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06/07/2025

CAROLINE DUPUY
Comment le Maroc alimente la machine génocidaire israélienne

Caroline Dupuy à Tanger, Maroc
Middle East Eye, 1/7/2025
Traduit par SOLIDMAR

Malgré les protestations publiques, les expéditions de matériel militaire à destination d’Israël via les ports marocains se poursuivent, facilitant les attaques contre les Palestiniens. 

Une femme brandit les drapeaux palestinien, marocain et libanais alors que des manifestants marchent vers le port de Tanger Med pour protester contre l’arrivée prévue d’un navire censé transporter des pièces de chasseurs à réaction à destination d’Israël, à Tanger, Maroc, le 20 avril Photo Abdel Majid Bziouat/AFP

Il est impossible de passer à côté de l’omniprésence de Maersk dans les ports marocains, tant la société danoise domine les conteneurs maritimes. Cette forte présence ne serait pas si intrigante en soi, si ce géant mondial de la logistique n’était pas connu pour le transport de matériel militaire vers Israël en pleine guerre contre Gaza.

Le Maroc est devenu un maillon essentiel dans la route des armes facilitant les expéditions de matériel militaire vers Israël, notamment via Maersk. Cela inclut des composants de jets F-35, qui alimentent les attaques israéliennes contre les Palestiniens.

Un rapport récent de Declassified UK et du média d’enquête irlandais The Ditch a examiné le rôle du Maroc dans le transfert de pièces des avions de chasse F-35 via Maersk.

Le rapport évoque en particulier une expédition en avril: le matériel pour jets a quitté le port de Houston, aux USA. Deux semaines plus tard, le Maersk Detroit battant pavillon usaméricain arrivait à Tanger, Maroc, où la cargaison était transférée sur un autre navire, le Nexoe Maersk [battant pavillon de Hong Kong].


L’expédition a traversé la Méditerranée avant d’arriver au port israélien de Haïfa. La cargaison militaire a ensuite été acheminée vers la base aérienne de Nevatim, point clé de décollage de l’armée de l’air israélienne pour bombarder Gaza.

Lorsque ces révélations ont été faites en avril, l’indignation publique a éclaté au Maroc. Des milliers de manifestants se sont mobilisés dans les ports de Casablanca et Tanger Med, tandis qu’au moins huit dockers ont démissionné en protestation contre les expéditions controversées de Maersk.

Les rapports divergent quant au début de l’accostage de telles cargaisons dans le royaume, mais les ports marocains sont devenus une option attrayante sur la route de transfert après qu’en novembre, deux cargos Maersk ont été empêchés d’accoster en Espagne, soupçonnés de transporter des armes vers Israël.

Ils se sont donc arrêtés à Tanger Med, déclenchant de nouvelles protestations locales.

Alejandro Pozo, spécialiste des conflits armés et du désarmement au Centre Delas, a déclaré à MEE que les transferts d’armes via la route Espagne–Maroc sont considérés comme «un trafic régulier et nont pas cessé», daprès les bases de données que le centre de recherche catalan a pu consulter.

Face à la polémique, Maersk a publié en mars un communiqué affirmant qu’elle «observe une politique stricte de non-acheminement darmes ou de munitions vers les zones de conflit actif, dans le respect des réglementations internationales».

Un représentant a également affirmé à Declassified UK que le Maersk Detroit et le Nexoe Maersk «transportent des conteneurs contenant des pièces de F-35. Cependant, ces cargaisons sont destinées à dautres pays participants au programme F-35». Le programme des F-35 «dépend dun réseau complexe de partenaires et fournisseurs à travers plusieurs pays», a précisé le groupe danois en juin.

Se cacher derrière les mots

L’entreprise reconnaît cependant ses contrats avec le gouvernement usaméricain via sa filiale usaméricaine, Maersk Line Limited (MLL), engagée dans le Maritime Security Programme (MSP).

Ce programme, auquel Maersk participe depuis 1996, impose de mettre des navires à disposition des autorités usaméricaines moyennant des sommes importantes pour transporter du matériel destiné à la guerre. Ainsi, la société devient un acteur clé de la facilitation des transferts d’armes.

De par ce soutien à la politique usaméricaine, Maersk expédie des cargaisons vers plus de 180 pays «dans le cadre de programmes de coopération en matière de sécurité, incluant le transport de marchandises civiles et à usage militaire vers Israël», selon le communiqué de mars.

Maersk a assuré au site ouèbe Danwatch que les trajets de ses bateaux vers Israël «ne font pas partie du MSP», mais sont liés à un autre programme militaire usaméricain.

Pourtant, un rapport du Centre Delas a repéré que des navires de la route faisaient partie du MSP. L’annexe liste ces expéditions pour permettre d’identifier les navires susceptibles de transporter des armes vers Israël.

Selon le centre, les transports MSP qui passent fréquemment par le Maroc et l’Espagne du Sud signalent un trajet vers Israël. Pour Pozo, les protestations ont eu lieu sur certains transports parce que l’information était publique, pas parce qu’elles étaient les seules occasions.

Le Maroc reste muet sur sa participation à ces transferts d’armes. Ce silence est suspect pour nombre d’observateurs.

«Évidemment, un gouvernement peut savoir ce quil y a dans un conteneur sil le veut vraiment», dit Pozo à MEE.

Les acteurs impliqués «se cachent derrière le vocabulaire», ajoute-t-il, parlant par exemple «d’équipement militaire ou de composants». Ce vocabulaire est semblable à celui employé par Maersk dans ses communications.

Pozo souligne aussi qu’alors que le gouvernement espagnol a bloqué trois cargaisons sous la pression populaire, «lEspagne na pas appliqué dautre mesure administrative, y compris des sanctions contre les transferts darmes à Israël».

MEE a contacté Maersk, l’Agence nationale des ports du Maroc et le ministère marocain des Affaires étrangères pour connaître leur position morale, compte tenu des conséquences dévastatrices de ces armes à Gaza.

MEE voulait aussi savoir la quantité exacte d’armes transportées via le Maroc, pourquoi le royaume est devenu un maillon clé, et depuis quand Maersk passe par cette route.

Aucune réponse n’avait été donnée au moment de la publication.

Interdépendance maroco-israélienne

Le Mouvement de la jeunesse palestinienne a affirmé, en novembre 2024, que Maersk a «expédié des millions de livres (lb) d’équipements militaires vers larmée israélienne depuis les USA, à travers plus de 2000 expéditions» sur 12 mois à partir de septembre 2023.

La capacité militaire israélienne découle en majorité des importations, notamment des USA, selon Zain Hussain, chercheur au SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute).

Depuis son arrivée au pouvoir, l’administration Trump a approuvé près de 12milliards de $US de ventes militaires majeures à Israël.

«Israël dépend largement des importations darmes pour sa guerre à Gaza et ses opérations militaires ailleurs dans la région», explique Hussain à MEE.

«Disposer de routes dacheminement fiables et sûres pour le transfert de ces armes et composants est crucial pour Israël, et le soutien de certains États est essentiel pour le permettre», ajoute-t-il.

Pozo avance qu’une des raisons pour lesquelles le Maroc est devenu une plateforme stable sur la route des transferts, via le détroit de Gibraltar, est avant tout géographique.

«Jimagine que la proximité permet une logistique efficace et des économies en coût énergétique», indique-t-il.

Sinon, il faudrait passer par l’Afrique et la mer Rouge, une route plus longue, coûteuse et dangereuse, rappelle le Centre Delas.

Autre facteur: la dépendance du Maroc vis-à-vis dIsraël pour son équipement militaire, comme en témoigne le choix récent du royaume de faire dElbit Systems lun de ses principaux fournisseurs darmes.

Le Maroc a normalisé ses relations avec Israël en décembre 2020, rejoignant les Accords d’Abraham du président Trump, en échange d’une reconnaissance par les USA et Israël de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Depuis, la coopération entre les deux pays n’a fait que se renforcer, y compris militairement. Le Maroc est accusé d’utiliser des armes pour soutenir son conflit contre le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui soutenu par l’Algérie voisine.

«Israël et les USA savent que le Maroc collaborera; il y a aussi la dimension politique: les USA ont reconnu le Sahara occidental comme marocain, ce qui ajoute une autre dimension à cette coopération», analyse Pozo.

«Trahison»

Contrairement à l’Espagne, le Maroc n’a pas stoppé certaines livraisons malgré les manifestations publiques.

Une militante marocaine d’Amnesty International, qui souhaite garder l’anonymat, confie à MEE combien il lui est «douloureux» de «voir [son] pays connecté à la machine du génocide en Palestine».

Pour elle, la résistance dépasse la politique: «Il sagit de notre humanité et de notre responsabilité morale Chaque bombe larguée, chaque enfant enterré sous les décombres, devrait nous bouleverser au plus profond de nous-mêmes».

«La population veut que le Maroc rompe ses liens avec Israël et adopte une position ferme et sans concessions contre loccupation et lapartheid», poursuit-elle.

«À Amnesty, nous travaillons à exposer ces violations et exiger des comptes. Je dis cela par amour pour mon pays mais aussi avec le courage de le critiquer. Nous devons demander la transparence. Nous devons parler. Car le silence face au génocide nest pas de la neutralité, cest de la trahison.»

Elle souligne également qu’il existe une «menace constante de répression» contre le militantisme propalestinien au Maroc, bien que le royaume publie régulièrement des déclarations de soutien à la cause palestinienne.

Selon le Front marocain de soutien à la Palestine et contre la normalisation, qui rassemble une vingtaine d’associations, syndicats et partis politiques, 20 militants ont été arrêtés et emprisonnés depuis 2021, un phénomène qui s’accélère depuis le début de la guerre israélienne contre Gaza en octobre 2023.

Un expert du Carnegie, sous couvert d’anonymat, déclare à MEE que «malgré lampleur et la visibilité des protestations, elles nont pas encore abouti à un changement politique significatif».

Cependant, citant une récente déclaration du parti d’opposition Justice et Développement (PJD), qui réaffirme «sa critique de la normalisation» et la nécessité dun «réalignement» du royaume sur la position massivement propalestinienne des Marocains, lexpert envisage la possibilité dun changement.

«Le sentiment populaire peut avoir un effet contraignant ou cumulatif, surtout lorsquil rejoint des questions de légitimité intérieure, alimente le discours dopposition et la mobilisation», conclut-il.

 


 Le siège de Maersk à Tunis après une manifestation le 18 mars 2025

29/03/2025

Le hajj au temps des colonies: un pèlerinage d’empire en 1949
Un reportage de Kateb Yacine

Fausto Giudice, Tlaxcala & The Glocal Workshop/L’Atelier Glocal

À l’automne 1949 Kateb Yacine, alors âgé de 20 ans, s’embarque à Alger pour Djeddah sur le paquebot Le Providence des Messageries maritimes pour participer au hajj. De ce pèlerinage organisé et contrôlé par les autorités coloniales françaises et administré par la Banque d’Indochine, il rapporte une série d’articles publiés par le quotidien Alger Républicain en novembre 1949. Dans le dernier article de la série, daté du 22 novembre, intitulé Pas de pèlerinage libre sans séparation du culte et de l’État, il écrit :

« ... La joie du retour en terre natale avait tout effacé. Il n’y avait plus place pour aucun souvenir : nous répondions à l’accueil chaleureux de la population accourue sur les quais dès que le Providence avait été visible au large. Pourtant nous n’avions pas mis pied à terre que déjà on nous interrogeait. Et c’est alors que nous avons compris quel lourd devoir nous incombait : la vérité était si pénible à dire à nos interrogateurs si confiants... Mais nous ne pouvions nous taire sur un tel sujet. En dissimulant les peines endurées, les obstacles et les exploitations, nous n’aurions pas seulement caché la vérité. Nous aurions participé à la tromperie, nous serions entrés, nous, victimes du mensonge, dans le camp des menteurs. Aussi sommes-nous nombre de hadji algériens à avoir décidé de tout révéler, pour aussi difficile que cela le sera, après les contes des Mille et Une Nuits diffusés par les troubadours de M. Naegelen [socialiste, gouverneur général de l’Algérie, nommé en 1948, démissionnaire en 1951]. Non, notre pèlerinage n’a pas été libre, comme nos médersas et nos mosquées ne sont pas libres. Est-ce à dire que nous devons montrer la plaie sans chercher à la guérir, est-ce à dire que nous allons renoncer à notre pèlerinage parce que l’administration le déforme et l’utilise contre nous ? Personne ne peut le croire. Il ne nous reste donc plus qu’une voie pour tenir tête aux falsificateurs : engager la lutte dans l’union pour ne plus permettre de telles usurpations. La liberté du culte en Algérie est la première de nos revendications. Ne pas en comprendre l’importance fondamentale, c’est se résigner à voir toujours notre foi tournée en dérision et la terre sainte livrée aux financiers et aux policiers. Il s’agit de rétablir la décence, de faire reculer le mensonge, de ne plus permettre des mystifications aussi cyniques. C’est notre dignité d’hommes qui en dépend, sans compter les sentiments religieux de toute une population déjà opprimée sur tous les autres plans de la vie. Pour ma part, mon premier souci a été de porter témoignage. Il est de bon augure qu’il se soit trouvé un quotidien en Algérie pour accueillir ce témoignage. Sans reculer devant la haine du gouvernement général pour tout ce qui porte un coup à sa scandaleuse ingérence. Nous pouvons donc considérer un premier pas comme accompli. Il reste maintenant une lutte quotidienne, qui est affaire de toute la population, de toutes les organisations, de tous les honnêtes gens, pour le respect et l’indépendance du culte, pour le pèlerinage libre. Ce dernier doit être et rester l’affaire des [associations] cultuelles musulmanes. »

De la Mauritanie à l’Indonésie, la “gestion du culte musulman” dans les empires coloniaux (français, britannique, italien, néerlandais) et en particulier le contrôle des pèlerinages, a fait l’objet de luttes importantes entre colonisés et prépondérants revendiquant le statut de « puissances musulmanes ». Ironie de l’histoire, la puissance française était loin d’appliquer le principe de base de la laïcité, à savoir la séparation des cultes religieux et de l’État. Dans son reportage, Kateb Yacine donne à voir et à entendre la réalité de ce hajj colonial et comment les pèlerins algériens, marocains, tunisiens, ouest-africains vivaient cette expérience tragi-comique, sous la férule de la Banque d’Indochine et face à la Maison Saoud. Les détails qu’il donne sur les clandestins tunisiens à bord du Providence ne manquent pas de sel.

Luc Chantre, auteur d’une thèse doctorale intitulée Le pèlerinage à La Mecque à l’époque coloniale (v. 1866-1940) : France, Grande-Bretagne,  Italie (Poitiers, 2012), a publié en 2018 un livre issu de cette thèse, intitulé Pèlerinages d’empire. Une histoire européenne du pèlerinage à La Mecque (Éditions de La Sorbonne). Nous en reproduisons le chapitre 12, Le retour contesté des pèlerinages dʼempire, qu’il introduit par ces mots : « Le vide laissé par les puissances coloniales pendant les années de [la deuxième] guerre [mondiale] a créé un précédent que ne manquent pas d’exploiter les opposants à la colonisation. Tandis que les puissances européennes entendent restaurer, dès 1945, les organisations d’avant-guerre, le principe de ces pèlerinages officiels organisés par terre, mer ou air est de plus en plus critiqué chez les pèlerins musulmans – y compris chez les élites musulmanes, pourtant choyées durant l’entre-deux-guerres – qui réclament davantage de liberté, quelles qu’en soient les conséquences ».

À l’occasion de l’Aïd, nous offrons ces documents à nos amis musulmans et décoloniaux, pour alimenter leurs combats et leurs réflexions.




         


13/02/2025

IGNACIO CEMBRERO
“Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz” : une femme au foyer condamnée à 2 ans de prison pour une blague
On ne plaisante pas sur la monarchie marocaine

Rachida Jalali, mère de quatre enfants, purge une peine de deux ans de prison pour avoir écrit sur Facebook qu’avec un billet à l’effigie des trois derniers rois alaouites, on ne pourra plus acheter de bouteille de butane

 Ignacio Cembrero, El Confidencial, 10/2/2025

Quand elle a appris que le prix d’une bouteille de gaz de 12 kilogrammes allait dépasser les 50 dirhams (4,82 euros), Rachida Jalali, une femme au foyer marocaine, a fait une petite blague sur sa page Facebook. « Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz », a-t-elle commenté. Elle a accompagné son message d’un billet de 50 dirhams illustré par l’effigie des trois rois que le Maroc a eus depuis son indépendance en 1956 : Mohamed V, Hassan II et l’actuel, Mohamed VI.

Son commentaire est devenu viral dans un pays où les manifestations contre la vie chère se multiplient et qui a connu mercredi 5 février son premier mouvement de grève générale en neuf ans, même s’il n’a pas été très suivi, sauf dans le secteur de l’éducation.


La popularité de la plaisanterie de Rachida Jalali a fini par éveiller, avant qu’elle ne la supprime, l’intérêt de la police qui s’est présentée à son domicile de Khouribga, dans le centre du pays, où vit désormais cette mère de quatre enfants. Elle a émigré en Italie il y a des années, mais avait décidé de revenir pour monter une entreprise dans sa ville natale. Les agents l’ont d’abord interrogée sur ses intentions en publiant ce message, pour savoir s’il s’agissait d’une critique des autorités. Ensuite, ils l’ont mise à la disposition de la justice.

La semaine dernière, Rachida Jalali a été condamnée par un tribunal de Khouribga à deux ans de prison pour « offense aux institutions de l’État », ce que le code pénal marocain punit, si elle est formulée en public, d’un à cinq ans de prison et d’une amende. Cela aurait été pire si les juges l’avaient condamnée, comme ils ont failli le faire, pour offense au roi.

« Ma cliente n’avait aucune intention malveillante », a expliqué l’avocat de Rachida Jalali aux quelques journalistes qui se sont intéressés au procès au Maroc. « Elle a fait une blague comme il s’en fait des centaines chaque jour sur les réseaux sociaux », a-t-il ajouté. « La condamner, c’est envoyer un message inquiétant à la société », a-t-il conclu.

Rachida Jalali a commencé à purger sa peine à la prison pour femmes d’Oukacha (Casablanca), d’où elle a réussi à faire passer un message audio le week-end, qui a également beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Elle y annonce qu’elle entame une grève de la faim pour protester contre une condamnation qu’elle juge injuste, mais finit par crier « Vive le roi » comme pour se faire pardonner.

La bouteille de gaz coûte désormais 50 dirhams au Maroc, mais après le ramadan, fin mars, elle passera à 60, selon les annonces de la presse, et à 70 l’année prochaine. Il s’agit d’« alléger les dépenses de la Caisse de compensation », selon le journal makhzénien Le 360, qui subventionne de nombreux produits de base. Aujourd’hui, près de la moitié du prix de la bouteille est à la charge de l’État.

Les tribunaux marocains continuent de prononcer des condamnations à caractère politique contre des militants, mais celle d’une femme au foyer est exceptionnelle. La plus légère des condamnations récentes a été infligée à IsmaelLghazaoui, un an de prison et une amende de 5 000 dirhams (482 euros) pour avoir manifesté devant le consulat des USA à Casablanca et contre un cargo MAERSK transportant des armes vers Israël et faisant escale à Tanger. La peine la plus sévère, cinq ans de prison, a été prononcée en avril contre Abderrahmane Zankad, coupable d’avoir dénoncé sur les réseaux sociaux les relations étroites entre le Maroc et Israël, dont il a imputé la responsabilité à Mohamed VI.

Les journalistes ne sont pas non plus épargnés, bien que trois d’entre eux aient été partiellement graciés par le roi en juillet et soient sortis de prison. Le dernier à avoir été condamné est Hamid El Mahdaoui, mais il pourrait peut-être échapper à la prison. Il a fait appel d’une décision qui l’a condamné en novembre à 18 mois de prison et à une lourde amende pour « diffusion de fausses allégations » et « diffamation », selon le Code pénal. Il aurait dû être jugé en vertu de la loi sur la presse et les publications, a souligné Reporters sans frontières dans un communiqué.

29/01/2025

Le Révérend chanoine J Peter Pham,
le Mister Africa “réaliste” de Donald Trump II

 Ayman El Hakim, 29/1/2025

Cette fois-ci sera la bonne : en 2017, la nomination par Mike Pompeo de J Peter Pham comme Secrétaire d'État assistant aux Affaires africaines de Trump I avait été bloquée au Sénat par James Inhofe (Oklahoma), un défenseur acharné des droits du peuple sahraoui, qui avait invoqué la proximité du candidat avec le Makhzen marocain. Depuis, Inhofe a quitté le Sénat en 2023 et notre bas monde en juillet 2004. Il ne devrait donc plus y avoir d’obstacle à la nomination du Révérend chanoine Pham, 55 ans. Ci-dessous son curriculum, qui a de quoi donner le vertige.

J Peter Pham, célèbre pour les nœuds papillon qu’il arbore en toutes occasions, est arrivé à l’âge de 5 ans aux USA, où sa famille, liée au régime sud-vietnamien, avait fui après la chute de Saïgon. Il a effectué un double cursus d’études.

Après avoir obtenu une licence en économie à l'université de Chicago, Pham s'est orienté vers la prêtrise et a finalement obtenu un doctorat, rédigeant sa thèse de doctorat en théologie systématique à l'université pontificale grégorienne de Rome (université jésuite fondée en 1551 par Ignace de Loyola), sur la théologie de Hans Urs von Balthasar. Chercheur postdoctoral à l'Académie pontificale ecclésiastique, il a été diplomate au Vatican et assistant du Vicaire général de Sa Sainteté au Vatican et du président du Conseil pontifical pour la justice et la paix. Il a ensuite rejoint la faculté du Centre des sciences sociales libérales et appliquées de la JMU, l'université James Madison à Harrisburg (Virginie).

En 1995, Pham est ordonné prêtre de l’église épiscopalienne (catholiques anglicans) et exercera son ministère à l’église Saint-Paul de Washington, située dans la K Street, qui est au lobbying ce que Wall Street est à la finance, vu qu’elle est le siège de nombreuses firmes de lobbying, cabinets d’avocats et think tanks.

Nommé en août 2004 professeur associé en études de justice (sic) à la JMU, il y devient ensuite professeur de sciences politiques et d’« Africana Studies » et directeur du  Nelson Institute for International and Public Affairs, dissertant sur le Libéria, les relations entre Taiwan et la Chine et la terreur islamiste au Moyen-Orient, bien qu'il n'ait aucune qualification reconnue dans ces domaines.

Il se retrouve progressivement dans des postes de responsable dans une série d’organismes, tous liés au Parti républicain, notamment l’Acton Institute for the Study of Religion and Liberty, qui regroupe des catholiques libertariens, l’Atlantic Council, la Fondation pour la défense des démocraties et quelques autres.

En 2018, après son rejet comme secrétaire d’État assistant aux Affaires africaines, Pompeo le nomme Envoyé Spécial US pour la Région des Grands Lacs, avec rang d’ambassadeur, jusqu’en 2020, puis Envoyé Spécial pour la Région du Sahel africain jusqu’en 2021. En 2022, il a été élu membre de l’Académie diplomatique américaine.

Peter Pham a fait partie du groupe consultatif supérieur du Commandement militaire US pour l'Afrique (USAFRICOM) de 2008 à 2013 et est conseiller principal du Krach Institute for Tech Diplomacy à l'Université de Purdue. Depuis 2015, il est membre du conseil d'administration du Smithsonian National Museum of African Art à Washington, DC, dont il a été le vice-président (2016-2021) et dont il préside le comité des finances depuis 2022.

Le Révérend Pham a publié un nombre invraisemblable d’articles, d’essais et de livres sur tous les sujets possibles, de la doctrine sociale de l’Église au Liberia, la Sierra Leone, la Somalie et, last but not least, le Sahara occidental. Nous avons choisi de traduire son essai sur ce sujet [cliquer sur l'image en fin d'article], datant de 2010, qui donne une très bonne idée de ce à quoi les Sahraouis, les Marocains, les Mauritaniens et les Algériens peuvent s’attendre de la part de l’administration Trump II. Plus makhzénien que Pham, tu meurs !

Pour conclure ce portrait, nous présentons le quatrième volet du personnage, le volet business. En effet, notre bon chanoine n’est pas seulement prêtre, universitaire et diplomate. Il est aussi businessman, comme tout bon politicien usaméricain.

Business

J Peter Pham est actuellement directeur non exécutif d'Africell Global Holdings et de Rainbow Rare Earths, président non exécutif de HPX et conseiller stratégique de dClimate, bitt et de quelques autres entreprises.

Africell Global Holdings

La compagnie, fondée en 2000 et dirigée par le Libano-Américain Ziad Dalloul, est comme il se doit domiciliée sur l’île britannique de Jersey, petit paradis fiscal dans le Channel. C’est une des entreprises de téléphonie mobile à la croissance la plus rapide, avec plus de 11 millions d’abonnés en Gambie, Sierra Leone, RDC, Angola et Ouganda.

Rainbow Rare Earths

Le phosphogypse (parfois abrégé en PG) est un gypse non naturel, déchet industriel, issu du traitement industriel des minerais calciques fluorophosphatés utilisés pour la fabrication de l'acide phosphorique et des engrais phosphatés. De Salonique au Guadalquivir en passant par la Tunisie, l’Afrique de Sud et le Brésil, des centaines de millions de tonnes de ce résidu radioactif s’entassent, constituant une menace grave pour l’environnement. L’entreprise Rainbow Rare Earths, cotée à la Bourse de Londres, est engagée dans deux sites, Phalaborwa en Afrique du Sud et Uberaba au Brésil, où elle expérimente  un procédé -qu’elle présente comme « écologique » - consistant à extraire des oxydes de terres rares de ce phosphogypse. Selon Rainbow, « ce devrait permettre de produire des oxydes de terres rares séparés par le biais d'une seule usine hydrométallurgique sur le site, en se concentrant sur la récupération du néodyme, du praséodyme, du dysprosium et du terbium. Il s'agit de composants essentiels des aimants permanents à haute performance utilisés dans les véhicules électriques, les turbines éoliennes, la défense et de nouveaux marchés passionnants tels que la robotique et la mobilité aérienne avancée ».

dCLIMATE

C’est une entreprise de collecte et d’exploitation de données climatiques permettant de naviguer sur le marché des émissions de carbones et fournissant ce qui s’appelle « climate intelligence » (renseignement climatique), permettant entre autres d’évaluer les risques. dClimate se présente ainsi : « dClimate est un réseau décentralisé d'infrastructures de données climatiques qui transforme la façon dont les applications technologiques climatiques sont mises en œuvre pour favoriser un avenir résilient. » Son slogan publicitaire : « Libérer la puissance des données climatiques pour un avenir durable ». Pham siège au conseil consultatif de l’entreprise aux côtés de Mark Cuban, « investisseur, entrepreneur, star de l'émission Shark Tank sur ABC, propriétaire de l’équipe des Dallas Mavericks de la NBA (National Basketball Association) », de « SergeyNazarov, cofondateur de Chainlink » et de « D.J. Mbenga, 2 fois champion NBA de la RDC et éminent philanthrope congolais ». Du basket à la déforestation, il n’y a qu’un pas.

HPX
High Power Exploration Inc. (HPX) est une des entreprises du groupe minier dirigé par Robert Friedland, chargée de l'exploitation du gisement de minerai de fer du Mont Nimba, en Guinée.
Robert Friedland, fils d’un rescapé d’Auschwitz, a tout pour être le héros d’une série Netflix. À 19 ans – on est en 1970 – il est arrêté à Portland en possession de LSD pour une valeur de 100 000 $ qu'il avait vendu à...un agent du FBI. Il sera rapidement libéré et bénéficiera d’un non-lieu. Copain de Steve Jobs, dont il partage l’intérêt pour les philosophies orientales, il l’invite dans un verger de pommes appartenant à son oncle millionnaire en Oregon, où il créera une communauté. C’est là que Steve Jobs a trouvé le nom de son invention, Apple. Mais rapidement, Robert passe aux choses sérieuses et se lance dans les activités minières. De l'Oregon, il passe au Colorado, où il gagne le surnom de "Toxic Bob", après la catastrophe de pollution que provoque la mine qu'il a acquis à Summitville avant de se déclarer en faillite, de payer une petite amende de 20 millions de $ et de partir à la conquête de mines en Alaska, en Australie, au Myanmar, en Mongolie et en Afrique. [Lire TOXIC BOB, l’homme qui a trouvé mieux que le LSD : l’or, le cuivre et le fer. Un dossier Tlaxcala sur Robert Friedland, l’Elon Musk du sous-sol]
Frère Pham, comme président non exécutif de HPX, livre depuis quelques mois une bataille contre le monopole d’Arcelor Mittal sur les transports de minerai de fer provenant des mines du Mont Nimba sur la ligne de chemin de fer de Yekepa au port de Buchanan (360 km)  au Liberia, faisant pression sur le président Boakai pour qu’il fasse jouer la concurrence et brise le monopole du géant indien. Ce dernier a restauré et remis en route cette ligne de chemin de fer - construite par le consortium yankee/suédois LAMCO et mise en ruine par la guerre civile -, qu’il a pu refaire tourner grâce aux commandes de minerai de fer chinoises. HPX, argumente l’oncle Pham dans la presse libérienne, entend exporter 30 millions de minerai par an dans les 25 prochaines années, ce qui pourrait rapporter à l’État libérien, au tarif de 2,10 $ par tonne, la coquette somme d’ 1,6 milliard de dollars. Pourquoi laisser ce pactole entre les griffes de Tonton Lakhsmi (Narayan Mittal) ?  Bref, notre théologien sait aussi compter.

bitt

Et last but not least, en 2022, Brian Popelka, un p’tit gars du Nebraska qui vit à Salt Lake City, la capitale des Mormons (Utah),  PDG de l’entreprise bitt (Banking Innovation Through Technology) a recruté le Révérend chanoine Pham comme conseiller. Bitt propose aux banques centrales d’installer des système de monnaie numérique de banque centrale (CBDC en anglais), ce dont elle a déjà convaincu l’ Union monétaire des Caraïbes orientales et la Banque centrale des Caraïbes orientales, qui regroupent 6 États insulaires indépendants (Antigua-et-Barbuda, Dominique, Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Sainte-Lucie) et 2 territoires d’outre-mer britanniques (Anguilla et Montserrat). Pham a ainsi commenté sa nomination comme conseiller : « « Je suis ravi de rejoindre le conseil consultatif de bitt.  Je suis impatient de mettre à profit mon expérience en Afrique et ma connaissance des défis et des opportunités présents sur le continent pour renforcer la relation existante de bitt avec la Banque centrale du Nigeria, et aussi pour aider à forger des partenariats similaires avec d'autres institutions africaines ; contribuant ainsi au développement de la région en faisant progresser l'inclusion financière et en facilitant les échanges panafricains. »  Ite, missa est.