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19/08/2023

Mohammad Mossadegh, Primer Ministro de Irán, 1951 – 1953: una biografía


The Mossadegh Project, 3-10-2013
Traducido por Luis Casado (Politika/Tlaxcala)


Ay, yo bien conozco a tu enemigo, el mismo que tenemos por acá... escribió Nicolás Guillén. Cómo olvidar esos versos... Juran los que te matan, que eres feliz... ¿Será verdad?

En otros sitios, bajo otros cielos, los imperios cometían los mismos crímenes. Como en Irán. Cuando la prensa tarifada expone hoy lo que no le gusta de ese país, olvida mencionar la génesis: un golpe de Estado, uno más, contra Mohammed Mossadegh, derrocado por la CIA y el MI6 británico el 19 de agosto de 1953, veinte años antes del 11 de septiembre. He aquí esa historia.-LC


Mohammed Mossadegh nació el 16 de junio de 1882 en Teherán. Su padre, Mirza Hedayat Ashtiani, fue ministro de Finanzas de Irán y su madre, Najm al-Saltaneh, estaba estrechamente vinculada a la dinastía reinante de los Kadjar (1789-1925). Cuando tenía 10 años, su padre murió, dejándoles a él y a su única hermana menor al cuidado de su madre.

En reconocimiento a los servicios prestados por su difunto padre a la corona, el monarca Nasir al-Din Shah le concedió el título de "Mossadegh al-Saltaneh". Años más tarde, cuando se introdujo en Irán un sistema de documentos nacionales de identidad, eligió el apellido Mossadegh, que significa "verdadero y auténtico".

La carrera de Mossadegh comenzó a la excepcionalmente temprana edad de 15 años, cuando fue nombrado, también en honor a su padre, Mostofi (jefe de finanzas) de la provincia de Jorasán. Además de interesarse por la ciencia moderna, practicó varios deportes y aprendió a tocar el tar, un instrumento de cuerda tradicional persa.

A los 19 años se casó con Zia al-Saltaneh, una princesa kadjar, a la que consideraba "la persona a la que más quería después de mi madre". La pareja tuvo tres hijas -Zia Ashraf, Mansoureh y Khadijeh- y dos hijos, Ahmad y Gholam-Hossein.

Mossadegh tenía sólo 21 años cuando el pueblo de Ispahán lo eligió miembro del Majlis (Parlamento iraní) para representarlo. Sin embargo, al no ser mayor de edad, retiró su nombre de la lista de candidatos. Durante el movimiento constitucionalista de 1905-1911, Mossadegh participó activamente en los acontecimientos que condujeron al establecimiento de una monarquía constitucional en lugar del arbitrario régimen monárquico.

Mossadegh estudió ciencias políticas en Teherán y, en 1909, continuó sus estudios en París. Durante su estancia en la capital gala empezó a experimentar debilidad y fatiga extremas, y se vio obligado a abandonar sus estudios y regresar a Irán. Durante toda su vida padeció este problema persistente, más conocido hoy como "síndrome de fatiga crónica". Más tarde regresó a Europa y estudió Derecho en la Universidad de Neuchâtel (Suiza). En junio de 1913, se convirtió en el primer iraní en obtener un doctorado en Derecho y regresó a Irán justo un día antes del estallido de la Primera Guerra Mundial.

18/08/2023

Mohammad Mossadegh, Premier ministre de l’Iran, 1951-1953 : une biographie

The Mossadegh Project, 3/10/2013

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

“Je mets ma confiance dans le soutien du peuple iranien. C’est tout.”
Mossadegh

 

 

Mohammad Mossadegh est né le 16 juin 1882 à Téhéran. Son père, Mirza Hedayat Ashtiani, était ministre des Finances de l’Iran et sa mère, Najm al-Saltaneh, était étroitement liée à la dynastie régnante Kadjar (1789-1925). Quand il avait 10 ans, son père est décédé, le laissant avec sa seule sœur, plus jeune, à la charge de sa mère.

En reconnaissance des services rendus par son défunt père à la couronne, le monarque Nasir al-Din Shah lui a donné le titre de “Mossadegh al-Saltaneh”. Des années plus tard, lorsqu’un système de carte d’identité nationale a été introduit en Iran, il a choisi le nom de famille de Mossadegh, qui signifie “vrai et authentique”.

 

La carrière de Mossadegh commence à l’âge exceptionnellement jeune de 15 ans, lorsqu’il est nommé, toujours en l’honneur de son père, Mostofi (chef des finances) de la province du Khorasan. Tout en s’intéressant à la science moderne, il pratique divers sports et apprend à jouer du Tar, un instrument à cordes traditionnel persan.

 

À 19 ans, il épouse Zia al-Saltaneh, une princesse kadjar, qu’il considère comme “la personne que je chéris le plus après ma mère”. Le couple aura trois filles - Zia Ashraf, Mansoureh et Khadijeh - et deux fils, Ahmad et Gholam-Hossein.

 

Mossadegh n’avait que 21 ans lorsque les habitants d’Ispahan l’ont élu au Majlis (Parlement iranien) pour les représenter. Cependant, comme il n’avait pas l’âge légal requis, il a retiré son nom de la liste des candidats. Au cours du mouvement constitutionnaliste de 1905-1911, Mossadegh a participé activement aux événements qui ont conduit à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en lieu et place du régime monarchique arbitraire.

 

Mossadegh a étudié les sciences politiques à Téhéran et, en 1909, il a poursuivi ses études à Paris. Pendant son séjour à Paris, il a commencé à ressentir une faiblesse et une fatigue extrêmes et a été contraint d’abandonner ses études et de rentrer en Iran. Tout au long de sa vie, il a été accablé par ce problème persistant, mieux connu aujourd’hui sous le nom de “syndrome de fatigue chronique”. Plus tard, il retourne en Europe et étudie le droit à l’université de Neuchâtel, en Suisse. En juin 1913, il devient le premier Iranien à obtenir un doctorat en droit et rentre en Iran un jour seulement avant le début de la Première Guerre mondiale.


En 1912

 

Peu après son retour en Iran, Mossadegh fait l’objet d’une accusation malveillante de la part d’un rival politique. Cette accusation infondée l’a tellement bouleversé qu’il est tombé malade et a eu de la fièvre. Sa mère, connue pour avoir fondé l’hôpital de bienfaisance Najmieh à Téhéran, a remarqué qu’il était malheureux et lui a dit qu’elle aurait préféré qu’il étudie la médecine plutôt que le droit. Quiconque étudie le droit et se lance dans la politique doit être prêt à subir toutes sortes de calomnies et d’insultes, lui dit-elle, mais “la valeur d’une personne dans la société dépend de ce qu’elle endure pour le bien du peuple”. Dans ses mémoires, Mossadegh a écrit que ces paroles de sagesse l’avaient préparé à la vie qu’il avait choisie et qu’à partir de ce moment-là, plus il était confronté à des épreuves et à des insultes, plus il était prêt à servir le pays.

 

Mossadegh accepte un poste au sein du gouvernement en tant que secrétaire adjoint du ministère des Finances, où il tente de lutter contre la corruption et fait condamner plusieurs personnes. En 1919, il choisit de s’exiler en Suisse pour protester contre un accord entre le gouvernement et la Grande-Bretagne qu’il jugeait très inquiétant. La principale disposition de cet accord consistait à confier à des conseillers britanniques la supervision de l’armée et des systèmes financiers iraniens. Craignant le pire pour l’Iran, il a mené une campagne fébrile contre cet accord en Europe et a écrit à la Société des Nations pour demander de l’aide dans cette affaire. Mossadegh est rentré en Iran après le rejet de l’accord par le Majlis.

 

La réputation de Mossadegh en tant qu’homme politique honnête, juste et concerné l’avait précédé lors de son retour en Iran. Lors de ses déplacements dans la province du Fars, il est accueilli chaleureusement par les habitants et se voit proposer de devenir leur gouverneur, ce qu’il accepte. Après quelques mois, il démissionne de ce poste pour protester contre le coup d’État de 1920 à Téhéran, inspiré par les Britanniques, qui aboutira à l’établissement de la dynastie Pahlavi en 1925. Il occupe cependant le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement du Premier ministre Ghavam, puis devient ministre des Affaires étrangères. En 1923, Mossadegh a été élu au 5e  Majlis et a commencé son opposition historique à l’établissement de la dynastie Pahlavi par Reza Khan, soutenu par les Britanniques et alors Premier ministre de l’Iran. Il prévoyait le retour de la dictature en Iran, “lorsqu’un seul homme sera à la fois roi, Premier ministre et magistrat !”

 

Comme Mossadegh l’avait prédit, la vie sous le règne tyrannique de Reza Shah était dure et oppressive ; en fait, le climat politique était devenu si insupportable qu’il avait de bonnes raisons de craindre pour sa vie. En 1928, il se retire volontairement de l’activisme social et politique et se retire dans son village d’Ahmad-Abad, situé à une centaine de kilomètres de Téhéran. Pendant cette période, qui a duré plus d’une décennie, il a passé son temps à lire et à cultiver la terre, menant des expériences pour améliorer la production agricole et partageant les connaissances acquises avec les autres agriculteurs du village.

 

Le 26 juillet 1940, la police de Reza Shah débarque à l’improviste au domicile de Mossadegh, fouillant et saccageant sa maison. Bien qu’aucune preuve incriminante n’ait été trouvée contre lui, il est emmené à la prison centrale de Téhéran. Mossadegh est interrogé et, sans être informé des charges qui pèsent sur lui, transféré dans la forteresse de Birjand (ville du nord-est de l’Iran). Conscient du sort réservé à de nombreux autres qui ont osé s’opposer à l’arbitraire de Reza Shah, il s’attend à être tué.

 

Le coup le plus dur porté à Mossadegh par son emprisonnement a été l’effet qu’il a eu sur sa fille de 13 ans, Khadijeh, qui avait été témoin de l’arrestation brutale de son père et de son transfert forcé à la prison de Birjand. La très sensible Khadijeh a été profondément traumatisée et a passé le reste de sa vie dans des hôpitaux psychiatriques. Mossadegh a déclaré plus tard que cette tragédie était la punition la plus cruelle qui pouvait lui être infligée.

 

Reza Shah libère Mossadegh de la prison de Birjand en novembre 1940 et le transfère à Ahmad-Abad, “pour y vivre jusqu’à sa mort”. Un an plus tard, son assignation à résidence prend fin lorsque les Britanniques forcent l’abdication de Reza Shah et que son fils de 22 ans, Mohammad Reza, monte sur le trône.

 

Ayant repris ses activités politiques, Mossadegh est élu avec un soutien écrasant pour représenter Téhéran au 14e  Majlis en 1944. Pendant son mandat au Majlis, Mossadegh s’est battu avec passion pour l’indépendance politique et économique de l’Iran vis-à-vis des étrangers, notamment en s’attaquant à l’accord pétrolier très injuste conclu avec l’Anglo-Iranian Oil Company, un objectif pour lequel il a reçu un soutien populaire écrasant.

 

L’histoire contemporaine de l’Iran est liée au pétrole, une source d’énergie très recherchée par l’Occident, depuis 1901, date à laquelle des droits exclusifs de 60 ans ont été accordés à William Knox D’Arcy, un sujet britannique, pour la prospection et l’exploitation du pétrole dans les provinces méridionales de l’Iran. En 1908, le pétrole a été découvert et l’Anglo-Persian Oil Company a été créée. Juste avant le début de la Première Guerre mondiale en 1914, le gouvernement britannique a acheté 51 % des actions de la compagnie. Les Britanniques ont ainsi créé une tête de pont et pratiquement colonisé le sud-ouest de l’Iran, s’immisçant directement et indirectement dans les affaires politiques du pays tout entier. L’APOC a triché sur les maigres 16 % versés à l’Iran et a traité les travailleurs pétroliers iraniens avec mépris et racisme dans leur propre pays. La situation a atteint son paroxysme en juillet 1946, lorsque quelque 6 000 travailleurs pétroliers iraniens se sont mis en grève à Agajari. Leur affrontement avec les troupes gouvernementales a fait plus de 200 morts et blessés.

 

Mossadegh envisageait un Iran indépendant, libre et démocratique. Il pensait qu’aucun pays ne pouvait être politiquement indépendant et libre s’il ne parvenait pas d’abord à l’indépendance économique. Selon lui, “l’aspect moral de la nationalisation du pétrole est plus important que son aspect économique”. Il a cherché à renégocier et à parvenir à une restitution équitable et juste des droits de l’Iran, mais s’est heurté à l’intransigeance de la compagnie. Pour mettre fin à 150 ans d’ingérence politique britannique, d’exploitation économique et de pillage des ressources nationales de l’Iran, Mossadegh a organisé la nationalisation de l’industrie pétrolière.

 

Mossadegh a présenté pour la première fois l’idée de la nationalisation à la Commission du pétrole mandatée par le Majlis le 8 mars 1951. Le lendemain, le Front national, une coalition de plusieurs partis, a organisé un grand rassemblement sur la place Baharestan devant le Majlis pour soutenir la nationalisation du pétrole. À la veille du Nouvel An iranien, le 20 mars 1951 [29 Esfand 1329], le projet de loi du Front national pour la nationalisation du pétrole reçoit l’approbation finale du Sénat, quelques jours seulement après avoir été approuvé à l’unanimité par les députés du Majlis. Un mois plus tard, le Dr Mohammad Mossadegh a été nommé au poste de Premier ministre, qu’il a remporté avec les voix de près de 90 % des représentants présents.


Mossadegh porté en triomphe par la foule après la nationalisation de l'Anglo-Iranian


Le différend entre l’Iran et l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC), qui a été démantelée, se poursuit sans qu’aucune solution ne se profile à l’horizon, ce qui accroît les tensions entre l’Iran et la Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique impose des sanctions économiques à l’Iran et le menace d’une attaque militaire. En juin 1951, le gouvernement iranien découvre un réseau d’espionnage britannique qui révèle les activités subversives d’un grand nombre de politiciens et de journalistes iraniens, y compris des communistes qui reçoivent des pots-de-vin du gouvernement britannique et de l’AIOC.

 

Le gouvernement iranien réagit en fermant le consulat britannique. Le gouvernement britannique réagit en rappelant son ambassadeur, Francis Shepherd, à Londres. En octobre 1951, le Premier ministre Mohammad Mossadegh se rend à New York pour défendre personnellement le droit de l’Iran à nationaliser son industrie pétrolière devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement britannique, en quête de soutien, avait porté sa cause devant les Nations unies pour qu’elle soit entendue. Mossadegh a fait une présentation spectaculaire et réussie, démontrant que les bénéfices pétroliers de la Grande-Bretagne pour la seule année 1950 étaient supérieurs à ce qu’elle avait versé à l’Iran au cours du demi-siècle précédent.

 

Mossadegh s’est ensuite rendu à Washington, où il a rencontré le président Harry S. Truman. Sa visite a été largement couverte par les journaux, les magazines, la télévision et les films d’actualités. À son retour en Iran, en novembre 1951, il s’est arrêté à l’aéroport Farouk du Caire, en Égypte, où il a été accueilli par des milliers d’admirateurs qui ont scandé “VIVE MOSSADEGH” et “VIVE L’IRAN”. Au cours de sa visite de quatre jours, le roi d’Égypte, le premier ministre, le cabinet et d’autres dignitaires ont honoré Mossadegh personnellement, et un dîner de gala a été organisé en son honneur par la municipalité du Caire. En janvier 1952, Mossadegh est nommé homme de l’année par le magazine Time, sa deuxième couverture par Time en l’espace de 7 mois.

 

L’HOMME DE L’ANNÉE
"Il a huilé les rouages du chaos" [sic]
TIME Magazine, 7 janvier 1952

 

En juin 1952, Mossadegh se rend à La Haye, aux Pays-Bas, et présente près de 200 documents à la Cour internationale concernant la nature hautement exploiteuse de l’AIOC et l’étendue de son intervention politique dans le système politique iranien. « Il n’y a pas de critère politique ou moral à l’aune duquel la Cour puisse mesurer son jugement dans le cas de la nationalisation de l’industrie pétrolière en Iran », a-t-il affirmé, et « nous n’accepterons en aucun cas la juridiction de la Cour sur ce sujet. Nous ne pouvons pas nous placer dans la situation dangereuse qui pourrait résulter de la décision de la Cour ». Le verdict sera annoncé plus tard et Mossadegh retournera à Téhéran après avoir gagné le respect des juges.

 

De retour en Iran, les conditions économiques et de sécurité se détériorent rapidement, aggravées par les activités de plus en plus subversives des puissances étrangères et de leurs agents. Lors d’une réunion en juillet 1952 avec le jeune monarque Mohammad Reza Shah, qui dirigeait l’armée, Mossadegh a demandé le contrôle des forces armées, ce qui lui a été refusé. En réponse, Mossadegh a immédiatement présenté sa démission en tant que Premier ministre.

 

Le lendemain, le Shah, à la demande des gouvernements britannique et usaméricain, nomme Ghavam Saltaneh au poste de Premier ministre. Ghavam Saltaneh adopte une ligne dure, ce qui ne fait qu’attiser la colère de la population qui était descendue dans la rue pour soutenir Mossadegh. Lors de la plus grande manifestation de rue, le 20 juillet 1952 (30 Tir 1331), les forces de sécurité affrontent violemment les manifestants, faisant des centaines de victimes. Le Shah, constatant l’ampleur du soutien de la population à Mossadegh, s’est alarmé et a changé de cap. Il nomme Mossadegh à la double fonction de Premier ministre et de ministre de la Défense, comme le permet la Constitution. Le même jour, la Cour internationale de La Haye se prononce en faveur de l’Iran, estimant qu’elle n’est pas compétente dans l’affaire du différend pétrolier. Le Conseil de sécurité des Nations unies rejette ensuite la plainte britannique contre l’Iran. Mossadegh est alors au sommet de son pouvoir et de sa popularité, salué comme un héros non seulement en Iran, mais aussi dans l’ensemble du Moyen-Orient.

 

En tant que dirigeant de l’Iran, Mossadegh a parrainé des lois pour un “gouvernement propre” et des systèmes judiciaires indépendants, a défendu la liberté de religion et d’affiliation politique, et a promu des élections libres. Il a mis en œuvre de nombreuses réformes sociales et s’est battu pour les droits des femmes, des travailleurs et des paysans. Un fonds a été créé pour financer des projets de développement rural et aider les agriculteurs. Conformément à sa politique d’“équilibre négatif”, une idée qui a contribué à la formation du mouvement des non-alignés, Mossadegh a également refusé d’accorder une concession pétrolière à l’Union soviétique. Plus important encore, Mossadegh a contribué à favoriser une autosuffisance nationale qui n’a jamais été égalée en Iran depuis son mandat : il a équilibré le budget, augmenté les productions non pétrolières et créé une balance commerciale. Sa politique s’est souvent heurtée à l’opposition du Shah, des généraux de l’armée, des principaux religieux, des propriétaires terriens, du parti Toudeh (communiste) et des gouvernements britannique et usaméricain. Néanmoins, Mossadegh a toujours pu compter sur le soutien du peuple.

 

Entretemps, les Britanniques ont continué à saper l’autorité de Mossadegh en incitant à la division dans le pays, en renforçant l’embargo mondial sur l’achat de pétrole iranien, en gelant les avoirs iraniens et en menaçant l’Iran d’une invasion par la constitution d’une force navale dans le golfe Persique. Toutes ces tentatives ayant échoué, la Grande-Bretagne a conclu que “Mossadegh doit partir” par tous les moyens nécessaires. En collaboration avec la CIA, ils ont fomenté un coup d’État pour renverser le gouvernement démocratiquement élu.

 

Le 15 août 1953, avec la participation du Shah et de ses collaborateurs iraniens, un plan élaboré par la CIA sous le nom de code “Opération Ajax”, dirigé par Kermit Roosevelt, a été mis en œuvre, mais il n’a pas réussi à déloger Mossadegh du pouvoir. Lors de la deuxième tentative, le 19 août 1953, [28 Mordad 1332] le gouvernement a été violemment renversé. Mossadegh échappe à la capture, mais sa maison est envahie, pillée et incendiée. Le lendemain, Mossadegh se rend aux autorités et est emprisonné. Au cours de cet épisode sanglant, plusieurs centaines de personnes ont été tuées ou blessées. Les partisans de Mossadegh ont été arrêtés, emprisonnés, torturés ou même assassinés. Le ministre des Affaires étrangères de Mossadegh, le Dr Hossein Fatemi, est entré dans la clandestinité mais a été capturé quelques mois plus tard. Il a été battu, poignardé 5 fois par Shaban Jafari, un ancien catcheur surnommé “Sans cervelle” et, après un simulacre de procès, exécuté par un peloton d’exécution. Le règne de la terreur avait commencé.



Jugé comme traître par un tribunal militaire, le 19 décembre 1953, Mossadegh déclare :

« Oui, mon péché - mon grand péché... et même mon plus grand péché - est d’avoir nationalisé l’industrie pétrolière iranienne et d’avoir mis fin au système d’exploitation politique et économique du plus grand empire du monde. ...Au prix de ma vie et de celle de ma famille, au risque de perdre ma vie, mon honneur et mes biens. ...Avec la bénédiction de Dieu et la volonté du peuple, j’ai combattu ce système sauvage et épouvantable d’espionnage international et de colonialisme.

 

« […] Je suis bien conscient que mon destin doit servir d’exemple à l’avenir dans tout le Moyen-Orient pour briser les chaînes de l’esclavage et de la servitude aux intérêts coloniaux ».

Mossadegh est déclaré coupable de trahison. Il est placé à l’isolement pendant trois ans, puis assigné à résidence jusqu’à la fin de sa vie dans son village ancestral d’Ahmad-Abad. Le 5 mars 1967, Mohammad Mossadegh meurt à l’âge de 85 ans, un an et dix mois après le décès de celle qui fut son épouse bien-aimée pendant 64 ans.

 


 

 

Téhéran, 19 août 1953 : la CIA et le MI6 renversent Mossadegh et remettent le Chah en selle
Alors que Washington a reconnu son rôle dans le coup d’État, Londres garde toujours le silence

 “Gommé des livres d'histoire” : l’espion britannique qui planifia le coup d’État de 1953 en Iran

Julian Borger, The Guardian, 15/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Julian Borger est rédacteur en chef pour les affaires mondiales au quotidien britannique The Guardian et un auteur de non-fiction. Il a été correspondant aux USA, au Moyen-Orient, en Europe de l'Est et dans les Balkans. Son livre sur la poursuite et la capture des criminels de guerre des Balkans, The Butcher's Trail, est publié par Other Press.

Norman Darbyshire avait reçu une éducation modeste, mais ses capacités d’adaptation et son don des langues lui ont permis de nouer des contacts influents et de déposer le Premier ministre Mohammad Mossadegh le 19 août 1953

Il y a soixante-dix ans, le sort de l'Iran était en jeu, alors qu'un coup d'État usaméricano-britannique visant à évincer le Premier ministre élu semblait avoir échoué. La CIA était prête à mettre fin à l'opération, mais un officier de renseignement britannique de 28 ans, qui suivait les événements depuis une base clandestine à Chypre, a insisté pour persévérer.

Norman Darbyshire et trois hommes d'affaires ont demandé à des voyous de créer des troubles dans les rues de Téhéran. Photo : Intercontinentale/AFP/Getty Images

Le coup d'État - qui a eu lieu cette semaine il y a 70 ans - a finalement réussi, Mohammad Mosadegh, le leader qui était populaire en Iran pour avoir nationalisé un champ pétrolifère géré par les Britanniques, a été arrêté, et le Shah est retourné à Téhéran, renforcé.

La plupart des activités de renseignement consistent à collecter des informations. Il est rare qu'un espion change le cours de l'histoire comme l'a fait cet officier du MI6, Norman Darbyshire, en 1953. Les intérêts britanniques ont été restaurés à court terme, mais le shah est devenu un dictateur honni, ouvrant la voie à la révolution islamique de 1979 et à l'inimitié entre l'Iran et l'Occident qui perdure depuis lors.

Malgré l'ampleur des événements qu'il a déclenchés, on sait très peu de choses sur Darbyshire, qui a planifié le putsch et a joué un rôle déterminant dans sa réussite. Il avait été chargé de l'opération par le MI6 malgré son jeune âge, car il parlait couramment le farsi et avait déjà passé près d'une décennie en Iran. Depuis un ensemble de baraques situées à l'extérieur de Nicosie et connues sous le nom de “haras”, Darbyshire a rassemblé ses agents pour attiser les protestations dans la rue. Cela a fini par faire basculer la dynamique de Mossadegh vers le shah.

À Londres, le coup d'État a été perçu comme un triomphe, rétablissant un contrôle partiel sur les champs pétrolifères iraniens et envoyant un message selon lequel la Grande-Bretagne post-impériale pouvait encore exercer son influence dans le monde. Darbyshire semblait destiné au sommet des services de renseignement britanniques, mais sa vie et sa carrière ont été perturbées par une tragédie personnelle et il est mort dans l'obscurité en 1993. Son rôle central dans l'un des événements les plus importants de l'histoire moderne de l'Iran n'est mis en lumière que maintenant.

« Norman Darbyshire a coécrit le plan du coup d'État et a joué un rôle de premier plan dans la direction de l'opération qui a renversé Mossadegh et réinstallé le shah. C'était son show », dit Taghi Amirani, le réalisateur de Coup 53, un documentaire sur le complot. « Lorsque la CIA était prête à abandonner le coup d'État après son échec initial le 15 août, Darbyshire a, de sa propre initiative, fait appel à la populace et a fait pencher la balance en faveur de la Grande-Bretagne ».

Norman Darbyshire, à droite, comme jeune soldat en Iran en 1946

Beau, séduisant et polyglotte, l'ancien soldat des forces spéciales était ce que M16 avait de plus proche d'un vrai James Bond, mais un James Bond avec huit enfants.

Les entretiens avec ses proches et ses amis dressent le portrait d'un homme complexe, aux origines modestes dans le nord de l'Angleterre, mais capable de se sentir chez lui et de trouver des amis et des alliés partout dans le monde. Ils décrivent également ce que c'était que de grandir en tant que fils ou fille d'un super-espion britannique.

« Il a vécu une double vie extraordinaire », dit Anne Leahy, l'aînée des enfants de Darbyshire. « C'était un père extraordinaire qui faisait partie de la famille, qui s'amusait et qui était un très grand artiste.

"Il avait de grandes capacités linguistiques. Il parlait couramment le français, le farsi, l'allemand et l'arabe. Bien sûr, il a changé d'accent parce qu'il est né dans le Grand Nord, mais nous ne l'avons jamais entendu parler autre chose que ce que j'appelle l'anglais reçu », ajoute-t-elle. « Il s'est transformé. C'était un extraordinaire self-made-man. Il a quitté la maison à l'âge de 17 ans et n'a jamais regardé en arrière ».

Les enfants ont grandi à Téhéran, Beyrouth, Nicosie, Genève et Londres, et quel que soit l'endroit où ils vivaient, il y avait toujours un éventail inhabituel d'invités : l'explorateur et écrivain britannique Wilfred Thesiger, des officiers supérieurs du MI6 comme Nicholas Elliott, et l'ancien chef de la CIA pour le Moyen-Orient, Kermit "Kim" Roosevelt, qui a été le co-conspirateur de Darbyshire dans le coup d'État de 1953.

Lorsque Darbyshire était chef du MI6 à Téhéran dans les années 1960, sa femme Manon et leur famille vivaient à l'extérieur de l'enceinte de l'ambassade, dans le quartier aisé de Niavaran.

« Ils vivaient là-haut, à l'ombre des montagnes, avec une piscine. C'était extrêmement confortable et c'était merveilleux d'être à l'écart de tous les autres diplomates », dit Hugh Sykes, un journaliste chevronné de la BBC qui a grandi à Téhéran en tant que fils d'un membre du personnel de l'ambassade.

Ils faisaient des expéditions dans les hauts plateaux de l'Alborz, avec des vivres et du matériel de camping transportés à dos de mulets.

« C'était la couverture parfaite pour un espion », dit Sykes. "Il parlait couramment le farsi, avait une grande famille et partait souvent en excursion dans les montagnes ».

Tandis que ses enfants et leurs amis sont à la piscine, Darbyshire s'éclipse parfois pour rencontrer des contacts, notamment le Shah, un lien qu'il cultive depuis qu’ils sont tout jeunes. Ils se rencontraient deux fois par mois, jouant parfois au squash.

« Il prenait une petite voiture sans plaques diplomatiques, sans chauffeur, tout à fait incognito », dit Leahy.

Pour chacun des enfants, il y a eu un moment de prise de conscience que leur père n'était pas un diplomate ordinaire. Pour Nicholas, le troisième plus âgé, ce moment s'est produit lorsque la famille vivait à Beyrouth.

« J'ai ouvert un tiroir dans lequel j'ai trouvé pas moins de quatre passeports portant tous la photo de mon père, mais chacun avec un nom différent », raconte-t-il.

Certains de ceux qui ont connu Darbyshire ont dit qu'il était capable de changer d'identité parce qu'il était lui-même un outsider, habitué à s’adapter.

À l'époque, il était courant que les officiers supérieurs du MI6 soient issus des écoles publiques britanniques et d'Oxbridge [Oxford et Cambridge]. Fils d'un marchand de légumes de Wigan, Darbyshire s'est engagé dans l'armée après le déclenchement de la guerre et a été recruté par le Special Operations Executive (SOE), ancêtre du SAS. Il a été formé en Écosse et, en 1943, il a été envoyé en Iran, qui avait été occupé à la fois par les Britanniques et l'Union soviétique, pour éloigner les Allemands des champs de pétrole et des lignes de ravitaillement ouvertes sur le front de l'Est.

Au cours des trois premières années et demie passées à Téhéran en tant que soldat, Darbyshire a commencé à se constituer un réseau de contacts et à parler couramment la langue.

Il a déclaré plus tard qu'il « évoluait beaucoup dans les cercles persans, contrairement à d'autres membres de l'ambassade ».

« Ce que l'on dit poliment en anglais à un ambassadeur lors d'un cocktail est très différent de ce qui se passe avec un groupe de jeunes », disait-il dans une interview enregistrée pour une série télévisée de Granada en 1985, End of Empire, mais qui n'a jamais été utilisée. Les réalisateurs du programme ont déclaré que cette interview n'avait pas été enregistrée et ont nié qu'elle ait été supprimée sous la pression du gouvernement. Le Royaume-Uni n'a toujours pas reconnu officiellement son rôle dans le coup d'État.

Amirani est tombé sur la transcription de l'entretien en novembre 2016, parmi les papiers du petit-fils de Mossadegh, qui avait été consultant sur la série de Granada. Dans Coup 53, Ralph Fiennes joue le rôle de Darbyshire.

Le jeune Norman a très certainement été recruté pour la première fois au MI6 par son colocataire à Téhéran, Robin Zaehner, un universitaire spécialiste des religions orientales et un espion britannique. C'était un personnage excentrique, avec d'épaisses lunettes qui grossissaient ses yeux, une voix rocailleuse et un penchant réputé pour l'opium.

L'une des tâches de Darbyshire à Téhéran était de servir de porteur de valises à Zaehner, en fournissant des fonds pour recruter des agents. « D'énormes sommes d'argent étaient dépensées », a-t-il déclaré. « Il avait coutume de transporter des boîtes de biscuits contenant des billets de banque ».

Zaehner le présente à ses contacts, notamment Mohammed Reza Pahlavi, le jeune shah, qui n'a que cinq ans de plus que Darbyshire, et à trois frères - Seyfollah, Asadollah et Qodratollah Rashidian -, hommes d'affaires anglophiles et monarchistes qui deviendront les agents les plus importants de Darbyshire.

Après que Mosadegh est devenu Premier ministre en 1951, qu'il a nationalisé l'Anglo-Iranian Oil Company et expulsé les diplomates britanniques l'année suivante, le gouvernement britannique a décidé qu'il fallait se débarrasser de lui.

Darbyshire et un assistant ont été chargés d'élaborer un plan visant à déposer le premier ministre, sous le nom de code “Operation Boot”. Lorsque les USAméricains sont entrés dans la danse au printemps 1953, après l'élection de Dwight Eisenhower, l'opération a été rebaptisée “Ajax”, mais le plan est resté en grande partie le même, avec le shah et les frères Rashidian comme éléments centraux.

Lorsque le coup d'État a été lancé le 15 août, les choses ont rapidement dérapé. Certains militaires putschistes ne se présentent pas ou font semblant d'être malades. Le chah panique et s'enfuit à bord d'un petit avion vers Baghdad, et Washington fait savoir qu'il est prêt à abandonner le projet.

Darbyshire et les Rashidian refusent d'abandonner et inondent les rues de Téhéran de voyous payés pour affronter les partisans de Mossadegh et ses alliés, notamment les communistes du parti Toudeh. Cela suffit à convaincre les officiers de l'armée qui étaient restés sur la touche de se rallier à la cause du chah.

Le coup d'État a fait de Darbyshire l'enfant chéri du MI6 et, dix ans plus tard, son étoile ne cesse de monter. Il est de retour à Téhéran, il est la voix de la Grande-Bretagne qui murmure à l'oreille du shah et mène une vie agréable dans la grande maison du nord de Téhéran. Mais la vie de la famille est sur le point de s'effondrer.

En novembre 1964, Darbyshire conduit un officier de renseignement britannique en visite pour inspecter des postes d'écoute électronique près de la frontière soviétique. Il a emmené sa femme, Manon, pour le voyage, un voyage pittoresque à travers les montagnes d'Alborz jusqu'à la mer Caspienne.

Sur le chemin du retour, le 13 novembre, la voiture dérape sur l'étroit sentier de montagne et tombe dans un ravin. Le visiteur londonien est tué sur le coup. Manon est ramenée sur une civière jusqu'à la route et y meurt.

Darbyshire, qui était au volant, s'en est d'abord sorti indemne, mais il a failli mourir 13 mois plus tard d'une hémorragie sous-arachnoïdienne. Ayant appris qu'il devrait quitter son poste s'il ne parvenait pas à faire face à sa vie domestique, il a demandé à une amie de la famille, Maggie Burleigh, qui était enseignante, de s'envoler pour Téhéran afin de s'occuper de ses six enfants, en s'arrangeant pour la faire contrôler.

« Il m'a dit : “Tu me verras aller et venir à toutes les heures du jour et de la nuit, mais c'est très confidentiel” », raconte l'amie, aujourd'hui Maggie Boswell, qui ajoute : « C'était plutôt secret ». « C'était un peu comme un film de cape et d’épée ».

Darbyshire commence à fréquenter une jeune femme de la section des renseignements de l'ambassade, Virginia Fell, et l'épouse en avril 1966 lors d'un mariage très élaboré organisé à l'ambassade et payé par le MI6.

À l'âge de 22 ans, la nouvelle Mme Darbyshire se retrouve soudain belle-mère de six enfants, et elle en a deux autres avec Norman, tous deux des filles. À partir de 1970, elle doit s'acquitter de cette tâche dans l'environnement de plus en plus instable de Beyrouth, où la famille a un garde armé costaud qui dort devant sa porte pour la protéger.

Pendant tout ce temps, le comportement de Darbyshire devient de plus en plus erratique et sa consommation d'alcool, toujours prodigieuse, devient incontrôlable.

« La vérité est qu'après l'accident et l'hémorragie cérébrale, la combinaison des deux a été un tournant », dit Peter, le deuxième enfant le plus âgé de Darbyshire. « Il n'était plus la même personne. C'était très clair pour les enfants que nous étions ».

Peu après le retour de la famille en Grande-Bretagne en 1975, le couple se sépare et la carrière de Darbyshire s'effondre dans les années qui suivent. Il aspire encore à monter au sommet, mais sa réputation de franc-tireur buveur lui est défavorable et il démissionne en 1979.

Il espérait se lancer dans les affaires au Moyen-Orient, mais ses projets ont été torpillés par la révolution iranienne. La plupart de ses contacts ont été tués, emprisonnés ou ont disparu.

« Il s'attendait à une retraite plutôt dorée, mais ça n’a pas été le cas », dit son fils.

Darbyshire est mort en juin 1993 d'une crise cardiaque, alors qu'il tondait sa pelouse. La cérémonie au crématorium de Harrogate fut l'une des rares occasions de réunir ses huit enfants. Boswell et une poignée d'autres amis étaient présents, mais il n'y avait personne de l'époque où il travaillait pour le MI6.

Après la chute du Chah et la révolution islamique en Iran, le coup d'État de 1953 ne semblait plus être le coup de maître qu'il avait été, mais rien n'indique que Darbyshire ait changé d'avis. Dans son interview à Granada, il a insisté sur le fait que si Mossadegh avait été autorisé à rester au pouvoir, les communistes auraient fini par prendre le contrôle de son gouvernement.

« La Russie aurait alors obtenu ce qu'elle a toujours voulu : l'accès aux ports du Golfe », disait-il.

Virginia Darbyshire pense que ce ne sont pas les remords pour le coup d'État qui l'ont hanté, mais le fait de savoir qu'il avait triomphé contre toute attente et que personne ou presque n'en savait rien.

« Avec le coup d'État, il a toujours eu l'impression d'avoir été gommé des livres d'histoire », dit-elle, « je suppose qu'il était assez amer à ce sujet ».

Le Royaume-Uni devrait enfin reconnaître son rôle dans le coup d'État de 1953 en Iran, déclare David Owen

Julian Borger, The Guardian, 15/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'ancien ministre des Affaires étrangères britannique estime qu'une telle démarche serait bénéfique à la fois pour le mouvement réformateur dans le pays et pour la crédibilité de la Grande-Bretagne.

Le Royaume-Uni devrait enfin reconnaître son rôle de premier plan dans le coup d'État de 1953 qui a renversé le dernier dirigeant démocratiquement élu de l'Iran, dans l'intérêt de la crédibilité de la Grande-Bretagne et du mouvement réformateur iranien, a déclaré l’ancien secrétaire d'État aux Affaires étrangères.


Lord Owen

Les USA ont officiellement reconnu leur rôle il y a dix ans, avec la déclassification d'un grand nombre de documents des services de renseignement, qui indiquaient clairement que l'éviction du premier ministre élu, Mohammad Mossadegh, il y a 70 ans cette semaine, était une entreprise conjointe de la CIA et du MI6. La position officielle du gouvernement britannique est de refuser tout commentaire sur une question de renseignement.

Le complot initial, connu sous le nom de code “Operation Boot”, a été élaboré par le MI6 après l'accession de Mossadegh au poste de Premier ministre et la compagnie pétrolière britannique dominante en Iran a été nationalisée. L'administration d'Harry Truman ne voulait rien savoir, considérant Mossadegh comme un rempart contre le communisme, mais Winston Churchill a réussi à persuader son successeur, Dwight Eisenhower. Au printemps 1953, la CIA a commencé à planifier l'opération conjointement avec le MI6 et l'opération a été rebaptisée Ajax.

À l'occasion du 70e  anniversaire du coup d'État, David Owen, qui a été ministre des Affaires étrangères de 1977 à 1979, a déclaré au Guardian : « Il y a de bonnes raisons de reconnaître le rôle joué par le Royaume-Uni aux côtés des USA en 1953 dans le renversement d'une évolution démocratique. En admettant que nous avons eu tort de le faire et que nous avons saccagé les étapes qui menaient à un Iran démocratique, nous rendons les réformes aujourd'hui un peu plus probables ».

Pendant le mandat de Lord Owen au Foreign Office, le régime du Chah malade a succombé devant la révolution islamique que de nombreux historiens considèrent comme une conséquence tardive de la mort de la démocratie iranienne en août 1953.

« À l'automne 1978, j'ai averti très publiquement à la télévision que le régime des mollahs serait bien pire que celui du chah en termes de droits humains et de bonheur personnel », dit Owen. « Malheureusement, cela s'est avéré exact.

« J'ai clairement fait comprendre au Chah que son régime devait céder la place à des réformes démocratiques, mais j'aurais aimé savoir qu'il était gravement malade et pouvoir faire pression sur lui bien plus tôt en 1978 pour qu'il reste en Suisse afin de suivre un traitement médical et qu'il laisse un gouvernement plus démocratique émerger en Iran », ajoute-t-il.

« Aujourd'hui, les arguments puissants des femmes en faveur de la réforme en Iran sont entendus et respectés parce qu'ils sont fidèles à un esprit politique qui a une longue histoire en Iran. Le gouvernement britannique d'aujourd'hui aiderait leur cause et la rendrait plus susceptible de réussir et de ne pas être écartée si nous admettions nos erreurs passées en 1953, comme j'ai admis les erreurs que j'ai commises de 1977 à 1979 ».

Un nouveau film, Coup 53, retrace l'histoire du coup d'État, en mettant l'accent sur un jeune espion britannique qui a joué un rôle central, Norman Darbyshire. Malgré des critiques élogieuses, le réalisateur Taghi Amirani et le monteur hollywoodien chevronné Walter Murch n'ont pas réussi à trouver un distributeur, ce qu'ils attribuent à la persistance du secret officiel britannique.

« Nous avons assisté aux tentatives les plus étranges et les plus sinistres pour étouffer à la fois le contenu du film et ses chances d'être distribué, dans le cadre de nombreux incidents tordus dignes de [John] le Carré », constate Amirani.

Richard Norton-Taylor, l'auteur de The State of Secrecy, un livre sur les services de renseignement britanniques et les médias, dit :  « Il est triste, absurde et, en fait, contre-productif que le gouvernement britannique continue de se cacher derrière son vieux mantra “ni confirmer ni nier” et refuse toujours d'admettre le rôle de premier plan joué par le MI6 dans le renversement de Mossadegh, alors que tant de choses, y compris des documents officiels de la CIA, ont été révélées à ce sujet depuis tant d'années ».