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05/03/2023

LUIS HERNANDEZ NAVARRO
Hugo Chávez, l’enfant pauvre de Sabaneta

 Un article publié au lendemain de la mort du président Chávez le 5 mars 2013

Hugo Chávez fut un personnage en chair et en os sorti du roman le plus fantaisiste de Gabriel García Márquez. Enfant pauvre de Sabaneta (capitale de l’État de Barinas) qui a juré de ne pas trahir son enfance de privations et de précarité, il a appris très jeune à confectionner et à vendre des friandises. Fils d’instituteurs qui avait grandi avec sa grand-mère Rosa Inés et deux autres de ses frères, il a vécu dans une maison au toit de palme, aux murs et au sol en terre, qui, avec la pluie, était inondée. Enfant, il rêvait d’être peintre et rêvait de jouer au base-ball dans les Grandes Ligues, Toute sa vie, ses origines humbles l’ont nourri.

Sa grand-mère, qu’il appelait Mamá Rosa, lui  a appris à lire et à écrire avant d’entrer à l’ école primaire. À ses côtés, il a appris les injustices de ce monde et a connu le dénuement et la douleur, mais aussi la solidarité. De ses lèvres -elle était une narratrice extraordinaire -, il a reçu ses premières leçons d’histoire nationale, mélangée à des légendes familiales.


L’enfant Hugo Chávez a voyagé par le monde à travers les illustrations et les histoires qu’il a lues dans les quatre grands et gros tomes de l’Encyclopédie Autodidacte Quillet, cadeau de son père. En dernière année de l’école primaire, il fut choisi pour faire un discours à l’évêque González Ramírez, le premier à arriver jusqu’à son village. Dès lors il prit goût à parler en public et les autres l’écoutaient avec intérêt.

Son idole fut Isaías Látigo [Fouet] Chávez, lanceur dans les Grandes Ligues. Il ne l’a jamais vu, mais il l’imaginait en suivant les matches à la radio. Le jour où son héros est mort dans un accident d’avion, le monde est tombé sur le jeune Hugo, âgé de 14ans.

Pour être comme le Látigo, le garçon de la brousse est entré dans l’armée. Ses qualités de base-balleur lui ont ouvert les portes de l’Académie Militaire en 1971. Quatre ans plus tard, il fut diplômé comme sous-lieutenant avec une licence en sciences et arts militaires, un diplôme en contre-insurrection, avec une boussole qui indiquait comme nord la direction du chemin révolutionnaire.

Sa prise de conscience fut un processus long et complexe, dans lequel se sont combinés lectures, une connaissance de personnages-clé, et événements politiques de l’Amérique Latine. Dans un des épisodes de réalisme magique qui ont marqué sa vie, en 1975, lors d’une opération le sous-lieutenant Chávez a trouvé à La Marqueseña, Barinas, une Mercedes Benz noire cachée dans la forêt. Après avoir ouvert le coffre avec un tournevis, il est tombé sur un arsenal subversif composé de livres de Karl Marx et de Vladimir Illich Lénine, qu’il a commencé à lire.

Quant à ce qui a contribué à forger ses attitudes politiques, Son frère ainé Adam, militant du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) a eu une influence décisive. Sa participation à une expérience éducative des forces armées appelée Plan Andrés Bello, destinée à offrir aux militaires une formation humaniste, joua aussi un rôle. De même, , la découverte de Simon Bolívar contribua à son éducation politique et la voracité intellectuelle de Chavez l’a conduit à lire tout document trouvé sur la biographie et la pensée du Libertador. Plus tard, l’influence de Fidel Castro, qu’il a traité comme s’il était son père, allait être définitive.

Le renversement de Salvador Allende en 1973 a provoqué chez lui un grand mépris envers les militaires de l’acabit d’Augusto Pinochet, si répandus en Amérique Latine. Au contraire, la connaissance de l’œuvre du panaméen Omar Torrijos et du Péruvien Juan Velasco Alvarado lui a montré l’existence d’un autre type de forces armées à vocation nationaliste et populaire, si différentes des gorilles formés à l’École des Amériques.

Rebelle aux outrages, il a découvert sous l’uniforme les abus et la corruption de ses dirigeants, et, il les a combattus comme il a pu « Je suis allé au Palais [présidentiel de Miraflores, NdT] pour la première fois – racontait Chavez – chercher une caisse de whisky pour la fête d’un officier ». Pour les dégager, lors l’anniversaire de la mort de Simon Bolívar en 1982, un petit groupe d’officiers, parmi lesquels se trouvait Chavez, a fait le serment de Samán de Güere, par lequel ils ont fondé le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire 200 (MBR200).

Presque sept ans plus tard s’est produit un soulèvement spontané des quartiers pauvres du Caracas contre les mesures d’austérité du gouvernement de Carlos Andrés Pérez. Le Caracazo a été écrasé dans le feu et le sang. La rébellion populaire a donné une grande impulsion au mouvement des militaires bolivariens.

En 1992, Chávez et ses compagnons se sont soulevés en armes. La révolte a échoué et Chavez est allé en prison. Il a assumé la responsabilité face aux médias. Sa popularité et son ascendant politique furent à partir de ce moment-là en hausse. Après avoir retrouvé la liberté, sa présence politique a vite progressé face à la déroute du système politique traditionnel. Il a gagné l’élection présidentielle de 1998 avec 56 % des voix. À partir de ce moment, personne n’a pu l’arrêter. À plusieurs reprises, il a gagné presque tous les élections et les referendums auxquels il a participé, et il a aussi miraculeusement survécu à un coup d’État et à une grève pétrolière.

Tout au long des presque 20 ans pendant lesquels il a dirigé l’État vénézuélien, le lieutenant-colonel a refondé son pays, il l’a décolonisé, il a rendu visibles les invisibles, il a redistribué la rente pétrolière, il a éradiqué l’analphabétisme et la pauvreté, il a élevé d’une manière incroyable les indices de santé, il a augmenté le salaire minimum et il a fait progresser l’économie. En même temps, sur la scène internationale, il a renforcé le pôle des pays pétroliers face aux grandes compagnies privées, il a fait dérailler le projet de zone de libre-échange pour les Amériques, l’ALCA, impulsé par Washington, il a créé un projet alternatif d’intégration continentale et il a établi les bases pour un socialisme en accord avec le nouveau siècle.

Hugo Chávez fut un communicateur formidable, un infatigable conteur d’histoires, un éducateur populaire. Ses récits, hérités des contes que Mamá Rosa lui offrait dans son enfance, qui mélangeaient histoire nationale, lectures théoriques, anecdotes personnelles, souvent en temps réel. Le sens de l’humour était toujours  présent. « Si ta femme te demande de te jeter par la fenêtre – blaguait-il – il est temps que tu déménages au rez-de-chaussée... »

Ses narrations suivaient le modèle classique des sonates musicales, où deux thèmes en contraste se développent dans des tonalités voisines. Dans ses discours il recourait de la même façon à la poésie et au chant. « Je chante très mal – se justifiait il – mais, comme l’a dit cet habitant des Llanos, Chávez chante mal, mais il chante joli », pour, ensuite, interpréter une chanson ranchera ou une ballade.

Antiimpérialiste, antinéolibéral, il a commencé à réaliser le miracle de construire les fondations de l’utopie dans un pays qui de manière imaginaire était plus près de Miami que de La Havane. Llanero pur jus, fabuliste infatigable, Chavez a rêvé de revivre l’idéal socialiste quand très peu de personnes souhaitaient en parler. Et il l’a fait, pour ne jamais trahir son enfance d’enfant pauvre de Sabaneta.




 

29/01/2023

LUIS HERNANDEZ NAVARRO
Paco Ignacio Taibo II : “Revendiquer Pancho Villa va nous permettre de mettre en avant ce qu’était et ce qu’est l’insurrection populaire”

Luis Hernández Navarro, La Jornada, 29/1/2023
Original:
Reivindicar a Villa permitirá poner en relieve la insurgencia popular: Taibo II
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme s’il s’agissait de la station de métro Balderas à l’heure de pointe, l’œuvre de l’écrivain Paco Ignacio Taibo II est encombrée. Héctor Belascoarán Shayne, le célèbre détective de ses romans policiers, est de retour (s’il est jamais parti). Sa biographie en espagnol de Pancho Villa en est à sa 27e édition et une nouvelle édition sera publiée à l’occasion de la commémoration nationale [centenaire de son assassinat le 20 juillet, NdT]. Cette année également, la version anglaise paraîtra aux USA. Enfin, on peut trouver ses deux derniers livres en librairie : La libertad, Tres historias de la historia et La historia del gueto de Varsovia.

L’écrivain Paco Ignacio Taibo II, dans les locaux de La Jornada. Photo Yazmín Ortega Cortés

 

Peut-on parler d’une renaissance belascoaranienne?

Oui, c’est vrai. Les œuvres complètes de Belascoarán seront publiées en Espagne en deux volumes. Le premier est déjà sorti, le second paraîtra en février. Et puis il y a la série télévisée sur Netflix, le revival bélascoaraniste qu’elle a provoqué et la façon dont les ventes de ses livres ont explosé.

Bon, ce n’est pas vraiment un revival. ‘Belascoarán a toujours vendu régulièrement, tant ses romans complets que les versions individuelles. Il a été en vie. Mais la série télévisée a créé un renouveau de ses lectures qui a commencé à être remarqué dans les salons du livre ces derniers mois. Il a connu un grand succès dans des pays tels que le Mexique, l’Italie et la Grèce. En fait, il y a la possibilité d’une deuxième saison de la série.

Avant que Rafael Ramírez Heredia et toi ne vous aventuriez dans le genre, Rafael Bernal a écrit Le complot mongol. Après cela, il a proliféré. Pourquoi as-tu commencé à écrire des romans policiers et que s’est-il passé ?

Lorsque Rafael Ramírez et moi avons lancé le genre néo-policier au Mexique, nous avons voulu faire revivre Le complot mongol. Le livre était une pièce détachée qui est restée détachée, par un auteur très inégal. Lorsque nous nous sommes adressés à l’éditeur Joaquín Mortiz pour le suggérer, il a répondu : “Pourquoi pas, vu que j’ai les trois quarts de l’édition invendus”.

Les autres qui étaient là, et qui auraient dû fonder le néo-polar mexicain, étaient Jorge Ibargüengoitia, avec Las muertas et Dos crímenes, et Vicente Leñero, avec Los albañiles. Mais ils ont refusé de dire qu’il s’agissait de romans policiers. Comme s’ils avaient le syndrome de la haute littérature. Ils n’ont pas créé de genre. Ce que Rafael Ramírez et moi avons fait, ça a été de créer un genre au Mexique.

Nous étions accompagnés par une vague qui, nous le savons aujourd’hui, était internationale, mais nous ne le savions pas à l’époque car c’était une vague invisible. Quand j’écrivais Días de combate, Manuel Vázquez Montalbán écrivait Tatuaje. Aux USA, Roger L. Simon était en train d’être pûblié. Ross Thomas était un challenger à New York. Jürgen Alberts le faisait en Allemagne et Jean-Patrick Manchette en France.

Lorsque nous nous sommes rencontrés, grâce aux bons offices de la Semana Negra de Gijón, nous avons réalisé que nous étions un courant. Le premier à l’établir de manière évidente a été une émission en France intitulée Du drapeau rouge au roman noir, qui commençait en disant : « Où étiez-vous en 67, 68, 69 ? », puis recensait les romans policiers.

La génération de 68 était entrée dans le roman policier avec l’idée claire, transparente et décisive que la guerre continuait par d’autres moyens et que la lutte contre le système avait trouvé refuge dans le roman policier. Nous étions la génération qui disait : « Le capitalisme, c’est nul ».

On se connaissait et on écrivait des avant-propos l’un pour l’autre. C’était un phénomène courant pour nous aider à être publiés à l’échelle internationale, en brisant les frontières.

Pourquoi était-il considéré comme un genre mineur ?

Il existe un analphabétisme fonctionnel. Aujourd’hui, au Mexique, les architectes du politiquement correct continuent de penser que le roman policier est un genre mineur. Ce qui se passe, c’est qu’ils n’osent pas le dire. Et pourtant, certains auteurs de première ligne de l’expérimentalisme littéraire se sont approchés du roman policier, car ils y trouvent une source narrative très intéressante.

En Espagne, la bataille a été gagnée par Vázquez Montalbán, qui était un intellectuel tout terrain. Il était très difficile de discuter avec quelqu’un qui était un leader politique, un excellent poète, un romancier expérimental et aussi avec le créateur du néo-polar espagnol, accompagné par Andreu Martín et Juan Madrid. Il était beaucoup moins difficile pour eux de gagner la bataille en Espagne qu’au Mexique.

 

Villa est de retour grâce à “quatre personnes (Jesús Vargas, Friedrich Katz, Pedro Salmerón et Taibo II) qui, au cours des 20 dernières années, ont écrit des livres sur lui et liquidé la légende noire", déclare Paico Ignacio Taibo II dans son interview. Photo Yazmín Ortega Cortés

Pancho Villa est de retour.

-Oui, et je ne suis pas le seul à meen attribuer le mérite. Le mérite revient à quatre personnes qui, au cours des 20 dernières années, ont écrit des livres sur Villa qui ne sont pas discutables, qui ont balayé la légende noire. Le travail de Katz, le mien, celui de Chuy Vargas et de Pedro Salmerón l’ont balayée. Nous avons réduit en bouillie la légende noire qui était cachée, dissimulée, qui résistait à reconnaître Villa comme un héros populaire, et qui lui collait des étiquettes comme “sauvage, assassin, polygame”, et blablabla.

Les livres qui ont raconté la véritable histoire de qui était Pancho Villa ont changé le ton avec lequel il est reconnu aujourd’hui. Il y aura de nombreux films gringos dans lesquels Villa apparaît bourré, mais un Mexicain moyennement informé sait qu’il ne buvait pas d’alcool.

C’est un personnage vraiment intéressant. Très mauvais dans les discours publics, merveilleux dans les conversations courtes. Le verbiage autour du feu de camp, les discussions, les potins, les anecdotes, étaient fabuleux. Sa conversation avec Zapata est mémorable. Heureusement, elle a été notée en sténographie. Nous savons qu’ils n’avaient aucun désir d’être président, bien au contraire. Ils disiaent des choses comme : « À Mexico, quand je monte sur le trottoir, j’ai le vertige ». « Allons-y ! Tu vas au sud pour faire la Réforme Agraire et je vais au nord pour faire les brigades avec la División del Norte, les Développements Agraires Paysans ».

Pour quelqu’un comme moi, qui venait du roman, il avait le mérite d’être un tiroir sans fin d’anecdotes. Ainsi, quand tu écris l’histoire de Villa, tu as une accumulation d’histoires qui mettent du sel et te donnent le personnage. Cela permet une lecture ouverte qui laisse le lecteur juge.

Ton livre sur Villa fait des centaines de pages, comment un ouvrage aussi volumineux peut-il en même temps être aussi populaire?

Parce que c’est la même chose pour beaucoup de gens que pour moi : quand tu aimes un livre, tu ne veux pas qu’il se termine.

Des choses incroyables me sont arrivées avec le livre de Villa. Je suis à Durango et on s’arrête chez une dame qui fait des gorditas* sur le comal. Mon guide, Jerry Segura, me présente. Elle s’essuie les mains sur son tablier et sort de sous le comal une édition de Pancho Villa, à moitié noiricie par la fumée. Neuf ou dix personnes l’avaient lu. « Wow, c’est génial ! » me dit-elle. « Vous savez pourquoi nous l’avons lu ? » Je lui ai demandé, avec une énorme curiosité : « Pourquoi ? » « Parce que le général nous l’a recommandé. Il dit que c’est très bon », répond-elle. Allez ! Je sors ma timidité du placard et partage mes doutes : « Excusez-moi, madame, quel général ? » « Pancho, parce qu’il vient parfois. Madero ne vient jamais, mais Pancho vient parfois et quand il le fait, il dit, lisez le livre de Taibo parce qu’il est très bon ».

« Bonne mère ! », me suis-je dit. Je l’ai embrassée et enlacée pour lui dire au revoir et j’ai signé son exemplaire.

Lorsque je suis arrivé à la conférence que j’allais donner, je me suis dit : « Tu n’as pas le cran, hein que tu n’oses pas dire au public que ce livre est intéressant parce que Pancho Villa l’a recommandé ? « Et je n’ai pas osé, je ne suis pas allé si loin.

Pourquoi revendiquer Villa aujourd’hui ?

La revendication de Villa va nous permettre de mettre en avant ce qu’était et ce qu’est l’insurrection populaire. C’est un homme qui, pendant 50 jours en tant que gouverneur de Chihuahua, a créé 50 écoles. Dans la 4T [la « Quatrième Transformation » proclamée par le président Manuel Lopez Obrador, NdT], nous devons encore sortir du labyrinthe bureaucratique de la gestion d’un État. Villa l’a résolu par des actes. Je pense que cette image va avoir un impact sur les lecteurs et leur dire que le problème des choses, c’est de les faire.

Mettre Villa à l’ordre du jour, c’est la même chose que de parler de Madero, Zapata ou Juárez. C’est le passé qui vit avec nous. Il a des règles. Vous ne pouvez pas le sortir et le transporter à notre époque et l’utiliser comme exemple. Mais, grâce à lui, tu peux réfléchir à nos origines, à notre identité et à notre avenir.

C’est là toute l’importance de Villa. J’ai écrit sa biographie pour l’intégrer dans le calendrier des saints laïc. Je suis sans vergogne un villista dans l’âme.

 

NdT

^Gorditas : litt. « petites grosses », equivalent mexicain des empanadas, arepas, börek, samoussa, ftayer, ou pirojki, autrement dit des chaussons de pâte feuilletée et farcis de divers ingrédients selon les régions et les goûts.