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13/01/2024

GIDEON LEVY
“J’ai des terres, mais je n’en ai pas” : la récolte d’olives en Cisjordanie est une autre victime de la guerre de Gaza

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haretz, 13/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La guerre à Gaza rend la vie difficile aux Palestiniens de Cisjordanie. En plus des barrages routiers et les routes fermées, les oliveraies ont été déclarées interdites d’accès. À la fin de la récolte, la semaine dernière, un tiers des olives restait sur les arbres, privant ainsi les Palestiniens d’un élément clé de leur subsistance.

Akram Imran et Mohammed Zaben. Pour la première fois, les deux agriculteurs palestiniens n’ont pas pu se rendre à leurs oliviers, ne serait-ce qu’une journée, pour cueillir les fruits qu’ils attendaient.

 Akram Imran et Mohammed Zaben sont assis côte à côte dans une cour et jettent des regards tristes sur la vallée et la montagne d’en face. La vue est aussi triste que spectaculaire. Leurs oliveraies s’étendent sur les pentes verdoyantes de la montagne - on a presque l’impression qu’on pourrait tendre le bras et les toucher - mais ils ne peuvent pas y accéder. Avec la colonie d’Yitzhar qui se dresse au sommet de la montagne, ces agriculteurs n’ont pu récolter leurs olives que grâce à une “coordination” avec les forces de défense israéliennes.

Mais cette année, en raison de la guerre, les FDI ont refusé de “coordonner"” ce qui signifie que les agriculteurs n’ont même pas profité des quelques jours de récolte qu’ils obtiennent généralement. La guerre. La semaine dernière, alors que la saison de la récolte des olives se terminait, pour la première fois de leur vie, les deux agriculteurs palestiniens n’ont pas pu se rendre à leurs arbres, ne serait-ce qu’une seule journée, pour cueillir les fruits qu’ils avaient attendus toute l’année. Tout ce qu’ils peuvent faire à présent, c’est regarder avec nostalgie depuis leur cour inondée de soleil vers l’oliveraie, où les fruits languissent sur les arbres, ravagés par les insectes et d’autres parasites.

Le village palestinien de Burin et la colonie israélienne d’Itzhar la semaine dernière. Le village est soumis à la terreur des colons depuis des années.

Imran et Zaben ne sont pas les seuls. Dans toute la Cisjordanie, la récolte des olives a été interdite dans les endroits où il y a des colonies à proximité. En général, en coordination avec les FDI, les agriculteurs sont autorisés à récolter leurs olives pendant trois jours sur ces terres - bien que dans certains cas, les colons les empêchent de force de le faire après le premier jour - mais cette année, même cela n’a pas été autorisé.

La punition ainsi infligée aux agriculteurs est à plusieurs niveaux. Tout d’abord, leurs villages ont perdu une partie de leurs terres lorsque les colonies ont commencé à s’y installer. Par la suite, ils ont eu du mal à accéder même aux zones jouxtant les terres perdues au profit des colonies, et cette année, l’accès leur a été purement et simplement refusé. Selon une enquête menée par Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, environ un tiers des olives de Cisjordanie n’a pas été récolté cette année. Les dommages causés à l’économie palestinienne sont estimés à des millions de shekels.

Une perte de cette ampleur serait très importante n’importe quelle année, mais alors qu’un bouclage total a été imposé aux territoires depuis trois mois, empêchant au moins 150 000 Palestiniens d’entrer en Israël pour y travailler, la perte financière de la récolte est particulièrement aiguë. Il ne reste plus beaucoup d’autres sources de revenus.

Mais il n’y a pas que l’argent. Les jours de récolte comptent parmi les plus beaux de l’année pour les Palestiniens qui travaillent la terre et leurs familles. On a beaucoup écrit sur le lien qui unit les Palestiniens à leurs oliviers et sur la récolte, qui prend des allures de fête populaire et familiale : hommes, femmes, personnes âgées et très jeunes se réunissent sur la terre familiale pendant quelques jours chaque année, étendent des bâches en plastique sur le sol sous les arbres, grimpent sur des échelles et cueillent les olives. La Cisjordanie se met en mode vacances et, depuis les routes, on voit des familles entières occupées à la récolte. Des journées incomparables.

Cette année, cependant, de tels spectacles ont été rares. La saison des récoltes, qui commence officiellement le 10 octobre et se termine fin décembre, comme le déclare le ministère palestinien de l’Agriculture, a coïncidé avec le début de la guerre à Gaza et avec les restrictions imposées à la Cisjordanie dans son sillage.

Récolte d’olives à Deir Istiya en novembre. Les dommages causés à l’économie palestinienne sont estimés à des millions de shekels.

La route qui mène à Burin, le village des deux fermiers Imran et Zaben, raconte l’histoire. Huwara ressemble davantage à une ville fantôme qu’à l’endroit animé que nous avons connu. Sur les 400 magasins et entreprises que compte la ville, l’armée israélienne n’en a autorisé que 80 à ouvrir, et ce depuis deux ou trois semaines. C’est la punition infligée à Huwara après que les colons ont perpétré plusieurs pogroms dévastateurs dans la ville - incendies, démolitions, destructions et casses. À la suite d’un certain nombre d’attaques “terroristes” perpétrées par des Palestiniens, l’armée israélienne a décidé de punir non pas les colons déchaînés, mais leurs victimes. Huwara est restée sous couvre-feu pendant des mois. Aujourd’hui, elle s’est un peu ouverte, mais la circulation est faible et la ville est envahie de soldats israéliens à chaque coin de rue, qui arrêtent et retiennent les automobilistes comme ils le jugent bon.

Nous nous dirigeons ensuite vers le nord jusqu’au point de contrôle de Huwara, qui est l’entrée principale de la ville de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. Depuis le début de la guerre, Israël a imposé un verrouillage du centre urbain dans presque toutes les directions. Qui se soucie de savoir si une grande ville palestinienne est soumise à une sorte de siège depuis trois mois, sans raison apparente ? Les habitants doivent emprunter toutes sortes d’itinéraires de contournement ruraux pour entrer ou sortir de Naplouse, dans certains cas à travers des terres agricoles, ou utiliser le poste de contrôle de Deir Sharaf. Sadi, chercheur sur le terrain, y a attendu deux heures et dix minutes pour pouvoir passer. En ce qui concerne la fermeture de Naplouse, l’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Depuis le début de la guerre, des barrages routiers “de respiration” et une surveillance des déplacements ont été mis en place à divers endroits en Judée et en Samarie, y compris dans la ville de Naplouse. »

À Burin, aucune trace de la guerre n’est visible. Ce village de 3 000 habitants, situé sur le versant sud du mont Gerizim, est entouré d’oliveraies de tous côtés et subit la terreur des colons depuis des années. Un jeune âne et un tracteur se trouvent dans la cour de l’agriculteur Imran, et des feuilles de sauge ont été mises à sécher. Imran, 54 ans, et Zaben, 61 ans, sont chacun père de sept enfants. Tous deux portent des vêtements en lambeaux, tachés de boue, et leurs mains sont celles de laboureurs : larges, osseuses, rugueuses, comme celles des moshavniks israéliens d’autrefois. Comme eux, ils sont moustachus.

Ici, il n’y a pas d’ouvriers agricoles thaïlandais [comme dans les moshavs, NdT] thaïlandaise, bien sûr ; les deux hommes ne vivent que des travaux agricoles qu’ils effectuent eux-mêmes, avec l’aide de leur famille. Ils cultivent principalement des olives, mais chacun d’entre eux possède également un petit troupeau de moutons, un poulailler encore plus petit et des cultures de plein champ. L’élevage de moutons a également beaucoup diminué ici, à la fois parce que les colons et l’armée les ont empêchés d’accéder à leurs pâturages et en raison du coût élevé du fourrage.

Huwara en octobre. Sur les 400 magasins et entreprises que compte la ville, l’armée israélienne n’en a autorisé que 80 à ouvrir, et ce depuis deux ou trois semaines seulement. Photo Itay Ron

 « J’ai des terres, mais je n’en ai pas », dit Imran pour résumer sa situation. Toutes les terres qu’il possède de l’autre côté de la route 60 sont perdues pour l’instant. Il possède 35 dunams (3,5 ha) qui lui appartiennent et 120 autres dunams (12 ha) qu’il loue depuis des décennies. Cependant, les deux tiers de ses terres se trouvent du côté ouest de l’autoroute, sur le versant de la montagne d’Yitzhar. Sur 55 moutons, il en a vendu 32, en raison de la pénurie de pâturages. Son ami Zaben possède 50 dunams (5 ha) de terres propres et 150 dunams (15 ha) en location.

Zaben estime que l’interdiction de récolte lui a fait perdre cette année 150 gallons (2 400 litres) d’huile d’olive qui ne seront pas produits, à raison de 600 shekels le gallon [9€ le litre]. (Les Palestiniens utilisent le terme “gallon"”pour désigner une quantité de 16 litres.) Imran dit qu’il a perdu la production des 230 oliviers qu’il n’a pas pu atteindre, dont le rendement potentiel aurait été d’environ 150 gallons d’huile. Cette année, ils n’ont pu récolter que les arbres proches de chez eux. Chaque année, chacun a une récolte de 3,5 à 4 tonnes d’olives, alors que cette année, le rendement sera inférieur à une tonne pour chaque agriculteur. Chacun d’entre eux estime qu’il perdra près de 100 000 shekels de revenus (environ 25 000 €) à cause des olives non cueillies.

Leurs problèmes ont commencé en 2000, avec l’éclatement de la deuxième Intifada, mais la situation s’est aggravée en 2011. Un jour de cette année-là, des colons ont coupé à la hache 117 oliviers anciens à Burin. Les villageois ont porté plainte auprès de la police, qui leur a dit qu’ils mentaient et a classé la plainte. En 2018, Zaben a été attaqué alors qu’il labourait. Trois jours plus tard, 120 de ses arbres ont été abattus. Les violences se répètent chaque année à l’approche de la récolte.

Les colons faisaient rouler des pneus enflammés dans les oliveraies pour mettre le feu aux arbres et lançaient des pierres sur les personnes chargées de la récolte depuis le sommet de la montagne. Le plaisir de la saison des récoltes s’est estompé. Au même moment, l’ordre de coordonner les jours de récolte des olives avec l’armée est entré en vigueur. Chaque année, le conseil du village soumettait les demandes des cueilleurs à l’administration de coordination et de liaison, et l’armée fixait trois jours pour la récolte.

 

Des Palestiniens cueillent des olives dans le village de Far’ata, en Cisjordanie, en 2021. Les jours de récolte sont parmi les plus beaux de l’année pour les Palestiniens qui travaillent la terre et leurs familles. Photo Hadas Parush

 

Les deux agriculteurs affirment que si un attentat “terroriste” a lieu n’importe où en Cisjordanie, les colons se vengent sur eux pendant la récolte, malgré la coordination avec l’armée. En fait, ils disent que cela fait des années qu’ils n’ont pas eu trois jours pour cueillir les olives. Un jour, deux au maximum, et les colons mettaient fin au travail. En raison du danger, ils ont également cessé d’amener des femmes et des enfants pour aider à la récolte.

Le dernier incident en date s’est produit l’année dernière, lorsque 22 oliviers ont été incendiés et 24 autres coupés à la hache. Ils ont des photos de colons dans leurs oliveraies, portant des chemises blanches de Shabbat, parfois accompagnés d’adolescents et de femmes, en train d’abattre des arbres. En juin de l’année dernière, 180 arbres de Burin ont été incendiés ou coupés. Ils ont vu des colons verser de l’essence sur les arbres et les brûler. En chemin, les colons ont également brûlé un tracteur qui était attelé à un chariot contenant 11 sacs d’olives fraîchement cueillies, ainsi qu’une voiture particulière.

L’année dernière, ils ont reçu un quota réduit de deux jours pour la récolte des olives. Ils sont arrivés dans les oliveraies comme des voleurs dans la nuit, se souviennent-ils, afin de terminer le travail avant d’être attaqués et avant que les permis de coordination n’expirent. À l’époque, ils venaient avec tout le village pour se protéger, au cas où l’un d’entre eux serait attaqué. Et maintenant, cette année, ils n’ont même pas cueilli une seule olive sur les terres de la montagne.

Des bénévoles aident à cueillir des olives à Burin en 2019.Photo : Ilan Assayag

Ils disent que, malheureusement, c’était en fait une bonne année en termes de récolte. Mais elle est devenue la pire année qui soit, ce qu’ils décrivent comme l’année de “notre destruction”. Ils ont présenté des demandes au conseil du village à plusieurs reprises. Le conseil les a transmises aux autorités, mais la réponse a toujours été négative.

L’unité du porte-parole de Tsahal a fourni le commentaire suivant à Haaretz : « L’armée israélienne et, en son sein, l’administration civile, ont pris les mesures nécessaires pour que la récolte soit effectuée par la population palestinienne en Judée et en Samarie, tout en préservant la sécurité des résidents. Dans le contexte de la guerre, les forces ont assuré la coordination de la sécurité, en particulier dans les zones de récolte proches des colonies, des routes et des centres de friction. Ces mesures comprennent, entre autres, la coordination et la surveillance étroite par les forces de sécurité, tout en permettant à la population palestinienne de récolter des olives dans toutes les zones où cela peut être fait, conformément aux limites de la situation sécuritaire. »

« Nous prions Dieu pour qu’il nous dédommage », dit Zaben.

Ils pensent maintenant au futur proche. Seront-ils autorisés à labourer en février ? Et que se passera-t-il en avril, lors du deuxième labour ? Sans labour, les mauvaises herbes se répandront dans les oliveraies, détruisant la bonne terre.

 

27/03/2023

AVI GARFINKEL
Pour comprendre la mentalité des colons juifs, il faut lire cet éloge funèbre prononcé par le rabbin Eliezer Melamed

Avi Garfinkel, Haaretz, 24/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’éloge funèbre prononcé par le rabbin Eliezer Melamed lors des funérailles de deux victimes du terrorisme devrait être une lecture obligatoire pour quiconque souhaite se faire une idée de l’israélitude contemporaine, qui se confond avec la vision du monde des colons.

“À encadrer et accrocher”, a écrit le journaliste de télévision Amit Segal à la suite de la décision inhabituelle des rédacteurs de l’hebdomadaire hébraïque Makor Rishon de consacrer la couverture de leur magazine du 3 mars non pas à une photographie, mais à un texte : l’éloge funèbre prononcé par le rabbin Eliezer Melamed lors des funérailles de Hallel et Yagel Yaniv, les deux frères assassinés lors d’un attentat terroriste dans la ville de Huwara, en Cisjordanie, le 26 février dernier. Le directeur général de Makor Rishon, Doron Bainhorn, a fait remarquer que “l’éloge du rabbin devrait être étudié dans les écoles” - et il a raison.

C’est un texte exemplaire, non seulement parce qu’il est bien écrit et émouvant, mais aussi parce qu’il illustre parfaitement le mode de pensée des colons, qui est en train de devenir le mode de pensée général des Israéliens, et en tout cas celui du gouvernement. Quiconque veut comprendre l’israélitude - d’où elle vient et où elle va - devrait lire ce texte.

L’éloge funèbre en couverture du magazine Makor Rishon

Le rabbin Melamed a déclaré : « Tout juif tué simplement parce qu’il est juif est saint ». En d’autres termes, la seule raison des attaques terroristes est la haine insondable des Juifs, qui n’est pas liée aux actes des Juifs ou à leur comportement, ni au sentiment qu’ont les auteurs de ces attaques que les Juifs leur ont fait du tort. Dans le monde de Melamed, il n’y a pas de dépossession de la terre, pas d’expulsion, pas d’actes de violence contre des Palestiniens innocents, pas de dégâts matériels, pas d’humiliation. Les attaques palestiniennes ne peuvent pas être considérées comme une vengeance pour les actions des Juifs, de la même manière que les Juifs ont vengé le meurtre des frères Yaniv à Huwara [en commettant un pogrom, NdT].

Selon le rabbin Melamed, ces actes sont motivés par un pur antisémitisme : les Juifs sont assassinés uniquement en raison de leur judéité. Cela n’explique évidemment pas pourquoi les Palestiniens n’ont pas coutume d’assassiner des Juifs dans d’autres endroits du monde. La division est simple et nette : les Juifs sont des victimes, les Palestiniens sont des délinquants.

Il convient de noter qu’aux yeux de Melamed, tout juif tué pour sa judéité est qualifié de saint, l’accent étant mis sur “tout”. En d’autres termes, même les meurtriers, les violeurs, les voleurs et autres pécheurs s’élèvent au niveau de la sainteté simplement en raison des circonstances de leur mort, et cela ne fait aucune différence si, dans leur vie, ils étaient des mécréants. Melamed étend la classification de la sainteté à l’ensemble de la population des colons : « Si c’est ce que l’on dit de chaque Juif, on devrait certainement le dire des colons qui vivent sur la ligne de front de la colonisation de la Judée-Samarie [Cisjordanie] ».

Et quelle est la signification de la sainteté, selon Melamed ? « Ils sont élevés et sanctifiés dans la sainteté de l’ensemble d’Israël, au point qu’aucun être vivant ne peut se tenir aussi haut en leur présence. » Ce qui revient à dire que la sainteté est la suprématie des saints sur ceux qui ne le sont pas, des colons sur ceux qui ne le sont pas.

Il s’agit d’un point critique à une époque où la suprématie juive en Israël est en train de se transformer en une suprématie des juifs religieux et des colons juifs sur les juifs laïques, et certainement sur ceux de gauche. Cela explique pourquoi les Hardalim (nationalistes ultra-orthodoxes) ne ressentent ni culpabilité ni honte lorsqu’ils exigent de l’État des ressources supplémentaires (telles qu’une allocation d’étude plus élevée), tout en insistant pour contribuer moins - par le biais de réductions de l’impôt foncier, d’avantages fiscaux, d’un service militaire abrégé pour les étudiants des hesder-yeshiva*, ou d’une exemption totale du service militaire et du travail pour les hommes haredi.

Du point de vue des Hardalim, il n’y a pas ici de remise en cause de l’égalité au sens large. L’égalité exige un traitement égal pour des égaux, mais selon eux, les étudiants de la Torah et les colons sont tout simplement plus égaux et méritent donc plus. C’est la raison sous-jacente de ce que de nombreuses personnes laïques considèrent comme de la cupidité, de la cochonceté, un manque de solidarité, un pillage des caisses publiques lors des délibérations budgétaires ou des discussions sur l’obligation de servir dans les forces de défense israéliennes et de participer au marché du travail. Selon ces juifs religieux, quiconque contribue davantage mérite davantage - un argument qui, soit dit en passant, est en contradiction avec la critique qu’ils adressent au personnel de haute technologie qui s’oppose au coup d’État, affirmant que « ce n’est pas parce que vous payez plus d’impôts que votre voix vaut davantage ».

Aussi infondé soit-il, il est nécessaire de comprendre que le sentiment de suprématie de ces Juifs religieux est authentique, même et surtout là où il atteint l’absurdité absolue. « Nous ne sommes pas revenus dans notre pays pour déposséder les Arabes de leurs maisons », explique le rabbin Melamed, « mais plutôt pour ajouter de la bonté et de la bénédiction au monde. Les Arabes pourraient également en bénéficier. »

Dans ce monde cul par-dessus tête, les Arabes vivant dans les territoires, qui n’ont même pas le statut de citoyens jouissant des mêmes droits, sont censés considérer la présence des colons parmi eux comme une bénédiction. Le rabbin Melamed, qui dirige la Yeshiva Har Bracha, ne précise pas quelle bénédiction les colons ont apportée à leurs voisins. Le droit des Arabes, comme celui de toute personne, de rejeter une bénédiction qui leur est offerte n’a pas sa place dans le monde de Melamed. Selon cette logique, la société laïque doit elle aussi accepter le fait que la communauté des apprenants s’occupe de la Torah comme une bénédiction qui la protège et qui protège son identité, et la financer, même si le public laïque pense, “à tort”, qu’il n’en a pas besoin.

Les gauchistes doivent faire avancer, et avec reconnaissance, les colonies auxquelles ils sont opposés, parce que les colons « continuent à coloniser notre terre sainte, et protègent le peuple et la terre avec leur propre corps ». Là encore, Melamed ne prend pas la peine d’expliquer comment des enfants, des personnes âgées et des femmes qui ne portent pas d’armes et s’installent au milieu d’une population arabe hostile défendent la terre. Ni comment un projet qui déchire le peuple le protège. C’est une évidence, un postulat de base qui ne sera pas examiné précisément parce qu’il est manifestement erroné.

Vers la fin de l’éloge, le rabbin Melamed a réitéré le cliché anachronique selon lequel les colons « continueront à construire la terre et à faire fleurir le désert », comme si la quasi-totalité des travaux de construction effectués dans le pays n’étaient pas réalisés par des travailleurs arabes et d’autres Gentils. Comme si la terre était un désert vide. Comme si l’essentiel de la construction et du travail de la terre effectué par les Juifs - la quasi-totalité, en fait - n’avait pas été réalisé il y a longtemps, par des pionniers laïques et socialistes qui s’étaient rebellés contre la loi juive.

Le titre de l’éloge funèbre de Melamed, “Mourir et conquérir la montagne”, est une paraphrase de l’hymne du mouvement Betar de Ze’ev Jabotinsky, “Mourir ou conquérir la montagne”. Le laïc Jabotinsky reconnaissait au moins la possibilité d’une perte et d’un échec, qui peuvent à leur tour aboutir à un désastre, comme cela s’est produit pendant la période de la révolte contre les Romains : « Mourir ou conquérir la montagne - Yodfat, Massada, Betar** ». Mais dans le texte de Rabbi Melamed, le mot “ou” est remplacé par “et”. Selon Melamed, « si nous devons vivre, nous vivrons ; et si nous devons mourir, nous mourrons, et après nous, nos amis continueront à conquérir la montagne ».

Même si nous mourons, comme les Juifs de Massada en 73 ou 74 de l’ère chrétienne, la montagne sera conquise. Ce sera un succès. Et pourquoi tout cela ? Parce que le véritable succès ne se mesure pas dans ce monde, mais dans l’autre : « Tous les saints Juifs semblent morts, mais dans le monde de la vérité, ils sont bien vivants... En mourant pour la sanctification d’Hachem [Dieu], ils se sont connectés à la source de la vie ». Ce qui est important, c’est le monde de la vérité, et non le monde du mensonge, c’est-à-dire la réalité dans laquelle nous vivons et dont tant de colons sont déconnectés de manière inquiétante.Haut du formulaire

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Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de conquérir la montagne, mais d’en descendre, et vite.

NdT

*Hesder (hébreu : הסדר "arrangement") est un programme de yeshiva israélien qui combine des études talmudiques avancées avec le service militaire dans les forces de défense israéliennes, généralement dans un cadre sioniste religieux. Ce programme permet aux hommes juifs orthodoxes de servir dans l’armée israélienne tout en continuant à étudier la Torah. Le service Hesder dure généralement cinq ans au total, au cours desquels les participants sont officiellement des soldats des FDI. Au cours de ces cinq années, 16 mois sont consacrés au service militaire proprement dit, comprenant à la fois l’entraînement et le service actif. Dans certaines Yeshivas de Hesder, le service dure six ans, dont 24 mois de service militaire. Presque tous les étudiants des Yeshivas Hesder servent dans l’armée en tant que soldats de combat. Les appelés laïques sont astreints à un service actif minimum de 32 mois pour les hommes et 24 pour les femmes.

**Yodfat : village juif assiégé puis détruit par l’armée romaine en 67 ap. J.-C..

Massada : forteresse zélote assiégée par l’armée romaine en 72-74, dont les survivants se suicidèrent plutôt que de se rendre. De nos jours, c’est sur cet éperon rocheux que les officiers israéliens de l’armée blindée viennent prêter serment ou que les pilotes de chasse de Tsahal se voient solennellement remettre leur insigne et qu’a lieu la prestation de serment de diverses troupes de Tsahal, dont les parachutistes. C’est là qu’ils répètent, avec leur promotion, les vers du poème épique composé par Yitzhak Lamdan), Massada, publié en 1927, si cher aux pionniers du sionisme : « Non, la chaîne n’est pas rompue sur le sommet inspiré. Plus jamais Massada ne tombera. »

Betar : nom d’une ancienne cité-forteresse de Judée, située au sud-ouest de Jérusalem, et connue comme le dernier lieu de résistance juive à l’Empire romain en 135 ap. J.-C., dont le chef était Shimon Bar-Kokhba, considéré par ses partisans comme le Messie.