Boeing International et président de Boeing Israël de 2003 à 2021. Il a participé à toutes les guerres menées par Israël de 1956 à 1996. Ce vétéran du “sionisme à visage humain” s’est livré dans une série d’entretiens avant et après le 7 octobre. Encore un criminel de guerre qui mourra paisiblement dans son lit.-FG
David Ivry était dans la salle de guerre à presque tous les moments critiques de la défense israélienne. Aujourd’hui, dans sa 90e année, alors que le pays traverse peut-être la pire crise de son histoire, l’ancien commandant de l’armée de l’air, chef d’état-major adjoint de Tsahal et ambassadeur à Washington est prêt à en venir au fait
David Ivry est inquiet. « Nous entrons dans une guerre d’usure »,
déclare-t-il d’une voix calme, avant de soupirer. Nous sommes au début du mois
de janvier, lorsque le nombre de victimes israéliennes était bien inférieur à
ce qu’il est aujourd’hui. « Je connais cette dynamique depuis le Liban,
lorsque j’étais chef d’état-major adjoint des forces de défense israéliennes
[1983-85]. Nous sommes dans un endroit que nous avons conquis, les gens s’habituent
à la situation et nous passons progressivement du statut de conquérants à celui
de cibles. Et cette fois, c’est plus grave qu’au Liban, à cause du
“métro” [labyrinthe de tunnels souterrains] et d’autres infrastructures
souterraines [à Gaza]. La question est de savoir combien de temps nous pourrons
tenir le coup, et comment y parvenir alors que le gouvernement refuse de parler
de solutions politiques ».
Nous allons nous enfoncer dans le bourbier de Gaza ?
« Je vous dis que nous sommes déjà dans le bourbier de Gaza. Nous n’avons pas de solution claire sur ce qui va se passer, alors nous continuons à dire que nous serons là pour très longtemps. Et nous n’avons pas encore dit un mot sur ce qui se passe dans le nord ».[à la frontière avec le Liban, NdT].
Partagez-vous le sentiment que nous nous trouvons à l’un des moments les plus difficiles de notre histoire ?
« Oui. Le 7 octobre est une catastrophe épouvantable qui a changé la stratégie de toute la région. L’échec est immense. Il est impardonnable. Pendant Yom Kippour [la guerre de 1973], l’arrière n’a pratiquement pas été attaqué. Ici, des communautés ont été capturées, ce qui ne s’était pas vu depuis la guerre d’indépendance. À l’intérieur même du pays, nous avons aujourd’hui le plus grand nombre de réfugiés israéliens que j’aie jamais vu. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une menace existentielle. Pendant la guerre d’indépendance, nous avons été confrontés à une menace existentielle. Jusqu’à la guerre des six jours, nous avons vécu avec le sentiment d’une menace existentielle. Le Hamas et le Hezbollah ne constituent pas une menace existentielle. La menace existentielle est interne ».
Toute sa vie, Ivry a contribué à forger la puissance stratégique de l’État d’Israël. En plus d’avoir été chef d’état-major adjoint de Tsahal, l’ancien pilote est surtout connu pour avoir été commandant de l’armée de l’air israélienne, directeur général du ministère de la défense, fondateur et chef du Conseil de sécurité nationale, président d’Israel Aerospace Industries et ambassadeur d’Israël à Washington. En septembre dernier, il a fêté ses 89 ans. Il ne fête pas les anniversaires : sa mère est décédée alors qu’il était très jeune le jour de l’un de ses anniversaires, et son fils Gil, pilote de F-16, a été tué dans un accident d’entraînement le jour d’un autre anniversaire. La montre fêlée de Gil, retrouvée sur le site de l’accident, est exposée dans une armoire à souvenirs dans sa maison de Ramat Hasharon, à côté des médailles et autres récompenses qu’il a accumulées au cours de sa vie.
Le poids des années ne se fait pas sentir chez lui. Ivry est vigoureux, actif et analytique, et il a une mémoire phénoménale. Il est marié à Ofra – « Nous nous connaissons depuis l’âge de zéro an, nous faisions partie du même groupe pendant notre enfance. L’offre formelle de sortir ensemble est venue après que je l’ai invitée à la cérémonie au cours de laquelle nous avons obtenu nos ailes en tant que pilotes ». Au cours de l’année écoulée, nous avons eu une série de longues conversations portant sur la mission de sa vie par rapport à la défense et à la sécurité de l’État. Nos rencontres ont commencé dans l’ombre de la menace d’une refonte judiciaire qui s’est manifestée il y a un an et de la grave fracture qui en a résulté au sein de la nation et qui l’a empêché de dormir.
Avant le 7 octobre, nous étions assis ici et vous avez exprimé votre profonde inquiétude.
« J’étais très inquiet au sujet d’une guerre civile, et je crains qu’elle [cette menace] ne refasse surface. Une guerre civile est une menace existentielle. Lorsque le coup d’État a commencé, je suis devenu vraiment déprimé. Les gens parlent constamment d’unité en temps de guerre et de « ensemble, nous vaincrons », etc. La première chose qui aurait dû se produire [après le 7 octobre] était que le dirigeant déclare : « J’annule maintenant la réforme judiciaire - nous sommes tous dans le même bateau ». ça ne s’est pas produit. [Netanyahou n’a pas dit ça. C’est important. En fin de compte, les Arabes nous ont aidés au moins à arrêter la réforme. Sinon, je ne sais pas où nous en serions aujourd’hui. Mais le prix à payer est très élevé. Trop élevé ».
La période de service d’Ivry en tant que commandant de l’armée de l’air israélienne, de 1977 à 1982, a été principalement marquée par l’un des plus grands succès de l’histoire de ce corps : la destruction, en 1981, du réacteur nucléaire irakien, situé au sud-est de Bagdad, à quelque 1 600 kilomètres d’Israël.
« Dès le premier jour de ma prise de fonction, une réunion a été organisée avec tous les responsables de la communauté du renseignement afin d’évaluer le réacteur qui était alors en construction », raconte Ivry. « La conclusion était qu’il s’agissait d’un réacteur ayant des missions militaires et qu’il représentait donc un danger. Les recommandations étaient de poursuivre l’activité diplomatique afin d’inciter la France [fournisseur du réacteur d’Osirak] à résilier son contrat avec les Irakiens, de perturber leurs progrès de diverses manières et, entre-temps, de préparer un plan d’attaque. À partir de ce moment-là, j’ai réfléchi à la manière d’augmenter la portée de la FAI [Force aérienne d’Israël] : lorsque les premiers commandants d’escadron de F-16 se sont rendus aux USA pour ramener les avions, je leur ai dit : “Dites-moi quelle est la plus longue portée que vous pouvez obtenir avec lui [un F-16] pour une attaque au sol”. Ils ne comprenaient pas pourquoi j’insistais autant sur ce point ».
Pendant quelques années, vous et la FAI vous êtes préparés à mener l’opération.
« Nous ne sommes pas les premiers à avoir décidé qu’il était permis d’attaquer
un réacteur nucléaire. Les Iraniens ont essayé de l’attaquer à deux reprises et
ont tout gâché. Le problème, c’est qu’après chaque attaque iranienne, les
Irakiens ont renforcé leur défense. Ils ont construit de hauts murs, ils ont
envoyé des ballons avec des câbles en fer, de sorte que si vous voliez à basse
altitude, vous les heurtiez ; ils ont apporté des SAM [missiles sol-air]. Il a
été décidé d’attaquer avant qu’ils atteignent un certain seuil d’uranium
enrichi ».
L’opération est planifiée pour le printemps 1981. « Des discussions
quotidiennes ont eu lieu au sein de l’état-major des FDI », poursuit Ivry.
« Au milieu des préparatifs et des discussions [en mai], le fils de Raful
[chef d’état-major de Tsahal de l’époque, Rafael Eitan] a été tué dans un
accident d’avion. Il pilotait un Kfir, est parti en vrille et s’est écrasé au
sol. Lors des funérailles, “Eizer” [Ezer Weizman], qui n’était plus ministre de
la défense, m’a attrapé et m’a dit : “Vous êtes tous fous, vous ne pouvez pas
le faire [attaquer le réacteur]”. Je n’ai rien dit. »